Quelles seraient les chances de Franck Biya : Présidentielle 2011 : une succession à hauts risques

Quelles seraient les chances de Franck Biya : Présidentielle 2011 : une succession à hauts risques

Franck Biya charme. Saurait-il émouvoir ? Sa candidature à la succession est une hypothèse de bon sens. La destinée de cette perspective dépend essentiellement de la capacité de Franck à transformer par son action et son programme les possibilités historiques en solutions concrètes. Les conditions de sa victoire sont tout à fait simples et ses rivaux doivent en prendre de la graine, tant que les faits n’auront pas disqualifié notre intuition. Un humoriste, Kardinal Aristide 1er, résumait la situation avec un calembour gai : « Au Togo, disait-il, Eyadema a succédé à Eyadéma ; au Congo Kabila a succédé à Kabila ; au Gabon, Bongo à Bongo ; au Cameroun, de vous à moi, soyons Franck, qui succèdera à Biya ? »


                                                                                                                                
                                                                                                                                  
                                                                                                                                  

Une stature majestueuse, une présence, un regard dont sa paire de lunettes en acier ne dissimule pas la fraîcheur, avenant, décontracté (lors de la visite papale en mars 2009, son aisance a été unanimement appréciée, il était le moins guindé sur la photo de famille), toujours vêtu avec soin par les plus grands couturiers de la planète, Franck Biya charme. Saurait-il émouvoir ? Sans doute. En tout cas, il ne manquerait pas de ramener aux urnes une bonne frange de la population féminine et de passionner le débat politique. S’il s’agissait d’un concours de beauté et de raffinement, il l’emporterait haut la main la présidentielle ; il a la morphologie de Barack Obama, la même élégance caractéristique, la même assurance, avec en sus une politesse exquise dénuée de toute arrogance.

Sa candidature à la succession est une hypothèse de bon sens. La destinée de cette perspective dépend essentiellement de la capacité de Franck à transformer par son action et son programme les possibilités historiques en solutions concrètes. Il devra faire face à des manœuvres et des rivalités indissociables d’une fin d’un règne qui aura été particulièrement long. Les potentiels successeurs, naguère dévoués au père, conditionneront probablement leur comportement en fonction des enjeux de l’échéance nouvelle. Cela se traduira par l’hostilité haineuse ou dédaigneuse de certains apparatchiks du RDPC qui, dans leur lutte pour préserver leurs privilèges, se figeront comme de juste dans une attitude de refus pathologique des changements qui s’opéreront dans la réalité, notamment la reformation en profondeur de notre société, l’émergence de voix nouvelles, l’adoption d’un ton inédit et d’un style résolument moderne.        

Franck devra faire sienne cette réflexion prémonitoire du journaliste Richard Nyamboli (1983), commentant, dans un ouvrage collectif, les douze premiers mois de Paul Biya au pouvoir : « Aucun système dynastique ne peut évoluer sans créer les conditions favorables de ses propres mutations internes, même au prix de la négation de son passé». Cela correspond si peu à la situation d’alors et si bien à la situation actuelle... Qu’à cela ne tienne ! Avant la légitimité, il convient de régler la question de la crédibilité, peut-être la plus importante entre toutes. Franck Biya est fait de l’étoffe dont on fait les leaders. Jaloux de sa vie privée, c’est un quadragénaire heureux et marié depuis peu avec Virginie Baroux. D’abord diplômé en économique aux États-Unis et puis, récemment en Suisse, en relations internationales, il prospère dans les affaires. Après une première jeunesse particulièrement dense et agitée, il s’est racheté une conduite et est devenu un conseiller très écouté de son père. Au-delà de ce titre de conseiller spécial, à partir du moment où untel est Président de la République, sa femme et ses enfants ne sont-ils pas ipso facto des personnages officiels ?

Il a par ailleurs fait partie de plusieurs délégations officielles du Cameroun à l’étranger, notamment lors du Sommet de la Francophonie au Québec, le 17 octobre 2008. Sans forcer, il est mieux connu des Camerounais que n’importe lequel de ses rivaux réels ou seulement éventuels. Franck est né exprès pour nous commander, il ne recherche pas la lumière, il l’attire. Il n’aura pas besoin de ruse ni de violence pour devenir Président de la république, sa nature, pondérée et secrète, ne l’y dispose pas.

Le parallélogramme des forces politiques

Le parallélogramme est une figure emblématique de la géométrie, mais en physique quantitative comme en sociologie politique, le parallélogramme détermine un champ dans lequel s’insèrera l’action d’un catalyseur. Ce champ en l’occurrence est miné par des impedimenta, les forces extrainstitutionnelles : l’armée, les multinationales, les syndicats, la société civile, l’oligarchie et les médias. Elles ne rameront pas forcément à contre-courant, mais il faudrait que se confirme le talent de négociateur chevronné qui lui est généralement concédé par tous ceux qui l’ont côtoyé.

