" S'il vous plaît, M. le président, ne vous présentez plus"
Alain FOGUE TEDOM
En
cette année électorale, et à quelques mois de la déclaration plus que
probable de votre candidature pour un nouveau mandat, je peux aisément
comprendre que les initiateurs des “ appels du peuple ”
dans ses multiples volumes, les auteurs des motions affirmant leur
soutien granitique et inconditionnel à votre personne, et donc à votre
candidature, ne se réjouissent pas en public de mon appel. Mais ne vous
fiez surtout pas aux protestations feintes que ma démarche va
certainement soulever parmi tous ces courtisans dont la principale
caractéristique est d’être franc du collier.
Lorsque vous avez
rejoint la très haute administration du pays en 1962, je n’étais pas
encore né ; quand vous avez accédé à la magistrature suprême en 1982, je
venais à peine d’entrer au collège. Au moment où vous vous apprêtez
probablement à rempiler au sommet de l’Etat, porté par le souffle de
l’appel du “ pays profond ” incarné par ceux et celles
qui occupent ou caressent le rêve d’occuper des strapontins politiques
et administratifs dans votre régime, j’ai quarante deux ans.
En clair, depuis que je suis conscient qu’il existe une réalité
autre que celle de mon environnement familial et de mon univers de jeu,
je n’ai connu que votre régime. Mes enfants dont le dernier a un âge
équivalent à deux mandats présidentiels américains ne connaissent que
celui-ci eux aussi. Parfois, j’entends des jeunes de leurs âges dire innocemment le Paul Biya de la France c’est Nicolas Sarkozy.
Il y a dans l’esprit de ces jeunes enfants une confusion entre vos
noms et la fonction de président. Vous avez soixante dix huit ans; si
vous vous présentez à l’élection de cette année - avec la certitude
qu’il y a que vous vous succédiez à vous-même au regard de toutes les
dispositions déjà prises par votre système - vous en aurez quatre vingt
cinq en 2018. Le jeune collégien de treize ans que j’étais en 1982 lors
de votre arrivée à la tête du pays aura quant à lui quarante neuf ans !
Du
palais d’Etoudi, vous avez été témoin de l’évolution diplomatique du
monde contemporain. Vous êtes arrivé au pouvoir peu après le leader de
la gauche française, François Mitterrand. Vous avez traversé ses deux
longs mandats de quatorze années. Monsieur Chirac vous a trouvé aux
affaires et vous y a laissé, le président Sarkozy vous y a trouvé et
pourrait vous y laisser lui aussi.
Aux Etats – Unis, vous avez vu
passer, après deux mandats chacun, le président Bush père, Bill
Clinton, Bush fils. Vous avez vu arriver le président Obama. Il pourrait
lui aussi vous laisser aux affaires.
Vous avez dirigé le
Cameroun dans le monde bipolaire et avez vu le mur de Berlin tomber et
l’Urss s’effondrer. Alors que vous étiez au pouvoir déjà depuis près de
dix ans, en Afrique du sud, Mandela est sorti de prison, a démontré
qu’en Afrique aussi, des dirigeants politiques pouvaient surmonter des
blessures vives, parier sur l’avenir et donner par leur élégance un sens
à la notion d’homme d’Etat. Grâce à la grande leçon d’humilité qu’il a
donnée à l’Afrique et au Monde, il est devenu un héro national,
panafricain, mondial mieux, un monument pour l’humanité. Vous avez fait
chemin avec le général Eyadema et Omar Bongo. Leurs fils Faure et Ali,
devenus eux aussi présidents, sont aujourd’hui vos collègues.
En
clair monsieur le président, votre règne a aujourd’hui défié le temps.
Bientôt, vous entrerez dans le livre Guinness des records des
présidents à la longévité interminable. Dans ce contexte, je vous
implore de ne plus vous représenter à l’élection de cette année. Même
si personne ne vous le dit clairement parmi ceux, nombreux, qui
auraient dû vous servir et vous permettre de réussir votre mission à la
tête de l’Etat, sachez qu’ils pensent et disent hors micro la même
chose que moi. Je les trouve hypocrites, fourbes, francs du collier.
