Que le couple présidentiel revienne en visite au Cameroun en provenance de « son pays l’Occident » devrait être une occasion où le peuple camerounais pleure, étant donné que ce retour lui rappelle qu’il est téléguidé depuis les suites de l’Intercontinental de Genève et les villas des quartiers huppés de Paris où l’argent public crie autant au scandale qu’au sein de la prison centrale de Yaoundé.
Même si, d’après le renouveau communicationnel, nous savons depuis longtemps que les médias de l’Etat sont au service du Président de la République dont ils assurent la propagande de la politique, arrêtons-nous un instant sur la « Une » de Cameroon Tribune du 12 septembre 2012.
La première page du quotidien national affiche en
effet en gros caractère : « Retour du couple présidentiel TRIOMPHAL ».
Prenons cette phrase pour ce qu’elle annonce et essayons d’en débusquer
les sens, les non-sens et le niveau d’estime ou de mépris que, via elle,
la presse officielle manifeste aux Camerounais dans leur ensemble.
Quand une routine fait évènement face au vide politique ambiant
Le support du message est soigné. L’habillage qui en même temps codifie le message que l’on veut faire passer bénéficie d’une mise en page attractive à la fois à la lecture et au regard. Le format de l’image du couple présidentiel domine toute la première page du quotidien national. La première dame et le Président de la République sont entourés de gardes du corps et lèvent leurs bras droits en guise de salutation à la foule qui les ovationne mais qu’on ne voit nullement sur cette première page qui est manifestement la place du maître et de la maîtresse du pays qui font l’évènement : la foule, armée de réserve de la propagande politique va attendre les pages internes du journal (2 et 3) comme le peuple attend les bienfaits du pouvoir depuis 1982.
De couleur rouge et en « capital letters », le qualificatif TRIOMPHAL domine en chromatique et en taille tous les autres mots de la page d’appel. En dessous, l’image du couple présidentiel ratatine les autres photos et messages miniaturisés de cette première page. Le retour du couple présidentiel au Cameroun est donc, à biens des égards, le fait le plus important sur l’étendue du territoire national en ce jour du 12 septembre 2012. La centrale électrique Cameroun-Congo Brazzaville, la débâcle des Lions Indomptables face au Cap Vert, la corruption au Cameroun et les questions de sécurité frontalière Cameroun-Gabon qu’évoque le même numéro de Cameroon Tribune ne sont plus que des épiphénomènes face à ce qui compte aujourd’hui : le retour du couple présidentiel.
L’importance capitale de ce retour est d’autant plus suggérée et mise en scène que tous les moyens symboliques et administratifs de l’Etat sont mobilisés. A l’extrême droite de la photo du couple présidentiel on lit en effet : « Le gouvernement au complet, le Cercle des Amis du Cameroun et des populations enthousiastes ont réservé un accueil mémorable hier au Président de la république Paul Biya et à la première dame de retour d’un séjour privé en Europe ».
Lorsqu’on sait que la visite privée de Paul Biya en Occident est la chose que le peuple camerounais a le plus consommée sans modération depuis 1982, il va sans dire que toute cette mise en scène obéit à l’utilisation de la dimension officielle du quatrième pouvoir comme facteur de production du marketing politique du régime en place. Dans une exception camerounaise où le pays est depuis toujours gouverné pendant des mois depuis les hôtels et les palaces occidentaux, l’absence du couple présidentiel camerounais du pays puis son retour est une routine pour l’Afrique tout entière et le peuple camerounais.
Il en est tellement ainsi qu’aucun journal sérieux n’en parle en termes élogieux : que Paul Biya et son épouse sortent du pays, passent plusieurs mois en Occident et retournent au Cameroun est une règle et non une exception de la vie politique camerounaise sous le Renouveau National. C’est un comportement synonyme de l’exercice du pouvoir au Cameroun depuis trente ans.
Aussi, vouloir faire de cette règle comportementale un évènement est tout simplement une façon de meubler le vide politique et le vide de perspectives d’avenir auquel le pays fait face suite à la faillite totale du Renouveau National dans tous les plans :
• la nullité de sa politique sportive est prouvée
par la descente aux enfers de l’équipe nationale de football et la
désertion des athlètes aux derniers J.O.
• La faillite de sa gouvernance est consommée par la corruption endémique.
• Le processus démocratique bloqué par l’inflation de la réforme constitutionnelle.
• La déliquescence de sa politique de santé publique est entamée par la
recrudescence du vol de bébés et le délabrement des hôpitaux.
• La dégénérescence de la justice républicaine est factualisée par une
foultitude de procès politiques où le pouvoir politique évince la
pouvoir judiciaire.
• L’agonie de l’éducation nationale est à un stade avancée comme le
témoigne la prospérité de l’industrie nationale des faux diplômes etc.
Avec de tels résultats apocalyptiques sur le plan politique, tout est désormais bon pour essayer de parler positivement du régime en place. Nous somme en face d’un pouvoir qui, face au vide et à l’échec total, tente d’exister en se mettant en scène lui-même via la mobilisation de tout l’appareillage symbolique et administratif de l’Etat mis aux pas par le parti au pouvoir. « Retour du couple présidentiel TRIOMPHAL » est donc une « Une » au service d’une stratégie politique dont le but est d’enjoliver la surface des choses pour ne pas parler du fond des problèmes plus embarrassant pour le pouvoir. C’est le pouvoir des images à la rescousse de l’inexistence de résultats de développement depuis trente ans. Telle est la substance du contrat énonciatif de ce numéro de Cameroon Tribune.
