Sale temps pour les journalistes : Les professionnels des médias ont souvent eu maille à partir avec la Justice

Cameroun,Cameroon - Sale temps pour les journalistes : Les professionnels des médias ont souvent eu maille à partir avec la JusticeDe Pius Njawé à Rodrigue N. Tongue, Félix Cyriaque Ebole Bola, Baba Wamé en passant par Haman Mana, Thierry Ngogang, Anani Rabier Bindzi, Alex Gustave Azébazé et feu Bibi Ngota, les professionnels des médias ont souvent eu maille à partir avec la Justice camerounaise. Round-up.

 

Le landernau socio-médiatique du Cameroun est tumultueux ces derniers temps. Plusieurs journalistes sont l’objet de moult tracasseries avec la Justice, quand ce ne sont pas des intimidations, arrestations et même des emprisonnements. Le dernier cas en date est celui de Rodrigue N. Tongue, chef service politique et coordonnateur de la rédaction du quotidien Le Messager à Yaoundé, Félix Cyriaque Ebole Bola, président du syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc) et par ailleurs, secrétaire général de la rédaction du quotidien Mutations ainsi que Baba Wamé, chargé de cours à l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) et sous-directeur au ministère de la Communication, attendus ce jour au tribunal militaire, qui leur a délivré une «citation à inculpé».

 

Par exploit d’huissier, ils ont reçu leur notification faisant état de ce qu’au courant juillet –août 2014, ils n’ont pas «averti les autorités militaires, administratives ou judiciaires, d’informations de nature à nuire à la défense nationale». En attendant de savoir, concrètement ce qu’il est reproché à ces professionnels des médias, il appert qu’ils ont été «inculpés» sans qu’aucune instruction judiciaire ne soit ouverte. Probablement à l’insu de leur plein gré !

 

Secret de l’instruction

Il y a quatre ans, Anani Rabier Bindzi, Thiérry Nzouetom Ngogang, Alex Gustave Azébazé, Jean Marc Soboth (en exil au Canada) et le politologue Manassé Aboya Endom, étaient accusés d’avoir violé le secret de l’instruction judiciaire dans le cadre des enquêtes policières préliminaires autour d’anciens gestionnaires des deniers publics soupçonnés de corruption. Après plusieurs renvois, ponctués par des enlisements le tribunal de première instance (Tpi) de Bonanjo  puis à la Cour d’appel du Littoral, le ministère public s’était rétracté en abandonnant les poursuites. Au sortir de l’une de ces audiences d’alors

Henriette Ekwè, ci-devant directeur de la publication de l’hebdomadaire Bebela s’était montrée plus acerbe.

«C’est un procès qui n’aurait pas dû être. Puisque les journalistes prévenus se sont exprimés sur une question qui était déjà dans la presse au cours d’une émission télévisée. Les journalistes ne doivent pas avoir peur de débattre des sujets concernant la mal gouvernance quand bien même on cherche à les museler ou à les caporaliser».On se souvient que c’est au cours du programme télévisé fort prisé et baptisé Cartes sur table, diffusé sur les ondes de Spectrum télévision (Stv) qui emploie Thierry Ngogang, qu’Anani Rabier Bindzi, journaliste et directeur de la coopération internationale à la chaîne de télévision à capitaux privés Canal 2 international, avait brandi une copie du procès-verbal d’audition de Yves Michel Fotso, ancien directeur général de la Cameroon airlines (Camair), entendu par les fins limiers de la police judiciaire du Littoral dans le cadre de l’Affaire Albatros du nom de l’avion présidentiel, objet de détournement des deniers publics. L’ancien collaborateur du groupe de presse panafricaine Jeune Afrique expliquait alors que lesdits documents avaient été «jetés» à la guérite de Canal 2 international par des informateurs inconnus.

 

Les 21 décrets

Bien avant, c’est Haman Mana, ci-devant directeur de publication du trihebdomadaire Mutations à l’époque, aujourd’hui Dp de Le Jour, était mis aux arrêts en juillet 2001, pour avoir publié des décrets présidentiels portant réorganisation de l'armée. Le chef d'état-major des armées camerounaises d’alors, le général Pierre Semengue, justifiait cette arrestation par le fait que Haman Mana s'était «rendu coupable de publication d'informations sensibles concernant le dispositif stratégique de notre armée tel que prévu par les nouveaux textes du chef de l'Etat» avant de poursuivre que «des indications classées top secret sont contenues dans ces documents qui n'étaient pas destinées à une large diffusion». Ce d’autant  qu’elles « concernent des bases militaires et certains matériels en voie d'acquisition ou d'installation», martelait le général Sémengue.

 

Pour mémoire, dans une édition hors série, Mutations avait publié in extenso et sans commentaires les 21 textes signés par le chef de l'Etat le 25 juillet 2001. Pourtant selon un communiqué signé du ministre de la Communication de l’époque il était indiqué que seuls 17 des 21 décrets étaient publiables, les autres étant frappés du sceau secret défense. Pour sa défense le journal soulignait à grands traits, ne pas avoir trahi la nouvelle stratégie nationale en matière de défense. Pour étayer cette posture, Mutations s'appuyait sur les indications portées à la fin de chaque texte, qui précisaient  que «le présent décret sera enregistré puis publié au journal officiel, en français et en anglais».

