Le phénomène n’est pas nouveau à Douala et dans certaines localités du Cameroun mais, il a pris une telle ampleur ces dernières années qu’il devient chaque jour, un peu plus, un problème de société. De nombreuses jeunes femmes mais aussi hommes, pour des raisons diverses, se livrent à des pratiques inquiétantes à travers le Cameroun et même au-delà, en Occident en particulier. Tatouage, piercing, faux cils, lentille.. La liste ne saurait être exhaustive. Tout y passe désormais. Camer.be enquête
L’Afrique des valeurs traditionnelles, du respect de la personne humaine, de la dignité est en passe de devenir un dépotoir culturel où toutes les idées que la morale récuse, parfois venues d’ailleurs, élisent domicile sans que personne ne s’en offusque.
Douala, capitale économique du Cameroun, il est 17 heures. C’est une heure de grande affluence, les fonctionnaires sortent des bureaux, les étudiants rentrent de l’école, les « Bayam Selam » et les « Sauveteurs » [commerçants de rue ndlr] ont presque bouclé leur journée et beaucoup commencent à plier bagage. Sur le trottoir, une jeune fille, la vingtaine environ, est au bras d’un prince charmant, habillée d’un boxer qui laisse échapper un string. Au dessus de son string est gravé sur la partie supérieure de ses fesses l’image d’un crabe. Et ce n’est pas tout, sur ses narines sont alignées des boucles dorées. Tous les regards sont tournés vers elle. Et sans gène, elle continue son chemin, caressant avec une douceur presque provocatrice le bras de son homme, portant lui aussi une boucle mais, cette fois sur ses deux oreilles. Elle n’est pas seule. Ce genre d’attitude est aujourd’hui légion dans les rues camerounaises. On les appelle ici les « Yoyettes ».
Elles sont nombreuses ces jeunes filles aux membres supérieures ou inférieures tatoués qui sillonnent à longueur des journées les rues des villes camerounaises. Mais il ne faut surtout pas les interpeller sur leur tatouage ou leur piercing. « C’est la mode » dit-on ici.
Pourquoi les Camerounaises pinaillent leur corps ?
Camer.be s’est rendu dans un salon de coiffure du quartier Akwa, non loin de la poste centrale du coin. Une pièce faiblement éclairée par une unique ampoule néon. Trois étagères, quelques chaises, deux tabourets en bois et un écriteau en français annonçant fièrement : « Chez Nadou». Il n’en a pas fallu davantage à la tenancière au sourire pétillant pour transformer en « salon de beauté » une des pièces de leur modeste maison à la Gueule Tapée. Il est à peine 11 heures, la « machine à beauté » de chez Nadou n’a pas encore « transformé » deux clientes. Voilà qu’elles sont déjà cinq, sept à battre la semelle, au pied de la vieille porte rose. Est-ce parce que nous sommes à la veille des fêtes de fin d’année et de nouvel an? Non rétorque Nadou d’un charme envoûtant. « Même en temps normal, elles viennent ici pour se faire belles. Ce sont des clientes fidèles et régulières », avance-t-elle, insistant qu’elle n’est pas comme les autres. « Je suis une vraie professionnelle », fait remarquer Nadou. A juste raison.
Dans ce quartier, les rues ne sont qu’une succession de ces petits « laboratoires d’esthétique » qui ont poussé comme des champignons. Résultats : ces « professionnels » spécialisés dans les soins de beauté vivent, ici, croissent et se multiplient au fil des minutes.
Une balade dans la seule ville de Douala renseigne, pourtant, que le phénomène des « yoyettes branchées » n’est, en réalité, que l’arbre qui cache la forêt. Partout dans la capitale économique camerounaise, les salons de beauté ayant pignon sur rue rivalisent de slogans et de menus. A en croire Madame Nadou, la ville de Douala compte aujourd’hui plus d’un millier de salons de beauté, contre une dizaine, il y a quelques années. Manucure, pédicure, perruque, faux cils, pose hanches, tatouage et piercing y sont proposés à des prix défiant toute concurrence. Et la cliente type n’a plus rien à voir avec une adolescente en quête d’identité. « Notre clientèle est composée aussi bien de femmes mariées, divorcées que de jeunes filles », confie notre source.
Le Cameroun, note le sociologue Lucien Tchamou, a enregistré ces mutations sociales sur la base d’un certain nombre d’influences exogènes, essentiellement de l’Occident. Même constat chez sa collègue Elodie Ngono qui estime que ces pratiques s’expliquent par une « détabouïsation » de certains aspects liés à la sexualité. Le plus souvent, fait remarquer la sociologue, ces pratiques sont localisées dans des zones censées attirer non seulement le regard des hommes, mais également éveiller leur intérêt voire leur désir. « La mode ou encore le phénomène du « fashion victims » peut également pousser ces jeunes filles à s’adonner à ces pratiques », poursuit Mme Ngono.
Le « S.A.C » comme « Séduire et Attirer pour Conquérir ».
Toujours est-il que l’objectif avoué par les amatrices de ces pratiques est sans équivoque : corriger ou embellir la partie du corps qui gêne. La finalité étant de se faire aimer. Et elles ne s’en cachent pas. Magali, 23 ans, est étudiante à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Douala. Tétons percés, tatouage sur le sein gauche, Magali ressemble à une blonde. Ses cheveux sont longs et se déversent sur son derrière. Sa peau, dépigmentée, est claire et elle marche comme un mannequin qui s’apprête à défiler. En fac, on l’a surnommée « Madonna » Pour elle, tatouage, piercing, faux cils, pose hanches, etc., c’est avant tout une manière d’exister. « Les temps ont changé. Aujourd’hui, les filles sont beaucoup plus nombreuses que les garçons. Cela veut dire que la fille doit utiliser tous les artifices possibles pour intéresser les hommes », explique Magali.
Sa copine, Félicité M., a même inventé une expression pour désigner ce que les filles recherchent à travers tout cet arsenal de séduction : le « SAC » comme « Séduire et Attirer pour Conquérir ». C’est la seule manière pour nous, observe Félicité, de nous rendre visibles et d’échapper à l’anonymat. Peu importe, laisse-t-elle entendre, les conséquences de telles pratiques. L’essentiel, ajoute Magali, est d’arriver au résultat escompté : celui de conquérir ou de garder un homme. Un objectif plus que légitime. Surtout dans un Cameroun où le recul du mariage chez les hommes est une réalité et les divorces une mode.
Aujourd’hui dans nos grandes villes et même dans certaines campagnes, presque toutes les filles s’adonnent à ces pratiques. Le but recherché étant de permettre au corps d’avoir un design « Yoyettable » et acceptable pour mieux se faire vendre.
Si on peut voir dans ces nouveaux comportements un « mal être social », il faut reconnaître que la mondialisation mieux la globalisation tant vantée, rend un mauvais service à l’Afrique dans ce domaine. Il n’est plus rare dans les villes africaines de voir deux jeunes personnes tatouées de même sexe s’échanger de baisers langoureux au milieu d’une population profondément traditionaliste très souvent prise de surprise. Si certains fashion victims et autres adeptes de la new life défendent bec et ongle l’homosexualité mais sans pour autant croire, eux-mêmes, à leurs discours liberticides empruntés, il est une évidence que cette pratique pose un réel problème à la société africaine. Malheureusement l’homosexualité n’est pas la seule conséquence de ce malaise généralisé. ( A suivre)
* Yoyette au Cameroun signifie, jeune fille