André Marie Mbida, alors concurrent d’Ahmadou Ahidjo est mort aveugle après plusieurs années de bagne à Tcholliré au Nord Cameroun ; Ahmadou Ahidjo lui-même,tout premier président de la République, est mort en exil après avoir été condamné par contumace; Titus Edzoa, récemment gracié après 17 ans de bagne et Marafa Hamidou, ancien secrétaire général de la présidence et encore embastillé pour 25 ans pour complicité intellectuelle. Faut-il voir le saupoudrage politique intervenu au début des années 90 avec l’instauration du multipartisme comme l’avènement de la démocratie? De la veille de l’indépendance à nos jours, rivalité politique rime avec prison.
André-Marie Mbida, aveugle en prison
Enoh Meyomesse dans l’ouvrage “ La chute d’André-Marie Mbida ” retrace et dégage les conséquences historiques du « règne » du premier chef du gouvernement camerounais et la manière dont il quitte les affaires. A l’issue des élections des députés à l’Assemblée nationale française de janvier 1956, André-Marie Mbida l’emporte sur ses deux concurrents de la 3e circonscription : Charles Assale et le colon français Louis-Paul Aujoulat. Le 10 mai 1957, il est chargé de diriger le premier gouvernement camerounais.
Ahmadou Ahidjo, responsable du groupe parlementaire du Nord décide de dénoncer la politique du Premier ministre, en démissionnant de son gouvernement avec ses affidés. Après moult péripéties, Mbida se sentant trahi, adresse sa démission à Jean Ramadier. Ahidjo devient nouveau Premier ministre et jette André-Marie Mbida en prison, pour dit-on, avoir refusé de se rallier à son parti unique?
Ahidjo qui était au début son ami (et ex-vice-Premier ministre de son gouvernement) a voulu l’intégrer dans son premier gouvernement, mais, comme il était en désaccord avec la politique extrêmement pro-française d’Ahidjo, Mbida refusa et s’exila. Suit alors une activité intense; le 16 septembre 1958, alors qu'il était de passage à Paris, André-Marie Mbida se prononce pour l'indépendance immédiate. Le 3 octobre 1958, son parti politique par voix de communiqué de presse demande «l'indépendance immédiate du Cameroun - l'amnistie totale - la levée de tutelle».
De retour au Cameroun en 1960, Mbida réussit en très peu de temps à reconquérir une audience politique nationale que treize mois d’exil à Conakry (Guinée) avaient quelque peu flétrie. «Mais la dernière bataille qu’il allait livrer contre le gouvernement Ahidjo, la bataille contre le parti unique, allait sonner le glas de sa vie politique». Le 23 juin 1962, le Fnu (Mbida, Okala, Eyidi Bebey, Soppo Priso) publie un manifeste signé par les trois hommes. Ils affirment leur refus d'adhérer au parti unique. Ils ajoutent qu'un parti unique aboutira infailliblement à la dictature. Ils sont arrêtés et incarcérés au Nord-Cameroun. Cette détention provoque une dégradation physique importante chez Mbida : il tombe malade et devient pratiquement aveugle. À sa sortie de prison en 1965, Il va en France se faire soigner.
De retour au Cameroun en 1968, il est placé en résidence surveillée à Yaoundé jusqu’en 1972. Les derniers moments de sa vie furent pénibles car faits de solitude. En 1980, il connaît une nouvelle évacuation sanitaire en France, mais décède aveugle à 63 ans le 2 mai 1980. Ses camarades de prison Bebey Eyidi et Charles Okala mourront quelques temps après.
Enoh Meyomesse conclut : « Après l’indépendance le 1er janvier 1960, la suite des événements confirmera l’appréhension d’une désillusion. Au mois de février 1960, la toute première Constitution du Cameroun indépendant, made in France, imposée à Ahmadou Ahidjo, est votée par référendum. Il y a 59,80 de « oui », contre 40,20% de « non ». Le jeudi 5 mai 1960, le premier président de la République du Cameroun est élu sans concurrent et par la fraude, non pas au suffrage universel, comme l’attendaient les Camerounais, mais par les députés. Il fallait, coûte que coûte, tenir le peuple loin de ce processus. Le scrutin révèle, en effet, 101 bulletins de vote, alors qu’il n’y a que 99 votants, c’est-à-dire le nombre exact de députés présents dans la salle. Bref, il y a eu bourrage de l’urne. Ce sera l’inauguration d’un style d’élection qui n’a pas pris fin jusqu’aujourd’hui au Cameroun et qui consiste à tricher systématiquement pour faire élire qui l’on veut».
