Face à l’adversité, le président de la République a l’art de sortir de son chapeau d’étonnantes petites phrases.
Paul Biya s’est enfin exprimé après la sanglante attaque du groupe islamiste Boko Haram dans la localité de Kolofata le 27 juillet. Samedi 2 août dernier, alors qu’il s’apprêtait à prendre son vol pour Washington, où il doit assister au sommet Etats-Unis / Afrique aux cotés d’autres dirigeants du continent, le chef de l’Etat s’est exprimé sur les tristes événements qui ont endeuillé le Cameroun, notamment son collaborateur, Amadou Ali, qui a perdu non seulement des membres de sa famille, mais dont l’épouse a été enlevée par les assaillants.
Visiblement détendu devant la pesse, Paul Biya ne s’est pas laissé impressionner par les attaques spectaculaires « du Boko Haram ». Il s’est même montré offensif. «…ce n’est pas le Boko Haram qui va dépasser le Cameroun !» Parole du chef suprême des armées. Le chef de l’Etat est ainsi. En 32 ans de pouvoir, Paul Biya a toujours su sortir des formules chocs chaque fois qu’il se retrouve face à l’adversité. Au début des années 1990 lorsque le Cameroun retourne au multipartisme dans le sang, il sert quelques unes de ses formules et plus récemment, lors des émeutes de février 2008 ou lorsque son ancien ministre, Marafa Hamidou Yaya, le défit avec des lettres qui font florès dans la presse et l’opinion.
« La conférence nationale est sans objet. »
1990. Le pouvoir de Paul Biya vacille. La chute du mur de Berlin, le discours de François Mitterrand à La Baule, la société civile et la rue camerounaise ont contraint le président de la République à l’ouverture démocratique. Des partis politiques naissent dans la douleur, tout comme de nombreuses associations de la société civile. La scène politique et sociale est venimeuse, face à un pouvoir brutal et une population teigneuse qui redécouvre l’excitation des manifestations de rue. Après l’obtention du multipartisme et des lois sur la liberté, l’opposition et la société civile montent d’un cran dans les revendications.
Elles exigent désormais l’organisation d’une conférence nationale souveraine. Nous sommes en 1991. Les John Fru Ndi, Ndam Njoya, Djeukam Tchameni, Anicet Ekane, Mboua Massok, etc. sont encouragés par cette fièvre des conférences nationales qui a déjà touché d’autres pays africains comme le Benin, le Zaïre de Mobutu, etc. Une compagne de désobéissance civile baptisée « ville morte » a été lancée aumois de mai. Elle paralyse les provinces de l’Ouest, du Littoral, du Nord-Ouest et du Nord. Ces régions sont à feu et à sang. Le pouvoir de Paul Biya ne tient plus qu’à un fil. Ce d’autant que certains de ses partisans commencent à quitter le navire comme s’ils l’avaient senti chavirer. On peut citer le cas de Jean Jacques Ekindi, alors président de la puissante section Rdpc du Wouri - lui qui organisa une marche contre le multipartisme - qui claque la porte du parti au pouvoir le 24 mai 1991. Ça y est.
Les opposants et les activistes de tout bord en sont désormais convaincus : Paul Biya est fini. Il cèdera. Le 27 juin, alors qu’on ne l’avait pas aperçu en public depuis longtemps, Paul Biya, face aux députés de l’Assemblée nationale, prend tous ses adversaires de court. On attend une conférence nationale souveraine, il annonce des élections législatives anticipées et se montre ferme : « Je l’ai dit et je le maintiens, la conférence nationale est sans objet. » En lieu et place de ce forum tant souhaité par l’opposition et la société civile, Paul Biya offre la « tripartite ».
