" S'il vous plaît, M. le président, ne vous présentez plus"

Un universitaire camerounais interpelle Paul Biya.

Alain FOGUE TEDOM






En cette année électorale, et à quelques mois de la déclaration plus que probable de votre candidature pour un nouveau mandat, je peux aisément comprendre que les initiateurs des “ appels du peuple ” dans ses multiples volumes, les auteurs des motions affirmant leur soutien granitique et inconditionnel à votre personne, et donc à votre candidature, ne se réjouissent pas en public de mon appel. Mais ne vous fiez surtout pas aux protestations feintes que ma démarche va certainement soulever parmi tous ces courtisans dont la principale caractéristique est d’être franc du collier.

Lorsque vous avez rejoint la très haute administration du pays en 1962, je n’étais pas encore né ; quand vous avez accédé à la magistrature suprême en 1982, je venais à peine d’entrer au collège. Au moment où vous vous apprêtez probablement à rempiler au sommet de l’Etat, porté par le souffle de l’appel du “ pays profond ” incarné par ceux et celles qui occupent ou caressent le rêve d’occuper des strapontins politiques et administratifs dans votre régime, j’ai quarante deux ans.

En clair, depuis que je suis conscient qu’il existe une réalité autre que celle de mon environnement familial et de mon univers de jeu, je n’ai connu que votre régime. Mes enfants dont le dernier a un âge équivalent à deux mandats présidentiels américains ne connaissent que celui-ci  eux aussi. Parfois, j’entends des jeunes de leurs âges dire innocemment le Paul Biya de la France c’est Nicolas Sarkozy. Il y a dans l’esprit de ces jeunes enfants une confusion entre vos noms et la fonction de président. Vous avez soixante dix huit ans; si vous vous présentez à l’élection de cette année - avec la certitude qu’il y a que vous vous succédiez à vous-même au regard de toutes les dispositions déjà prises par votre système - vous en aurez quatre vingt cinq en 2018. Le jeune collégien de treize ans que j’étais en 1982 lors de votre arrivée à la tête du pays aura quant à lui quarante neuf ans !

Du palais d’Etoudi, vous avez été témoin de l’évolution diplomatique du monde contemporain. Vous êtes arrivé au pouvoir peu après le leader de la gauche française, François Mitterrand. Vous avez traversé ses deux longs mandats de quatorze années. Monsieur Chirac vous a trouvé aux affaires et vous y a laissé, le président Sarkozy vous y a trouvé et pourrait vous y laisser lui aussi.

Aux Etats – Unis, vous avez vu passer, après deux mandats chacun, le président Bush père, Bill Clinton, Bush fils. Vous avez vu arriver le président Obama. Il pourrait lui aussi vous laisser aux affaires.

Vous avez dirigé le Cameroun dans le monde bipolaire et avez vu le mur de Berlin tomber et l’Urss s’effondrer. Alors que vous étiez au pouvoir déjà depuis près de dix ans, en Afrique du sud, Mandela est sorti de prison, a démontré qu’en Afrique aussi, des dirigeants politiques pouvaient surmonter des blessures vives, parier sur l’avenir et donner par leur élégance un sens à la notion d’homme d’Etat. Grâce à la grande leçon d’humilité qu’il a donnée à l’Afrique et au Monde, il est devenu un héro national, panafricain, mondial mieux, un monument pour l’humanité. Vous avez fait chemin avec le général Eyadema et Omar Bongo. Leurs fils Faure et Ali, devenus eux aussi présidents, sont aujourd’hui vos collègues.

