QUELQUES PISTES DE REFLEXIONS SUR LA DECLARATION DES BIENS

Le Droit:Camer.beA première vue, la déclaration des biens prévue à l’article 66 de notre constitution est un moyen, parmi d’autres, de prévention des dirigeants et des gestionnaires contre la corruption. Soit. Cependant lorsqu’on se retire loin du bruit et de la fureur qui troublent la vue, brouillent l’entendement, paralysent la réflexion, lorsqu’on trouve un moment pour se protéger de ce monde trépidant, grisé de sa fébrilité pour pouvoir l’analyser sereinement, sans pour autant vivre dans une tour d’ivoire, l’on se rend bien compte que le constituant camerounais a habillé la déclaration des biens et des avoirs d’arguments suffisamment élaborés pour lui fournir une indispensable parure de respectabilité. Seulement, le devoir de critique qui s’impose à quiconque veut observer, analyser, comprendre, expliquer commande un peu de recul face à cette exigence républicaine. Lisez plutôt.

Le Cameroun appartient au groupe de pays où la possession est reine

Le Cameroun appartient à la catégorie des pays où personne ne sait qui possède quoi, où on a du mal à vérifier les adresses. Un pays où les ressources de la plupart des gens sont souterraines. Un monde où, comme écruvait Hernando De Soto, la plupart des biens sont du capital mort. Un monde où l’extra légalité est la norme, la légalité marginale.

Dans ces conditions il est à se demander si la déclaration des biens est vraiment une situation adaptée au contexte camerounais ou s’il s’agit d’un article calqué sur l’occident par pur mimétisme, mais sans rapport avec notre contexte tropical. Un contexte où la vente ou la location d’une maison peut exiger de longues et lourdes procédures d’approbation, faisant intervenir tous les voisins, puisque c’est souvent la seule manière de savoir qui est le vrai propriétaire et s’il n’ya pas d’autre prétendant.

En occident il n’est pas nécessaire de s’en remettre aux relations de voisinage ou d’adopter des arrangements locaux pour protéger son droit sur ses biens. Ces biens ont une existence parallèle propre, en dehors du monde matériel. Et du moment où ils entrent dans un régime de propriété formel, les propriétaires perdent leur anonymat et ne peuvent plus disparaitre dans la foule comme chez nous. En Occident, comme le démontre De Soto, ceux qui ne paient pas les biens et services qu’ils ont consommés peuvent être repérés, frappés par des intérêts de retard, mis à l’amende, saisis et interdits de crédit dans les établissements bancaires.

Grâce à ce processus de représentation, les biens peuvent mener une vie invisible, parallèlement à leur existence matérielle. Ils peuvent servir à garantir des crédits. Ces biens fournissent aussi un lien avec l’historique de crédit de leurs propriétaires, une adresse certaine pour le recouvrement des créances et des impôts, une base pour la mise en place des services publics fiables, un support pour la création de valeurs mobilières susceptibles d’être ensuite cédées et revendues sur des marchés financiers. Grâce à ce processus, l’Occident confère une vie propre aux biens et leur permet de générer du capital.

Si en Occident, toute parcelle de terrain, toute construction, toute machine, tout stock est représenté par un titre de propriété qui est le signe visible d’un vaste processus caché reliant tous ces biens au reste de l’économie, au Cameroun comme dans beaucoup d’autres pays de même niveau de développement, les gens ont des biens mais ces biens ne se présentent pas

comme il faudrait : ce sont des maisons bâties sur des terrains sans titre de propriété, des entreprises non déclarées, à la responsabilité mal définie, des industries installées hors de la vue des financiers et des investisseurs. Faute de documents désignant nettement leur propriétaire, ces possessions ne peuvent être vendues en dehors de petits cercles locaux où les gens se connaissent et se font mutuellement confiance ; elles ne peuvent servir à garantir des emprunts, elles ne peuvent servir d’apport en nature lors d’un investissement.

Ce processus de représentation n’existe pas au Cameroun. C’est pourquoi les biens sont presque tous sous-capitalisés. Les camerounais possèdent quelque chose, mais il leur manque un processus qui servirait à représenter ce quelque chose. Ils ont des maisons mais pas de droits de propriété, des récoltes, mais pas de bail, des entreprises mais pas d’inscription au registre du commerce.

L’esprit humain a beaucoup de mal à comprendre et à atteindre ce qu’on ne peut voir, même si l’on en connaît l’existence. Ce qui est réel et utile n’est pas toujours tangible et visible. Le temps est réel, par exemple, mais on ne peut le gérer efficacement que s’il est représenté par une montre ou un calendrier. De toute éternité, l’homme a inventé des systèmes de représentation (écriture, notation musicale, compatibilité en partie double) pour saisir en esprit ce que la main ne touchera jamais. De la même manière, les grands praticiens du capitalisme, ont réussi à faire apparaître et extraire du capital là où d’autres ne voyaient à peu près rien, en imaginant de nouveaux moyens de représenter le potentiel invisible enfermé dans les biens accumulés.

C’est ainsi que nous sommes environnés par les ondes de télévisions que nous ne pouvons pas voir. Nous sommes aussi entourés de biens qui recèlent du capital invisible. Tout comme on peut décoder les ondes des télévisions avec un téléviseur pour les voir et les entendre alors qu’elles sont beaucoup trop faibles pour être senties directement, on peut extraire le capital des biens et le transformer. L’Occident possède le processus de conversion nécessaire pour rendre visible l’invisible. C’est cette disparité qui explique pourquoi les pays occidentaux peuvent introduire dans leur constitution la déclaration des biens.

