Regards : Aladin est mort. Chacun son tour ou chaque chose a son temps !

Douala - 26 Juillet 2010
© Suzanna Kala Lobè | La Nouvelle Expression

Les artistes effleurent l’histoire. Leur façon délétère presque éthérée d’influencer le cours de la vie, de structurer des images, des représentations et de susciter admiration et passion, n’accroche pas autant que les acteurs sociopolitiques.

Ceux-ci, parce qu’ils ont pris parti à un moment ou un autre, parce qu’ils peuvent symboliser les points de vue d’une partie de l’opinion et forcément le désaccord de l’autre, ont des morts secouées par des polémiques acides. Le débat intellectuel aurait pu être enrichi. Mais il est aujourd’hui phagocyté par ceux qui veulent semer la confusion : on ne prendrait position au Cameroun que pour défendre son frère du village ou critiquer celui qui n’est pas du même village. En osant dire ses divergences avec une icône, on ferait le jeu de l’ennemi.

La mort de Puis Njawé a donné lieu à une déferlante dithyrambique qui n’a de sens que parce que toute une génération, une partie de l’opinion a sublimé, béatifié le combat de celui qui fit ses armes avec quelques-uns de ces compagnons encore vivants. Qu’il reste celui à qui l’on doit la promotion de la presse indépendante, de la liberté d’expression , ne regarde que ceux qui voit ,dans l’histoire des luttes sociales la prééminence d’un héros. C’est une conception de l’histoire ! Et une approche sectaire et subjective de l’histoire des combats des peuples. Écrire ces mots, je sais, peut provoquer l’ire de nombreux thuriféraires adeptes de la pensée unique, qui refusent que l’on touche aux statues. Qui répugnent à la réflexion et au débat démocratique. Les mots ne sont pas assez durs pour épingler ceux ou celles qui comme moi, n’ont pas soufflé dans des vuvuzela, l’air de l’hagiographie, mais qui ont osé dire leurs divergences avec le journaliste disparu. Cette attitude, il est vrai, est une rupture par rapport aux habitudes culturelles qui veulent que lorsque l’on parle d’un mort, on ne puisse pas discuter des ses convictions. Ou alors dans un somptueux amalgam-negroe pour fabriquer un héros des temps modernes, une figure du patriotisme camerounais, qui a du mal, à avoir des lignes de démarcations claires, il faille surdimensionné les faits d’apparences ! Hier, lorsque l’on parlait des nationalistes upécistes, on savait le contenu de leur lutte, leur trajectoire, leur forme de combat. Aujourd’hui lorsque l’on qualifie le patriotisme, on le limite à l’impact d’un combat conjoncturel comme l’avènement des libertés démocratiques. Sans s’interroger de la manière dont tous ces actes sont produits et survenus.

Peut-on affirmer de manière radicale que tel ou tel acte fut l’élément moteur des acquis d’un combat ? Ne doit-on pas les changements sociaux, à une addition de faits : la mobilisation des forces sur le terrain, qui, corréler à l’intelligence de leaders captent ou potentialise le bon moment pour le transformer r en une force révolutionnaire.

La semaine a été lourde du point de vue de l’actualité : il y a eu les hommages, les réglages, les rectificatifs autour de la cause de la mort de Puis Njawé. !

Des caisses de solidarité sont nées, ici et là. L’intensité émotionnelle est loin d’être tombée et il ne faudrait pas tirer sur l’ambulance. Si le premier sujet de ces Regards était en quelque sorte un « droit de réponse » aux différentes cabales, malentendus et glissements ethno centré dont mes points de vue ont été l’objet, la deuxième actualité est consacrée à Jean Bikoko Aladin, le patriarche décédé jeudi le 22 juillet 2010 à l’Hôpital Central de Yaoundé … Il déclarait qu’il avait 76 ans. Ne les affichait guère. Tandis qu’il était né vers une année quelque part, il aura accumulé aujourd’hui, plus de 85 printemps et saisons et plus sur la terre de ces ancêtres. Jean Bikiko Aladin, était-il un artiste engagé ? A-t-il décrispé le texte chanté en y apportant un métalangage qui lui permettait de dénoncer sans agressivité les « blancs » qui avaient envahi le Nyong-et-Kelé, la guerre, la colonisation ? Etait-il à la différence de Nelle Eyoum et Ebanda Manfred, le premier parolier qui inscrivait ses textes dans la dynamique des luttes pour l’Indépendance ? Là encore, il manque au Cameroun, les spécialistes qu’il faut pour lire l’engeance sociologique des textes de Bikoko, et aux historiens du quotidien la distance qu’il faut pour se départir d’une vision ethno centrée de l’histoire du Cameroun politique. On a vu dans le décès de Puis Njawé, combien parfois l’analyse manquait de mise en perspective. Combien on enfermait son souvenir dans une région et comment on limitait la portée de son combat.

