Quand Amadou Ali se confiait
Compte rendu d’un entretien entre le ministre de la justice et l’ambassadeur J. Garvey .
La bataille autour l’avenir du Cameroun, y compris la succession du Président Paul Biya, devrait être envisagée sous les prismes ethnique et régional, selon Amadou Ali, Vice Premier Ministre et Ministre de la Justice.
La bataille autour l’avenir du Cameroun, y compris la succession du Président Paul Biya, devrait être envisagée sous les prismes ethnique et régional, selon Amadou Ali, Vice Premier Ministre et Ministre de la Justice.
Dans une récente discussion de grande envergure et franche avec
l’Ambassadeur, Ali a déclaré que l’équation de la stabilité du Cameroun
repose sur les variables de la détente entre le groupe ethnique
Béti/Boulu de Biya, majoritaire dans la région sud du Cameroun, et les
populations des trois Régions nordistes, connues comme le Septentrion,
qui sont ethniquement et culturellement distinctes du reste du Pays. Le
Septentrion soutiendra Biya aussi longtemps qu’il voudra rester
président, selon les prédictions d’Ali, mais n’accepterait pas un
successeur qui soit un autre Béti/Boulu, ou un membre du groupe ethnique
Bamiléké, aux puissantes assises économiques.
L’analyse d’Amadou Ali et sa complaisance à parler si franchement d’un
sujet autant sensible a renforcé notre conviction que l’élite politique
camerounaise manœuvre vraiment d’ores et déjà pour l’après-Biya. Fin du
résumé.
l’Ambassadeur, accompagné de Poloff, a rendu visite au Vice Premier
Ministre, Ministre de la Justice Amadou Ali le 27 février pour discuter
du rapport publié récemment sur la situation des Droits de l’Homme au
Cameroun (ref b). Ali a affiché sa sociabilité typique, mais était
encore franc et davantage dissert que d’habitude sur les batailles
politiques internes au Cameroun dans une discussion de plus d’une heure.
Anti- corruption : Nouvel !e stratégie, Plus d’arrestations
Ali a dit que sa campagne de poursuites contre les détourneurs de fonds publics
continuait, mais que de plus en plus il actionnait également le levier
de pression pour le remboursement des fonds détournés. Ali a indiqué que
Biya et lui avaient décidé de changer de stratégie dans la lutte contre
la corruption. Au lieu des arrestations spectaculaires ayant
caractérisé les premières années des investigations ("Opération
Epervier" selon la presse camerounaise), qu’il a lui-même caractérisées
de dangereusement déstabilisant, l’accent était désormais mis sur la
restitution des biens, y compris à travers les négociations avec les
officiels corrompus. Ceux-ci auraient à choisir entre retourner les
biens mal acquis ou faire face à l’accusation publique...
fl4. (C) Ali a promis plus d’arrestations dans les prochains jours et a
dit qu’il avait ordonné la construction d’une nouvelle aile dans le la
prison de Yaoundé afin d’y loger un afflux d’éminents anciens
fonctionnaires. Contrairement aux rencontres précédentes, Ali ne s’est
pas plaint de ce que les Etats-Unis et les autres pays n’aidaient pas le
GRC (NDT. Gouvernement de la République du Cameroun). Plutôt, Ali a dit
que le GRC s’est employé à récupérer les biens détournés présents au
Cameroun. Ali a bien accueilli la recommandation de l’Ambassadeur selon
laquelle le GRC devrait participer au programme de la Banque Mondiale,
le « Stolen Asset Recovery » (StAR) et a admis que les précédents
efforts du GRC en vue de sous-traiter le recouvrement des fonds volés
par l’entremise des chasseurs de primes se sont révélés coûteux en
termes de temps et d’argent, sans résultats probants.
Toute !a Politique est Régionale
Ali a longuement épilogue sur les luttes politiques au Cameroun,
congédiant l’opposition officielle et s’attardant plutôt sur les
groupements ethniques et régionaux du Cameroun. Ali a ridiculisé John
Fru Ndi, le dirigeant du principal parti d’opposition, le Social
Démocratie Front(SDF), affirmant que Fru Ndi était assoiffé de pouvoir,
corrompu (et avait empoché des centaines de milliers de dollars que le
Président Laurent Gbagbo de la Cote d’ivoire lui avait donnés). Plutôt,
Ali a maintenu que la seule vraie opposition au GRC est toujours venue
des « grassfields » ; les groupes ethniques Bamilékés dans la Région de
l’Ouest et les communautés Anglophones dans les Régions du Nord-ouest et
du Sud-ouest.
