Lors de son discours à la nation du 31 décembre 2013, le président de la République a fait aveu d’impuissance face à l’immensité des défis de la nation et évoqué la nécessité d’un plan d’urgence. Près de deux mois après, rien dans l’action au sommet de l’Etat ne laisse penser qu’il y a vraiment urgence à agir. S’il est vrai que dans le sérail l’on a été tétanisé par cette lapalissade dans les premières semaines, force est de constater que le pouvoir tente de reprendre l’initiative sur son terrain favori, la politique politicienne. Terrifié par l’ampleur du désastre social et économique, fruit de trois décennies de mensonges, le régime tente désespérément de fuir le terrain des questions telles : l’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux soins de santé de base, la crédibilité et l’efficience du système scolaire et universitaire, le chômage endémique, la démobilisation avérée de l’administration, la corruption systémique, les détournements compulsifs des deniers publics, la piètre qualité des travaux publics, l’ouverture des perspectives d’avenir pour la jeunesse, la prise en charge des personnes du troisième âge, l’industrialisation du pays, le défi de l’innovation, l’attractivité du pays pour les investisseurs nationaux et étrangers, la défiance de la population vis-à-vis de la justice, la pandémie de l’insécurité, la gestion rigoureuse et transparente des finances publiques, l’imbroglio de la nationalité à géométrie variable, l’effondrement du prestige du pays au plan international, etc. Il préfère s’engager, selon les média et les indiscrétions de certaines sources qui disent être bien informées, sur un hasardeux projet de révision constitutionnelle visant l’instauration d’un poste de Vice-président, successeur constitutionnel, sensé décharger le Président BIYA de son fardeau avant le prochain scrutin présidentiel prévu en 2018.
Si cette rumeur persistante était finalement fondée, il se dégagerait alors que le conseil que nous avions humblement donné au Président de la République, à travers une lettre ouverte à lui adressée le 12 février 2011 était justifié. Dans celle-ci, nous l’implorions de ne pas se porter candidat à sa succession eu égard au fait que la modification l’article 6 (2) de la Constitution avait été arrachée en 2008 dans le sang et sur les cadavres de jeunes combattants pour la démocratie. Sans aucune intention de nuire, nous soutenions également que son bilan social et économique tout comme son grand âge ne militaient pas pour un nouveau mandat présidentiel, qui de surcroît est de sept ans dans notre pays.
Cette prise de position citoyenne nous a valu en son temps des « compliments » appuyés des radicaux du système, des nombreux intellectuels pantouflards ainsi des courtisans de tout poil. A côté du dénigrement intellectuel d’universitaires de haut vol, certains services de police nous avaient, à cette occasion, fait l’insigne honneur de nous convoquer aux fins de dénicher le projet insurrectionnel que dissimulait notre interpellation citoyenne.
Bien avant notre lettre ouverte au Président de la République, dès mars 2008, peu après que le projet de loi portant modification de la Constitution eut été déposé sur la table des députés, nous avions interpellé les représentants du peuple sur leur responsabilité historique, car l’article 6 (2) de la Constitution de 1996, principal objectif visé par ce projet de loi, était le fruit d’un compromis politique qui avait mobilisé en 1991 dans le cadre de la Tripartite, tous les segments de la nation, les partis politiques, la société civile, l’administration et même l’Armée.
Nous démontrions alors que la modification de l’article 6 (2) embarquait le pays dans une véritable aventure politique au moment où celui–ci se trouvait dans la situation d’un avion dont le tableau de bord signalait le rouge en raison de graves manquements politiques, économiques et managériales.
Au final, rien, même pas les nombreux jeunes tués par les soldats alors qu’ils tentaient, mains nues, de signifier au pouvoir leur exaspération face à son incapacité à leur proposer des solutions pour leur avenir, n’ont pu ramener le régime porté par le RDPC et ses alliés à la raison. Déterminés à maintenir le Président BIYA au pouvoir contre le bon sens politique, et même contre son propre intérêt en tant que personne humaine, au regard de son âge, ils ont, dans un mépris et une arrogance dont ils détiennent seuls le secret, procédé à la révision de l’article 6 (2) ainsi qu’à d’autres dispositions de la Constitution, contre vents et marrées.