En clair monsieur le président, votre règne a aujourd’hui défié le temps. Bientôt, vous entrerez dans le livre Guinness des records des présidents à la longévité interminable. Dans ce contexte, je vous implore de ne plus vous représenter à l’élection de cette année. Même si personne ne vous le dit clairement parmi ceux, nombreux, qui auraient dû vous servir et vous permettre de réussir votre mission à la tête de l’Etat, sachez qu’ils pensent et disent hors micro la même chose que moi. Je les trouve hypocrites, fourbes, francs du collier. Mais je suis sûr que vous aussi vous leur reconnaissez toutes ces qualités. Comme tous les peuples du monde, les Camerounais rêvent d’alternance politique. Plus que dans les campagnes plongées dans l’obscurité, sans écoles, sans hôpitaux ou dans les quartiers de Yaoundé ou de Douala où le chômage et la prostitution rythment la vie, dans les coulisses de votre palais on en rêve encore plus. Ces coulisses sont peuplées de prétendants qui travaillent leurs copies depuis l’adoption de la constitution de 1996.

Ne vous méprenez pas; la purge que vous avez engagée contre la Génération 2011, n’a pas vidé vos proches collaborateurs actuels de leur envie légitime de vous succéder. Plus que moi, ces hauts cadres qui vous ont rejoint et soutenu depuis près de trente ans, avec pour motivation le passage du relais entre générations, sont désespérés depuis que, contre la volonté populaire qui s’est manifestée dans les rues mais qui a été réprimée dans le sang en février 2008, vous avez modifié l’article 6 (2) de la constitution de 1996.

Ils le sont car, pour ceux d’entre eux qui vous ont rejoint à trente ans, ils auront dans quelques mois soixante ans. Pour ceux qui au contraire avaient quarante ans en 1982, ils auront alors soixante dix ans. Vous pouvez aisément comprendre qu’ils maudissent celui / ceux de vos conseillers qui vous ont laissé croire que la stabilité du pays était liée au suspens d’une éventuelle candidature à votre réélection. Ces cadres ont le sentiment de vous avoir envoyé un ascenseur que vous avez bloqué à votre étage. Au regard de tout ce qu’ils ont fait pour vous maintenir au pouvoir dans les moments de gros orages (utilisation massives des moyens publics pour organiser vos campagnes électorales, achat des électeurs, organisation des charters électoraux, intimidation et achat des partis d’opposition, bourrages des urnes, organisation de la répression politique, etc.) ils éprouvent le sentiment que vous les avez floué. Je les laisse à leurs rancœurs pour vous expliquer pourquoi moi je pense que vous devez éviter d’engager le tour de piste politique de trop cette année.

De façon sincère monsieur le président, c’est avant tout votre bilan catastrophique au bout de votre long, très long règne qui m’amène à vous prier de ne plus être candidat à votre succession.

Alors que deux Camerounais avaient occupés le très prestigieux fauteuil de secrétaire général de l’O.u.a par le passé, sous votre règne, la diplomatie camerounaise est devenue moribonde. En effet, malgré la demie toilette que vous lui avez appliquée il y a peu, elle reste vieillissante et est en pane d’imagination. Pour illustrer la décadence de cette diplomatie jadis dynamique, je peux rappeler ici l’échec de Professeur Maurice Kamto, dont les qualités personnelles sont incontestables, à la CPJ face à un candidat somalien dont l’Etat est en totale faillite depuis 1992. Dans la même perspective, malgré tous les moyens mobilisés pour faire du colloque international baptisé “ Africa 21 ” un moment fort de la renaissance de la diplomatie camerounaise, vous n’avez pu réunir autour de vous que quelques voisins.

L’Angola, puissance montante en Afrique centrale, l’Afrique du sud, l’une des trois principales puissances continentales, avec l’Egypte et le Nigeria, étaient absentes. Votre absence à Addis Abeba lors du dernier Sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement de fin janvier où, en principe, on vous attendait pour promouvoir les objectifs de “ l’appel de Yaoundé ”, laisse penser que notre diplomatie a capitulé. Votre absence a laissé en effet penser que “Africa 21 ” a été monté sans véritable conviction, qu’il a simplement entretenu pour quelques heures, et à grands frais, l’illusion de la renaissance de la diplomatie camerounaise. Naturellement, les défenseurs de la thèse de la diplomatie de la discrétion, nombreux dans les couloirs du pouvoir, vont à coup sûr tenter, une fois de plus, d’expliquer que votre absence à ce Sommet était finalement la meilleure méthode pour faire adhérer les dirigeants africains à “ l’appel de Yaoundé ”, tant ils sont prêts à expliquer et à justifier toutes vos entreprises.