Il est possible que l’on puisse lire aussi les critiques sur et autour d’Aladin, critiques procédant de la même logique sectaire !

Alors commençons à décrypter l’homme et son époque. Ses textes et son art... Déjà, le genre musical auquel on réfère Jean Bikoko Aladin, l’assidu, n’est pas territorialement limité au Nyong-et-Kellé, ni même à la Sanaga Maritime. Car selon les régions d’Afrique de l’Ouest ou centrale, l’assiko a plusieurs sens et peut correspondre à plusieurs genres ou rythmes. Mais quels que soient les historiens de la musique, Jean Bikiko « Aladin » est un des meilleurs représentants du style assiko du sud Cameroun. Un assiko, qui est totalement lié au jeu de la guitare « apporté par les marins portugais, il y a plus d’une centaine d’années et à l’utilisation de bouteilles de verre frappées avec des tiges de métal (voire des fourchettes…) pour donner ce rythme si particulier »…

Jean Bikoko, surnommé « Aladin » du fait de sa virtuosité » et de sa technique de jeu « magique », était considéré comme le créateur de l’assiko moderne. Ensemble musical dans lequel il introduit l’orchestration avec l’apport d’autres instruments rythmiques, comme la batterie, la guitare en lui donnant un beat particulier. Mais ce qui marque encore chez ce poète du Nyong, c’est son bagout, sa manière de chanter : cette manière de parler chanter, qui oscille entre l’incantation et le chant, est une technique bantou très forte en pays bassa. Mieux, Jean Bikoko Aladin, excelle dans le métalangage, il dit sous couvert de constat de vie que “chacun aura son tour” (à son tour le pouvoir ou la part du gâteau?).Son moment. Il profite de l’élan des maquis upécistes en pays bassa, pour enfoncer le clou du refus de l’assujettissement, mais fut-il pour autant un upécistes ? La lecture de ses textes permettra de mieux le comprendre, le situer dans contexte.

Personnage complexe, attachant, Aladin était pourtant un polygame, qui assumait toutes ses femmes comme Fela Anikulapo Kuti ! Et comme Fela, il affirmait qu’il faisait œuvre utile, en donnant à ces quasis jeunes filles, un toit, un champ, un couvert, pour leur éviter de prendre les chemins de traverses de la vie, qui mènent droit dans les lits des puissants. Curieuse manière de voir que celle de Jean Bikoko : mais il était en cela un homme de son temps. Ceux qui n’arrivaient pas à sortir d’une logique conservatrice au nom de la préservation des traditions et de la sagesse ancestrale. Pourtant, Aladin est resté toute sa vie, un insoumis. Libéral, lorsqu’on arrivait chez lui, il est vrai que c’était il y a deux ans, il pouvait lui-même passer à la cuisine, vous servir, parce que sa femme était déjà fatiguée.

Il vivait dans un dénuement joyeux, où malgré tout, les choses de sa vie était entassée dans sa maison de bric et de broc. A côté de ses champs, de sa terre, de son sol. Il fallait traverser Eséka, tourner à ne pas glisser dans la boue et arriver. Lorsque vous atteigniez sa porte, il vous souriant et chantait « « hiki djam ligwe ngwen »... Et vous deviez répondre « ngwen, ngwen »... Alors il partait d’un grand éclat de rire, parce que le déplacement d’un seul ton, pouvait changer le sens du mot. Il disait alors que chacun a son tour. Le temps de tout homme peut arriver. Hier c’était les blancs. Aujourd’hui des haoussas

Et demain…


27/07/2010
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