Putsch manqué: Il était une fois, le 6 avril 1984
Putsch manqué: Il était une fois, le 6 avril 1984
(Le Messager 06/04/2010)
«Camerounaises, Camerounais, l’armée nationale vient de libérer le peuple camerounais de la bande à Biya, de leur tyrannie, de leur escroquerie, et de leur rapine incalculable. Oui, l’armée a décidé de mettre fin à la politique criminelle de cet individu contre l’unité nationale de notre cher pays ».
C’est par ces phrases que commençait le propos diffusé par les auteurs du seul coup d’Etat perpétré contre Paul Biya sur les antennes de ce qui était alors la radio nationale, le matin même du 6 avril 1984. Mais la chronique mondaine rapporte que cette nouvelle ne parviendra jamais aux forces de défense en poste hors de Yaoundé. Car le message aurait été circonscrit à la capitale et ses environs par les soins d’un opérateur de radio. En effet, dans la nuit du 5 au 6 avril 1984, les habitants de Yaoundé ont brusquement été sortis de leur sommeil, par des coups de canons et l’investissement de la ville par l’armée.
Une effervescence peu ordinaire qui marquait ce qui restera dans l’histoire du Cameroun, notamment l’ère du Renouveau, comme étant le coup d’Etat manqué du 6 avril 1984. Une longue journée du 6 avril dont il est difficile de dire, 26 ans après avec exactitude, de quoi retournait cette subite sortie de leurs casernes des hommes en treillis.
Les seules nouvelles qui sont connues à ce jour sont celles relayées par les rumeurs ou des comptes rendus d’audience des procès des accusés du putsch (procès fortement critiqués) et des livres écrits par des thuriféraires du régime Biya. Les recoupements opérés sur la base des informations glanées à ces sources indiquent que le coup d’Etat n’avait pas tout à fait réussi et que des « soldats loyalistes » appelés en renfort de divers coins du pays, organisaient la résistance et allaient finir par retourner la situation.
Cela permettra au chef de l’Etat, « véritable miraculé », de s’adresser à la nation, le jour d’après (le 7 avril 1984), toujours en sa qualité de président de la République. L’échec d’un complot réputé mal ficelé et exécuté à la hâte est ainsi scellé.
Des tonnes de choses ont été révélées sur les vérités et contrevérités de cette affaire. Mais le bilan de ce putsch manqué sera lourd : 48 condamnés à mort et exécutés, 64 détenus condamnés à plus de cinq ans, 122 détenus condamnés à cinq ans, 16 détenus condamnés à moins de cinq ans, 38 détenus sans jugement, 25 personnes mortes d’inanition sévère, sous alimentation, plus défaut total de soins.
Trois personnes sont toujours en fuite. Deux d’entre elles ont vu leur peine commuée en détention temporelle. Certains en payent encore le prix aujourd’hui. Le soulèvement a entraîné environ un millier de procès et exécutions sommaires à Mbalmayo, sous l’égide de Gilbert Andze Tchoungui, patron de l’armée camerounaise à l’époque des faits.
Des figures de poids de la ville de Yaoundé, comme Noah Bikié, le grand-père de Yannick, ainsi que plusieurs centaines d’éléments de l’armée souvent victimes de faciès ou d’appartenance ethnique, comme le colonel Salé Ibrahim, commandant de la Garde républicaine, ont été exécutés. Ce dernier, véritable « malchanceux avait d’abord été gardé à vue avant la tentative par les putschistes qui savaient qu’il était inutile de l’informer du coup ou de l’impliquer parce qu’il s’y opposerait », rapporte, sous anonymat, un journaliste en poste à Cameroon tribune à cette époque.
A ce jour, de nombreuses personnalités accusées, au lendemain du fameux coup d’Etat du 6 avril, se sont insérées dans la haute administration. Ils sont entre autres, Issa Tchiroma Bakary, actuel ministre de la Communication, Dakolé Daïssala, ancien ministre des Transports et ancien ministre des Postes et télécommunications, Garga Haman Adji, ancien ministre de la Fonction publique, Marafa Hamidou Yaya, actuel ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Amadou Vamoulké, actuellement directeur général de la CRTV.
Guérandi Mbara, l’icône
Le plus célèbre des putschistes est parmi les jeunes officiers instigateurs du « coup ». Le jeune instructeur fougueux de l’Ecole militaire interarmées (EMIA) de Yaoundé n’est pas à ce moment là, très connu du grand public. Mais, déjà populaire dans les milieux de l’armée, sa tendance à dénoncer un certain ordre établi, sa sagacité et sa pugnacité lui ont permis de se bâtir une solide réputation dans les casernes. Son nom : Guérandi Mbara. Il est âgé de 30 ans au moment du coup d’Etat, et a le grade de capitaine d’armée de terre. Il est diplômé de la promotion « 20 Mai » de juillet 1975 de l’EMIA, et de l’Ecole de guerre de Hambourg en République fédérale d’Allemagne (RFA). Certains chroniqueurs signalent qu’ « il est par ailleurs le fils d’un capitaine déjà à la retraite depuis 1970 : Guérandi Mbara Damsou. En 1980, il est major d’une formation de commandants d’unités d’infanterie à l’EMIA, ce qui vaudra à l’officier toupouri de l’Extrême-Nord, né à Douala le 30 août 1954, d’être retenu pour former les élèves officiers à l’EMIA. La même année, il passe le grade de capitaine. Il n’a alors que 28 ans…
Flambeur en certains temps, ce spécialiste de l’artillerie sol-sol issu de l’Ecole de guerre allemande, à la fois sympathique, effacé, nonchalant, mais surtout imprévisible a connu, sur les bancs de l’EMIA à Yaoundé, un certain Blaise Compaoré, Henri Zongo, et Thomas Sankara, principaux acteurs de la révolution burkinabé ». Toutes choses qui justifient qu’il soit en exil politique dans le pays des hommes intègres.
Le discours qui continue d’épingler….
26 ans après, certaines dénonciations des putschistes demeurent en effet d’une brûlante actualité. La plus visible est sans doute la dénonciation ayant trait à l’enrichissement rapide et illicite des responsables de l’administration. Même si on ne peut établir que les personnes aujourd’hui arrêtées dans le cadre de l’Opération Epervier correspondent à celles stigmatisées à l’époque par les mutins, il n’en demeure pas moins que cela apparaît comme un aveu du pouvoir actuel. Interpeller des imminants membres de l’établissement revient à reconnaître qu’il existe en son sein des personnes qui agissent « avec comme pour seule devise non de servir la nation, mais de se servir. Oui, tout se passait comme s’il fallait se remplir les poches le plus rapidement possible, avant qu’il ne soit trop tard ». Peut-on aujourd’hui affirmer que les choses, d’un certain point de vue, ne se passent pas ainsi actuellement ?
Par ailleurs, si l’on peut reconnaître une avancée certaine dans le domaine des droits de l’Homme, on ne peut néanmoins s’empêcher de constater que la Justice n’est pas encore la chose la mieux partagée chez nous. Où de bandits à col blanc continuent de se pavaner au vu et au su de tous alors que des jeunes sont enfermés dans des pénitenciers pour avoir volé un… bout de pain par ce qu’ils avaient faim. Sans pour autant faire l’apologie des putschistes dont l’acte reste à tous points de vue condamnable, l’anniversaire de ces tristes événements devrait être l’occasion de réfléchir sur ces dénonciations dont d’aucunes semblent avoir quelque fondement, pour les exorciser une fois pour toute…
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