Promesses électorales et devoir d’inventaire
Promesses électorales et devoir d’inventaire
Le 05 octobre 2004 à Monatélé, capitale départementale de la Lékié, Paul
Biya faisait l’un de ses rares discours de campagne pour l’élection
présidentielle qui devait avoir lieu cinq jours plus tard. Pas avare en
promesses, il déclinait son slogan de « Grandes ambitions » comme les
piliers d’un vaste programme en cinq points qu’il n’est pas inutile de
revisiter dans ses grandes lignes en l’accompagnant de commentaires
propres basés sur les éléments de contexte.
1- «La poursuite de la
modernisation de notre système démocratique. Nous bénéficions déjà des
avantages essentiels de la démocratie. Institutions représentatives et
exercice des droits et libertés fondamentaux. Grâce à la
décentralisation, nos populations seront mieux associées à la vie
publique (…) Nous agirons énergiquement pour développer le «comportement
citoyen» qui est à la base de l’harmonie sociale.»
Bientôt 7 ans
après, rien n’a véritablement changé. La décentralisation a timidement
été lancée et connaît de nombreux hoquets. Elecam a été mis sur pied
dans un contexte de crise de confiance entre les principaux acteurs
politique –avec notamment un président du conseil électoral impliqué dès
le départ dans une scabreuse affaire d’immigration clandestine qui n’a
jamais été élucidée et les autres membres du conseil accusés d’être des
responsables du parti au pouvoir- dont la plupart, ceux de l’opposition,
continue de lui contester toute indépendance et toute impartialité, en
dépit des gages que multiplie le directeur général des Elections pour
garantir la transparence du processus électoral. Quant au comportement
citoyen, il a accouché de l’opération Epervier qui s’est rapidement muée
en une action d’épuration politique.
2- «Au plan économique,
nous n’allons pas nous satisfaire des 5% de croissance. Nous pouvons,
nous devons faire mieux (…) Nous allons tout faire pour porter notre
économie à un niveau plus élevé, en ouvrant de nouvelles perspectives à
une grande politique agricole, en mettant en œuvre un programme
énergétique d’envergure, en mettant en œuvre une politique industrielle
digne de notre pays et en développant nos richesses touristiques».
Le
gouverneur de la Beac déclarait il y a quelques jours, au sortir d’une
réunion du comité monétaire, qu’il y avait espoir d’atteindre cette
année le taux de croissance de 5%. C’est dire qu’entre temps on a encore
reculé. Qui en serra surpris ? La grande politique agricole annoncée il
y a 7 ans a été encore rappelée il y a quelques semaines lors du comice
agropastoral d’Ebolowa, où on aurait dû faire un premier bilan. Le
programme énergétique et la politique industrielle sont encore en projet
pendant que le pays cherche toujours à dépasser le seuil ridicule des
500.000 touristes par an…
3- «Nous allons faire en sorte que ce
nouvel élan serve ce qui demeure notre priorité : le progrès social. Il
faut admettre que les retombées de la croissance ont été inégalement
reparties. Trop nombreux sont nos compatriotes qui sont restés sur le
bord de la route de l’amélioration de la situation économique (…) Je
connais les soucis des Pme-Pmi dont les créances restent impayées, je
connais les difficultés de la Caisse d’épargne postale, les inquiétudes
des salariés lorsque les traitements ne sont pas payés à temps, la
désespérance des retraités aux maigres ressources, les déceptions de
certaines catégories comme les enseignants. A tous ceux-là, je dis : ne
désespérez pas, les choses vont changer. »
Malheureusement, les 7
dernières années ont continué de creuser le fossé entre une minorité de
privilégiés qui s’enrichit toujours davantage avec une scandaleuse
arrogance, pendant que l’écrasante majorité de la population s’appauvrit
toujours plus. Aucune embellie dans la situation des Pme-Pmi dont les
mouvements de défense des intérêts se sont multipliés, pendant que les
établissements de micro finance, à l’image de Cofinest, ont sonné la
débandade et le désarroi auprès des petits épargnants. Les enseignants,
au gré de grèves et revendications, ont affiché leur mal être. Et comme
rien n’a changé, le désespoir s’est accentué.
4- «Je renouvelle
devant vous mon engagement de tout faire pour maintenir notre pays dans
la paix et la sécurité (…) Nous vivons en paix, c’est indiscutables.
C’est notre bien le plus précieux. Et nous entendons bien le préserver
car tout en dépend : développement et progrès social».
L’éternel fond
de commerce sur lequel s’est toujours appuyé le régime a tenu bon, si
on considère la paix comme l’absence de guerre. En finalisant les
derniers détails sur la Camerounité de la presqu’île de Bakassi, Paul
Biya a marqué des points. Mais pas assez pour assurer la sécurité à
l’intérieur du pays ou aux frontières. Les nombreux enlèvements
d’autorités politiques et administratives camerounaises par des rebelles
dans la zone toujours querellée, autant que des actes comme le braquage
de la banque Ecobank à Douala (comme Limbe il y a deux ans),
l’assassinat à son domicile du magistrat Biakan (comme de nombreux
inconnus au quotidien) montrent que le chemin de la sécurité pour tous
est encore long. Trop long…
5- «Nous allons valoriser l’image du
Cameroun à l’extérieur (…) Jusqu’à présent, ce sont nos sportifs et nos
artistes – auxquels je rends ici un vibrant hommage – qui ont contribué à
cette bonne réputation.
Il conviendra donc de leur apporter un
meilleur soutien. Mais de manière générale, nous devons faire plus pour
être mieux connus. Telle est bien notre intention. C’est pourquoi nous
lancerons à cet effet une vaste opération de communication».
Samuel
Eto’o et Manu Dibango ont continué de briller. Les tabloïds et autres
magazines internationaux ont certes gagné beaucoup d’argent en réalisant
des suppléments spéciaux sur le Cameroun. Mais ils n’ont pas pu
empêcher la déferlante sur le Cameroun à travers de multiples affaires
touchant de près à l’image du pays et à celle du chef de l’Etat et de sa
famille : vacances dispendieuses du chef de l’Etat et de son imposante
délégation à La Baulle en France ; affaire du rapport sur les biens
supposés mal acquis par une Ong catholique basée en France ou encore la
récente plainte déposée et reçue par les tribunaux français par Célestin
Djamen contre le président Paul Biya et qui lui a valu une sortie
nerveuse en Libye il y a quelques mois devant ses pairs du Sénégal et de
la Guinée Equatoriale.
Que retenir de tout cela ? Que les promesses
électorales n’engagent que ceux qui y croient. Mais aussi que, par
respect pour le peuple, avant d’annoncer de nouvelles promesses, un
devoir d’inventaire s’impose.
Par Alain B. Batongué