« La politique aux politiciens… »
L’année 1991est particulièrement difficile pour Paul Biya et son pouvoir. Les villes mortes font rage. L’institution des Commandements opérationnels dans certaines régions du Cameroun contribue à crisper la situation. Des morts se comptent sans que le pouvoir cède d’un iota. L’opposition doit changer de fusil d’épaule pour faire passer l’idée d’une conférence nationale souveraine à laquelle Paul Biya a déclaré qu’elle était sans objet. Dans une interview accordée à Jeune Afrique en septembre 1991, l’un des chefs de l’opposition, Samuel Eboua, alors président de l’Undp, durcit son discours. « Puisque le pouvoir ne veut pas céder, dit-il, nous allons donc radicaliser notre combat.
Nous allons décréter le blocus de l’aéroport de Douala, amplifier celui du port et faire en sorte que la rentrée scolaire ne puisse pas avoir lieu en septembre, ce qui risque de provoquer une crispation de la part des étudiants et des élèves qui descendront dans la rue, au point que d’ici quelques mois le pays risque d’être totalement paralysé. » La menace est sérieuse. Paul Biya ne peut rester indifférent. « Le combat politique, ripostet- il, ne doit se faire, ni sur le banc des écoles ni sur le dos des écoles. Ne faisons pas d’amalgame. Laissons toutes leurs chances à nos jeunes.
L’école n’est pas une arène politique. L’école aux écoliers. La politique aux politiciens. » La fermeté du propos présidentielle est accompagnée par une mobilisation sans précédent des forces de l’ordre. La manifestation des opposants et de la société civile prévue le 23 septembre 1991, jour de la rentrée scolaire est interdite. La répression qui s’ensuit est d’une rare sauvagerie. Anicet Ekane, Samuel Eboua, Charles Tchoungang, Jean Jacques Ekindi, etc. subissent les assauts d’une soldatesque sur les dents. On parlera alors de la « fessée nationale souveraine ».
« Tant que Yaoundé respire… »
Les années dites de braises fourmillent de petits mots et petites phrases du président Biya. Il les injecte dans les périodes de doute, comme pour se donner du courage ou pour montrer qu’il tient toujours les rênes. Au plus fort des « villes mortes » en 1991, au moins cinq provinces sur les 10 que compte le Cameroun sont paralysées. « Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit », tente de minimiser Paul Biya qui montre par ces propos qu’en réalité, il ne tient plus que la capitale.
« Me voici donc à Douala… »
Pour calmer la grogne et les manifestations qui se généralisent, il entreprend une tournée nationale. Lui qui n’est pas connu pour aimer parcourir son pays. L’opposition jure qu’il n’osera jamais mettre les pieds à Douala, le coeur même des anti-Biya. Lorsqu’il arrive plus tard dans une capitale économique aux rues militarisées, il déclare, l’air hautain : « Me voici donc à Douala. »
« Je n’ai pas à commenter les commentaires. »
Le 16 juin 2012, Paul Biya achève un séjour de 48 heures dans la région du Sud. Séjour au cours duquel il a procédé à la pose de la première pierre du barrage hydro-électrique de Memve’ele dans la localité de Nyabizan (département de la Vallée du Ntem). Le voyage de Paul Biya intervient au moment où les lettres de Marafa Hamidou Yaya, ancien secrétaire général à la présidence de la République, font florès dans la presse.
Interpellé le 16 avril 2012, puis écroué à la prison centrale de Kondengui pour détournement de fonds publics, il n’entend pas vivre son martyr en silence. Il passe à l’offensive. Ses lettres font le bonheur des journaux qui en ont l’exclusivité et jettent un froid dans le dos de certains membres du gouvernement qui redoutent le « grand déballage ». Au moment de regagner Yaoundé ce 16 juin 2012 donc, le président de la République est interpellé par Charles Ndongo de la Crtv, sur l’activité éditoriale de certains de ses « anciens collaborateurs en délicatesse avec la justice ». « La justice est indépendante. On la laisse agir et les résultats qui en sortiront, nous les accepterons. D’autre part, je n’ai pas à commenter les commentaires », réagit un Paul Biya tout sourire.