Rivalités: La guerre des réseaux au cœur de l'Etat
Yaoundé, 21 Août 2013
© BORIS BERTOLT | Mutations
Depuis le début de l'année 2013, les membres du gouvernement et Directeurs généraux se battent sous le regard compatissant de Paul Biya.
Le feuilleton le plus récent dans la galaxie des batailles entre les pontes du gouvernement de Paul Biya est celui qui oppose actuellement au Tribunal de grande instance du Mfoundi, L'Etat du Cameroun Emmanuel Etoundi Oyono, Directeur du Port autonome de Douala. Si officiellement il s'agit d'une procédure judiciaire dans laquelle il est poursuivi pour les faits de «complicité d’usage de documents, timbres ou poinçons contrefaits ou falsifiés», tout laisse penser que le Ministre de la Justice, Laurent Esso suit personnellement le dossier. L'affaire dont il est question naît sous les cendrés de celle dite de Bibi Ngota, du nom de ce journaliste décédé à la prison de Kondengui et accuse d'avoir falsifié un document mettant directement en cause l'ex-Secrétaire général à la présidence de la République dans le cadre de l'achat du bateau Rio Del Rey, utilisé par le Bataillon d'intervention rapide.
Un proche du dossier confie qu', «il est reproché à Etoundi Oyono d'avoir remis aux journalistes le faux document, afin de nuire à Laurent Esso qu'il accusait d'être à l'origine de son départ du port autonome de Douala au profit de Dayas Mounoume». L'ancien Directeur général, de la Maetur l'a bien compris. Il a adressé il y a quelques jours une correspondance au Chef de l'Etat où il se dit victime d'un «règlement de compte». Mais cette affaire n'est qu’un épisode parmi tant d'autres au sein du gouvernement depuis le début de l'année.
Au commencement, était l'affaire Philémon Yang et son Secrétaire général, Louis Paul Motaze au mois de janvier 2013. D'après de nombreuses indiscrétions, le bouillant Secrétaire général des services du Premier Ministre, n'hésite plus à passer sur le dos de sa hiérarchie pour prendre directement ses instructions à la présidence de la République, installant ainsi un tandem entre le Sg/Pr et lui en concertation hebdomadaire, afin que les deux têtes de l'Exécutif diligentent les affaires de la République sans retard ni ménagement. Une situation qui agace par moment le Premier Ministre. Il s'en est remis plus d'une fois «à qui de droit», sans que la hiérarchie trouve que cette manière de faire perturbe le fonctionnement de la République. Mais dans le même temps, les services du Secrétariat général du Premier Ministère sont accusés par d'autres membres du gouvernement d'être la source de nombreuses modifications orientées des nominations. A cela s'ajoute les rivalités entre Louis Paul Motaze, les directeurs et conseillers de la primature, fidèles au Premier Ministre.
Ferdinand Ngoh Ngoh
Mais, l'affaire aura fait le plus d'émules, c'est l'affaire Dooh Collins du nom de l'expert financier mandaté en 2006 par Amadou Ali, Ministre de la Justice, pour traquer les comptes des pontes du régime dans le cadre de «l'Opération épervier»: Laurent Esso, Secrétaire général de la présidence de la République découvre qu'Amadou Ali a indiqué à Paul Biya; que sur les 31 millions de dollars destinés à l'achat de l'avion présidentiel, 16 millions sont revenus dans le compte Beith, à la Commercial Bank of Cameroon (Cbc). Un compte dont l'actuel Ministre de la Justice serait l'un des propriétaires.
Dès qu'il s'est avéré que de nombreux comptes transmis au Chef de l'Etat étaient faux, Laurent Esso a ordonné au Procureur du Tribunal criminel spécial, Émile Zéphirin d'ouvrir une enquête au mois de mars 2013 contre Dooh Collins. Il sera d'ailleurs auditionné pendant trois heures à la police judiciaire. Cependant, Amadou Ali, se sentant visé, a pris toutes les dispositions pour que l'affaire n'aille pas plus loin. «Ayant eu la conviction que ce n'était pas le Chef de l'Etat qui avait ordonné l'ouverture du dossier, il s'est expliqué auprès de la haute hiérarchie et s'est attaché les services de deux conseillers du Chef de l’Etat», confie notre source, Au final, le passeport de Dooh Collins qui lui avait été retiré, lui sera restitué et il s'envolera pour Genève en Suisse où il se trouve depuis plus d'un mois.
Autre fait et pas des moindres. Le 14 mai 2013 à la suite d'instructions de Ferdinand Ngoh Ngoh, Secrétaire général de la présidence de la République, 9 étudiants sont exclus de l'Institut des Relations internationales du Cameroun (Iric). Sur la liste d'attente, ils avaient finalement été admis par le Ministre de l'Enseignement supérieur le 28 décembre 2012. Officiellement, Ngoh Ngoh estime que les effectifs de l'Iric sont pléthoriques. Pourtant, depuis 2008, tous les étudiants de la liste d'attente sont déclarés définitivement admis. L'année dernière, sous la direction de Narcisse Mouélle Kombi, il y en avait 35. Dans l'entourage du Ministre de l'Enseignement supérieur, l'on indique simplement que «la décision du Secrétaire général de la présidence repose simplement sur le fait que de nombreux candidats qu'il a proposé à l'admission ont été recalés: Ce qu'il n'a jamais digéré».
Jusqu'ici, le Chef de l'Etat n'a pas réagit officiellement. En «court séjour privé à Genève», il suit de très près ce qui se passe au Cameroun. Pour permettre comprendre cette attitude, Fanny Pigeaud, dans son ouvrage intitulé Au Cameroun de Paul Biya souligne: «Biya sait décrypter les stratégies déployées par son entourage. Lui-même a évidemment les siennes, souvent plus élaborées: elles visent toutes à protéger son pouvoir et à maintenir tout le monde à bonne distance de son fauteuil présidentiel. Pour garder sous contrôle tous ceux qu'il a installés à des postes importants, le Président veille à les mettre dans une situation inconfortable. Le Président applique la règle du «diviser pour mieux régner» au sein de la petite élite politique et administrative qui l'entoure. Il entretient les inimitiés et les querelles entre ses Ministres pour qu'ils se neutralisent. Il a pris l'habitude, par exemple, de remplacer un Ministre par son rival le plus farouche, afin que le second défasse les réseaux du premier et le tienne en respect».