Ahidjo condamné à mort
« De façon inattendue, Ahidjo âgé de 58 ans, qui tient le pays d'une main de fer en ayant réduit à néant la contestation de son régime, si forte au début de son règne, décide, tout d’un coup, de se retirer du pouvoir et de céder sa place à son successeur constitutionnel, Paul Biya, le 4 novembre 1982, officiellement pour raisons de santé. Il quitte l'Unc l'année suivante. Après une tentative avortée de coup d'Etat contre le gouvernement à laquelle il a toujours nié avoir participé le 6 avril 1984, il est accusé et condamné à mort l'année suivante par contumace. Hors du pays pendant ces événements, il ne rentra jamais au Cameroun et s'installa au Sénégal. Il y meurt le 30 novembre 1989 et y demeure enterré ».
Depuis la démission du ‘père de la nation’, l’histoire du Cameroun a connu une brutale accélération dans le sens du Renouveau : janvier 1984, victoire de Paul Biya à l’élection présidentielle. 21 janvier 1984, le pays prend le nom de République du Cameroun. 28 février 1984, accusé de complot, Ahmadou Ahidjo est condamné à mort par contumace. 6 avril 1984 : tentative de coup d’Etat de la garde républicaine (70 morts). 24 mars 1985 : L’Unc est rebaptisée Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Deux jours après la démission surprise du président camerounais Ahmadou Ahidjo, le Premier ministre, Paul Biya 49 ans, accède à la tête de l'État. La lutte pour la succession d'Ahidjo a crée de graves tensions.
En exil en France, Ahidjo est accusé de complot par Biya et condamné à mort par contumace. Le 6 avril 1984, une tentative de putsch, orchestrée par le colonel Saleh Ibrahim et des éléments de la garde républicaine restés fidèles à Ahidjo, échoue de justesse grâce à l'intervention de l'armée. Paul Biya se sert de cette crise pour raffermir son emprise sur le pouvoir. Il discrédite le président déchu auprès de l'opinion publique en prétendant que le complot émane de lui.
Jusqu’aujourd’hui Ahidjo est interdit de sépulture nationale, l’ex-commissaire des services spéciaux, Ela affirme que contre la volonté populaire, le président Biya refuse «d’organiser les obsèques nationales à la mémoire de son illustre prédécesseur, le fondateur de l’Etat qui lui a tout donné».
Marafa Hamidou Yaya, l’autre prisonnier
Sortira-t-il un jour du tristement célèbre Sed, cette prison secondaire instituée pour les besoins de la cause? Les récentes mesures de grâce ouvriront-elles la voie à d’autres remises de peines ou des relaxes sans condition? Pour l’instant, Marafa Hamidou Yaya croupit au Sed et personne n’est dupe sur les causes réelles de sa détention.
«Je suis à l’origine du renseignement qui a servi plus tard à concevoir «l’Opération Albatros» destinée à éliminer politiquement Marafa Hamidou Yaya», affirme l’ex-commissaire de police Pierre Ela dans une interview. « Les Camerounais ne sont pas dupes : ils savent que «l’Opération Epervier» a été une manipulation politique pour justifier la modification de la Constitution en 2008 afin de lever le verrou de la limitation du mandat présidentiel. J’avais rendu compte du contenu de la note verbale relative au projet secret des Français de remplacer Biya par une personnalité du Nord. C’est le même scénario qui s’est passé en 1983 pour le complot contre le président Ahidjo. Avec Ahidjo, c’était le premier complot contre le Nord. Avec Marafa, c’est le second complot contre le Nord».
La longévité au pouvoir n’est ni une bonne ni une mauvaise chose en soi. Mais, indubitablement, dans le cas de Paul Biya elle se conjugue avec l’usure, l’immobilisme et la hantise du complot. Sur la scène politique camerounaise, «parler d’alternance revient presque à proférer un tabou, à afficher une rivalité ou à passer pour un dangereux subversif» déplore sous le sceau de l’anonymat un observateur proche du Rdpc, le parti présidentiel. Les nombreux «détenus politiques» de la prison centrale de Yaoundé peuvent le témoigner.
