Regards: Nnom Ngii et Nyia Meyong

DOUALA - 24 JAN. 2011
© Suzanne Kala Lobe | La Nouvelle Expression

Nnom Nguii et Nyia Meyong: ce sont les nouveaux patronymes que le chef de l’Etat et son épouse ont ramenés d’Ebolowa.

Nnom Nguii et Nyia Meyong: ce sont les nouveaux patronymes que le chef de l’Etat et son épouse ont ramenés d’Ebolowa. Deux titres qui en disent long sur l’imbrication de la république avec les structures d’autorité bantoue que les uns et les autres mélangent allègrement sans qu’ils n’y voient aucun inconvénient pour les règles de la République !

Le sacro-saint syncrétisme culturel nègre a mal à la modernité et se raccroche à des titres de noblesse qui ne correspondent plus à un rapport social réel. Mais les titres sont là, les rites aussi et les mythes sont rongés par le silence de l’ignorance. Biya venait fêter les Seigneurs de la terre et il est devenu otage des rituels de la terre de ses ancêtres. Regards sur une actualité ambiguë gonflée de signes, de sens et de faits propres à bouleverser les paradigmes de nombreux ethnologues, anthropologues et politologues.

Le comice agropastoral d’Ebolowa a fermé ses portes samedi 22 janvier 2011. Les traînées de poudre accumulées sous les chaussures des exposants, des passants, des délégations, vont tracer l’histoire de cet événement qui fut au carrefour de plusieurs enjeux symboliques, politiques, culturels et sociaux. Le fait que la ville d’Ebolowa, se soit muée en une capitale de la mythologie bantoue de la fantaisie camerounaise, de l’approximation des drapeaux vert, rouge, jaune, peut donner lieu à une lecture intéressante du Cameroun tel qu’il est : avec ses ors et ses heurts , ses mythes et ses rites . Ses croyances et ses prétentions. Ses suffisances et ses faiblesses. Le comice fut donc, pour qui sait lire, un vaste rendez-vous du sens ! En une semaine on a vu défiler les symboles d’un pays pauvre très endetté ainsi que les politiques qui ont enfoncé son potentiel détruit ses terres, et des gouvernants tentés de jouer la montre pour rattraper le temps perdu ! Et si la Fête fut belle, ce fut comme un exorcisme. Une manière de conjurer les dieux et le sort. Malgré le rythme, la foule, le cadences, le comice d’Ebolowa en dit plus sur l’Etat du Cameroun que de nombreuses analyses. Mais qui y a fait attention ? Prenons seulement le sacre ancestral du président par les chefs traditionnels.. Nouveaux sages de la République qui on fait Paul Biya Nnom Nguii...


Nnom Nguii ? Arrêtons-nous un instant sur ces acteurs, leur rôle et leur jeu dans ce système de références..

Il était une fois les croyances des peuples fang-béti : ils avaient leurs cosmogonies, leur système de référence. ils avaient leur manière de penser d’organiser l’autorité, de désigner leurs représentants de cette autorité et de définir leur champ de compétence. On sait à partir de la lecture d’un certain nombre d’ouvrages les procédés de construction du système de représentation de l’autorité et des acteurs qui en jouent le rôle. Si le comice a suscité de nombreux débats quant à la politique agricole de l’Etat , sa manière de jouer en les utilisant, des espaces rituels d’une communication moderne , la question de l’intronisation de Paul Biya par ses frères du sud, fera l’objet de ces Regards .

Car ce qui a frappé, dans la procédure d’intronisation, ce sont les acteurs qui lui ont attribué ce titre de Nnom Nguii… La légende veut que cela signifie : « le maître suprême de la science et la sagesse millénaire de la région du Sud. » En d’autres termes le Nnom nguii a un rôle capital dans la cosmogonie fang-béti. Mais quel est-il ? Et pourquoi les ministres Fame Ndongo, Belinga Eboutou, Jacques Ndoudoumou, furent-ils les chefs qui consacrèrent Paul Biya Nngom Nguii? Quelle est leur place à eux dans le système de référents traditionnels de l’autorité ? Quel rôle ont-ils joué ? Et comment ces deux formes d’autorité cohabitent-elles à la tête de l’Etat républicain du Cameroun ? Car au-delà des apparences, loin, plus loin que les mouvements des bœufs , des vaches et des chèvres et même celui des hommes , il a y eu cette cérémonie d’intronisation à laquelle Paul Biya a consenti, faisant perdre aux participants au Comice , des tonnes de secondes , des kilos de minutes et quatre bons kilos d’heures ! parce que l’animation du Comice était suspendue à ses pas , ses visites , ses émois, et ses rencontres .

