Chauffeurs et agents en service aux postes de péage multiplient les techniques de détournement des recettes. En réaction, dans la région de l’Ouest, la police des polices s’est lancée aux trousses des policiers affectés au péage routier. Les fonds saisis sur eux sont reversés au trésor public.
A travers le pays, les chauffeurs multiplient des trésors d’ingéniosité pour contourner le paiement du péage routier au montant légal. Il suffit, à en croire Raoul Patrick, un transporteur sur la ligne Douala-Bafang, « d’appuyer 300 F dans la paume de main de l’agent du péage et ne pas réclamer de ticket pour passer la barrière. Là, je ne perds pas assez et lui aussi a quelque chose dans ses poches ». A certains péages routiers, l’argent est remplacé par des gadgets publicitaires ou des bouteilles de bière, sans ticket. Certains transporteurs de boissons y laissent tout simplement des « capsules gagnantes » de bière. «Chaque fois que je franchis un péage routier, je laisse une ou deux bouteilles de bière et n’ai plus besoin de payer. Et en retour, je ne reçois aucun ticket. Je renouvelle l’expérience à chaque contrôle de police et distribue ainsi environ 20 bières entre Douala et Bamenda », se vante sous anonymat un transporteur de produits brassicoles. Ce faisant, conclut-il, il dépense moins que s’il fallait payer en espèces.
Autre technique de détournement : des transporteurs, surtout ceux des entreprises qui paient régulièrement leurs tickets, les revendent plus tard aux agents du péage. « Je revends un vieux ticket à 100 F. Par exemple, 30 à 3000 Fcfa. L’agent du péage les revend à 500 Fcfa ou 300 Fcfa aux autres usagers pour distraire la vigilance des éventuels contrôleurs », confesse sous anonymat un transporteur de la région de l’Ouest. Et d’ajouter aussitôt : «Ce n’est pas bien. Mais nous sommes au Cameroun, chacun doit se débrouiller ». Pour cet agent en service au péage de Bandja, près de Bafang, «Nous motivons nos chefs pour être affectés au poste de péage. Il nous faut récolter ce qu’on va leur verser avant de voir comment faire pour nourrir nos familles. Mais nous nous battons toujours pour qu’en fin de journée, les caisses de l’Etat reçoivent quelque chose ».
Contrôles inopinés
Parcourir ainsi des centaines de kilomètres sans disposer du moindre ticket de péage routier aurait pourtant été préjudiciable pour ce transporteur. Une loi de 1992, et un décret du Premier ministre de 1993 prévoient des sanctions pour les transporteurs véreux. « Le franchissement de tout poste de contrôle de péage est subordonné à, la présentation d’un ticket d’une valeur de cinq cents (500) francs CFA émis par le Ministre chargé des finances. Ce ticket doit être aussitôt poinçonné », précise l’article 3 du décret. Mais dans les faits, souligne le juriste Aimé Nganteu, « les fraudeurs ne le font pas. Et ils ne payent pas six tickets à titre d’amende de franchissement frauduleux comme le dispose la loi ». Car jamais inquiétés.
En revanche, ceux qui le sont dans la région de l’Ouest, ce sont les agents de police affectés aux péages routiers. Ils redoutent à tout moment des contrôles inopinés du service régional « contrôle des services » de la délégation régionale de la sureté nationale de l’Ouest. A raison. Le 12 juin dernier, des contrôles inopinés ont eu lieu dans les postes de péage situés entre Bafoussam et Bafang. L’opération a permis de récupérer sur les hommes en tenue affectés sur ce tronçon, plus de 300 000 F. Assimilés à de l’argent extorqué aux usagers de la route, cette somme devait être, selon des sources internes à cette unité de « la police des polices », reversée au Trésor public. « Il faut que chaque fonctionnaire camerounais apprenne à vivre de son salaire », recommande sous anonymat l’un des membres de cette équipe, déterminé à combattre toute velléité de corruption chez les fonctionnaires de la police.
Bon résultat en 2013
Depuis quelques années, cependant, grâce au Programme de sécurisation des recettes routières, au déploiement des missions de la Commission nationale anti-corruption, et du contrôle supérieur de l’Etat, reconnaît un agent en poste au péage de Bandja, « il n’est plus facile de tricher ». Et surtout, ajoute-t-il, « Avec les primes octroyées, des efforts ont été faits ces derniers années». Résultat, en 2013, les recettes du péage routier ont augmenté de plus d'un milliard de Francs cfa comparé à l’année 2012.