Refoulé en Libye, Ocampo veut sauver sa peau avec Gbagbo
Le monde entier a été surpris d’entendre le procureur Luis Moreno
Ocampo déclarer à Tripoli que la Cour pénale internationale renoncerait
à juger le fils de Kadhafi relativement au traité de Rome qui accordait
la priorité de poursuite aux juridictions nationales. Qu’en sera-t-il
du cas du président Laurent Gbagbo dont la justice de son pays est
actuellement mieux organisée que celle de la Libye ?
1- La Lybie, un pays détruit, une justice inexistante
La
guerre de Libye a duré plus de dix mois au cours desquels toutes les
administrations ont été détruites et particulièrement l’administration
judiciaire : les locaux qui abritaient jadis les tribunaux sont en
ruines ; les magistrats dont les plus gradés ont servi le régime du
guide pendant quarante ans sont tous en exil ; le barreau n’existe que
de nom parce que les avocats ont fui la guerre pour chercher des clients
à l’extérieur.
C’est dans ces conditions marquées par une absence notoire de justice que la Cour pénale internationale
(CPI) avait lancé au début de la répression contre les populations
civiles, des mandats d’arrêts internationaux contre certaines autorités
libyennes parmi lesquels Saif-al-islam, le fils de Kadhafi. Cette
décision de la juridiction internationale avait été saluée en son temps
par l’Union européenne, le Canada, les États-Unis et les rebelles
libyens regroupés au sein d’un Conseil national de transition (CNT).
Dix
mois après, le constat est que le guide libyen a été atrocement tué par
les rebelles dans des conditions troubles qui ont émues tous les fils
du continent africain mais qui ont paradoxalement enchanté les chefs
d’Etats des pays occidentaux, à la grande indifférence des juges de la
Cour pénale internationale. Le fils de Kadhafi vient d’être arrêté et,
le procureur de la CPI parti à Tripoli dans le but de négocier les
conditions de transfert du prisonnier à la Haye a essuyé le refus
catégorique des nouvelles autorités libyennes qui ne sont autres que
celles qui avaient applaudi l’émission du mandat d’arrêt quelques mois
plus tôt.
Le gouvernement libyen a déclaré que leur pays dispose
d’une justice capable de juger son compatriote. Devant l’intransigeance
des autorités libyennes, le procureur Luis Moreno Ocampo s’est souvenu
brusquement devant les cameras du monde entier, des dispositions
pertinentes du traité de Rome instituant la CPI qui accordait la
priorité
aux juridictions nationales. Le procureur de la CPI dit
avoir pris acte de la volonté des autorités libyennes de juger Saif
al-islam qui était poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre
l’humanité par la CPI.
Bizarrement,
la décision des autorités libyennes et la volte-face du procureur de la
CPI sont applaudies par les pays occidentaux au grand étonnement des
pays africains. Comment expliquer qu’en l’absence d’une justice
véritable et avec en toile de fond une peine de mort inévitable, la
communauté dite internationale et les juges de la CPI renoncent aussi
facilement à poursuivre le fils de Mouammar Kadhafi ? N’a-t-on pas peur
que le fils du guide dans un procès public se livre à un déballage
compromettant pour certaines autorités politiques des pays occidentaux ?
Sinon, de quoi a-t-on véritablement peur pour que les mêmes qui avaient
salué l’émission des mandats d’arrêts contre le clan Kadhafi dix mois
plus tôt, renoncent et se félicitent de la décision des nouvelles
autorités libyennes ?
Pourquoi le procureur Ocampo que l’on sait
inutilement incisif lorsqu’il s’agit de l’Afrique s’est il subitement
dégonflé devant les cameras du monde entier à Tripoli pour renoncer à
poursuivre le fils de Kadhafi ? Avec les arguments qu’il a luimême
énoncés publiquement, n’a-t-il pas renoncé de fait à poursuivre le
président Laurent Gbagbo ? Sinon comment pourra til justifier devant les
mêmes cameras, l’extradition de l’ex-président ivoirien sans violer les
dispositions pertinentes du statut de Rome qu’il a lui-même rappelé
dans le cas du fils de Kadhafi ?
2- La Côte d'Ivoire, un pays avec une justice qui fonctionne mieux qu'en Libye
Contrairement
à la Libye, la guerre en Côte d’Ivoire fut de courte durée et localisée
dans la seule ville d’Abidjan pendant dix jours au maximum. Le système
judiciaire ivoirien a été maintenu intact, il n’a subi aucun dommage
collatéral pendant le conflit si bien que tous les prisonniers
politiques et les prisonniers de droits communs sont détenus depuis sept
mois, dans toutes les prisons du pays dont certaines ont été
réhabilitées avec l’aide de l’Union européenne.
