Religion: Au cœur du phénomène Tsala Essomba
YAOUNDE - 24 NOV. 2010
© G. A. B | Mutations
Honni ou célébré, le patron du «ministère international va et raconte» alimente, depuis des mois, les conversations dans les chaumières de la capitale et au-delà.
© G. A. B | Mutations
Honni ou célébré, le patron du «ministère international va et raconte» alimente, depuis des mois, les conversations dans les chaumières de la capitale et au-delà.
La route qui mène au siège de l’Association camerounaise pour la traduction de la Bible et l’alphabétisation (Cabtal), située au quartier Mvan-Tropicana à Yaoundé, est sans conteste l’une des plus fréquentées de la ville depuis quelque temps. Par milliers, des personnes déferlent sur cette artère serpentant pour se rendre au «ministère international va et raconte», située à 300m de l’axe principal. Comme s’ils avaient le diable à leurs trousses, les adeptes de cette église du réveil avalent généralement ces quelques mètres à une vitesse supersonique, pour rallier le temple bâti sur le «rocher Guilgal». L’enseigne, sertie de pierres enveloppées d’un halo de jets d’eau, capte l’attention du visiteur. Quelques pas plus loin, un immense hangar a été érigé avec, sur les abords, quelques dépendances où trônent des portraits de Tsala Essomba et de son épouse, sous une apparence quasi-angélique. Le site est cerné par des «huissiers», sorte de vigiles qui s’assurent que l’ordre ne souffre d’aucune perturbation. Cette nuit, le pasteur Tsala Essomba a fait venir des collègues de la République démocratique du Congo. Devant des milliers de personnes assises à perte de vue, le prédicateur déploie ses cordes vocales. Dans le micro, il crache à tue-tête devant la foule visiblement conquise. «Nous proclamons la mort des sorciers, donnez votre vie au Seigneur et rien ne vous arrivera. Si les sorciers ont mis des oiseaux dans votre ventre pour que vous n’accouchiez pas, nous allons vous délivrer. Nous allons écraser vos ennemis!» Dans une concentration quasi-ésotérique, les fidèles répondent chœur à la moindre sollicitation du pasteur. L’osmose est totale et la relation fusionnelle. Et puis arrive l’instant où le pasteur demande aux fidèles de «mettre l’argent dans le panier», s’ils veulent «que le coq qui se trouve dans le ventre soit éliminé», s’ils veulent que les prophéties qu’ils disent se réalisent en leur faveur. Equipés de besaces et paniers, quelques apôtres se faufilent entre les sièges en plastique pour recueillir les donations. Les prêches enflammés sont généralement entrecoupés de chants où le nom de Dieu est scandé à tout rompre. Vers la fin de l’homélie, l’officiant du jour appelle l’assistance à «parler en langue». Par des gestes cabalistiques et des onomatopées, les adeptes entrent littéralement en transes. L’ambiance devient alors lourde, et le nouveau venu croit assister à un bal de vampires. A la fin du culte, les fidèles reprennent le chemin du retour à bord de leurs véhicules, luxueux pour certains, mais surtout à pied, après avoir été oints pour la plupart d’«huile sainte». Beaucoup tiennent délicatement une bouteille d’«eau bénite». Pour retourner chez eux, des dizaines d’adeptes éprouvent tout le mal du monde à trouver un taxi à partir de Mvan-Tropicana. Les mieux disants sont les premiers ramassés. Selon l’un des communicateurs du ministère international va et raconte, le lieu accueille «au moins 5000 personnes chaque jour». «Les prédications vont de 16h à 21h. Les gens viennent de plus en plus, et nous avons été obligés d’agrandir l’église. Au départ, notre capacité d’accueil était réduite», explique-t-il. «L’église est divisée en deux camps : les Etats-Unis, où se retrouve le petit peuple et le Trône, qui est réservé aux Vip. Ceux qui sont au Trône sont naturellement ceux qui cotisent le plus, pour entretenir le pasteur et pour la vie de l’église. Mais les autres versent également de l’argent: Au moins 5000Fcfa, chaque mois. Multipliez cela par le nombre de fidèles, vous verrez ce que ça donne», indique un adepte. Témoignages Et il insiste pour ne pas être cité, car dit-il, «le pasteur a dit qu’il va maudire tous ceux qui donnent des informations à la presse». De lui, on apprendra également que tout se paye ici: «La bouteille d’eau minérale, qui coûte 400Fcfa sur le marché, est vendue à 1000Fcfa. Les pasteurs refusent que nous apportions des bouteilles d’eau de la maison, car ils déclarent que l’eau qui vient de l’extérieur de l’église est souillée.» Le jeune informateur explique son adhésion au Mivr par une multiplicité de problèmes existentiels: «Rien ne marche dans ma vie. J’ai des diplômes, mais je n’arrive pas à trouver du