Au plan économique, le pays à la tête duquel vous vous trouvez depuis si longtemps a vu d’autres, moins nantis tant en ressources humaines qu’en ressources naturelles, progresser en dépit de la crise économique mondiale et de la baisse des cours des matières premières, que vous évoquez trop facilement et de façon récurrente pour justifier les incompétences de votre régime. Il suffit de comparer notre situation économique avec celle de quelques pays voisins où immigrent massivement, y compris au risque de leur vie, notre jeunesse pour réaliser qu’avec vous, le Cameroun a régressé.

Le système administratif mis en place pendant votre règne est proprement incompétent; il constitue le premier obstacle au décollage économique du pays. Son appétit insatiable pour l’argent facile a transformé tous les bureaux publics en péages et a, par conséquent, alourdi le coût, déjà prohibitif de la création d’une entreprise. Ce n’est pas faute d’être informé des lourdeurs et des incompétences de votre administration ; en effet, voilà des décennies que les patrons camerounais supplient vos successifs gouvernements de revoir le climat des affaires, mais en vain. Sous votre long règne, le fonctionnariat a pris le dessus sur la création des richesses.

Au passage du moindre cortège officiel, les commerçants qui paient des impôts et qui doivent assurer les salaires de leurs employés à la fin du mois sont sommés par les services de sécurité de fermer leurs portes. Vous même, au passage de vos différents cortèges, les citoyens sont proprement humiliés par votre service de sécurité et le commerce cruellement pénalisé. Vos conseillers devraient mener une étude sérieuse sur le manque à gagner des commençants et des entreprises qui ont le malheur de se situer sur l’axe de votre trajet.

Comprenez moi bien monsieur le président, aucun Camerounais républicain ne peut penser que vous n’avez pas droit aux égards et au niveau de sécurité qu’imposent vos hautes fonctions. Ce qui est proprement anormal, c’est que les responsables de Direction de la Sécurité Présidentielle (Dsp) et ceux de la Garde Présidentielle (Gp) tiennent tant à humilier les populations par des mesures vexatoires et anti -économiques chaque fois que vous devez vous déplacer. Dernièrement, en début février, lorsque vous voyagiez pour un de vos rituels “ court séjour privé en Europe ” dont je me demande comment vous les financez, tellement ils sont nombreux, dès sept heures, le seul axe qui traverse la vieille capitale Yaoundé était fermé à la circulation. Les élèves, les travailleurs, les malades ne pouvaient pas se déplacer librement. Tous les commerces et les entreprises situés dans cet axe étaient autoritairement fermés par des agents de votre sécurité, avec un zèle intolérable. Finalement, ce n’est qu’autour de douze heures que vous êtes passé. Face à cette réalité imposée aux Camerounais chaque fois que vous ou votre épouse vous déplacez et dont on peut difficilement penser que vous n’êtes au courant, on se pose la question de savoir si votre système politique a compris qu’on ne peut pas créer des richesses et des emplois en empêchant aux entreprises de travailler.

J’ai quelque peu voyagé en Afrique et hors du continent, de par mon métier j’ai une petite perception des exigences de la sécurité. Je ne pense pourtant pas qu’il soit vraiment utile de terroriser les populations et de pénaliser les entreprises et les commerces, qui pourtant paient les taxes avec lesquelles l’Etat du Cameroun finance vos voyages officiels et privés, pour parvenir à garantir le niveau de sécurité nécessaire à vos hautes fonctions. Il y a quelque chose de folklorique dans la manière dont ceux qui assurent votre sécurité agissent. Qu’on ne vous trompe pas, à chacun de vos passages, à ceux de votre épouse et à ceux de vos hôtes, les populations sont humiliées et terrorisées, l’économie est cruellement pénalisée.