Quoique censuré par les média à capitaux publics, le débat précédant cette révision forcée de l’article 6 (2) avait été très houleux. Pour les adversaires de la révision, les principaux arguments étaient d’ordre politique. En effet, au plan légal, le pouvoir avait des arguments à faire valoir. Il les avait d’autant plus qu’il n’avait pas encore ratifié la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance (CADEG). Mais une fois la révision constitutionnelle imposée, le régime a ressenti le besoin de soigner son image sur la scène internationale en se drapant d’un manteau démocratique. C’est ainsi qu’après la délibération et l’adoption par l’Assemblée nationale, le Président de la République promulguait le 15 juillet 2011, la Loi N° 2011/017 autorisant la ratification de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance (CADEG).
Le 16 janvier 2012, le Cameroun devenait le quinzième Etat à déposer les instruments de ratification de la CADEG. Et en application de son article 48, trente jours après, le 15 février 2012, la CADEG entrait en vigueur. Par cette ratification qui a marqué concomitamment l’opposabilité à notre pays de cette Charte protectrice de la démocratie et son entrée en vigueur au plan international, le Cameroun réalisait là un saut qualitatif sur le contrôle institutionnel de notre démocratie.
En effet, l’article 10 du chapitre IV de la CADEG intitulé : Démocratie, Etat de Droit et Droits de l'Homme, dispose en son alinéa 2 : « Les Etats parties doivent s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum. ».
Or, l’article 45 de notre Constitution dispose quant à lui que « [l]es traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserves pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». L’article 64 pour sa part dispose qu’ « aucune procédure de révision ne peut être retenue si elle porte atteinte à la forme républicaine, à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’Etat et aux principes démocratiques qui régissent la République ».
Les dispositions pertinentes de la CADEG et les articles 45 et 64 de la Constitution du 18 janvier 1996 ne permettent pas au Président de la République de créer un poste de Vice –président, successeur constitutionnel, sans un débat national débouchant sur l’obtention d’un consensus. Un tel débat ne peut se limiter au seul Parlement, même réuni en Congrès. Il requiert la pleine et entière participation des partis politiques, de la société civile, de toutes les forces vives de la nation (à l’image du dialogue qui avait permis de parvenir au consensus de 1991 préparatoire à la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 ; même si celui-ci a été unilatéralement cassé par le pouvoir lors de la révision constitutionnelle d’avril 2008).
En effet, si le projet de modification de la Constitution visant à instaurer le poste de Vice – président, successeur constitutionnel du Président de la République en cas de vacance de pouvoir venait à être officialisé, la question de la mise en place du Sénat, que de nombreux observateurs ont considéré comme une danseuse que la République s’est offerte alors même que l’Etat peine à faire face à ses obligations financières, se poserait. Et pour cause, la Loi N°2008 /001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la Loi N°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972 règle en son article 6 (4) (nouveau) la succession à travers la disposition suivante : « En cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil Constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République doit impérativement avoir lieu vingt (20) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance. »
De plus, son alinéa 4 (a) dispose : « L’intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu’à l’élection du nouveau Président de la République, par le Président du Sénat. Et si ce dernier est, à son tour empêché, par son suppléant suivant l’ordre de préséance du Sénat (...) ». L’autorité chargée d’assumer cette lourde responsabilité est dont clairement désignée.
Certes, certains, dans une démarche visant à sonder la réaction de l’opinion, tentent d’expliquer que, c’est préoccupé par les délais jugés trop courts pour l’organisation du scrutin présidentiel pendant la durée de l’intérim que le Président de la République envisagerait la révision constitutionnelle lors de la session parlementaire de mars prochain. Or, lors de la campagne relative à la modification constitutionnelle de 2008, l’on avait déjà mis en avant cet argument pour masquer l’objectif principal qu’était la révision de l’article 6 (2) sur la limitation du mandat présidentiel. Et la question avait été tranchée. Le constituant avait, en effet, modifié et remplacé dans l’article 6 (4) de la Constitution de 1996 le passage énonçant que « le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République doit impérativement avoir lieu (20) jours au moins et quarante (40) au plus après l’ouverture de la vacance » par « (...) le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République doit impérativement avoir lieu vingt (20) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance » (art. 6 (4) de la Constitution du 14 avril 2008).