travail. J’allais à la messe chez les catholiques, j’ai fréquenté des marabouts, mais je n’ai pas eu de solutions. Une amie, qui était en quête d’un visa pour l’Allemagne, m’a alors conseillé de la suivre ici. Elle a fini par obtenir un visa pour son voyage. Quant à moi, je ne pense pas que je suis déjà délivré.» Sylvie, autre adepte du Dr Tsala Essomba, a des problèmes de procréation qui menacent de faire imploser son ménage : «Je suis régulière au culte. J’ai déjà dépensé beaucoup d’argent pour que mon problème soit résolu. J’attends encore.» Dans les rues de la capitale, des faits, plus ou moins réels, circulent pour célébrer ou invalider les prodiges du Mivr. L’on raconte ainsi, par exemple, qu’un célèbre artiste musicien, à la veille de sa condamnation, en France, dans son procès pour viol sur mineure, s’est rendu, à l’appel du célèbre pasteur, au centre Va et raconte pour une imposition de mains censée le soustraire de ses ennuis judiciaires. Malgré la forte somme d’argent remise et «le geste salvateur» du pasteur, l’artiste, qui se croyait immunisé face aux magistrats, fut condamné à 10 ans d’emprisonnement avec mandat d’arrêt à l’audience. Légende ou réalité ? Difficile de savoir. En dehors du siège du Mivr, le pasteur Tsala Essomba fait également foule au Palais polyvalent des sports, à l’occasion de soirées dites de prières et de délivrance, ou encore de séminaires de délivrance et de guérison. Affiches, banderoles et spots audiovisuels annoncent généralement ces événements. Envoûtements, mauvais sorts, rien n’échappe aux rites d’exorcisme du Dr Tsala Essomba, qui se déroulent le plus souvent de 17h à l’aube. Et des témoignages emplissent. Florilège. Joseph-Marie B.: «Guéri de la démence mentale, frappé d'une emprise d'envoûtement (kong), je suis arrivé à Va et raconte il y a deux mois enchaîné et délirant. Aujourd'hui, je suis délivré de cet envoûtement et guéri de la démence mentale. Je remercie le Seigneur Jésus de Nazareth pour avoir fait honte à mes ennemis»; Martial: «Des serpents étaient dans mon corps. J'avais été lapidé par mon oncle en sorcellerie. Il a mis des serpents dans mon corps de telle manière que j'étais devenu un dépotoir de totems. Le jour où je venais à Va et raconte, j'étais encore à 300m d'ici et j'ai commencé à ressentir des manifestations sur mon corps. Depuis que je suis là, tout va bien et je rends grâce au Dieu de papa»; Séraphine: «Le Dieu de papa est puissant. Issue d'une famille polygamique, j'ai connu une enfance très difficile et même pour obtenir mes diplômes, cela n'était pas facile. Après avoir bataillé, j'ai pu en obtenir quelques uns cependant le chômage me liait. Depuis que j'ai posé mes pieds ici, ma vie a basculé. C'est ainsi que j'ai fait un rêve dans lequel la troisième femme de mon père me disait : Reprends tes diplômes du gouvernement. Bien aimés, je ne compte pas le nombre de fois que j'ai eu à présenter les concours dans ma vie. Mais le Dieu de papa est puissant. J'ai été admise à un concours avec mention, et j'ai droit à une bourse. C'est pour cela que je suis venue rendre gloire à Dieu.» Conforté par ces témoignages, le Dr Tsala pavoise. Et la «bonne nouvelle» se répand de bouche à oreille. La controverse enfle également. Un témoin raconte ainsi avoir reconnu son voisin pendant un séminaire. «Je le savais tout ce qu’il y a de valide. Et puis, ce jour-là, je l’ai trouvé là-bas qui se déplaçait avec des béquilles. Il les avait d’ailleurs jetées au sol, au moment où le pasteur avait demandé aux handicapés de marcher, démontrant par là la toute-puissance du Dr Tsala Essomba. Une fois au quartier, je lui ai demandé la raison de ce manège. Il m’a fait savoir qu’on l’a payé pour jouer ce numéro.» Pour lui, «tant pis pour les naïfs, moi je cherche de l’argent», avait répondu le comédien à sa voisine le lendemain. Jusqu’où ira le pasteur Tsala Essomba? La question s’impose désormais, au vu des drames familiaux mis sur son compte. Dr Tsala Essomba: Ministère et boule de gommeCélébré au départ pour ses «prodiges», le pasteur est de plus en plus critiqué. Un séminaire dit de guérisons et de délivrances est annoncé au Palais des sports de Yaoundé le 31 décembre prochain. Pour l’occasion, le Dr Tsala Essomba, qui se prénomme Martin, a invité le célèbre pasteur nigérian T.B. Joshua. Cet événement bouclera l’année 2010 du ministère international Va et raconte. Une année au cours de laquelle le Dr Tsala Essomba a fait feu de tout bois. Outre les «miracles» dont lui seul détient le secret, l’on retiendra, surtout, à l’actif du fondateur du Mivr, cet appel à la mobilisation en faveur du président Paul