Le système occidental constitue une infrastructure juridique implicite cachée au tréfonds des régimes de propriété dans lesquels la possession n’est que la partie émergée de l’iceberg. La partie immergée, elle, est un processus complexe imaginé par l’homme pour transformer les biens et le travail en capital.

Le Cameroun appartient au groupe des pays de l’indivision

Le Cameroun est un pays où la plupart des biens sont indivis, et cela provient essentiellement de l’esprit communautaire africain. Un bien est dit indivis lorsqu'il appartient à un ensemble de personnes, sans que l'on puisse le répartir en lots entre elles, ni qu'elles puissent en vendre leurs parts sans l'accord des autres.

Les occidentaux sont les champions du capitalisme et de l’individualisme. Quelle est l’efficacité d’une déclaration des biens dans un environnement de communautarisme de fait, où les biens n’ont pas toujours le caractère exclusif qui est leur apanage en Occident. Chez nous, il y’a des familles qui disposent de terrains que leurs ascendants leur ont légués, et qu’ils utilisent sans penser à sortir de l’indivision qui, dans la plupart des cas est un symbole, un signe d’appartenance à cette famille. Vouloir sortir de cette indivision en immatriculant en sa faveur une de ces parcelles est interprété comme un crime de lèse famille et violation

de serment vis-à-vis de cette famille. En Afrique, la croyance est solidement implantée : le grand souci de la famille est de durer ; l’africain n’envisage pas d’autre existence ici bas et dans l’au-delà que dans la filière de sa famille. Il ne faut donc pas que cette filière s’interrompe. Résultat, de nombreuses parcelles restent non immatriculées. Personne ne discute aux gens la légitimité de ces espaces fonciers, mais ils ne peuvent pas être considérés comme leur propriété puisqu’ils relèvent juridiquement du domaine national et non du régime de la propriété privée.

L’abandon du système de bornage et l’adoption de la présomption de propriété?

L’absence d’un processus de propriété dans des pays comme le Cameroun rend exogène la disposition constitutionnelle exigeant des dirigeants, avant leur prise de fonction, la déclaration de leurs biens. Pour qu’on y arrive, il me semble indispensable de mettre au point des processus de légalisation massive de la propriété, en s’appuyant sur les règles consensuelles pour savoir qui peut légitimement se dire propriétaire de quoi. Ce qui revient aussi à imiter ce qu’ont fait les pays occidentaux au cours des siècles passés, notamment les Etats unis qui en régularisant la situation de millions de pionniers, ont su se transformer en une économie moderne.

Dans un ouvrage récent, « La terre : un droit humain – Micropropriété, paix sociale et développement », le notaire camerounais Abdoulaye Harissou démontre que plus de 60% des terres des pays en développement n’ont pas de titres fonciers. Une situation qui engendre l´insécurité foncière à l´origine de nombreux conflits et injustices. Selon l’auteur, « avant l’arrivée de la colonisation, la terre était gérée de manière coutumière, par les chefs traditionnels. Avec l’arrivée de la colonisation, a été introduit le système d’immatriculation : toutes les terres étaient inscrites dans des livres fonciers pour les compagnies coloniales, qui ont donc récupéré toutes les terres arables, alors que les indigènes étaient placés sur des terres moyennes, qui ont toutes été occupées. Aujourd’hui, en Afrique, si une femme, un paysan ou une organisation rurale veulent obtenir un titre, c’est un véritable parcours du combattant ! »

Mais il ajoute : « Nous n’allons pas toujours tout mettre sur le dos des Occidentaux et maintenant, des Chinois ». Abdoulaye Harissou a donc inventé le « titre sécurisé simplifié » (TTS), que l’on peut obtenir à moindre coût et dans un délai très court, à condition de respecter « plusieurs conditions : abandonner le système qui affirme que toute terre appartient à l’État et passer à la présomption de propriété ;décentraliser l’administration foncière ;abandonner le système de bornage ».

Ecouter les chiens qui aboient

Hernando de Soto raconte l’histoire où on lui demande de parler des droits de propriété. A la question de savoir comment déterminer qui possède quoi, il répond qu’à Bali en Indonésie, il se promenait dans les rizières sans savoir où se terminait chaque propriété. Mais les chiens eux le savaient. « Chaque fois que je pénétrais sur une nouvelle exploitation, un chien différent aboyait. Les chiens indonésiens ignorent le droit de propriété, mais ils savent quelles terres appartiennent à leur maitre. » Il suffirait donc d’écouter leurs aboiements pour officialiser les droits de propriété informels. 0ù que l’on aille en Afrique, on trouvera le symbole du chien qui aboie et dont les aboiements permettront de bâtir un système juridique de propriété fondé sur les réalités existantes.

Bibliographie

-Hernando de Soto, Le mystère du capital, Flamarion, 2010 ;

-Abdoulaye Harissou, « La terre : un droit humain – Micropropriété, paix sociale et développement », 2011 ;

-La constitution du Cameroun

Notes de la rédaction de Camer.be

Pour vos Conseils sur les procédures et formalités diverses au Cameroun, vous pouvez prendre attache avec nous à seumo@hotmail.com et  webmaster@camer.be  ou mieux encore à info@atangana-eteme-emeran.com    
Site web: http://atangana-eteme-emeran.com

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06/10/2012
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