Révélations: Ahmadou Ali épinglé par Wikileaks

YAOUNDE - 03 SEPT. 2011
© Janet E Garvey (Sources : Wikileaks) | Mutations

Dans un câble de l'ancienne ambassadrice des Etats des Etats Unis au Cameroun, Janet E. Garvey, le site Wikileaks rapporte des propos du vice-premier ministre chargé de la Justice, Ahmadou Ali, qui affirme que "le Nord va apporter son soutien à Paul Biya mais pas à un autre Beti ou un Bami". Voici le document en exclusivité.

Cable 09YAOUNDE256 -1. © Résumé : La bataille pour l'avenir du Cameroun, qui comprend la succession de Biya, doit être regardée à travers un prisme ethnique et régional, selon Ahmadou Ali, le vice premier ministre et ministre de la justice. Dans une discussion récente et à bâtons rompus avec l’ambassadeur, Ali affirme que la foundation de la stabilité au Cameroun c’est l’entente entre les Beti/Bulu, la tribu d’origine de Biya qui est prédominante dans le Sud du Cameroun, et les populations des trois régions du Nord, connue comme étant le Septentrion, et qui sont différentes du reste du pays en termes ethnique et culturel. Le Septentrion soutiendra Biya aussi longtemps qu’il souhaitera être président, assure Ali, mais n’acceptera jamais un successeur qui soit lui aussi Beti/Bulu, ni un membre de l’ethnie Bamiléké qui est économiquement puissante. L’analyse d’Ali et sa volonté de s'exprimer de manière aussi franche à propos d’un sujet aussi délicat a renforcé notre conviction que l’élite politique du Cameroun est de plus en plus en train de se mettre en scène pour l’après Biya. Fin du résumé.

2. © L’ambassadeur, accompagnée par Poloff, a invité le vice premier ministre et ministre de la justice, Ahmadou Ali ce 27 février pour discuter du rapport sur les droits de l’homme récemment publié (ref b). Ali a montré son caractère grégaire, mais est devenu plus franc et précis que d’habitude, lorsqu'il a abordé l’avenir politique du Cameroun pendant plus d’une heure.


La lutte contre la corruption: les nouvelles stratégies, encore plus d’arrestations

3. © Ali affirme que sa campagne visant à poursuivre en justice et arrêter des fonctionnaires va continuer, mais deviendra moins spectaculaire afin de convaincre ces derniers de rembourser l’argent détourné. Il a indiqué de manière indirecte que lui-même et Biya ont décidé de changer de stratégie dans le combat contre la corruption. A la place des arrestations spectaculaires qui ont caractérisé les premières années de cette opération (qualifiée "Opération Epervier" par la presse camerounaise), et que Ali décrit comme mettant dangereusement en question la stabilité du pays, il soutient que la priorité sera maintenant la récupération des fonds, y compris à travers la négociation avec les fonctionnaires corrompus. Ceci pour les convaincre de rembourser les fonds volés, auquel cas ils devront faire face à la justice.

4. © Ali promet encore plus d’arrestations dans les jours à venir et affirme qu’il a donné l’ordre de contruire une nouvelle unite dans la prison de Yaounde afin d’y héberger les nouveaux détenus parmi les fonctionnaires. Contrairement aux rendez-vous précédents, Ali ne se plaint plus que les Etats Unis ou d’autres pays occidentaux n'apportent pas leur soutien au travail d’Epervier. Il dit cependant qu’Epervier se concentrait sur la récupération de fonds volés qui se trouvent au Cameroun. Ali a favorablement acceuilli les conseils de l’ambassadeur qui suggère qu’Epervier participe au programme de la Banque mondiale sur les Fonds voles (STAR). Il admet également que la décision de confier la récuperation de fonds à des entités externes a l’Etat, avaient été laborieuse et coûteuse et n’a pas donné les résultats escomptés.


Toute politique est régionale

5. © Ali s'est longuement exprimé sur les batailles politiques au Cameroun, balayant d’un revers de la main le poids de l’opposition formelle et insistant cependant sur les groupes ethniques du Cameroun. Ali a ironisé sur John Fru Ndi, le chairman de parti politique le plus important de l’opposition, le SDF. Il estime que John Fru Ndi est corrompu (il a empoché des centaines de milliers de dollars que le president de la Cote d’ivoire Laurent Gbagbo avait donné au SDF) et est avide de pouvoir. Mais Ali insiste sur le fait que la véritable opposition à l'opération Epervier vient toujours des bamilékés de la région de l’Ouest et des anglophones du Nord Ouest et de la province du Sud Ouest. Ali reconnait que les autres groupes ethniques du Cameroun ont une méfiance pathologique à l'égard des Bamilékés (qui sont parfois présentés comme des co-conspirateurs des anglophones qu'on qualifie Anglo-Bami) à cause du caratère agressif de l’expansion de leur domination économique au Cameroun. Selon Ali, les Bamilékés avaient pris possession de Douala et conspirent pour étendre leurs communautes é travers le Cameroun, y compris en envoyant leurs femmes faire des enfants dans des régions éloignées du pays. Il soutient que ce n’etait pas une coïncidence que les émeutes de février 2008 étaient plus dures dans les régions qui avaient des communautés bamilékes les plus importantes.