Biya, dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. «Mon devoir est de soutenir le président de la République, que Dieu a mandaté. Et comme je sais que le président de la République œuvre pour la paix et que réellement il travaille pour la paix, je dois absolument le soutenir et demander à tous les Camerounais de bonne volonté de le faire», déclare-t-il. Le Dr Tsala présente d’ailleurs le chef de l’Etat comme «l’homme qui a sacrifié toute sa vie pour le bien-être des Camerounais. Si aujourd’hui tout le monde suivait le chef de l’Etat et partageait sa vision, le Cameroun serait très loin. La vraie politique respecte l’autorité, donne des conseils, suit et supporte la vision du premier magistrat». Et de conclure : «Je lance un vibrant appel à tous les Camerounais, chrétiens ou non, à s’inscrire sur les listes électorales afin de voter pour le président Paul Biya à la prochaine élection présidentielle.» Malgré la volée de bois vert suscitée par cette incursion du «serviteur de Dieu» dans la sphère politicienne, le Dr Tsala Essomba continue de faire son trou. Son ambition immédiate : parcourir les dix régions du Cameroun avant juin 2011, pour prêcher aux Camerounais «la soumission aux autorités et le travail pour le réveil et la paix dans notre nation afin qu’il n y ait pas de désordre au cours des prochaines élections». Le natif de la Mefou et Akono a également investi le champ social. Sous le couvert de son Ong, il fait des remises de dons à des orphelinats, de médicaments à des centres hospitaliers, de matériel informatique ainsi que de fournitures scolaires à des écoles. Mais ce quadragénaire débonnaire, qui dit combattre les puissances des ténèbres, reste peu disert sur sa fortune personnelle. Les «prodiges» et les prêches de cet homme, marié et père de plusieurs enfants, sont régulièrement retransmis sur les ondes de Canal 2 international et Radio environnement. Il envisage, signale l’un de ses attachés de presse, d’ouvrir une radio et une télévision très prochainement dans la capitale en plus du magazine de son ministère. Le projet, à l’en croire, serait «très avancé». «Dieu m’a béni en me donnant l’onction, et quand Dieu te donne l’onction, tu as toute la richesse du monde», avait-il psalmodié au cours d’une conférence de presse en octobre dernier à Yaoundé. Activiste en diable, «l’homme de Dieu» s’est également retrouvé, en avril 2010, sur le champ de la réconciliation, avec le président Idriss Déby Itno, de rebelles tchadiens vivant au Cameroun. Tout a commencé par le livre : «Va et raconte ce que j'ai fait pour toi», paru aux éditions «Paroles de vie» (France) en 1992. L’auteur y raconte comment il a été miraculeusement sorti d’une situation dramatique: «J'étais le bras droit de Satan, je mangeais à sa table et Jésus m'a sauvé.» Selon des témoignages concordants, celui qui revendique le titre de «docteur en parole [divine]» et qui serait, en réalité, naturopathe de formation, a semé tour à tour la «bonne nouvelle» en Côte d’ivoire, au Togo, au Burkina-Faso et au Gabon. Dans le dernier pays cité, une source crédible indique qu’il a été «chassé par les autorités pour imposture». Son installation au Cameroun remonterait à 2005. «Il réunissait alors à peine 300 personnes au foyer Bandjoun. Il était ouvert, accessible. Aujourd’hui, il fait le plein du Palais polyvalent des sports de Yaoundé. Je pense que c’est l’argent qui l’a dévoyé», affirme un adepte de la première heure du Mvir. A propos de lui, l’abbé Janvier Nama, prêtre à l’archidiocèse de Yaoundé, s’est voulu cinglant dans les colonnes de Le Jour: «Vous parlez du nouveau Dieu camerounais ? Le profil spirituel de ce personnage me semble douteux. J’apprends qu’il est célèbre par ses déclarations extravagantes, ses délires mystiques et ses prétentions messianiques. J’ai l’impression avec lui que le Cameroun est une vaste République sous l’emprise des démons avec sa cohorte de ‘possédés’ qu’il se démène à exorciser. En plus, les sommes d’argent brassées lors de ses séances d’incantation, ses tentatives de collusion avec l’ordre temporel achèvent de disqualifier fortement l’identité prophétique dont il se revendique, entendu que le message chrétien est d’essence subversive. En vérité, j’ai la conviction qu’il n’est là que pour vampiriser les dernières énergies qui restent encore à ce peuple. En définitive, il me rappelle moins le prophétisme authentique que l’imposture.» Dans un communiqué lu le 21 novembre dernier dans toutes paroisses de l’archidiocèse de Yaoundé, l’archevêque métropolitain, Victor Tonye Bakot, mettait également en garde la communauté catholique contre les pratiques de cet «imposteur néo-pentecôtiste». |