Après avoir appartenu aux plus hautes sphères du pouvoir, ils ont connu une chute brutale, conséquence dans la majorité des cas, non de fautes ou manquements avérés, mais de «rivalités chroniques dans le premier cercle des collaborateurs officieux ou officiels du chef d’Etat». «Ces personnes ne sont visées par aucun règlement de comptes politiques. Elles ont été arrêtées, jugées et condamnées pour des crimes économiques », s’est toujours défendu le pouvoir. Il est vrai qu’en 2004, la lutte contre la corruption a été érigée en programme national baptisé «opération Epervier» sous la pression des bailleurs de fonds du Cameroun, qui figurait parmi les pays les plus corrompus du monde.
Marafa Hamidou Yaya condamné le 22 novembre 2012 à 25 ans de prison ferme pour complicité de détournement de fonds destiné à l’achat d’un avion présidentiel, avait estimé que ce mécanisme anti-corruption a été « dévoyé et sert de machine de guerre politique au régime de Paul Biya», comme il l’explique dans une interview réalisée par SlateAfrique peu après sa détention à la prison centrale de Yaoundé. «Tout ce que le tribunal a trouvé pour me condamner est un fait de complicité “intellectuelle”.
Pour cela, il s’est fondé uniquement sur ma relation amicale avec un des coaccusés au moment des faits. J’assume cette amitié transformée en charge, mais elle ne rend coupable d’aucun crime ni délit. Vous voulez mesurer à quel point les accusations portées contre moi sont grotesques ? Un mois à peine après ma condamnation, mon successeur au secrétariat général à la présidence de la République, a été condamné, et pourquoi? Pour avoir tenté de détourner ces mêmes 31 millions de dollars qui sont censés déjà avoir été dérobés!»
Edzoa et Biya : la belle en 2018 ?
Le Pr Edzoa est un agrégé de chirurgie et ancien médecin personnel de Paul Biya, ancien secrétaire général de la présidence de la République, et ancien ministre de la Santé publique. Il quitte le gouvernement le 20 avril 1997 pour déclarer sa candidature à la présidence de la République. Il est arrêté le 03 juillet 1997 et gracié 17 ans plus tard. Par cette grâce, selon l’ex-commissaire de police Pierre Ela, «le Président Biya vient d’administrer au monde entier la preuve que la force du pouvoir est concentrée entre ses seules mains : il est à la fois l’organe gouvernemental, l’organe législatif et le véritable détenteur du pouvoir judiciaire».
Homme libre à 69 ans dont 17 ans de souffrance derrière les barreaux ? « Oui, mais cette souffrance m’a beaucoup enrichi, et c’est cet enrichissement là que je voudrais partager avec les autres, même avec ceux qui m’ont fait souffrir». Phrase sibylline, à décrypter absolument. Edzoa Titus va-t-il ranger ses prétentions ? « Pas du tout. Pour une raison : j’ai choisi de devenir un homme politique et quand on est homme politique, il y a des risques. Je les ai pris, je les ai assumés. Et je les assume», raconte t-il à Rfi. «Si je devais recommencer, je le referais puisque c’est ces convictions pour lesquelles j’ai démissionné, qui me soutiennent jusqu’à aujourd’hui».
Et Edzoa ajoute : «Pour le moment, je ne spécule pas. Comme je suis un homme d’action, une fois que je prends la décision, allez, je bouscule. Mais pour le moment, je voudrais être tranquille et aussi me reposer. Je voudrais me reposer non seulement physiquement mais mentalement».Et qui sait, revenir un jour en politique ? «Ce n’est pas exclu. Tout peut arriver, bien sûr».
Vers quel horizon se porte le regard du professeur ? 2018 est la date la plus proche qui concerne les prochaines élections présidentielles. Après la première tentative, serait-ce la ‘belle’ entre Edzoa et Biya ? la dernière confrontation ? C’est dans quatre ans. L’ex-prisonnier aura alors 73 ans et son potentiel challenger…85 ans. Le match du 3è âge? En politique, il ne faut jurer de rien…