Tous les spécialistes nationaux et étrangers interrogés s’accordent sur le fait que, sans réduire le niveau de vigilance et d’efficacité, il est possible de fermer la circulation quelques minutes seulement avant votre passage puis de l’ouvrir juste après. Songez au moment où vous-même vous ne serrez plus président de la république et que, malade, vous ne pouvez pas être conduit à l’hôpital pendant de longues heures parce que votre successeur ou son épouse doit traverser Yaoundé. Vos conseillers doivent vous expliquer que toutes les vexations et humiliations imposées aux populations lors de vos passages ou ceux de votre épouse les dressent contre votre régime, indépendamment de leurs convictions idéologiques.

Sous votre règne, un système de siphonage des entreprises publiques visant semble-t- il à irriguer votre parti politique a été instauré. Vos promesses sur les grands projets sont devenues des berceuses qui sont généralement chantées aux Camerounais à la veille des différents scrutins présidentiels. Vos “ grandes ambitions ” ont accouché de petites, très petites réalisations. Votre régime a été incapable en trente ans de réaliser l’unité infrastructurelle du pays. En effet, le Camerounais de Kousseri ne connait pas son compatriote de Kyossi, faute d’autoroute et de chemin de fer.

En trente ans de pouvoir celui-ci n’a pas été capable de relier Douala à Yaoundé par une autoroute ; le Nord est méconnu des populations du Sud faute de voies de communications. Au lieu de créer des autoroutes et de tracer un véritable chemin de fer entre les deux parties du pays, vous avez fait ce qu’il y avait de plus démagogique: nommer un régiment entier de personnalités du Nord à des postes ministériels ; ce qui n’a eu aucun effet sur le niveau de pauvreté effrayant qui frappe les populations.

De façon générale, le pays que vous dirigez n’a pas de véritables routes. Les Camerounais meurent en masse sur nos routes. Voyager au Cameroun est un véritable calvaire. Je suis sûr que certains de vos hôtes étrangers se sont souvent affranchis de toute formule diplomatique pour vous le dire.

Sous votre magistère, le pays a remporté plusieurs fois la palme, peu honorable, de pays le plus corrompu du monde. Plus que les palmes elles-mêmes, c’est votre historique tentative de justification du phénomène qui laisse perplexe.

Au total, sur le plan économique, alors qu’à votre accession au pouvoir vous saluiez la situation économique du pays léguée par votre prédécesseur, près de trente ans après, vous êtes à la tête d’une nation dont l’économie est, au-delà des chiffres bonifiés, en ruine. Peut-être vous ne le savez pas, peu de familles camerounaises ont accès aux soins de base. La qualité de vie de vos compatriotes s’est dégradée considérablement. Vous dirigez un pays dans lequel les classes moyennes et même supérieures ont été laminées par les coupes drastiques de salaires. Ces classes sont aujourd’hui remplacées par une nouvelle classe hétéroclite comprenant des administrateurs civils, des douaniers, des juges et quelques autres gestionnaires des budgets de l’Etat vivant des prébendes de la corruption. Les éléments constitutifs de cette nouvelle classe sociale ont en commun de porter à bout de bras votre régime ; en retour ils siphonnent impunément la fortune publique.

A l’école primaire, nous apprenions qu’une eau potable est incolore, inodore et sans saveur. Sous votre règne, cette définition a été depuis longtemps troublée. Tous les services de base se sont dégradés : l’accès à l’eau, aux soins de première nécessité, à l’éducation etc.  Vous avez le privilège de ne pas être soigné dans nos hôpitaux mouroirs et de ne vous y rendre que lors des visites officielles. Si vous vous y rendiez sans prévenir, vous verriez dans quelle désespérance les Camerounais y attendent les soins, y compris aux urgences. Les hôpitaux manquent de tout.

On y vend tout : le sourire du médecin et des soignants ainsi que leur attention. Un trafic dense s’y est installé autour des ordonnances et de la vente sur place de médicaments. La douleur d’un être qui se vide son sang ou qui s’étrangle de douleur, les cris des parents alarmés par la dégradation de la situation médicale d’un proche n’attirent pas autant la très précieuse attention des médecins et des soignants que le bruit particulier du froissement d’un billet de banque.

