S'unir ou périr ensemble : quel choix pour l'Afrique ?
Les conditions de la
mort de Kadhafi auront fait de lui un héros aux yeux de la grande
majorité des peuples africains, n’en déplaise aux maîtres du monde qui
ont droit de vie et de mort sur les dirigeants des pays faibles. Il
repose désormais, dans nos mémoires, au Panthéon des combattants pour la
dignité de l’Afrique à côté de Patrice Lumumba, Barthélémy Boganda,
Kwamé Nkrumah et Thomas Sankara et son sang fertilisera cette terre
d’Afrique pour que germent une conscience et une résistance à toute
épreuve. Son assassinat résulte du croisement de deux objectifs
parallèles, l’un interne et l’autre externe, qui ont fini par fusionner
pour être offerts au monde sous des aspects digestes.
Le
premier objectif de sa mort programmé est dévoilé dans le premier
discours du chef du CNT au lendemain de son assassinat : le rejet de la
charia par Kadhafi et son refus de s’en servir comme boussole à la
constitution lybienne. Kadhafi a lutté pour une Lybie aux valeurs
republicaines, une Lybie moderne libérée des corsets de la religion. Il a
été un rempart inébranlable contre la contagion de l’intégrisme
religieux qui frappe bruyamment
aux portes des pays arabes et les
dérives idéologiques subséquentes. Le rempart a fini par céder face au
déferlement torrentiel de l’incontinence religieuse qui peut à présent
faire tranquillement son lit avec la bénédiction des parrains
occidentaux.
Le deuxième objectif est à rechercher dans son refus
d’être un esclave docile qui se satisfait de sa condition et dont
l’esprit n’est effleuré par quelque idée d’affranchissement. Le tort de
Kadhafi c’est d’avoir voulu rompre les chaines de la servitude en
poussant l’outrecuidance à contester l’hégémonie des maitres du monde.
Les bases de l’Unité Africaine qu’il a jetées, le premier satellite
africain RASCOM financé à concurrence de 300 Millions de Dollar sur un
total de 377 Millions, le projet de création d’un Fonds Monétaire
Africain qui accélérerait la Fédération des Etats africains pour les
libérer des dicktats du FMI sont autant de crimes de lèse-majesté qui
ont signé son arrêt de mort depuis les bureaux de Washington et de
l’Union Européenne.
Loin de moi l’idée d’épiloguer sur les
fondements internes et externes de la destabilisation de l’Afrique,
fondements sur lesquels je suis amplement revenu déjà et auxquels la
presse digne a d’ailleurs consacré de nombreux papiers. Je voudrais
plutôt faire remarquer, dans une analyse diachronique, la similitude de
la fin tragique réservée aux combattants pour la liberté de l’Afrique.
Le
30 juin 1960, à la cérémonie de célébration de l’indépendance du
Congo,après le discours paternaliste et condescendant à l’égard du
peuple congolais prononcé par le Représentant du Roi Belge auquel
répondait en écho celui d’allégeance du président Kasavubu, Patrice
Lumumba, dont l’intervention n’était pas prévue, prit la parole pour
restaurer la Dignité de son peuple.
«
[...] Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée
aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous
traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais
oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une
lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans
laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos
souffrances, ni notre sang. C’est une lutte qui fut de larmes, de feu et
de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car
ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin
à l’humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force. Ce que fut
notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop
fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les
chasser de notre mémoire ».
En effet, là où le
représentant du roi Léopold II infantilisait les dirigeants du peuple
congolais en leur demandant de ne pas remplacer par des reformes hâtives
les organismes que leur remettait la Belgique et qui rencontrait
l’adhésion de Kasavubu, Lumumba répondit par un discours révolutionaire
rythmé par les maîtres- mots Indépendance, Egalité, Lutte, Humiliant
esclavage. Son intervention, loin d’être belliqueuse, s’inscrivait dans
une perspective de recadrage du sens d’une cérémonie qui était en train
d’être vidée de sa « substantifique moelle ». Il rappella simplement que le Congo, devenu désormais indépendant, se refuse de continuer avec « des paradigmes »
de la colonisation par le maintien des lois iniques qui assurent la
perennité du pacte colonial. Dès lors, il a toute la latitude d’initier
des reformes institutionnelles et de tracer des perspectives d’avenir
pour ses concitoyens. De plus, fort de son indépendance acquise dans la
lutte et en vertu des lois internationales, le Congo n’est plus un Etat
vassal, mais un Etat à part entière comme la Belgique avec laquelle il
entend entretenir des relations d’amitié.
Le refus à la Christophe d’un « pouvoir sans croûte ni mie »
ne pouvait que sonner le glas aux ambitions révolutionnaires d’un
homme. La suite, nous la connaissons. Lumumba a été arrêté par les
Américains et les Belges puis livré au sécessionniste Tchombé qui n’a eu
aucun mal à le tuer et à dissoudre son corps dans de l’acide. Ce fut le
même scénario en Lybie.
Le 24 Mai 1963 au sommet de l'OUA à
Addis Abeba dans un discours à valeur de supplique, Kwamé Nkrumah lance
un appel de pied à ses pairs face à l’urgence de réalisation de la
fédération des états africains avant que les occidentaux n’exploitent
leurs divergences pour éloigner par des manoeuvres mesquines la
réalisation d’un tel projet qui sortirait l’Afrique de l’ornière. Dans
cet extrait que je vous propose, il fait une lecture lucide des
indépendances africaines : «
Sur notre continent, il ne nous a pas fallu longtemps pour découvrir
que la lutte contre le colonialisme ne prend pas fin lorsqu’on a réalisé
l’indépendance nationale. Cette indépendance n’est que le prélude d’un
combat nouveau et plus complexe pour la conquête du droit de diriger
nous-mêmes nos questions économiques et sociales, en déhors des entraves
écrasantes et humiliantes de la domination et de l’intervention
néocoloniale ». Dès lors, des manoeuvres souterraines
vont être menées en vue d’amener certains chefs d’Etat à se
désolidariser du projet, mais aussi pour destabiliser le regime de Kwamé
Nkrumah.