De quoi a triomphé le couple présidentiel ?
Que le couple présidentiel revienne en visite au Cameroun en provenance de « son pays l’Occident » devrait être une occasion où le peuple camerounais pleure, étant donné que ce retour lui rappelle qu’il est téléguidé depuis les suites de l’Intercontinental de Genève et les villas des quartiers huppés de Paris où l’argent public crie autant au scandale qu’au sein de la prison centrale de Yaoundé.
Nous pouvons donc, en dehors du triomphe au retour du « coq de la basse-cour » et de la « poule aux œufs d’or » que traduisent youyous, tams-tams, tambours, sifflets et chants orchestrés par des groupes de danse mobilisés par le RDPC et les courtisans, nous poser la question de savoir de quoi a triomphé le couple présidentiel. Le couple présidentiel rentre-t-il triomphal parce que sorti cette fois-ci en rang dispersé il a laissé et fait grandir l’image d’un malaise en son sein ? Le triomphe est-il celui d’un retour en couple après une sortie en singleton ?
Dans le cas contraire le retour triomphal a-t-il un quelconque sens public plausible lorsqu’il s’agit d’une visite privée dont le contenu n’apporte absolument rien aux populations mais tout aux concernés ? Le couple présidentiel est-il vainqueur d’un adversaire coriace comme le faisaient jadis les « vrais Lions Indomptables » face à l’Egypte ou au Nigéria ? L’avion qui a déposé le couple présidentiel était-il rempli d’hôpitaux, d’écoles et de moyens de transport à offrir au Camerounais ?
Le couple présidentiel a-t-il réussi à remettre notre justice, notre santé publique, notre éducation nationale, notre Etat, notre Constitution et notre Economie à l’endroit grâce à son séjour privé en Occident ? Si ce couple est parti du Cameroun pour ses soins de santé est-ce lui qui a triomphé de la maladie ou les toubibs occidentaux ? Si ces médecins occidentaux ont été payés avec l’argent du contribuable camerounais n’est-ce pas ce contribuable à porter en triomphe et non celui qui en profite ?
Ces questions montrent qu’il est infiniment absurde et infantilisant pour tous les Camerounais de parler d’un retour triomphal du couple présidentiel camerounais qui rentre d’une visite privée pour des problèmes et des objectifs privés où ce couple n’a triomphé de rien si ce n’est de la satisfaction de ses besoins par l’argent du Cameroun.
Nous sommes dans une situation ubuesque où sans avoir été envoyé en Occident par le peuple camerounais, sans mandat quelconque pour aller en Occident, sans retombées sociétales attendues par le Camerounais d’un voyage privée, le retour au pays de deux « touristes de luxe » fait la « Une » et devient un triomphe national. Et pourtant, si triomphe il y a, c’est celui de cette capacité extraordinaire d’être absent et de diriger le Cameroun. C’est le triomphe des paillettes et du « griotisme » journalistique : le triomphe de la cour du roi en fête au retour de celui-ci en villégiature après une escapade occidentale.
L’image d’un couple présidentiel uni et apparemment en bonne santé est-elle la dernière branche qui tient le pouvoir et le fait au Cameroun?
Pourquoi une disparition en catimini du paysage politique camerounais exige un retour en fanfare si tout va pour le mieux dans le meilleur des couples ? Pourquoi tout ce tralala si ce n’est le fait qu’il montre que notre pays reste « un grand village » où des hommes et des femmes n’existent pas d’eux-mêmes mais par le biais du « big man » et de la « big woman » du village ? Pourquoi le gouvernement camerounais se retrouve au complet pour accueillir le couple présidentiel de retour d’un voyage privé alors que ce gouvernement ne s’est jamais réuni pour discuter par exemple d’un problème public comme le trafic de bébés en recrudescence dans notre pays ?
La verve dithyrambique avec laquelle le journal officiel relate ce retour cache une réalité sociétale qui nous semble plus profonde et plus inquiétante : la personnalisation du pouvoir et la dépendance dans laquelle le jeu clientéliste qui s’en suit place à la fois l’Etat, les courtisans et les institutions. Puisque tout est fait pour que l’Etat se confonde à celui qui le dirige, le couple présidentiel devient le canal par lequel plusieurs de nos compatriotes accèdent, tant à des responsabilités qu’à de meilleures conditions de vie.
Dès lors, une rumeur qui court sur la santé d’un membre du couple présidentiel ou encore un vent de discorde conjugale qui monte par effluves au sein de la société camerounaise, équivaut, non seulement à un malaise dans le fonctionnement de l’Etat camerounais, mais aussi à une grosse inquiétude du côté de ceux qui « sont quelque chose derrière quelqu’un ou quelqu’une ».
La « Une de Cameroon Tribune » et les cérémonies bien orchestrées par le pouvoir sont donc des signes que ce pouvoir lui-même fonctionne aussi à la rumeur et la crédibilise, étant donné que ce retour mis en scène en grandes pompes a pour but de stopper un malaise qui ronge le pouvoir présidentiel en jetant le doute sur la cohésion du couple présidentiel.
Le tour de magie dans tout cela est d’envoyer, via
la presse officielle, tant le message que l’image représente la réalité
de la vie, que le signal politique selon lequel si le couple
présidentiel est uni et en bonne santé, alors le Cameroun tout entier
est uni et en bonne santé.
Là s’abîme le retour triomphal face à la têtutesse de la réalité nationale vécue.