Dans un essai de compréhension des fondements de la cosmogonie fang-béti, on explique la construction système de croyance en parlant de trois divinités, trois représentations qui symbolisent chacune un attribut du « dieu créateur »… agissant comme des divinités secondaires. Il y a Andee, bakungu mevunden ou ndong mba et le ngun nemelan, qui veille sur les être et enfin le nguii ou nguil, qui est censé être une entité qui pouvait guérir toutes les maladies connues et venger la société contre les ennemis éventuels. C’était un garant de la sécurité et de la stabilité sociales..

Tout est dit dans cette explication : le titre reis à, Pal Biya est un acte d’allégeance de plus, de ces élites qui appellent à gorge déployée leur chef à exaucer entendre leur appel : Paul Biya must not go ! . Voilà le sens que lui donnèrent Fame Ndongo, Beluinga Mébutu et Jacques Ndudumou ! Mais pour la compréhension des citoyens républicains tout cela restait un peu… risible ! Paul Biya se livrait-il pieds et poings liés à sa tribu originelle ? Validait-il cet ethnocentrisme rampant des gens de son clan ? Qui adoubait-il en même temps qu’il était adoubé ? Validait-il ainsi une version ethnocentrique du pouvoir ?

Pour répondre à toutes ces questions il faut revoir le dispositif actuel de la technostructure qui forme l’armature du système de de Paul Biya. Les rapports de forces à l’intérieur de celle-ci, la sédimentation des factions et les modes sur lesquels ces factions agissent pour avoir le contrôle du jeu politique.

Dans son célébrer « Les Règles du Jeu Politique », édité en 1924 (!!) Frédéric George Bailey met en exergue l’existence en politique de plusieurs types de réseaux (filières d’alliances) et de cadres référentiels qui irriguent le jeu et conditionnent la production de toute décision. Il y souligne : « la mise au jour d’un modèle de compétition politique universellement valable à travers l’espace et le temps. Par la mise en évidence de règles structurales communes à chaque société dans le contexte de la lutte pour le pouvoir, il existe d’une organisation méthodique et intelligible de la compétition. Il opère un dépassement des expériences et doctrines politiques particulières pour construire l’objet de son étude. Celui-ci résidant, des particularités culturelles jusqu’à l’universalité structurale, dans la découverte des règles communément admises qui régissent cette compétition, la façon d’y prendre part et surtout de l’emporter. Ainsi peut-il construire son modèle de lutte pour le pouvoir. » En choisissant de hisser Paul Biya au rang de Nnom Ngiii, le clan bulu, entre dans la compétition politique en activant des ressorts ancestraux qui n’ont qu’une valeur mystique t symbolique.

La grosse question reste de comprendre pourquoi, Paul Biya le républicain a accepté une telle charge ? La réponse en ces périodes d’incertitudes quant à l’adhésion populaire est bien simple. A défaut d’une adhésion populaire à son dernier mandat, Paul Biya a besoin, d’une onction religieuse pour son dernier mandat. Il a besoin de vêtir celui-ci de toutes sortes de symboles propres à émouvoir un peuple, aussi stupidement superstitieux que le peuple camerounais. En organisant le comice enfin à Ebolowa, avec le succès populaire que fut cette manifestation, Paul Biya et son épouse, faits respectivement Nom Nguii et Nyia Meyong ont communiqué pour communier avec le peuple du sud, sur un cadre de références communes. Cependant la question du contrôle de son propre camp reste ouverte. Avantage a été donné par cette cérémonie d’intronisation au clan bulu, qui le serre de près. Mais comment Paul Biya va-t-il donner des gages aux autres de manière à ce que son départ ne soit pas une terrible guerre de succession égoïste ? Toute la lourde charge de son acception du titre de Nnom Nguii est là. Il ne faut pus attendre voir. Il faut agir pour le Cameroun de demain. Peut-être sera-t-il secouru par sa Nyia Meyong ?



09/03/2011
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