Sans Paul Biya, le Cameroun a un avenir incertain. Avec Paul Biya, il n’a pas d’avenir
Le lecteur qui tient Germinal pour la première fois dans ses mains est tout de suite frappé par l’expression Le prix de la vérité . Cette expression simple résume en quelques mots le message que nous voulons délivrer. Elle traduit le degré de notre engagement et marque notre volonté de répondre de nos actions ou des actions des personnes à notre charge. Pour nous, la compréhension de cette expression doit moins être littérale que métaphorique. Que ce soit dans les débats, la recherche, l’aveu, les enquêtes et autres reportages le « prix de la vérité définit alors l’honnêteté ou le courage qu’exige de nous […] l’affirmation ou la reconnaissance des faits avérés, c’est-à-dire le refus du mensonge » (Marcel Hénaff, 2002 :15).
Quoi qu’on dise, quoi qu’on pense, quoi qu’il advienne, nous n’aurons qu’une passion, celle de la lumière, au nom de nos lecteurs, du peuple camerounais et de l’humanité qui ont tant souffert, qui continuent de souffrir, et qui ont droit au bonheur (Zola), sachant pertinemment que la lumière est redoutable pour les forces négatives vivant dans les ténèbres.
Depuis le premier numéro de Germinal, nous n’avons cessé d’en appeler aux polémiques, aux débats et aux confrontations d’idées, convaincus que l’expression libre des opinions est l’épine dorsale de l’architecture démocratique. Ils permettent aux lecteurs d’échapper au conformisme. Après l’épisode relative à notre kidnapping, à notre condamnation à un an d’emprisonnement avec sursis pour trois (03 ans) et 3 154 650 FCfa d’amende et dépens, et à notre libération après paiement de cet argent, certains lecteurs et confrères ont de nouveau reprouvé, non sans acrimonie, notre envie d’analyser au fil des éditions les faits et gestes de Paul Biya et de présenter ce qui s’est dit et écrit sur lui par des Camerounais qui semblent avoir des bonnes raisons de lui en vouloir. Il nous a même été conseillé de mettre un peu d’eau dans notre vin après notre sortie de prison afin d’éviter d’y retourner, cette fois ci pour plusieurs années. Disons que leurs points de vue sont compréhensibles. Mais, revendiquant un minimum de cohérence avec nous-mêmes, nous ne nous offusquons pas, bien au contraire, que certains aient vivement dénoncé le titre de l’édition n°046 de Germinal qui avait suscité l’ire de M. Joseph Anderson Le, directeur adjoint du cabinet si vil, celui-là même qui avait instigué le procureur de la République à nous ester en justice.
Il était dans son rôle d’homme de pouvoir.
En publiant l’extrait d’un « ouvrage diffamatoire », selon l’expression de M. Le, qui n’a pas fait l’objet d’un procès en diffamation, ni a posteriori, par les ayants cause, encore en vie, nous aurions cette foislà poussé le bouchon de la provocation trop loin ; nous aurions une nouvelle fois - après la publication du rapport du Ccfd-Terre Solidaire sur Les biens mal acquis - cédé à un antibiyaïsme aussi obsessionnel que contreproductif. Bref, nous offririons verges et munitions à quelques zélés de l’entourage présidentiel, qui, agissant « sur ordre et à l’instigation du président de la République », flagellent et maudissent les journalistes, ces nouveaux ennemis de l’intérieur qui ternissent l’image du Cameroun.
Précisons à ceux-là (1) que selon l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui fait partie intégrante de la constitution du 18 janvier 1996 « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit », autrement dit, les Camerounais ont le droit de savoir ce qui est dit et écrit sur celui qui préside aux destinées du Cameroun ; (2) que Paul Biya, en tant que citoyen, a le droit d’ester en justice auteur(s) et éditeur(s) qui publient un ou des ouvrages le diffamant et même de demander le retrait desdits ouvrages des rayons des librairies. Denis Sassou Nguesso, président la République du Congo, Idriss Déby Itno, président du Tchad et Omar Bongo, alors président du Gabon n’avaient-ils pas intenté, en 2000, un procès pour offenses à chefs d’État contre l’auteur et l’éditeur du livre Noir Silence, François-Xavier Verschave, alors président de l’association Survie, et Laurent Beccaria, gérant des éditions des Arènes ? (3) enfin que l’État et le gouvernement peuvent, s’ils jugent qu’une œuvre de l’esprit est impropre à la consommation des Camerounais, l’interdire sur l’ensemble du territoire national.
D’où vient-il alors que l’on condamne
celui qui (re)publie des extraits d’un ouvrage non interdit et dont
l’auteur n’a jamais été inquiété?