Jésus a été discret, voire absent, pendant des années et son ministère n’a pas duré plus de cinq ans, deux millénaires après, il fait toujours l’actualité. Mutatis mutandis, il pourrait s’en passer des choses en un mandat, bien sûr Franck ne va pas changer l’eau en vin ni marcher sur les eaux de la Lékié, mais il peut faire rêver les Camerounais en aussi peu de temps qu’une campagne électorale bien menée.

L’erreur commune ou seulement courante qui consiste à opposer les réseaux puissants qui se sont constitués sous l’empire de Chantal Biya à la nonchalance supposée de Franck prête franchement à rire. Bis repetita est-on tenté de dire. Franck est en effet la personnalité dont le caractère se rapproche le plus de Biya, il n’a que faire des trafics d’influence et de la lumière des projecteurs. Il est à une ou deux exceptions près le seul dans sa fratrie à avoir poussé si loin ses études. Au surplus, les observateurs exagèrent toujours les désaccords entre les élites, et dans le cas du clan Biya, la succession fera taire toutes les divergences intestines au nom de leur intérêt supérieur.

La marche du dauphin vers le sacre sera néanmoins jonchée de cadavres politiques (entre autres les géonzistes et leurs sympathisants) dont il devra se débarrasser au moment d’habiter la fonction présidentielle. Franck est l’héritier présomptif de Biya, mais le Cameroun est une « démocratie », il est impossible d’affirmer, croix de bois croix de fer, qu’une fois à la croisée des destins, le futur Président de la République ne se fera pas damer le pion par ses adversaires politiques. Si au jeu de la comparaison, ceux-ci sont défaits, ils ont pour la plupart des qualités éprouvées et, dans l’absolu, enrichissent l’offre politique camerounaise.

On accède à la magistrature suprême par ses propres moyens et / ou ceux d’autrui et par son mérite (notion floue, qui prend en compte le hasard, la transcendance, la possibilité de créer cette apparence du mérite tout autant que la capacité à démontrer sa réalité). Par-delà ce mérite et les moyens à sa disposition, Franck Biya jouit d’une légitimité circonstancielle certaine qui tient à la fois à la conjoncture spécifique du Cameroun et à la dimension nettement présidentialiste que Biya a imprimée au fil des ans au régime. Le régime biyatiste est un lieu de convergences (d’interférences ?) d’influences mystiques et religieuses, traditionnelles et idéologiques, toutes autant de sources de légitimation de son pouvoir. En attendant d’en savoir davantage sur le rôle de la franc-maçonnerie, la rose-croix, l’Eboka, l’Essingan, le Laakam, on peut examiner la mystique des religions. Le bon Dieu votera pour Franck. C’est clair, on peut opposer à cette théorie l’indépendance du clergé, la liberté de ton de Christian Cardinal Tumi, par exemple, qui n’a jamais ménagé Biya ; cela ne remet pas en cause la valeur ou la validité des conclusions que nous tirons de l’observation : le Cameroun est historiquement la capitale d’évangélisation en Afrique noire, c’est un repère stratégique d’expansion du catholicisme romain, si l’on en juge simplement par la présence régulière des papes sur notre territoire, qui a vu l’ouverture de deux synodes, privilège unique en Afrique. Le soutien de l’Église catholique romaine à Paul Biya est de notoriété publique, les prières du Saint-Siège au moment de la succession porteront naturellement sur Franck.

La succession est bel et bien ouverte

Nul ne sait ni l’heure ni le jour, il n’en demeure pas moins que son règne tire à sa fin et la mode étant à ce type de transition, Biya a choisi comme dauphin son fils aîné Franck, tout en entretenant jalousement l’illusion de vide. L’art politique de Paul Biya est si consommé que le Cameroun a le seul gouvernement au monde dont le porte-parole est opposant. C’est à n’y rien comprendre. L’ouverture de Sarkozy, à côté, c’est carrément du blabla. Paul Biya s’est assuré des liens de fidélité personnelle jusque dans l’opposition. Il ne va pas battre le tambour parce qu’il prépare Franck, cela trancherait d’avec leur style. Le grand art de sa politique est de dissimuler ses marches, c’est un joueur d’échecs dans l’âme, qui se hâte lentement et n’abandonnera pas la partie avant d’en avoir entrevu le résultat, en ce cas l’assurance qu’un Biya chassera l’autre.

Nous devons à la vérité de reconnaître qu’il y a un jeu d’influences qui agite tout pouvoir, que la démocratie est un idéal jamais atteint et qu’en règle générale c’est entre les élites que se joue le destin des peuples, que la masse est un entassement d’instincts grégaires, moutonniers, elle ne pense pas, elle suit, elle obéit à ses pulsions ou au mieux aux impulsions de ses leaders, eux-mêmes mus par l’ambition et les intérêts personnels. La mythique volonté générale dont est déduite la souveraineté nationale, ça n’est rien d’autre que cela. La métaphore pastorale du troupeau emmené par un berger est donc juste et particulièrement bien trouvée. Qu’on ne s’y trompe pas, si le peuple est le fondement des gouvernements démocratiques, c’est qu’il en est l’objet et non l’acteur, son importance se vérifie à deux occasions : d’une part, institutionnelle, lors des échéances électorales, et d’autre part, accidentelle, lors des crises sociales majeures.