Mais je suis sûr que vous aussi vous leur reconnaissez toutes ces
qualités. Comme tous les peuples du monde, les Camerounais rêvent
d’alternance politique. Plus que dans les campagnes plongées dans
l’obscurité, sans écoles, sans hôpitaux ou dans les quartiers de
Yaoundé ou de Douala où le chômage et la prostitution rythment la vie,
dans les coulisses de votre palais on en rêve encore plus. Ces
coulisses sont peuplées de prétendants qui travaillent leurs copies
depuis l’adoption de la constitution de 1996.
Ne vous méprenez pas; la purge que vous avez engagée contre la Génération 2011, n’a pas vidé vos proches collaborateurs actuels de leur envie légitime de vous succéder. Plus que moi, ces hauts cadres qui vous ont rejoint et soutenu depuis près de trente ans, avec pour motivation le passage du relais entre générations, sont désespérés depuis que, contre la volonté populaire qui s’est manifestée dans les rues mais qui a été réprimée dans le sang en février 2008, vous avez modifié l’article 6 (2) de la constitution de 1996.
Ils le sont car, pour ceux d’entre eux qui vous ont rejoint à trente
ans, ils auront dans quelques mois soixante ans. Pour ceux qui au
contraire avaient quarante ans en 1982, ils auront alors soixante dix
ans. Vous pouvez aisément comprendre qu’ils maudissent celui / ceux de
vos conseillers qui vous ont laissé croire que la stabilité du pays
était liée au suspens d’une éventuelle candidature à votre réélection.
Ces cadres ont le sentiment de vous avoir envoyé un ascenseur que vous
avez bloqué à votre étage. Au regard de tout ce qu’ils ont fait pour
vous maintenir au pouvoir dans les moments de gros orages (utilisation
massives des moyens publics pour organiser vos campagnes électorales,
achat des électeurs, organisation des charters électoraux, intimidation
et achat des partis d’opposition, bourrages des urnes, organisation de
la répression politique, etc.) ils éprouvent le sentiment que vous les
avez floué. Je les laisse à leurs rancœurs pour vous expliquer
pourquoi moi je pense que vous devez éviter d’engager le tour de piste
politique de trop cette année.
De façon sincère monsieur le
président, c’est avant tout votre bilan catastrophique au bout de votre
long, très long règne qui m’amène à vous prier de ne plus être
candidat à votre succession.
Alors que deux Camerounais avaient
occupés le très prestigieux fauteuil de secrétaire général de l’O.u.a
par le passé, sous votre règne, la diplomatie camerounaise est devenue
moribonde. En effet, malgré la demie toilette que vous lui avez
appliquée il y a peu, elle reste vieillissante et est en pane
d’imagination. Pour illustrer la décadence de cette diplomatie jadis
dynamique, je peux rappeler ici l’échec de Professeur Maurice Kamto,
dont les qualités personnelles sont incontestables, à la CPJ face à un
candidat somalien dont l’Etat est en totale faillite depuis 1992. Dans
la même perspective, malgré tous les moyens mobilisés pour faire du
colloque international baptisé “ Africa 21 ” un moment fort de la renaissance de la diplomatie camerounaise, vous n’avez pu réunir autour de vous que quelques voisins.
L’Angola, puissance montante en Afrique centrale, l’Afrique du sud,
l’une des trois principales puissances continentales, avec l’Egypte et
le Nigeria, étaient absentes. Votre absence à Addis Abeba lors du
dernier Sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement de fin janvier où, en
principe, on vous attendait pour promouvoir les objectifs de “ l’appel de Yaoundé ”, laisse penser que notre diplomatie a capitulé. Votre absence a laissé en effet penser que “Africa 21 ”
a été monté sans véritable conviction, qu’il a simplement entretenu
pour quelques heures, et à grands frais, l’illusion de la renaissance de
la diplomatie camerounaise. Naturellement, les défenseurs de la thèse
de la diplomatie de la discrétion, nombreux dans les couloirs du
pouvoir, vont à coup sûr tenter, une fois de plus, d’expliquer que votre
absence à ce Sommet était finalement la meilleure méthode pour faire
adhérer les dirigeants africains à “ l’appel de Yaoundé ”, tant ils sont
prêts à expliquer et à justifier toutes vos entreprises.