Dans les hôpitaux et dispensaires publics de la république, on retient prisonniers des malades ou des femmes qui viennent d’accoucher avec leurs bébés au motif que ils / elles n’ont pas pu s’acquitter de leur frais de soins. Mêmes vos propres militants, notamment ceux de la base, sont au quotidien, victimes des cette situation révélatrice de niveau de paupérisation et de la déshumanisation du pays que vous dirigez depuis bientôt trente ans, et dont vous apprêtez probablement à diriger encore pour longtemps. La dégradation de la situation sanitaire dans le pays est telle que désormais, les Camerounais se soignent dans des dispensaires et des GIC de santé insolites. Des endroits plutôt lugubres dont souvent l’ouverture est, dit – on, autorisée par l’administration, où des hommes et des femmes enrobés dans des blouses aux couleurs louches, se faisant appeler “ docteurs ”, s’essayent à la médecine sur le corps des Camerounais.

Alors que vous dites prôner la justice sociale, la société camerounaise n’a jamais été aussi injuste. Vos enfants et leurs heureux amis fréquentent la très luxueuse et confortable école des “ Coccinelles” situé au palais de l’Unité et qui bénéficie de toute l’attention du gouvernement alors que, les nôtres se retrouvent parfois dans des classes avec des effectifs anti pédagogiques, de cent voire cent cinquante élèves. Ceux qui sont à vos côtés ne semblent manquer de rien et ne se refusent rien ; rien n’est trop beau ni trop cher pour eux ; en effet, ils payent avec l’argent public. A côté d’eux, la masse des Camerounais peine à s’assurer les trois repas journaliers, à se soigner et à envoyer leurs enfants à l’école.

Les droits politiques sont allègrement bafoués sous votre régime. L’opposition politique est muselée et n’est tolérée que si elle vous permet de donner à l’extérieur l’image d’un dirigeant ouvert. Dès que celle –ci veut véritablement s’investir dans la conquête du pouvoir, très rapidement l’administration que contrôle votre parti le Rdpc se charge, avec zèle, de la contenir voire de la brimer, en violation totale des lois et règlements de la république. Je pense principalement ici à toutes les manœuvres auxquelles doivent faire face les partis politiques de l’opposition que vous ne contrôlez pas, lorsqu’ils veulent simplement tenir une réunion ou organiser un meeting. Les lois de 1990 sur la liberté d’association sont quotidiennement violées par des administrateurs civils et la police politique qui, par réalisme, se sentent obligés d’agir comme vos partisans. Dans plusieurs localités du pays, votre parti le Rdpc occupe des bâtiments qui en réalité appartiennent à l’Etat depuis la disparition de l’Unc.

Le système judiciaire dont vous êtes le patron est corrompu et inefficace. On y vend ou achète les verdicts ; les magistrats y tiennent des comptoirs, certains magistrats détiennent presque des titres fonciers sur certaines juridictions malgré la réputation qu’ils trainent; les procédures y sont tatillonnes. C’est en effet, une justice qui a depuis longtemps cessé d’être juste. Les Camerounais ordinaires, ceux qui ne peuvent pas bénéficier de la protection de votre régime, la redoutent.

Le respect des droits humains est loin d’être un aspect sur lequel se distingue votre pouvoir. En effet, malgré l’existence du code de procédure pénal, nombreux sont les Camerounais qui croupissent en prison sans jugement et dans l’indifférence totale de l’appareil judiciaire. La répression sauvage et aveugle avec laquelle les forces de sécurité ont maté les jeunes en février 2008 a renforcé l’idée selon laquelle votre pouvoir ne se préoccupe pas toujours de la vie humaine.