Ali a indiqué que les autres groupes ethniques du Cameroun nourrissent
une méfiance pathologique vis-à-vis des Bamilékés (qui sont quelquefois
perçus comme des co-conspirateurs avec les Anglophones, les soi-disant
Anglo-Bamsi) parce qu’ils font montre d’agressivité dans l’extension de
leur hégémonie mercantile au Cameroun. Selon Ali, les Bamilékés ont
envahi Douala et conspirent pour étendre leurs communautés à travers
tout le Cameroun, allant jusqu’à envoyer leurs femmes accoucher dans les
régions les plus éloignées. Fidèle à sa logique, cela ne fut donc pas
surprenant que les émeutes de février 2008 eussent sévit de manière plus
sévère dans les secteurs où les populations étaient majoritairement
Bamilékés.
Equilibre de pouvoir : Bamis, Bétis et Nordistes
Ali a dit que les trois régions du nord Cameroun, lesquels sont
ethniquement et culturelle/Tient distinctes du reste du Cameroun,
continueraient à soutenir Biya pour pourvu qu’il veuille rester le
président, mais que le prochain président du Cameroun ne viendrait pas
de l’ethnie Béti/Boulu, le groupement de Biya, une affirmation qu’Ali
dit avoir fait publiquement dans un discours en 2003.
Sur la question de savoir ce que le Septentrion ferait si Biya venait à
nommer un collègue Béti pour le succéder, Ali a affirmé que, conscient
que ce serait inacceptable pour reste de Camerounais, Biya ne prendrait
jamais une telle décision. Même si les membres de la tribu de Biya
cherchaient à se manifester dans ce sens, ils sont trop peu nombreux par
rapport aux nordistes, selon Ali, et beaucoup moins encore par rapport
au reste des camerounais.
Ali a déclaré que des élites Bamilékés ont approché des élites du nord
pour rechercher une alliance entre leurs régions respectives, mais que
les nordistes (et les autres groupes ethniques)
étaient si soupçonneux des intentions des Bamilékés et craintifs de
leur pouvoir économique, qu’ils ne conspireraient jamais pour soutenir
un pouvoir politique Bamiléké.
Louanges pour le BIR, Mais anxiété également
Ali a loué le Bataillon d’Intervention Rapide (BIR) à qui incombe la
tâche de sécuriser la Péninsule de Bakassi récemment acquise, ainsi que
le domaine maritime du Cameroun, mais a exprimé une inquiétude quant à
l’amertume grandissante au sein de l’armée régulière, à cause notamment
du succès de BIR. Ali y est allé sans retenue dans sa critique du
Ministre de la Défense, Remy Ze Meka, disant qu’il pensait que Biya
l’aurait viré il y a longtemps, mais certainement cela devait intervenir
dans le tout prochain remaniement ministériel. Ali a indiqué que quand
il était Ministre de la Défense (de 1997-2001), Avi Sivan, l’Israélien
qui commande le BIR, répondait directement à lui-même. (Remarque. Le
colonel (A la retraite) Abraham « Avi » Sivan est un détenteur de la
double nationalité Israélienne et Camerounaise (avec les passeports
valides des deux pays). Sivan agit à titre privé après avoir pris sa
retraite en tant que dernier attaché défense d’Israël. Fin de la
remarque). Quand Ze Meka a succédé à Ali à la tête de la Défense, Sivan a
obtenu et fourni les preuves à Biya de ce que Ze Meka détournait les
fonds du BIR, amenant Biya à mettre le BIR sous son contrôle direct.
Ali a dit que les généraux étaient corrompus, mais a estimé
irrémédiablement que Biya ne fera rien pour les enlever. Néanmoins,
selon l’analyse d’Ali, le Cameroun est un pays de moindre risque pour un
coup d’état, disant que les forces armées étaient suffisamment
fracturées et contrôlées par la Présidence ( au point où aucun mouvement
de troupes ne peut s’effectuer sans l’accord préalable écrit de Biya),
ce qui rend tout soulèvement invraisemblable.
source : wikileaks.com