Au
plan économique, le pays à la tête duquel vous vous trouvez depuis si
longtemps a vu d’autres, moins nantis tant en ressources humaines qu’en
ressources naturelles, progresser en dépit de la crise économique
mondiale et de la baisse des cours des matières premières, que vous
évoquez trop facilement et de façon récurrente pour justifier les
incompétences de votre régime. Il suffit de comparer notre situation
économique avec celle de quelques pays voisins où immigrent massivement,
y compris au risque de leur vie, notre jeunesse pour réaliser qu’avec
vous, le Cameroun a régressé.
Le système administratif mis en place pendant votre règne est proprement incompétent; il constitue le premier obstacle au décollage économique du pays. Son appétit insatiable pour l’argent facile a transformé tous les bureaux publics en péages et a, par conséquent, alourdi le coût, déjà prohibitif de la création d’une entreprise. Ce n’est pas faute d’être informé des lourdeurs et des incompétences de votre administration ; en effet, voilà des décennies que les patrons camerounais supplient vos successifs gouvernements de revoir le climat des affaires, mais en vain. Sous votre long règne, le fonctionnariat a pris le dessus sur la création des richesses.
Au passage du moindre cortège officiel, les commerçants qui paient
des impôts et qui doivent assurer les salaires de leurs employés à la
fin du mois sont sommés par les services de sécurité de fermer leurs
portes. Vous même, au passage de vos différents cortèges, les citoyens
sont proprement humiliés par votre service de sécurité et le commerce
cruellement pénalisé. Vos conseillers devraient mener une étude
sérieuse sur le manque à gagner des commençants et des entreprises qui
ont le malheur de se situer sur l’axe de votre trajet.
Comprenez
moi bien monsieur le président, aucun Camerounais républicain ne peut
penser que vous n’avez pas droit aux égards et au niveau de sécurité
qu’imposent vos hautes fonctions. Ce qui est proprement anormal, c’est
que les responsables de Direction de la Sécurité Présidentielle (Dsp)
et ceux de la Garde Présidentielle (Gp) tiennent tant à humilier les
populations par des mesures vexatoires et anti -économiques chaque fois
que vous devez vous déplacer. Dernièrement, en début février, lorsque
vous voyagiez pour un de vos rituels “ court séjour privé en Europe ”
dont je me demande comment vous les financez, tellement ils sont
nombreux, dès sept heures, le seul axe qui traverse la vieille capitale
Yaoundé était fermé à la circulation. Les élèves, les travailleurs,
les malades ne pouvaient pas se déplacer librement. Tous les commerces
et les entreprises situés dans cet axe étaient autoritairement fermés
par des agents de votre sécurité, avec un zèle intolérable. Finalement,
ce n’est qu’autour de douze heures que vous êtes passé. Face à cette
réalité imposée aux Camerounais chaque fois que vous ou votre épouse
vous déplacez et dont on peut difficilement penser que vous n’êtes au
courant, on se pose la question de savoir si votre système politique a
compris qu’on ne peut pas créer des richesses et des emplois en
empêchant aux entreprises de travailler.
J’ai quelque peu voyagé
en Afrique et hors du continent, de par mon métier j’ai une petite
perception des exigences de la sécurité. Je ne pense pourtant pas qu’il
soit vraiment utile de terroriser les populations et de pénaliser les
entreprises et les commerces, qui pourtant paient les taxes avec
lesquelles l’Etat du Cameroun finance vos voyages officiels et privés,
pour parvenir à garantir le niveau de sécurité nécessaire à vos hautes
fonctions. Il y a quelque chose de folklorique dans la manière dont
ceux qui assurent votre sécurité agissent. Qu’on ne vous trompe pas, à
chacun de vos passages, à ceux de votre épouse et à ceux de vos hôtes,
les populations sont humiliées et terrorisées, l’économie est
cruellement pénalisée.
Tous les spécialistes nationaux et étrangers interrogés s’accordent
sur le fait que, sans réduire le niveau de vigilance et d’efficacité,
il est possible de fermer la circulation quelques minutes seulement
avant votre passage puis de l’ouvrir juste après. Songez au moment où
vous-même vous ne serrez plus président de la république et que,
malade, vous ne pouvez pas être conduit à l’hôpital pendant de longues
heures parce que votre successeur ou son épouse doit traverser Yaoundé.
Vos conseillers doivent vous expliquer que toutes les vexations et
humiliations imposées aux populations lors de vos passages ou ceux de
votre épouse les dressent contre votre régime, indépendamment de leurs
convictions idéologiques.
Sous
votre règne, un système de siphonage des entreprises publiques visant
semble-t- il à irriguer votre parti politique a été instauré. Vos
promesses sur les grands projets sont devenues des berceuses qui sont
généralement chantées aux Camerounais à la veille des différents
scrutins présidentiels. Vos “ grandes ambitions ” ont
accouché de petites, très petites réalisations. Votre régime a été
incapable en trente ans de réaliser l’unité infrastructurelle du pays.
En effet, le Camerounais de Kousseri ne connait pas son compatriote de
Kyossi, faute d’autoroute et de chemin de fer.
En trente ans de pouvoir celui-ci n’a pas été capable de relier
Douala à Yaoundé par une autoroute ; le Nord est méconnu des
populations du Sud faute de voies de communications. Au lieu de créer
des autoroutes et de tracer un véritable chemin de fer entre les deux
parties du pays, vous avez fait ce qu’il y avait de plus démagogique:
nommer un régiment entier de personnalités du Nord à des postes
ministériels ; ce qui n’a eu aucun effet sur le niveau de pauvreté
effrayant qui frappe les populations.
De façon générale, le pays
que vous dirigez n’a pas de véritables routes. Les Camerounais meurent
en masse sur nos routes. Voyager au Cameroun est un véritable
calvaire. Je suis sûr que certains de vos hôtes étrangers se sont
souvent affranchis de toute formule diplomatique pour vous le dire.
Sous
votre magistère, le pays a remporté plusieurs fois la palme, peu
honorable, de pays le plus corrompu du monde. Plus que les palmes
elles-mêmes, c’est votre historique tentative de justification du
phénomène qui laisse perplexe.
Au total, sur le plan économique,
alors qu’à votre accession au pouvoir vous saluiez la situation
économique du pays léguée par votre prédécesseur, près de trente ans
après, vous êtes à la tête d’une nation dont l’économie est, au-delà des
chiffres bonifiés, en ruine. Peut-être vous ne le savez pas, peu de
familles camerounaises ont accès aux soins de base. La qualité de vie de
vos compatriotes s’est dégradée considérablement. Vous dirigez un pays
dans lequel les classes moyennes et même supérieures ont été laminées
par les coupes drastiques de salaires. Ces classes sont aujourd’hui
remplacées par une nouvelle classe hétéroclite comprenant des
administrateurs civils, des douaniers, des juges et quelques autres
gestionnaires des budgets de l’Etat vivant des prébendes de la
corruption. Les éléments constitutifs de cette nouvelle classe sociale
ont en commun de porter à bout de bras votre régime ; en retour ils
siphonnent impunément la fortune publique.
A
l’école primaire, nous apprenions qu’une eau potable est incolore,
inodore et sans saveur. Sous votre règne, cette définition a été depuis
longtemps troublée. Tous les services de base se sont dégradés :
l’accès à l’eau, aux soins de première nécessité, à l’éducation etc.
Vous avez le privilège de ne pas être soigné dans nos hôpitaux mouroirs
et de ne vous y rendre que lors des visites officielles. Si vous vous y
rendiez sans prévenir, vous verriez dans quelle désespérance les
Camerounais y attendent les soins, y compris aux urgences. Les hôpitaux
manquent de tout.
On y vend tout : le sourire du médecin et des soignants ainsi que leur attention. Un trafic dense s’y est installé autour des ordonnances et de la vente sur place de médicaments. La douleur d’un être qui se vide son sang ou qui s’étrangle de douleur, les cris des parents alarmés par la dégradation de la situation médicale d’un proche n’attirent pas autant la très précieuse attention des médecins et des soignants que le bruit particulier du froissement d’un billet de banque.
Dans les hôpitaux et dispensaires publics de la république, on
retient prisonniers des malades ou des femmes qui viennent d’accoucher
avec leurs bébés au motif que ils / elles n’ont pas pu s’acquitter de
leur frais de soins. Mêmes vos propres militants, notamment ceux de la
base, sont au quotidien, victimes des cette situation révélatrice de
niveau de paupérisation et de la déshumanisation du pays que vous
dirigez depuis bientôt trente ans, et dont vous apprêtez probablement à
diriger encore pour longtemps. La dégradation de la situation
sanitaire dans le pays est telle que désormais, les Camerounais se
soignent dans des dispensaires et des GIC de santé insolites. Des
endroits plutôt lugubres dont souvent l’ouverture est, dit – on,
autorisée par l’administration, où des hommes et des femmes enrobés
dans des blouses aux couleurs louches, se faisant appeler “ docteurs ”, s’essayent à la médecine sur le corps des Camerounais.
Alors
que vous dites prôner la justice sociale, la société camerounaise n’a
jamais été aussi injuste. Vos enfants et leurs heureux amis fréquentent
la très luxueuse et confortable école des “ Coccinelles” situé au
palais de l’Unité et qui bénéficie de toute l’attention du gouvernement
alors que, les nôtres se retrouvent parfois dans des classes avec des
effectifs anti pédagogiques, de cent voire cent cinquante élèves. Ceux
qui sont à vos côtés ne semblent manquer de rien et ne se refusent rien
; rien n’est trop beau ni trop cher pour eux ; en effet, ils payent
avec l’argent public. A côté d’eux, la masse des Camerounais peine à
s’assurer les trois repas journaliers, à se soigner et à envoyer leurs
enfants à l’école.
Les droits politiques sont allègrement bafoués
sous votre régime. L’opposition politique est muselée et n’est tolérée
que si elle vous permet de donner à l’extérieur l’image d’un dirigeant
ouvert. Dès que celle –ci veut véritablement s’investir dans la
conquête du pouvoir, très rapidement l’administration que contrôle
votre parti le Rdpc se charge, avec zèle, de la contenir voire de la
brimer, en violation totale des lois et règlements de la république. Je
pense principalement ici à toutes les manœuvres auxquelles doivent
faire face les partis politiques de l’opposition que vous ne contrôlez
pas, lorsqu’ils veulent simplement tenir une réunion ou organiser un
meeting. Les lois de 1990 sur la liberté d’association sont
quotidiennement violées par des administrateurs civils et la police
politique qui, par réalisme, se sentent obligés d’agir comme vos
partisans. Dans plusieurs localités du pays, votre parti le Rdpc occupe
des bâtiments qui en réalité appartiennent à l’Etat depuis la
disparition de l’Unc.
Le système judiciaire dont vous êtes le
patron est corrompu et inefficace. On y vend ou achète les verdicts ;
les magistrats y tiennent des comptoirs, certains magistrats détiennent
presque des titres fonciers sur certaines juridictions malgré la
réputation qu’ils trainent; les procédures y sont tatillonnes. C’est en
effet, une justice qui a depuis longtemps cessé d’être juste. Les
Camerounais ordinaires, ceux qui ne peuvent pas bénéficier de la
protection de votre régime, la redoutent.
Le
respect des droits humains est loin d’être un aspect sur lequel se
distingue votre pouvoir. En effet, malgré l’existence du code de
procédure pénal, nombreux sont les Camerounais qui croupissent en prison
sans jugement et dans l’indifférence totale de l’appareil judiciaire.
La répression sauvage et aveugle avec laquelle les forces de sécurité
ont maté les jeunes en février 2008 a renforcé l’idée selon laquelle
votre pouvoir ne se préoccupe pas toujours de la vie humaine.
Alors même, qu’après une sortie prématurée, vous aviez fini par
reconnaître le bien fondé des revendications de ces jeunes, oubliés par
votre pouvoir, puis intimé l’ordre au gouvernement de répondre dans
un délai de six mois à leurs légitimes demandes, trois ans après, rien
de concret n’a été fait. De plus, aucun procès n’a été engagé contre
les éléments de forces de sécurité qui se sont distingués pendant ces
douloureux évènements par leur “ bravoure ” à tirer
sur leurs concitoyens, coupables d’avoir osé dire qu’ils ont faim,
qu’ils veulent eux aussi avoir un travail mais surtout, qu’ils ne
veulent pas que vous réformiez la constitution pour vous éterniser au
pourvoir.
A votre accession au pouvoir en 1982, vous promettiez
la rigueur et la moralisation au peuple. Près de trente ans après,
nombreux sont les Camerounais qui regrettent sincèrement le temps de
l’immoralité et de la désinvolture que vous vouliez corriger. En effet,
sur ces deux aspects, votre pouvoir a échoué et l’espèce de purge que
avez engagée sur le tard parmi les caciques de votre système, n’en est
que la parfaite illustration. Ces notables de votre système qui sont
aujourd’hui poursuivis, selon un rythme et un calendrier plutôt
suspects, le sont, sous réserve qu’ils soient condamnés, pour avoir
célébré à leur manière et sous vos yeux, l’absence de rigueur et de
moralité dans la gestion de la fortune publique.
Certains
Camerounais prétendent que vous et vos proches avez amassé une fortune
colossale au cours votre long règne. Sous réserve qu’ils en apportent
les preuves au cours des procès éventuels à venir, il se pose à
postériori la question de la pertinence de votre vieux slogan “ rigueur et moralisation ”
avec lequel vous avez engagé vos premiers mois à la tête du pays.
Votre refus manifeste de faire appliquer et de vous appliquer à
vous-même l’article 66 de la constitution sur la déclaration des biens
est de nature à entretenir les allégations de ces Camerounais.
Au-delà
de la propagande que distillent de façon quasi scientifique, tel à
Pion Yan en Corée du Nord, les ondes de la CRTV radio et télévision,
Cameroon - Tribune et quelques journaux faussement indépendants, la
situation du pays que vous dirigez est socialement explosive. Les
Camerounais vivent mal, très mal. Certes vous avez récemment créé un
organisme, un de plus, chargé de veiller à l’approvisionnement du pays
en produits de première nécessité. Mais face à la gravité de la
situation actuelle, ce n’est pas d’un organisme supplémentaire dont le
peuple a besoin mais plutôt d’un réel pouvoir d’achat. Or, avec un
salaire minimum, généreusement porté par le gouvernement à la
faramineuse somme de vingt huit mille francs, et une situation dans
laquelle un professeur d’université gagne à peine cinq cent mille
francs, ce pouvoir d’achat est loin, très loin d’être réhabilité et
consolidé.
Le
Cameroun est un pays plein d’atouts divers qui réussit pourtant la
prouesse d’échouer dans pratiquement tous les domaines depuis bientôt
trente ans. Même dans le domaine sportif où vous avez cru un moment
dissimuler l’incapacité de votre régime, l’échec est désormais
incontestable. En effet, les Lions Indomptables dont vous et votre
régime gageaient, par avance et à des fins politiques, les hypothétiques
victoires et dont l’esprit de vainqueurs servait à faire illusion dans
l’opinion sont, depuis, domptés et mis en cage. Comme vous pouvez le
constatez, monsieur le président, votre régime est devenu une infernale
machine à échouer. Il a figé, voire momifié le Cameroun. Malgré le
recours à près de sept cents ministres, celui-ci n’a même pas pu
garantir aux Camerounais le minimum que votre prédécesseur leur avait
laissé en termes d’accès aux services de base.
Pour ces quelques
raisons, et pour d’autres que je n’ai pas la possibilité d’évoquer ici,
je vous supplie, une fois de plus, de ne pas vous représenter à
l’élection présidentielle à venir.
La météo politique
internationale, et particulièrement en Afrique du Nord, montre des
dirigeants, qui ont en commun d’être restés trop longtemps au pouvoir,
malmenés par la soif de liberté de leurs peuples. Ces dirigeants ont
aussi en commun d’être issus d’élections où ils venaient à peine de
battre leurs adversaires avec des scores à la Kim Il-sung , un peu comme
vous face aux vôtres.