Un grand
redéploiement des magistrats a été opéré il ya bientôt trois mois,
toutes les juridictions fonctionnent normalement et les avocats
assistent régulièrement leurs clients dès leurs interpellations par les
services de police. La preuve du fonctionnement du système judiciaire
ivoirien a été donnée le 16 novembre 2011, par l’organisation de la
cérémonie ordinaire de la rentrée judiciaire, en présence du président
de la République, des membres du gouvernement et de tous les corps
constitués de la République de Côte d’Ivoire.
Parallèlement, le
tribunal militaire ivoirien a régulièrement inculpé et procédé aux
arrestations de plusieurs soldats de l’armée régulière accusés de crimes
de guerre à l’occasion du conflit post électoral. Comme on le constate
et citant le procureur de la CPI, la justice ivoirienne remplit toutes
les conditions et certainement mieux que son homologue libyenne pour
juger le président Laurent Gbagbo et tous les présumés responsables ou
coupables de crimes commis lors de la crise postélectorale.
Ce
n’est donc pas parce que Alassane Ouattara, actionné par son mentor
Sarkozy souhaite voir le président Laurent Gbagbo condamné à la Haye
avant jugement, que les magistrats de la CPI vont avaler le droit pour
violer le traité de Rome et que le procureur Ocampo va agir dans le sens
contraire à sa déclaration de Tripoli déjà enregistrée par le monde
entier.
3- L'extradition du président Laurent Gbagbo est anticonstitutionnelle
L’article 12 de la constitution de la République de Côte d’Ivoire stipule clairement «qu’aucun ivoirien ne peut être contrait à l’exil».
Le président Ouattara en décidant, nonobstant cette disposition
constitutionnelle de traduire à la CPI le président Laurent Gbagbo et
ses proches, est en violation flagrante de la constitution ivoirienne
sur laquelle il a juré.
En décidant d’abandonner le sort de
nationaux ivoiriens entre les mains d’une justice extérieure, Alassane
Ouattara et sont gouvernement les auront contraint à l’exil. Les juges
de la CPI si soucieux comme en Libye, du respect scrupuleux des
juridictions nationales devraient dans le cas de la procédure en cours
contre Laurent Gbagbo, constater qu’ils sont en train de se faire
complice de la violation de la constitution d’un Etat souverain, membre
de l’Organisation des nations unies (ONU) dont la CPI est un démembrement.
Le
gouvernement ivoirien n’a pas constitutionnellement le droit d’extrader
ses citoyens. Les juges de la CPI qui sont des experts du droit
international devraient en prendre acte mais aussi de l’absence de la
ratification du statut de Rome par la Côte d’Ivoire.
4- Aucun ivoirien ne doit être traduit devant la CPI
Le bureau du procureur de la CPI a publié un bulletin le 23 septembre 2009 dans lequel il est écrit que «la
Cour pénale internationale a compétence à l’égard de la situation en
Côte d’Ivoire, en vertu d’une déclaration que le gouvernement ivoirien a
déposé le 1er octobre 2003 au titre de l’article 12-3 et par laquelle
il accepte la compétence de la cour...»
C’est
le lieu d’indiquer aux experts de la CPI que dans la constitution
ivoirienne, il revient au Président de la République (art 84) et à
l’Assemblée Nationale (art 85) de ratifier, chacune des institutions
dans des domaines précis, les traités et accords internationaux.
Lesquels traités ne sont applicables aux citoyens ivoiriens si et
seulement si ils sont ratifiés et publiés au journal officiel de la Côte
d’Ivoire. Or, il n’existe nulle part dans le droit positif ivoirien une
trace du traité de Rome pour qu’il produise des effets sur les citoyens
ivoiriens qui n’en ont pas connaissance. Le traité de Rome est inconnu
dans l’ordonnancement juridique ivoirien, il n’a donc aucune autorité
que l’on qualifierait de supérieure comme la constitution ivoirienne le
prévoit pour les traités et accords internationaux ratifiés.
Il
est aussi important d’indiquer aux juges de la CPI que sur le traité de
Rome et conformément à la procédure prescrite par la constitution
ivoirienne, le conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire a été saisi
par le gouvernement en décembre 2003. Il rendu la décision n°002/CC/SG
du 17 décembre 2003, dans laquelle il a indiqué que «le traité de
Rome ne pouvait être ratifié en raison de l’incompatibilité de certaines
de ses dispositions avec la constitution ivoirienne.»
La
décision du conseil constitutionnel ivoirien s’oppose au paragraphe du
statut de Rome relatif aux Etats qui avaient la possibilité de
reconnaître la compétence de la CPI par simple déclaration. En clair,
les juges de la Haye devraient savoir que les échanges épistolaires
entre les présidents Laurent Gbagbo en 2003 et Alassane Ouattara en 2010
avec la Cour pénale internationale ne compensent pas la procédure de
ratification des traités et accords internationaux telle que prévue par
le législateur ivoirien. Ces deux correspondances ne valent pas
ratification et par conséquent n’engagent pas les citoyens ivoiriens qui
de par la constitution n’ont pas délégué cette compétence au président
de la République mais au parlement (art 85).