Alors même, qu’après une sortie prématurée, vous aviez fini par reconnaître le bien fondé des revendications de ces jeunes, oubliés par votre pouvoir, puis  intimé l’ordre au gouvernement de répondre dans un délai de six mois à leurs légitimes demandes, trois ans après, rien de concret n’a été fait. De plus, aucun procès n’a été engagé contre les éléments de forces de sécurité qui se sont distingués pendant ces douloureux évènements par leur “ bravoure ” à tirer sur leurs concitoyens, coupables d’avoir osé dire qu’ils ont faim, qu’ils veulent eux aussi avoir un travail mais surtout, qu’ils ne veulent pas que vous réformiez la constitution pour vous éterniser au pourvoir.

A votre accession au pouvoir en 1982, vous promettiez la rigueur et la moralisation au peuple. Près de trente ans après, nombreux sont les Camerounais qui regrettent sincèrement le temps de l’immoralité et de la désinvolture que vous vouliez corriger. En effet, sur ces deux aspects, votre pouvoir a échoué et l’espèce de purge que avez engagée sur le tard parmi les caciques de votre système, n’en est que la parfaite illustration. Ces notables de votre système qui sont aujourd’hui poursuivis, selon un rythme et un calendrier plutôt suspects, le sont, sous réserve qu’ils soient condamnés, pour avoir célébré à leur manière et sous vos yeux, l’absence de rigueur et de moralité dans la gestion de la fortune publique.

Certains Camerounais prétendent que vous et vos proches avez amassé une fortune colossale au cours votre long règne. Sous réserve qu’ils en apportent les preuves au cours des procès éventuels à venir, il se pose à postériori la question de la pertinence de votre vieux slogan “ rigueur et moralisation ” avec lequel vous avez engagé vos premiers mois à la tête du pays. Votre refus manifeste de faire appliquer et de vous appliquer à vous-même l’article 66 de la constitution sur la déclaration des biens est de nature à entretenir les allégations de ces Camerounais.

Au-delà de la propagande que distillent de façon quasi scientifique, tel à Pion Yan en Corée du Nord, les ondes de la CRTV radio et télévision, Cameroon - Tribune et quelques journaux faussement indépendants, la situation du pays que vous dirigez est socialement explosive. Les Camerounais vivent mal, très mal. Certes vous avez récemment créé un organisme, un de plus, chargé de veiller à l’approvisionnement du pays en produits de première nécessité. Mais face à la gravité de la situation actuelle, ce n’est pas d’un organisme supplémentaire dont le peuple a besoin mais plutôt d’un réel pouvoir d’achat. Or, avec un salaire minimum, généreusement porté par le gouvernement à la faramineuse somme de vingt huit mille francs, et une situation dans laquelle un professeur d’université gagne à peine cinq cent mille francs, ce pouvoir d’achat est loin, très loin d’être réhabilité et consolidé.

Le Cameroun est un pays plein d’atouts divers qui réussit pourtant la prouesse d’échouer dans pratiquement tous les domaines depuis bientôt trente ans. Même dans le domaine sportif où vous avez cru un moment dissimuler l’incapacité de votre régime, l’échec est désormais incontestable. En effet, les Lions Indomptables dont vous et votre régime gageaient, par avance et à des fins politiques, les hypothétiques victoires et dont l’esprit de vainqueurs servait à faire illusion dans l’opinion sont, depuis, domptés et mis en cage. Comme vous pouvez le constatez, monsieur le président, votre régime est devenu une infernale machine à échouer. Il a figé, voire momifié le Cameroun. Malgré le recours à près de sept cents ministres, celui-ci n’a même pas pu garantir aux Camerounais le minimum que votre prédécesseur leur avait laissé en termes d’accès aux services de base.

Pour ces quelques raisons, et pour d’autres que je n’ai pas la possibilité d’évoquer ici, je vous supplie, une fois de plus, de ne pas vous représenter à l’élection présidentielle à venir.

La météo politique internationale, et particulièrement en Afrique du Nord, montre des dirigeants, qui ont en commun d’être restés trop longtemps au pouvoir, malmenés par la soif de liberté de leurs peuples. Ces dirigeants ont aussi en commun d’être issus d’élections où ils venaient à peine de battre leurs adversaires avec des scores à la Kim Il-sung , un peu comme vous face aux vôtres.