 

126 arrestations

Pour remonter le temps, Pius Noumeni Njawé n’avait-il pas fait les décomptes de ses nombreuses arrestations bien avant sa mort en 2010 ? Que Oui !  Le fondateur du Messager, rappelait à l’opinion publique qu’en «30 ans, il a été arrêté 126 fois».Toutes choses qui lui ont valu la place d’icône, de combattant, figure de proue de la liberté de la presse au Cameroun. Aujourd’hui, ces espaces de liberté chèrement conquis sont hypothéqués par des attitudes des proches zélés du régime. Des affaires dites Célestin Monga-Njawé-Le Messager à celle du «malaise du président de la République en 1997», Pius Njawé en avait reçu pour son grade. Privation de liberté, menaces et tortures de tout acabit. Idem pour le cas Bibi Ngota, le Dp de l’hebdomadaire Cameroun Express, décédé à la prison centrale de Yaoundé, la capitale du pays, des suites d’hypertension artérielle. Le défunt journaliste  était en détention préventive au pénitencier de Kondengui, où tout soin lui a été refusé en dépit d’un état jugé préoccupant. Bibi Ngota  avait été arrêté début février 2010 par les éléments de la direction générale de la recherche extérieure (Dgre) , en même temps que d’autres confrères, sur recommandation du secrétaire général de la présidence de la République (Sg/Pr), Laurent Esso, qui les accusait de détention d’un document «confidentiel» mais qui serait un faux.

 

Focal: Pour le Snjc, il y a péril sur les médias à capitaux privés

Dans un communiqué de presse dont Le Messager a eu copie, le Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc), par l’entremise de son secrétaire général, Noé Ndjébet Massoussi, en date du 25 octobre 2014 parle d’un  vent mauvais qui souffle depuis quelques semaines sur les professionnels des médias à capitaux privés au Cameroun.  Caractéristiques de cette météo des tracasseries en tout genre, donnant l’impression soit d’une tentative de reprise en main, soit d’un rétrécissement des espaces de liberté, ou encore d’une incitation à l’autocensure.

 

Après avoir passé en revue les derniers cas de journalistes en délicatesse avec la justice, en date, le Snjc, prend l’opinion publique nationale et internationale à témoin quant à la mauvaise publicité que certaines procédures en cours engendrent sur le Cameroun, constate que les personnes actuellement inquiétées ne jouissent pas d’une justice équitable et rappelle qu’en matière de délits de presse, la mise aux arrêts doit constituer l’exception et non la règle. En conséquence, le Snjc appelle les journalistes du Cameroun à la plus grande vigilance, s’agissant des manœuvres diverses tendant à restreindre leur champ des libertés chèrement acquises; appelle les journalistes du Cameroun à plus de solidarité, de responsabilité et de professionnalisme et invite les journalistes du Cameroun à résister à toute(s) forme(s) de pression(s), d’où qu’elle(s) vien(nen)t, tendant à les dévier de leur mission sociale.

 

Canards et autocensure

Comme le note si bien notre directeur de publication dans l’édition du Messager  d’hier: ‘Défense nationale : trois journalistes inculpés par le tribunal militaire’,  seul l’accès au dossier par les avocats et nos confrères permettra de savoir de quoi il retourne. En effet, écrit Fréderic Boungou, «pour l’instant les organisations et regroupements professionnels de journalistes sont montés au créneau le weekend pour  condamner, ce qui ressemble à l’ouverture d’un procès kafkaïen. Les journalistes n’ayant été entendus au cours de l’enquête préliminaire ni par les officiers de police judiciaire, ni par le commissaire du gouvernement avant leur inculpation par le juge d’instruction».

 

Cette affaire secoue le petit monde de la presse qui sait que la liberté d’un journaliste ne tient qu’a un fil, lorsque des instruments judiciaires comme « citation à inculpé» sont brandis dans le cadre d’un tribunal militaire dont chacun sait qu’il est réglé comme du papier à musique. Notre édition d’hier relayait du reste l’inquiétude de Reporters sans Frontières (Rsf), le Syndicat national de journalistes camerounais(Snjc) qui «dénoncent une grave atteinte à la liberté de presse et redoutent que les journalistes soient placés en détention provisoire au bout de leur audition». En 2013, lors d’un colloque sous-régional d’éducation à la paix et aux droits de l’Homme à Douala, le ministre de la Communication disait : «les médias doivent se préserver de devenir ceux par qui on attise les conflits ou ceux par quoi on les alimente pour en faire des monstres».

 

Pour le cas d’espèce, pris pour des auxiliaires des renseignements, ils comparaissent par devant une juridiction militaire pour « délit de silence ». connaissaient-ils cette articulation professionnelle inédite dans le code de déontologie? Mais le savaient-ils ? Certes nul n’est censé ignorer la loi, mais ici nous sommes en  plein engrenage militaro-judiciaire qui n’est pas le domaine par excellence de la presse qui y perd pied. Jusqu’ici, les échanges connus entre la presse et les formateurs  visaient à accroître le niveau de compréhension des journalistes en ce qui concerne les principes et normes des droits de l’Homme et de démocratie ainsi que les enjeux et les mécanismes de prévention et de gestion des conflits, de la promotion de la paix. Le silence n’était pas de mise, comme le dit si bien quelqu’un, s’il «ne faut rien dire pour nuire, il ne faut rien taire pour plaire non plus»

 

L’imprégnation à la culture de la paix sociale, des droits de l’Homme et des libertés, soulignait le Mincom il y a peu,  devrait produire une presse «libre de tout carcan institutionnel ou économique… à la fois citoyenne et engagée pour la préservation de nos intérêts supérieurs». Comme quoi la liberté de presse  toute garantie qu’elle soit, est réglementée, de cette réglementation qui suscite selon le Snjc, «  des tracasseries en tous genres, des intimidations, des arrestations et même des emprisonnements, donnant l'impression soit d'une tentative de reprise en main, soit d'un rétrécissement des espaces de liberté, ou encore d'une incitation à l'autocensure ».

 

        © Le Messager : Alain NJIPOU & Edouard Kingue


28/10/2014
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