L’ancien
Archevêque de Yaoundé a été contraint de quitter ses charges
pastorales. Rome semble l’avoir sacrifié sur l’autel d’un besoin de
crédibilité pour l’Eglise. Les plus hautes autorités sont probablement
soulagées. Enquête.
Est-ce la descente aux enfers de Mgr Tonyè Bakot? Sans doute faudra-il
suivre la prochaine sortie du prélat pour être fixé sur son avenir
immédiat : sauf changement de dernière minute, le désormais Archevêque
émérite de Yaoundé dira une messe dimanche 4 août 2013 à 9 heures, à la
paroisse Saint Ignace de Nkoulou, à quelques encablures de Yaoundé sur
la route de Mfou. Arrêté de longue date dans le cadre de la fête
patronale de la paroisse, le déplacement de Mgr Tonyè Bakot, ne sera
plus revêtu du sceau d’une «visite pastorale», mais aura valeur de
«visite privée». L’ancien Archevêque de Yaoundé, qui sera accompagné de
Mgr Roger Pirenne, Archevêque émérite de Bertoua, aura auparavant reçu
la «juridiction», sorte d’autorisation, de la part de Mgr Jean Mbarga,
en sa qualité d’Administrateur Apostolique de l’Archidiocèse de Yaoundé.
En vertu de la même «juridiction », Mgr Tonyè Bakot aura célébré un
mariage samedi dans la ville de Yaoundé. Une série d’ajustements
imprévus dans l’agenda de ce prélat quelques jours plus tôt…
Tout a basculé le lundi 29 juillet 2013. Celui qui est encore, aux
premières heures de la journée Archevêque de Yaoundé, s’apprête pour son
bureau à la centrale diocésaine des œuvres. Il ne sait pas que les plus
hautes autorités du pays ne se sont pas opposées à ce qui va
apparaître quelques minutes plus tard comme sa disgrâce. Jour ordinaire
pour l’Archevêque métropolitain à première vue. Son téléphone sonne.
Un proche du Prélat- vraisemblablement son chauffeur- décroche. Au
bout du fil, une voix de la Nonciature apostolique demande que
l’Archevêque prenne contact avec la représentation du Vatican à Yaoundé.
Informé de ce qui s’apparente à une sollicitation en urgence, Mgr Tonyè
Bakot renoue le contact avec la Nonciature : il se peut qu’il veuille
s’y rendre.
Mais Mgr Piero Pioppo coupe court: c’est plutôt lui le Nonce Apostolique qui est en route pour le bureau de l’Archevêque. Quelques minutes plus tard, un huis clos réunit, à la Centrale Diocésaine des Œuvres, Mgr Piero Pioppo, Mgr Jean Mbarga, (évêque d’Ebolowa arrivé dans la capitale la veille en réponse à un appel du Nonce Apostolique), et Mgr Tonyè Bakot. Dès lors, tout va vite. Très vite même. Le Nonce apostolique donne la teneur de correspondance de circonstance, par laquelle – selon les usages en vigueur au sein de l’Eglise catholique- le Saint Père consacre la renonciation de l’Archevêque de Yaoundé, et nomme Mgr Jean Mbarga Administrateur Apostolique sede vancate du même Archidiocèse. Mgr Bakot appose sa signature sur le document qui doit être retourné à Rome. La passation de service entre les deux prélats s’effectue. La nouvelle est rendue publique quelques temps après. La fin d’une époque. Le début d’une nouvelle ère.
Dans la foulée, le nouvel Administrateur Apostolique tient une première réunion avec les plus proches collaborateurs de Mgr Bakot. Il tient un discours d’engagement et de solidarité. Les premières mesures sont prises. Elles visent, comme c’est de coutume, ce que l’on considère comme des postes sensibles. Elle touche les vicaires généraux : parmi les trois, Mgr Jean-Claude Ekobena est nommé « porte-parole » de l’Archidiocèse. Jusque là numéro deux parmi les Vicaires, il occupe de facto une position éminente. Mgr Jean Mbarga, évêque d’Ebolowa par ailleurs, tient un « substitut » à l’Archidiocèse de Yaoundé. Ce n’est pas tout.
L’Abbé Antoine Evouna, jusque là recteur de la
cathédrale notre dame des victoires de Yaoundé, est remplacé son
confrère François-Xavier Olomo, chancelier et recteur du sanctuaire du
sacré cœur de Mokolo. Encore ne s’agit-il là que des positions les plus
en vue. Et si la Procure diocésaine est provisoirement épargnée, c’est
en raison de la mise sur pied d’un « Comité de gestion » chargé de
conduire un audit interne très attendu par Rome, dans les meilleurs
délais.
Habituée aux mystères, l’Eglise catholique garde encore tous les secrets
de cette renonciation, que prosaïquement on peut considérer comme une
démission. Certes elle avait déjà été fortement été envisagée peu avant
la visite du Pape Benoît XVI au Cameroun en mars 2009. Mais elle ne
semblait plus d’actualité. Du moins pour les regards de profanes. Au
milieu de tant de grilles de lecture, et face à une herméneutique
débridée, mieux vaut s’en tenir à une exégèse informée. En règle
générale, la renonciation d’un évêque peut intervenir dans trois cas :
la limite d’âge (75 ans révolus, il présente alors sa démission au Saint
Père) ; les soucis de santé, ou alors des raisons personnelles. Or, il
est évident qu’à 66 ans, Mgr Simon-Victor Tonyè Bakot, n’était pas
concerné par le premier cas de figure. Quant au second cas scénario, il
n’est pas acquis que le désormais Archevêque émérite de Yaoundé, certes
victime d’un grave accident de la circulation, se plaignait
particulièrement de quelques ennuis de santé. «Un euphémisme », souligne
un de ceux qui l’ont côtoyé au quotidien.
Reste alors la troisième hypothèse : les convenances personnelles.
Celles-ci peuvent revêtir trois formes : soit que le prélat ne parvenait
plus à travailler dans la sérénité de manière à donner la pleine mesure
de son engagement ; soit qu’il estime lui-même avoir manqué de fidélité
à l’Eglise et ne souhaite scandaliser ni l’opinion, ni l’Eglise par ses
compromissions ; soit enfin que les dites compromissions affectent la
gestion et la conduite des affaires de son diocèse, et il est donc
poussé à la renonciation par laquelle Rome lui aménage une porte de
sortie et sauvegarde l’honneur de l’Eglise. Et selon toute
probabilité, la renonciation de Mgr Simon-Victor Tonyè Bakot se
rapproche du dernier scénario. Su du moins on se rappelle le contexte
dans lequel intervient sa chute : un lynchage médiatique en règle, mais
peut-être pas usurpé en raison de l’accumulation de malheureux choix et
de foireuses options managériales ; une gouvernance décriée, marquée
par l’association du nom de l’ex Archevêque de Yaoundé à des «affaires»
relevant de l’Opération épervier ; l’embarras et la lassitude des plus
hautes autorités qui pourtant ont apporté leur appui à la vie de
l’Archidiocèse en proie à une impitoyable sinistrose.
Cette fin de règne peu glorieuse ouvre-t-elle pour autant un nouvel
horizon pour l’Archidiocèse de Yaoundé ? Les avis informés recommandent
la circonspection. Mgr Jean Mbarga, fils de l’archidiocèse, ancien
Recteur du Grand séminaire de Nklolbisson, ex économe de l’Archidiocèse,
et ci-devant Vicaire général de Mgr Simon-Victor Tonyè Bakot, concentre
à lui tout seul tant d’atouts précieux pour ses tâches d’Administrateur
Apostoliques. Un poste d’observation, sans doute.