Mais ces scores soviétiques ne leur ont été d’aucune utilité quand le peuple s’est soulevé contre eux. Les puissants services de répression sur lesquels ils ont bâti leurs pouvoirs autoritaires respectifs n’ont pas pu contenir la fougue de celui –ci. Leurs amis Occidentaux les ont non seulement lâché mais leur ont refusé l’hospitalité et déclarent être prêts à livrer tous leurs avoirs. Pour sauver leurs têtes, certains de leurs anciens dignitaires expliquent, sans sourcier, qu’ils étaient, comme le peuple, terrorisés par leur autoritarisme.

Tous ces évènements devraient vous amener à réfléchir sur l’opportunité pour vous d’être à nouveau candidat à la présidentielle à pratiquement quatre vingt ans.

C’est vrai que votre bilan est globalement négatif, mais je pense que vous pouvez revendiquer d’être l’homme de Bakassi, celui-là qui a réussi à rétablir l’intégrité territoriale, pour quitter le pouvoir la tête haute, dans la dignité qu’impose dans notre société votre grand âge. Je n’ai pas de doute sur votre amour pour votre peuple mais, après trente ans de pouvoir pendant lesquels leurs conditions de vie n’ont fait que ce dégrader, les injustices diverses sont devenues structurantes, quelques individus et clans, en raison de leur zèle à vous servir, se sont enrichis de façon honteuse, les humiliations du peuple sont devenues banales, les Camerounais ont une soif légitime d’alternance politique que vous pouvez et devez comprendre.

Monsieur le président, je sais que vos conseillers, vos camarades du RDPC, tous les profiteurs de votre système, qui tous pensent comme moi mais ne peuvent pas vous l’avouer, vous convaincront de prendre mon appel comme une offense. Mais je tiens à vous assurer que mon objectif n’est point de vous offenser mais simplement de vous alerter sur les éventuelles menaces que peut charrier votre candidature au cours de la prochaine élection présidentielle. Vous êtes à la tête d’un pays, qui, à cause des difficultés économiques et sociales, des tensions politiques nées de la modification de l’article 6 (2) de la constitution, de la confiscation d’Elecam par vos partisans mais aussi de la montée des inimitiés parmi tous ceux, nombreux dans vos rangs, à qui vous avez laissé croire un moment qu’ils pourraient vous remplacer à la tête de l’Etat, de la montée à votre égard du sentiment de roublardise politique au sein de votre propre parti et dans l’opinion nationale, est devenu une usine à gaz. La seule façon de désamorcer ce gaz c’est de faciliter et d’accompagner l’avènement de l’alternance politique qui passe par votre retrait de la course présidentielle. Le désintérêt des Camerounais pour leur inscription sur les listes électorales, malgré les diverses mesures prises et l’intense investissement des personnes dites ressources de votre parti, est une marque de défiance politique que vous devez décrypter dès à présent. La crise profonde de la participation que connait le pays est la conséquence de la manière négative dont votre régime a fait de la politique jusqu’ici.

Je ne souhaite pas une tunisianisation ni une égyptianisation de la fin de votre régime, aussi, au risque de me répéter, je vous invite très respectueusement à ne pas vous présenter à la prochaine élection présidentielle. S’entêtant à faire le tour de piste de trop, Ben Ali avait remporté sa dernière élection avec plus de 90% de voix et Moubarak avait quant à lui avait enregistré un score plus important encore. Leurs systèmes, pourtant réputés indéboulonnables, se sont effondrés comme des châteaux de cartes. Leurs redoutables services de sécurité n’ont pas pu résister à la volonté populaire. L’un et l’autre errent désormais, les pays occidentaux qui les ont toujours soutenus, malgré la nature de leurs régimes, les qualifient aujourd’hui à l’unisson de terribles dictateurs et se précipitent à dévoiler leurs fortunes constituées sur le dos de leur peuple. Leurs inconditionnels d’hier expliquent aujourd’hui qu’ils les servaient sous la terreur.

Alain FOGUE TEDOM



10/03/2011
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres