Du 8 au 10 mars, la Confédération africaine de football (CAF) se réunit à Marrakech pour élire son président. Un seul candidat à ce poste : le Camerounais Issa Hayatou, 66 ans, à la tête de l'institution depuis 1988. Sa réélection n'est qu'une formalité. De passage à Paris, Roger Milla, 60 ans, ancien attaquant des Lions indomptables, de Saint-Etienne, de Montpellier et de Bastia raconte au "Monde" sa vision du football africain, et des maux qui le gangrènent.
Ce week-end, votre compatriote Issa
Hayatou va être réélu à la tête de la Confédération africaine de
football (CAF). Il en est le président depuis 1988. Que pensez-vous de
cette situation ?
Il peut rester quarante ou cinquante ans. Ce qui m'importe, c'est que le football africain soit géré et c'est le rôle de la CAF.
Est-ce le cas actuellement ?
Non, pas du tout. La CAF ne le fait pas, c'est dommage. On ne peut pas
organiser une Coupe d'Afrique des nations (CAN) et ne pas avoir un
regard sur les fédérations, ce n'est pas logique. Certaines falsifient
les licences, d'autres naturalisent un footballeur et le font jouer au
bout de deux mois alors qu'il doit vivre cinq ans dans son nouveau pays
avant d'être sélectionnable. C'est ce qui s'est passé avec la
Guinée-Equatoriale, lors de la CAN 2010... Ce n'est pas normal ! Le
Brésilien Santos a attendu cinq ans avant de pouvoir jouer avec la
Tunisie. On a voulu le faire jouer avant, mais on a dit non. On doit le
faire aussi pour les autres : nul n'est au-dessus des lois, et quand
cette loi est écrite, il faut respecter son écriture.
Que fait Issa Hayatou pour changer les choses ?
Je ne veux pas en parler, je ne veux pas entrer dans ces polémiques.
Pourquoi ?
Je ne veux pas parler de lui, de la CAF, ça ne m'intéresse pas
du tout. J'ai un sentiment amer, de désolation, parce que si la CAF
existe, c'est grâce aux footballeurs. Mais avez-vous déjà vu une Coupe
d'Afrique des nations où des anciens footballeurs ont été invités ?...
Vous n'êtes jamais invité ?
Ma dernière CAN en tant que joueur date de 1988 et on ne m'a
jamais invité depuis. Moi je m'en fous, mais les autres qui n'ont pas
l'habitude de voyager, on pourrait les faire venir. Non, on préfère
inviter les Occidentaux qui sont soi-disant de grands joueurs. Mais en
Afrique, qui sont les grands joueurs si ce n'est les joueurs africains
eux-mêmes ? Quand les Occidentaux organisent des compétitions, les
Africains ne sont pas invités. C'est tout le drame : l'UEFA ne convie
pas les Africains alors qu'ils ont participé à l'essor du football
européen. Sincèrement, il faut le dire.
Il y a quelques jours, Frédéric Thiriez [le président de la Ligue de football professionnel] a déclaré que si le foot français en est là aujourd'hui, c'est grâce au foot africain. Personne ne peut le nier. C'est comme ça : nous, les Africains, nous acceptons toujours tout, nous avalons.
Et pourquoi acceptez-vous ? Pourquoi ne pas s'impliquer ?
Je ne peux plus, je l'ai fait, j'ai les mains liées. Il y a
quelques années, j'étais membre de la commission de la CAF, avec Abedi
Pelé et George Weah. En 2002, quand Hayatou s'était présenté à la
présidence de la FIFA (face à Joseph Blatter), nous étions contre : il
nous a tous virés de la CAF. Et pendant qu'on nous virait, nous étions
en train d'être nommés à la FIFA. Les gens ont trouvé ça ridicule.
En septembre dernier, la CAF a voté un
amendement qui vise à restreindre l'accès à la présidence de
l'institution. Pour être candidat, il faut être – ou avoir été – membre
du comité exécutif de la CAF. Que pensez-vous de cette situation ? N'y
a-t-il pas un risque de verrouiller le système de l'intérieur ?
Est-ce que c'est normal ça ? C'est du jamais vu ! Abedi Pelé a voulu se
présenter, on l'a chassé. Avant lui, il y a eu Rachid Mekhloufi, on l'a
chassé ; Salif Keïta, on l'a chassé. Il n'y a que des "bras cassés" à la
CAF, je suis désolé de le dire. Tous les grands joueurs, qui incarnent
le véritable football, sont tous en dehors, on ne veut pas les voir.
Comment faire alors pour qu'ils soient visibles ?
Je lance un appel aux Etats africains afin qu'ils annulent ce
genre de vote que l'on peut voir à la CAF. Eux seuls sont capable de le
faire, c'est eux qui font la CAF. Si demain ils disent à leur équipe
nationale de ne plus jouer, la CAF n'existe plus, il n'y aura plus de
compétition. Ils doivent apporter de la clairvoyance, de l'honnêteté
dans le foot africain. Les pays sortent beaucoup d'argent pour le foot :
ils ne peuvent pas laisser quelques individus l'accaparer alors qu'il
appartient aux Etats et aux joueurs. Les joueurs actuels doivent aussi
comprendre que c'est leur lutte : ils doivent prendre leur
responsabilité pour gagner le respect. Car, demain, quand ils vont
arrêter leur carrière, ils n'auront plus la possibilité d'aider le
football de leur pays.
A ce point ?
En Afrique du Sud, le président de la fédération a été suspendu deux
mois avant la CAN, suspendu par sa propre fédération, quand on a
découvert des affaires de corruption et de matches truqués. Voilà un
pays qui est honnête, réfléchi et qui a su réagir pour l'amour du foot.
Après la Coupe du monde 2010, l'Etat du Nigeria a dissout sa fédération.
Aujourd'hui, son équipe nationale vient de remporter la CAN. Tout a été
mis à zéro, c'est ça avoir de la discipline, et être un pays
responsable qui veut le progrès.
Pourtant, si un Etat s'ingère des affaires de sa fédération, cette dernière risque d'être exclue par la FIFA...
La FIFA n'a pas suspendu le Nigeria. On n'a même pas besoin d'elle. Nous
voulons des pays responsables, et ne pas voir des dirigeants qui
cherchent à s'enrichir ou à devenir maire ou député à travers le foot,
qu'ils aillent ailleurs ! Mais c'est ce que font beaucoup de fédérations
africaines, comme au Cameroun. Leurs responsables veulent rester au
pouvoir jusqu'à leur mort.
Depuis que vous avez arrêté votre carrière, en 1995, le football africain va-t-il dans le bon sens ?
Non, il va dans le mauvais sens.
Pourtant, il y a des réussites, comme celle du club congolais Tout Puissant Mazembe, vice-champion du monde des clubs en 2010.
Oui, c'est un exemple, mais c'était il y a plus de deux ans.
C'était tellement un exemple que, comme par hasard, la CAF leur a trouvé
un truc, et le Mazembe a été suspendu. La CAF devrait jeter un œil dans
tous les pays, parce que la corruption est partout : elle tue le foot,
elle tue même la jeunesse.
Comment analysez-vous la situation du
football camerounais, qui a des grands joueurs, comme Samuel Eto'o, mais
n'était pas qualifié pour la CAN 2013 ?
Le football camerounais ne marche pas depuis plus de dix ans.
Il y a des gens au sein de la fédération qui font en sorte qu'il ne
marche pas. Ce n'est pas dans l'intérêt du pays, mais peut-être que
c'est dans leur intérêt. Je ne travaille pas à la fédération, mais c'est
mon devoir en tant qu'ancien de l'équipe nationale, en tant que citoyen
camerounais, en tant qu'ambassadeur itinérant de la FIFA de parler de
ce qui va mal dans foot camerounais.
Vous en avez déjà parlé avec Issa Hayatou ?
Non, mais il le sait. Il est au courant. S'il ne réagit pas,
c'est qu'il accepte cette situation. Il faut qu'il sache que c'est son
football qu'il a laissé : il a été secrétaire général puis président de
la fédération du Cameroun. Si le football camerounais meurt, le
président de la CAF est un peu responsable de cette situation. Comme je
l'ai dit, je pense que l'Etat doit retirer son agrément à la fédération
de football et dire à la FIFA que nous sommes prêts à ne plus jouer au
football pendant deux ou trois ans. Si on est intelligent, c'est la
solution, on doit y réfléchir. Et la FIFA ne pourra pas suspendre le
Cameroun.
Tout cela donne encore l'image d'un football africain éternellement corrompu...
C'est vrai, et pourtant la corruption est partout, elle est
mondiale. Ceux qui aiment le foot doivent réagir, ça va très mal, ça va
très très mal. A mon époque, le football camerounais était un sport
propre, c'est pour cela qu'on a eu des résultats, depuis qu'il est sale,
on n'a plus de résultat. Vous savez, il y a plusieurs années, on a
voulu faire de moi le président d'honneur de la fédération. On m'a couru
après. J'ai finalement accepté. Quand j'ai découvert l'envers du décor
et que je l'ai dénoncé, devinez quoi ?... On me retire mon titre de
président d'honneur. C'est trop bas. Blatter est au courant de tout
cela. Les choses doivent changer, sinon le football africain va mourir.
Encore une fois, la CAF devrait avoir un regard sur les fédérations
africaines : elle ne peut plus laisser faire n'importe quoi.