C’est dire si les vrais raisons de notre condamnation se trouvent
ailleurs. Incontestablement, nous avons payé le prix du soutien que nous
avons apporté au rapport du Ccfd sur les Biens mal acquis. Sinon,
comment comprendre cette déclaration faite, le 12 décembre 2009, par les
gendarmes à une proche parente du Directeur de publication de Germinal
quand il était gardé à vue au Secrétariat d’État à la défense (Sed) : «
Si l’on ne garde pas ton frère en lieu sûr, les Français viendront
l’exfiltrer »?
Au grand dam des thuriféraires hypocrites de sa Majesté Paul Biya qui n’ont pas renoncé à nous neutraliser, nous fondant sur un bilan désastreux après presque 30 ans d’un règne sans partage, Germinal n’a jamais dissimulé un antibiyaïsme rigoureux, mais pas radical. Nous nous sommes toujours interdit de verser dans la facilité de la caricature. Par une critique de fond, nous avons toujours évité la monarchisation de la République, synonyme d’abolition de la République. Nous avons toujours évité de céder au simplisme de la stigmatisation et de la diabolisation du biyaïsme.
Non, Paul Biya n’est pas le mal absolu. Avant notre arrestation et notre condamnation, nous avions toujours affirmé, à haute et intelligible voix, que la liberté d’expression était l’un des acquis du président de la République et du Renouveau parce qu’il nous laissait dire et écrire ce que nous pensons. Hélas !, ses collaborateurs ont décidé autrement. Paul Biya ne doit s’en prendre qu’à lui-même et suivre ce conseil de Mongo Beti : « Vois-tu, fils, chaque fois qu’il t’arrive un malheur, cherches-en la cause en toi-même, d’abord en toi-même.
Nous portons en nous-mêmes la cause de nos malheurs ».(Eza Boto, 1971:120) Le système Biya porte pour ainsi dire les germes de sa destruction. Nous n’avons sans cesse dénoncé les agissements de certains grands maîtres de la tyrannie idéologique qui mettent en péril la cohésion nationale et qui, pour continuer à bénéficier de la confiance du chef de l’État et détourner son attention sur leurs manoeuvres pouvoiristes, inventent une catégorie d’ennemis regroupés au sein des nébuleuses « G11 » et « Brutus », des monstres sans foi ni loi fabriqués par Paul Biya, membres du Rdpc, dont la quête du pouvoir et des richesses prend en effet des contours de plus en plus effrayants et qui ne sont pas dangereux uniquement pour lui mais le sont évidemment aussi pour les autres Camerounais, selon les mots de Fanny Pigeaud dans son récent ouvrage Au Cameroun de Paul Biya.
Si nous faisons ce rappel, c’est parce que nous sommes conscients du fait que la diabolisation non pertinente du monarque présidentiel et sa politique est contre productive, politiquement et idéologiquement ; parce que les condamnations à priori (et avec a priori) rendent plus difficile encore la construction d’une alternative républicaine au biyaïsme.
Sans doute devrions-nous prendre, avec philosophie, détachement et humour, toutes les manoeuvres et tentatives de musèlement de Germinal, car, ce n’est pas un hasard si le déchainement des collaborateurs du président de la République s’abat sur la profession de journaliste au moment où le président national du Rdpc, chef de l’État prépare son entrée en campagne pour sa réélection en 2011, au moment où les médias à capitaux publics magnifient, encensent, non sans emphase ni ridicule, les faits et gestes du couple providentiel. Paul Biya et ses partisans de bonne foi pourraient au moins convenir que nous ne sommes pas exclusivement animés par l’envie morbide de le « détruire », de « l’anéantir », qu’il peut arriver que nous soyons d’accord avec lui, lui avec nous et qu’ainsi va la vie dans une nation qui a choisi la démocratie comme système de gouvernement.
Paul Biya, ses partisans et sympathisants se sont gourés, si à un moment donné ils ont pensé que la presse et singulièrement Germinal, le ménageraient dans le scandale des Biens mal acquis, après son séjour dispendieux à la Baule ou après le tripatouillage de la Constitution.
Au vu des conditions de vie des Camerounais, au vu de la fragilité des institutions, de la navigation à vue persistante, de la perversion d’un système politique figé, de « la déchéance de la [et du] politique » (Kamto, 1999), du dépérissement du tissu économique, de la corruption généralisée, de la décrépitude morale et spirituelle, du chômage généralisée, de l’absence de perspective pour la jeunesse …si Paul
Biya est patriote, s’il aime le Cameroun, il ne devrait pas se présenter à l’élection présidentielle de 2011. Ce serait le meilleur et l’unique vrai service qu’il aurait ainsi rendu à un Cameroun qui peine depuis presque 30 ans à trouver sa voie dans un monde en plein chamboulement, où il erre tel un bateau ivre. Décrédibilisé politiquement, démotivé diplomatiquement (malgré quelques récentes agitations et gesticulations), diminué économiquement, présentant un bilan (presque) médiocre, contesté et vomi parmi les siens malgré les apparences, l’homme-lion restera dans l’histoire du Cameroun comme le plus mauvais don que feu le président Ahmadou Ahidjo a fait aux Camerounais.