Au regard de la
constitution ivoirienne, en l’absence d’une ratification votée par une
loi référendaire ou à la majorité qualifiée au parlement, aucun ivoirien
ne peut être traduit devant la CPI. A cela s’ajoutent, l’impossibilité
constitutionnelle d’extrader les citoyens ivoiriens et le statut de Rome
qui privilégie les juridictions nationales. Les juges de la CPI qui
logiquement devraient être des experts du droit international devraient
en prendre acte en refusant de signer tout mandat d’arrêt contre tous
les citoyens ivoiriens. Qu’en est-il réellement du statut de ces juges?
5- Les juges de la CPI, Hommes Politiques ou Hommes de droit?
Lorsqu’on
observe l’excès de zèle avec lequel la CPI traite les dirigeants
africains, l’on est en droit de s’interroger si la juridiction
internationale est composée de magistrats chevronnés ou des
représentants (ambassadeurs) des pouvoirs politiques auprès de la Haye.
Sinon, comment justifier le traitement différentiel des dossiers
ivoirien et libyen ?
Il est acquis pour l’homme africain que la
CPI est une justice déséquilibrée et partisane à la solde des pouvoirs
politiques occidentaux. C’est ce constat qui a conduit l’Union africaine
lors de son dernier sommet à Malabo en juillet 2011, à signifier sa
désapprobation à la CPI et souhaiter la mise en place d’une Cour pénale
africaine.
Le président du Togo vient encore de le réitérer
publiquement le 22 novembre 2011 à Lomé, à l’occasion de la cérémonie
d’ouverture des Assemblées annuelles du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique(ACP)
et les ambassadeurs des pays de l’Union européenne : l’Afrique n’est
plus prête à livrer ses dignes fils à une juridiction partisane.
Ainsi,
pour l’opinion africaine relayée cette fois-ci par les chefs d’Etat, la
CPI n’est pas neutre, c’est une justice aux ordres des pouvoirs
politiques occidentaux avec laquelle plusieurs Etats, même signataires
du traité de Rome, refusent de collaborer désormais. Sinon, comment
expliquer que malgré le mandat d’arrêt lancé contre lui par la CPI, le
président du Soudan voyage aisément en Afrique alors qu’il est attendu
dans les capitales occidentales pour être conduit à la Haye ?
Lorsqu’on
observe le chantage politique des Etats occidentaux sur les dirigeants
africains nationalistes relayé par la CPI, l’on est en droit de
s’interroger sur la valeur intrinsèque des juges de la CPI.
Sont-ils
de simples exécutants ? Ont-ils vraiment pratiqué le droit dans leurs
pays respectifs ? Les membres du bureau du procureur ont-ils suivi
normalement les cours de droit à l’université ? Ou alors ontils décidé
de sacrifier le droit sur le seuil d’intérêts financiers occultes ?
Sinon, comment expliquer qu’ils soient incapables de dire le droit, rien
que le droit quand il s’agit de dirigeants africains ? Les juges de la
CPI ont il prêté serment et devant qui ? Sont-ils veritablement les
meilleurs magistrats de leur pays respectifs ? Sinon comment justifier
les traitements différents des dossiers du fils du guide libyen et du
président Laurent Gbagbo ?
Dans le cas libyen le procureur Ocampo
a renoncé à la poursuite devant la CPI dès que le gouvernement de ce
pays sur une simple déclaration de compétence a décidé de juger Saif
al-islam. Dans le cas du président Laurent Gbagbo, la constitution
ivoirienne interdit l’extradition de tout citoyen à l’étranger, le pays
n’a pas ratifié le statut de Rome, la justice ivoirienne présente toutes
les garanties pour juger les citoyens et la CPI tergiverse au lieu d’en
prendre acte. Les juges de la Haye au regard du droit et pour le peu de
fierté qu’ils leur reste, devraient simplement prendre acte de
l’impossibilité juridique de traduire le président Laurent Gbagbo et
tous les citoyens ivoiriens devant la CPI.
Le procureur Ocampo dont le mandat s’achève en juin 2012 veut-il épingler un authentique fils d’Afrique à son fusil de chasse après ses échecs retentissants au Soudan et en Libye ? S’il prend le risque de tordre le coup au droit pour inculper le président Laurent Gbagbo, son successeur sera à coup sur désoeuvré durant son mandat parce que l’Union Africaine se sera retirée de la CPI et comme les grandes puissances occidentales qui commettent des crimes en Irak, et Afghanistan n’en sont pas membres ? Il n’y a qu’à observer que la CPI vit ses dernières heures par la faute de ses juges qui sont devenus des instruments de domination en lieu et place d’une justice équitable.
Traoré Phillipe