Si donc le pouvoir met en œuvre cette stratégie de transition intrafamiliale, rien techniquement ne saurait empêcher cette arrière-pensée patrimoniale de prospérer. L’actuel gouverneur du Sud est bien «fils de », le maire de Yaoundé 1er, Emile Andzé Andzé, est « fils de ». On a eu une ministre « fille de » par le passé, aujourd’hui on a Ama Tutu Muna, ainsi en va-t-il de Mohammadou Ahidjo, Alamine Mey, Ibrahim Talba Malla, Bayero et Oumarou Fadil, Louis Tobie Mbida, Nicole Okala, Denise Fampou, tous des « fils de ». Cette tendance va aller en s’accentuant. Les Camerounais vont-ils soudainement se surprendre en train d’aller en guerre parce qu’on leur aura annoncé la candidature de Franck Biya ? Des fils de ministre seront ministres, le fils du Président pourra être Président, c’est mathématique.

La stratégie successorale de Paul Biya n’a rien à envier à la ruse du hérisson[1], dans le conte des frères Grimm ; lequel avait dépêché sa femelle à la ligne d’arrivée, à l’occasion d’un duel avec le lièvre qui avait osé se moquer de ses « jambes tordues », un défi, que devait départager une course. Ce qui fait que quelque voie qu’empruntent les forces de réaction, les adversaires et autres contestataires du régime, alors qu’ils croiront toucher le but de plusieurs décennies de convoitise d’une fonction longtemps couvée d’un œil avide, ils trouveront à l’autre bout l’alter ego de Biya, qui, le moment venu, tout en rajustant sa paire de lunettes, leur dira courtoisement : « Je suis déjà là ».

La masse n’a pas d’esprit, c’est vu, les dirigeants ont vendu leur âme, c’est entendu, l’ennui et la suspicion, s’ils sont réciproques, ne peuvent être dissipés que par des artistes volontaires. Là où les faiseurs d’opinion, écrivains, promoteurs spirituels, et autres maîtres à penser ne définissent aucun standard, n’imposent aucune image, ne présentent aucune voie, les gens n’en pensent pas moins, quitte à se faire des idées fausses voire dangereuses avec beaucoup d’ingéniosité. Ils remplacent la représentation de l’inconnu, ce qu’on leur cache, ce qu’on ne veut pas leur dire, ce qu’on n’ose pas leur dire par des schémas primitifs, la révolution devient une option politique, les manifestations un projet de société, la vraisemblance supplante le vrai, la rumeur emprunte les mêmes canaux que l’information, le plausible se mue en évidence. Cette prolifération de fausses pistes dessert les gouvernants et par contrecoup le peuple lui-même. D’où l’impérieuse nécessité qu’il y avait à dire : c’est fait ! Notre science des choses futures n’est pas parfaite, pour autant restait-il possible et souhaitable de ne pas maintenir ceux qui s’y intéressent dans la confusion, qui fait communément voir comme « impossible au Cameroun» une succession de type dynastique.

Spéculer sur ce scénario ne fait que le rendre plus probable, en dépit du contexte international particulièrement sulfureux. Le peuple y a déjà été préparé par des sortes de messages subliminaux. Il y a cette expression populaire que la plupart des Camerounais de sa génération ont affectionné « Franc Biya ». Pour dire qu’on était plein aux as, on disait : « j’ai mille, dix mille, cent mille Francs Biya ». Cela donne une idée de la notoriété d’un homme et de son ancrage dans l’inconscient collectif de ses concitoyens et l’imagerie commune. Les conditions de sa victoire sont tout à fait simples et ses rivaux doivent en prendre de la graine, tant que les faits n’auront pas disqualifié notre intuition. Un humoriste, Kardinal Aristide 1er, résumait la situation avec un calembour gai : « Au Togo, disait-il, Eyadema a succédé à Eyadéma ; au Congo Kabila a succédé à Kabila ; au Gabon, Bongo à Bongo ; au Cameroun, de vous à moi, soyons Franck, qui succèdera à Biya ? »

                                                                                                                                 ESSONO TSIMI ERIC

                                                                                                                                  

                                                                                                                                 Écrivain 

 

 

 

 

 

 



[1] Un conte bien de chez nous évoque plutôt la tortue (symbole de sagesse). Dans ce conte qui tendrait à démontrer la prééminence de la sagesse sur la rapidité et la force, la tortue se vantait à juste titre de pouvoir franchir plus vite que l’antilope la ligne d’arrivée, dans une course en règles. Ainsi, Biy(A) part-il vainqueur d’une confrontation où son successeur, Biy(A) prime, se trouve déjà à la ligne d’arrivée, bien au chaud.



16/03/2011
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