La balance du pouvoir. Bamis, Betis et Nordistes

6. (C) Ali affirme que les trois régions du Nord qui sont ethniquement et culturellement différentes du reste du Cameroun vont continuer à apporter leur soutien à Biya aussi longtemps qu’il souhaitera demeurer président, mais que le prochain président du Cameroun ne viendra pas de l’ethnie Beti/Bulu de Biya.Ali affirme qu’il l'a mentionna publiquement dans un discours en 2003. A la question de savoir ce que le Septentrion ferait si Biya nommait un Beti/Bulu pour lui succéder, Ali affirme que Biya, sachant que cela serait inacceptable pour le reste du Cameroun, ne prendra jamais une telle décision. Même si les gens de la tribu de Biya essayaient de s’imposer, Ali estime que les Beti sont trop peu nombreux pour s’opposer aux Nordistes, encore moins au reste du Cameroun. Il soutient que des Bamiléké avaient fait des ouvertures à des elites du Nord pour forger une alliance entre leurs régions respectives, mais que les Nordistes (ainsi que d’autres groupes) étaient si méfiants sur les intentions des Bamilékés et avaient trop peur pour leur pouvoir économique, qu’ils ne concluraient jamais une alliance pour soutenir un pouvoir politique Bamiléké.


Des compliments pour le BIR, mais aussi des inquiétudes

7. (C) Ali se félicite de l'action du Bataillon d’Interventions Rapides (BIR) qui a reçu la mission de sécuriser la péninsule de Bakassi nouvellement récupérée, tout comme les cotes maritimes du Cameroun. Mais il exprime des inquietudes sur le reste des forces armées qui sont de plus en plus jalouses des succès du BIR. Ali n’a pas de retenue dans sa critique du ministre de la defense Remy Ze Meka. Il affirme qu’il s’attendait depuis longtemps a ce que Biya le suspende de son poste lors d’un remaniement ministeriel. Aliaffirme que lorsqu’il etait ministre de la defense, (entre 1997-2001), Avi Sivan, l’Israelien qui dirige le BIR, lui adressait directement ses rapports. (Note. Le colonel (en retraite) Abraham (‘Avi’) Sivan, est un citoyen en meme temps d’Israel et du Cameroun (avec des passports valides dans les deux pays). Sivan agit au Cameroun en ses capacites personnelles après avoir pris sa retraite comme attaché de la défense d’Israel au Cameroun. Fin de la note.) Quand Ze Meka succéda au poste d’Ali comme ministre de la defense, Sivan obtint et présenta des preuves à Biya selon lesquelles Ze Meka détournait des fonds du BIR, ce qui amena Biya à mettre le BIR sous sa direction personnelle. Ali affirme que les généraux sont totalement corrompus. Il ne croit cependant pas que Biya leur ferait perdre leurs postes. Toutefois il analyse le Cameroun comme un pays a risque très réduits en matière de coup d’Etat. Pour lui l’armée est suffisamment fracturée et bien contrôlée par la présidence (aucune unité militaire ne peut être mise en mouvement sans l’autorisation écrite de Biya) pour rendre un soulevement improbable.


Commentaire: La transition, le Seul Jeu dans la Ville

8. (C) La franchise d’Ahmadou Ali en ce qui concerne les factions politiques au Cameroun renforce notre impression que la succession de Biya est, en même temps qu’elle est un sujet tabou dans les discussions publiques est le seul sujet de discussion en privé. L’opinion d’Ali selon laquelle les Camerounais ont trop peur d’un pouvoir politique Bamileke (ou d’un pouvoir Anglo-Bami, comme celui-ci est souvent presenté) pour même penser a apporter leur soutien à un Bamileké doit etre pris avec des pincettes. Bien que Fru Ndi ne soit plus perçu comme un adversaire politique sérieux (ref a), beaucoup d’observateurs pensent que [le leader du SDF] – un Anglophone – avait gagné l’élection de 1992. Mais beaucoup de membres des élites ethniques camerounaises partagent cette lecture ethnique d’Ali, et la frustration de plus en plus grandissante parmi la population en général pourrait offrir une opportunité dangereuse à quiconque voudrait exploiter ces rivalités ethniques pour les besoins de son agenda politique personnel.

9. (C) La déclaration d’Ali selon laquelle l’opération Epervier aurait été recalibrée dans son objectif, passant de la lutte contre la corruption pour le recouvrement de fonds disposes au Cameroun confirme ce que le ministre des Finances nous a déclaré recemment (ref c). Si l’intensification du recouvrement des fonds par Biya correspond avec ce que l’oppinion publique demande généralement, nous croyons cependant que la volonté d’Ali d’insister sur le recouvrement des fonds au détriment de solutions juridiques aurait pour consequence de laisser le champ libre à des cléptocrates qui négocieront ensuite une issue de sortie en lieu de répondre de leurs crimes devant la justice.

Janet E. GARVEY


07/09/2011
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