Mais ces scores soviétiques ne leur ont été d’aucune utilité quand
le peuple s’est soulevé contre eux. Les puissants services de
répression sur lesquels ils ont bâti leurs pouvoirs autoritaires
respectifs n’ont pas pu contenir la fougue de celui –ci. Leurs amis
Occidentaux les ont non seulement lâché mais leur ont refusé
l’hospitalité et déclarent être prêts à livrer tous leurs avoirs. Pour
sauver leurs têtes, certains de leurs anciens dignitaires expliquent,
sans sourcier, qu’ils étaient, comme le peuple, terrorisés par leur
autoritarisme.
Tous ces évènements devraient vous amener à
réfléchir sur l’opportunité pour vous d’être à nouveau candidat à la
présidentielle à pratiquement quatre vingt ans.
C’est vrai que
votre bilan est globalement négatif, mais je pense que vous pouvez
revendiquer d’être l’homme de Bakassi, celui-là qui a réussi à rétablir
l’intégrité territoriale, pour quitter le pouvoir la tête haute, dans
la dignité qu’impose dans notre société votre grand âge. Je n’ai pas de
doute sur votre amour pour votre peuple mais, après trente ans de
pouvoir pendant lesquels leurs conditions de vie n’ont fait que ce
dégrader, les injustices diverses sont devenues structurantes, quelques
individus et clans, en raison de leur zèle à vous servir, se sont
enrichis de façon honteuse, les humiliations du peuple sont devenues
banales, les Camerounais ont une soif légitime d’alternance politique
que vous pouvez et devez comprendre.
Monsieur le président, je
sais que vos conseillers, vos camarades du RDPC, tous les profiteurs de
votre système, qui tous pensent comme moi mais ne peuvent pas vous
l’avouer, vous convaincront de prendre mon appel comme une offense. Mais
je tiens à vous assurer que mon objectif n’est point de vous offenser
mais simplement de vous alerter sur les éventuelles menaces que peut
charrier votre candidature au cours de la prochaine élection
présidentielle. Vous êtes à la tête d’un pays, qui, à cause des
difficultés économiques et sociales, des tensions politiques nées de la
modification de l’article 6 (2) de la constitution, de la confiscation
d’Elecam par vos partisans mais aussi de la montée des inimitiés parmi
tous ceux, nombreux dans vos rangs, à qui vous avez laissé croire un
moment qu’ils pourraient vous remplacer à la tête de l’Etat, de la
montée à votre égard du sentiment de roublardise politique au sein de
votre propre parti et dans l’opinion nationale, est devenu une usine à
gaz. La seule façon de désamorcer ce gaz c’est de faciliter et
d’accompagner l’avènement de l’alternance politique qui passe par votre
retrait de la course présidentielle. Le désintérêt des Camerounais pour
leur inscription sur les listes électorales, malgré les diverses
mesures prises et l’intense investissement des personnes dites
ressources de votre parti, est une marque de défiance politique que
vous devez décrypter dès à présent. La crise profonde de la
participation que connait le pays est la conséquence de la manière
négative dont votre régime a fait de la politique jusqu’ici.
Je
ne souhaite pas une tunisianisation ni une égyptianisation de la fin de
votre régime, aussi, au risque de me répéter, je vous invite très
respectueusement à ne pas vous présenter à la prochaine élection
présidentielle. S’entêtant à faire le tour de piste de trop, Ben Ali
avait remporté sa dernière élection avec plus de 90% de voix et
Moubarak avait quant à lui avait enregistré un score plus important
encore. Leurs systèmes, pourtant réputés indéboulonnables, se sont
effondrés comme des châteaux de cartes. Leurs redoutables services de
sécurité n’ont pas pu résister à la volonté populaire. L’un et l’autre
errent désormais, les pays occidentaux qui les ont toujours soutenus,
malgré la nature de leurs régimes, les qualifient aujourd’hui à
l’unisson de terribles dictateurs et se précipitent à dévoiler leurs
fortunes constituées sur le dos de leur peuple. Leurs inconditionnels
d’hier expliquent aujourd’hui qu’ils les servaient sous la terreur.
Alain FOGUE TEDOM