Le 24 Février 1966, alors qu’il était en visite en
Chine, un coup d’Etat est perpétré au Ghana qui le pousse à l’exil en
Guinée et il meurt le 27 Avril 1972 à Buccarest. Vous y voyez vous une
différence notable avec Kadhafi ?
Le 17 Novembre 1986, lors du
dîner offert au président français François Mittérand à l’occasion de sa
première visite au Burkina Faso, Thomas Sankara prononça un discours
dont les revendications provoquèrent l’ire de son hôte et donnèrent le
prétexte à la machine à tuer de se mettre en branle. Lisez plutôt :
« [...] C’est dans ce contexte, Monsieur François Mittérand, que nous n’avons pas compris comment des bandits, comme Jonas Savimbi, des tueurs comme Pieter Botha, ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tâchée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours ».
Thomas Sankara n’aurait pas dû dénoncer si vertement le parrainage de
la France dont bénéficiaient Jonas Savimbi et Pieter Botha qui ont
plongé, pour l’un, son pays dans une guerre qui a duré 25 ans, et pour
l’autre, maintenu les noirs d’Afrique du sud dans la politique
d’Apartheid. Il n’aurait pas dû interpeller avec « grand mépris » le président français dans une formule d’appel si peu apparentée à l’orthodoxie francafricaine.
Le
15 Octobre 1987, par un coup d’état dirigé par celui qu’il appelait son
frère, Thomas Sankara est assassiné froidement jetant ainsi aux
calendes grecques les espoirs d’une révolution prégnante. Le schéma
burkinabè est-il fondamentalement différent de celui de la Lybie ? , la
France se proposa de recevoir tous les chefs d’Etat africains autour
d’une grande manifestation avec défilé de toutes les armées nationales.
La farce de Nicolas Sarkozy qui consistait à se faire passer pour le
président d’un continent qui est entouré de ses souspréfets était tout
trouvée.
Laurent Gbagbo décline l’invitation et toute la classe politique
française ainsi que la presse hexagonale ruent dans les brancards. Bien
avant cela, il décide de créer des usines de transformation du café et
du cacao ce qui à terme constitue une menace pour les industries Suisse,
Française et Américaine de chocolat. Des années avant, il proposa à ses
pairs à un sommet de l’OUA le prelèvement d’un montant sur le revenu à
l’exportation de nos matières premières. C’en était trop pour le
président d’un pays à partir duquel la France boucle son budget et qui
veut ainsi assécher le marigot par des reformes « hâtives ».
Une
rebellion est créée le 19 Semptembre 2002 qui peine à assouvir
l’attente de la Métropole. Lasse d’attendre, elle se jette elle-même
dans l’arène avec ses forces spéciales dans une union de corps avec
l’ONU et l’infortuné Gbagbo est renversé le 11 Avril 2011.Au contraire
des autres, Gbagbo n’a pas été tué parce que Dieu l’a préservé pour des
raisons qu’il est le seul à savoir.
Toutes ces tragédies que
nous venons de passer en revue posent la problématique du contenu réel
de nos indépendances aujourd’hui, mais en même temps elles rendent
impérieux l’avènement d’une solidarité africaine agissante, d’une unité
et ce n’est pas utopique d’y croire. Mieux cela actualise plus que
jamais l’interpellation de Kwamé Nkrumah dans son discours du 24 Mai
1963 à Addis Abeba : « Notre objectif, c’est, maintenant, l’unité
africaine.
Il n’y a pas de temps à perdre. Nous devons maintenant nous unir ou
périr. Je suis certain que par des efforts concertés et notre ferme
propos, nous allons jeter ici même les fondations sur lesquelles
s’élèvera une union continentale des Etats africains ».
Si
des présidents comme Wade pouvaient cesser de torpiller la solidarité
africaine en arrêtant de pousser le ridicule jusqu’à aller rencontrer
les rebelles du CNT à Bengazy dès le déclenchement de la crise lybienne
et à affirmer à la Cassandre que la bataille d’Abidjan aura lieu alors
que le groupe de contact de l’Union Africaine était au travail. Si des
chefs d’Etat comme Blaise Comparé pouvaient cesser de s’illustrer
négativement en affirmant sur le perron de l’Elysée qu’il s’occuperait
personnellement de la crise ivoirienne. Si des chefs d’états comme Good
Luck Jonathan pouvaient cesser d’être des pyromanes chaque fois qu’ils
agitent leur armée exterminateur appellée Ecomog. Hélas ! Mille fois
hélas !
Quand on regarde les agissements de ces personnalités et
qu’on mesure la grande traîtrise des fils d’Afrique qui sacrifient des
vies humaines sur l’autel des ambitions politiques, on ne peut que
joindre notre voix à celle d’Edem Kodjo pour dire : «…Honte
de devoir, une fois de plus, assumer le sang d’un innocent comme le
passage obligé d’un transfert chaotique du pouvoir dans une Afrique qui
se goberge et se prélasse dans les voies de fait et dont la pratique
politique paraît souvent si éloignée de ses traditions ancestrales
d’humanisme et de solidarité…». (Mort, où est ta victoire ? J.A n° 1400 du 04 Novembre 1987 sur la mort de Sankara).
Gottha Yves Otché
Professeur de lettres
gotthayvesotche@yahoo.fr