En clair, cet argument est désormais caduc, sauf à considérer qu’il sert simplement à justifier une manipulation constitutionnelle dont le but serait uniquement de masquer l’agenda personnel du Président de la République. Dans ce cas, la crédibilité et le sérieux du constituant de 2008 seraient gravement remis en cause.
En effet, comment le Président de la République pourrait-il convaincre qu’une disposition constitutionnelle dont la révision a coûté officiellement « seulement cent morts » - dixit le ministre de la communication de l’époque -, mais officieusement beaucoup plus, peut, après quarante huit mois, être à nouveau révisée, sur les mêmes points. S’il initiait une telle modification de la Constitution et que le Parlement y procédait, ce serait ni plus ni moins une forfaiture. S’il en était ainsi, les Camerounais concluraient à raison que dans notre pays la volonté du Président de la République est au-dessus de la Constitution.
Indépendamment des chapelles politiques, il est aisé de constater que le poste de Vice-président de la République ne peut, en raison de sa contrariété avec des principes fondamentaux de notre Constitution, son impact sur l’architecture institutionnelle mais aussi de son enjeu dans la succession du Président République, être institué par le seul Parlement.
De toute évidence, ce projet de création d’un poste de Vice – président de la République divise : d’abord au sein même du parti gouvernant et parmi ses alliés où l’on y voit une manœuvre visant à installer un proche parent au pouvoir, ensuite au sein de l’opposition et de la société civile où l’on y voit les prémisses d’un coup d’Etat constitutionnel.
Cette éventualité plongerait plusieurs personnalités de l’entourage présidentiel dans une colère noire; eux qui, en privé, accusent le Chef de l’Etat d’être le principal responsable du délitement du pays et par conséquent le disqualifient d’avoir à choisir son successeur suivant un procédé aussi antidémocratique.
On comprendrait mal que le Président de la République qui ne rate jamais une occasion de clamer son attachement à la démocratie ; lui qui a ratifié la CADEG ; qui sait le haut degré de défiance créé au sein de son parti et parmi le peuple par la modification forcée de l’article 6 (2) en avril 2008 pour lui permettre de se représenter à l’élection présidentielle ; qui est conscient du terrible sentiment d’injustice qui habite une partie de l’opinion sur l’opération « épervier » considérée comme une arme politique ; qui sait combien le climat politique s’est dégradé dans le pays à cause de la profonde crise de légitimité que des résultats électoraux obtenus grâce à des fraudes massives, prenne le risque de soumettre le pays à une nouvelle tension politique aux conséquences imprévisibles.
Nul doute que notre position va encore déchaîner une avalanche d’attaques et de critiques ouvertes ou sous couvert de noms d’emprunt de la part de ces intellectuels du palais ou des alentours du palais qui ne gagnent du galon auprès de leur chef qu’en lui disant ce qu’il souhaite entendre et non ce qui est dans l’intérêt du peuple, ce peuple qui n’en peut plus. Ces intellectuels pantouflards producteurs de la berceuse que le Président de la République a entonnée à la jeunesse médusée lors de son allocution du 10 février dernier ; eux qui, après l’allocution du Président de la République constatant l’échec de son régime le 31 décembre 2013, ont osé lui faire dire, avec un taux d’exécution du budget d’investissement public de 50%, un taux de croissance de 4,8% alors que les prévisions étaient de 6,1%, qu’il y a eu création de 2.25.000 emplois cette année alors qu’on en espérait seulement 200.000, que les motos taximen dont ils fuient le regard désespéré sont désormais des modèles que la jeunesse doit copier pour l’atteinte de l’émergence en 2035!
Il faut parier que d’ici la prochaine fête de la jeunesse, les enfants du Président de la République et ceux des dignitaires du système auront quitté, pour certains, les écoles d’ingénieurs, de médecine, l’ENAM, l’EMIA, l’Ecole supérieure de police, les postes réservés à la SNH, à la SONARA, à CAMTEL, etc., pour d’autres, les nombreuses entreprises réelles ou fictives qui ne vivent que des marchés publics, ou les douceurs de la vie occidentale dans de luxueux pavillons, pour s’investir dans ce secteur si porteur et si gratifiant qu’est la moto taxi !