Quand le Ministre de la santé Mama Fouda détournait l’argent des vaccins
Un audit effectué sur la période 2008-2011 par les gouvernements donateurs, l’OMS, l’Unicef, la Banque mondiale et les fabricants de vaccins conclut à des distractions de FCFA 1,8 milliards.
C’est un rapport accablant que l’ONG internationale GAVI Alliance a préparé sur le Cameroun pour la période 2008-2011. Et comme par hasard, ce rapport produit en février 2012 est resté dans les tiroirs. Or, le ministère de la Santé publique que dirige André Mama Fouda depuis cette période est accusé de faits pour le moins graves. Pour comprendre de quoi il s’agit, Gavi Alliance rapporte que depuis sa création en 2001, elle accorde son soutien au gouvernement du Cameroun dans le cadre des programmes de vaccination. Le montant cumulé des engagements approuvés par cette ONG internationale financée par l’OMS, l’Unicef, la Banque mondiale et les fabricants de vaccins en faveur du Cameroun sur la période 2001-2015 s’élève à $171, 57 millions (à peu près FFFA 85,7 milliards) pour un montant total décaissé au moment de la rédaction du rapport de $75.4 millions (environ FCFA 37,7 milliards).
Conformément à la politique de transparence et de responsabilité financière (PTRF) de GAVI Alliance, une évaluation de la gestion financière a été réalisée au Cameroun du 27 novembre au 18 décembre 2009.«L’évaluation avait conclu que la gestion des fonds GAVI au Cameroun ne répondait pas aux exigences de la politique de transparence de GAVI Alliance», peut-on lire dans le rapport. Cette conclusion a été motivée par les nombreux indices de fraude relevés par la mission, ainsi que des lacunes préoccupantes en matière de contrôle interne. «A l’issue de nos travaux, le montant des dépenses examinées se chiffre à 2 522 496 819 FCFA. Le montant global des fraudes, anomalies et irrégularités identifiées s’élève à 1 815 998 618 FCFA», relèvent les auditeurs de Gavi Alliance.
Les dépenses inéligibles sont estimées à 172 525 740 FCFA. A titre d’exemple de dépenses inéligibles, les auditeurs note par exemple qu’en novembre 2009, le secrétariat technique du programme Gavi Renforcement du système de santé, qui ne dispose que de quatre espaces bureaux d’une surface maximale de 150 m² avec peu de surface vitrée (moins de 10 m²) avec une seule toilette, a acheté des produits d’entretien pour 1 818 563 FCFA, dont 40 AJAX, 120 blocs de savon de Marseille, 2300 rouleaux de papier hygiénique, 10 flacons d’adoucissant de lessive Soupline, 100 Blocs Canard WC, 60 flacons d’AJAX Vitres, 80 Flacons de désodorisant Brise… n’en jetez plus. Le montant déjà remboursé par le ministère de la Santé se chiffre à 22 millions de FCFA. Les fonds nets compromis, non communiqués et non remboursés à GAVI se chiffrent à 150 475 740 FCFA.
Fraudes et irrégularités
Les fraudes et irrégularités avérées se chiffrent à 853 567 715 FCFA. Cela concerne par exemple l’attribution des bons de commande à des fournisseurs de biens ou des prestataires de service n’ayant d’existence que sur le papier, et qu’on ne peut pas localiser sur le terrain. Le plan de localisation d’un fournisseur que les enquêteurs ont essayé de retrouver les a conduit tout droit à un cimetière. Le numéro de téléphone de bureau d’un autre fournisseur est un numéro officiel du ministère de Tourisme. Un autre plan de localisation d’un fournisseur débouche sur un carrefour. L’on a observé sur certains articles des taux de surfacturation de 964% voire de 1361%.
Les décaissements non justifiés sont de 285,16 millions de FCFA. Une illustration ici est le décaissement d’une somme de 88,9 millions de FCFA effectué le 14 août 2008 au profit du secrétaire permanent du PEV (Programme élargi de vaccination) pour le financement des sessions de formation du monitorage intégré, qui sont supposées avoir eu lieu au cours du mois d’octobre 2008. La lettre de transmission au secrétariat technique datée du 06 juillet 2010 accompagnant la liasse des pièces justificatives indique que la somme a été justifiée à concurrence 63,6 millions de FCFA. Le pointage effectué sur les pièces justificatives présentées fait plutôt ressortir une enveloppe de F CFA 25 637 000. Il ressort donc un montant de décaissement non justifié de FCFA 63, 2 millions de FCFA à peu près trois ans après la fin de l’activité. Les dépenses insuffisamment justifiées sont de 526,7 millions de FCFA.
Menaces de suspensions de financements
L’investigation réalisée sur l’exécution des fonds GAVI RSS par le secrétariat technique du Comité de pilotage de la stratégie sectorielle de la santé (ST/CP-‐SSS) du ministère de la Santé du Cameroun pour les périodes 2008, 2009, 2010 et le premier trimestre de l’année 2011 amène Gavi Alliance à conclure que le système de contrôle interne de cette structure est insatisfaisant et présente des insuffisances structurelles permettant l’occurrence des fraudes et irrégularités de toute nature, et qui pourraient également impacter d’autres financements que cette unité pourrait recevoir d’autres partenaires voire l’Etat.
Gavi Alliance constate en outre que le secrétariat technique du Comité de pilotage de la stratégie sectorielle de la santé a fonctionné en quasi-totale autonomie, sans un contrôle effectif des structures centrales du ministère de la Santé publique, et en marge des règles administratives en matière de dépense publique. Les procédures de fonctionnement de cette entité ont institutionnalisé l’absence de séparation de tâches, en concentrant l’essentiel des pouvoirs d’engagement entre les mains du chef du secrétariat technique.
A l’issue de ce constat, un compte rendu verbal a été fait au ministre de la Santé dans le cadre d’une audience de fin de mission le 10 mars 2011, dont l’objet principal était d’attirer son attention sur l’existence potentielle d’anomalies de gestion qui nécessiteraient d’être investiguées. A cet effet, Helen Evans, le président directeur général a.i. de GAVI Alliance a adressé le 17 mars 2011 une correspondance au ministre de la Santé publique confirmant le principe d’irrégularités de gestion dans les fonds RSS, ainsi que les mesures y compris conservatoires, qui devraient être mises en œuvre. Notamment, la suspension de tout paiement sur fonds GAVI RSS sous la garde de la Caisse autonome d’Amortissement (CAA), et dans le même temps, l’instruction au secrétariat technique de la stratégie sectorielle de Santé, de suspendre tout engagement avec effet immédiat des fonds GAVI RSS.