Professeur Joseph OWONA: "Vous faites de la discrimination contre M. Paul Biya"
Douala, 22 Dec. 2010
© Souley ONOHIOLO | Le Messager
le professeur explique les enjeux de l'ouvrage, autant qu'il donne son avis sur les grandes questions de l'heure telles que: la limitation des mandats, la Constitution de 1996 dont il fait partie des rédacteurs, la réforme universitaire et la chaude actualité en Côte d'Ivoire.
L'émérite universitaire et ancien ministre vient de commettre un ouvrage de grande portée intitulé «Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain: étude comparative». Dans le franc parler qu'on lui connaît, le professeur Joseph Owona explique les enjeux de l'ouvrage, autant qu'il donne son avis sur les grandes questions de l'heure telles que: la limitation des mandats, la Constitution de 1996 dont il fait partie des rédacteurs, la réforme universitaire et la chaude actualité en Côte d'Ivoire. Le livre d'un volume de 740 pages coûte 50.000 Fcfa, sera dédicacé cet après- midi à 17 heures est disponible à la maison d'édition l'Harmattan à Yaoundé et dans toutes les librairies.
Vous organisez ce jour, 22 décembre, une cérémonie de dédicace de votre nouvel ouvrage sous le titre «Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain: étude comparative». Faut-il croire simplement à un nouveau jalon d'une longue carrière littéraire en rapport avec votre métier d'enseignant, ou bien avez-vous été inspiré par toutes les manipulations auxquelles se livrent désormais les dirigeants africains pour se maintenir au pouvoir ou se tailler des privilèges sur mesure?
Je remercie d'abord Le Messager qui est un grand journal national d'avoir bien voulu contribuer à cet évènement. Le droit constitutionnel est l'étude des institutions politiques. Il est une discipline majeure, une discipline qui fait le droit, une discipline dans l'étude magistrale du droit, dans l'étude du gouvernement des peuples. Elle n'a pas besoin des manipulations des dirigeants africains. D'ailleurs les dirigeants africains ne sont ni les premiers, ni les derniers à manipuler les constitutions. Nous pensons que c'est un nouveau jalon, parce que dans le passé, j'ai regardé ce qu'on a fait en Chine, ce qui concernait le Renouveau chinois, avec la politique du Ginjigaigue. Ce livre a plus de vingt cinq ans, j'ai regardé ce qui se faisait en Corée du nord, j'ai écris sur les régimes politiques africains, j'ai produis une moyenne de 31 articles. Cet ouvrage essaie de globaliser tout cela, avec un regard plus mature sur les institutions, les droits constitutionnels, les institutions politiques du monde contemporain. Droits constitutionnels au pluriel parce qu'il y en a plusieurs.
C'est justement la question sur laquelle on devrait s'y attarder. Pourquoi avez-vous mis Droits constitutionnels au pluriel?
Droits constitutionnels au pluriel, vous allez vous apercevoir qu'il y en a plusieurs. Si vous regardez le contenu de l'ouvrage, il initie aux notions générales de droit constitutionnel: la Constitution, l'étude des régimes politiques... cela a l'air classique mais je pense qu'on va beaucoup plus loin que ce qu'on fait dans les facultés de droit occidentales. On ne s'en tient pas essentiellement aux conceptions qui sont celles des maîtres de Paris, Washington ou Londres. On regarde également comment on pourrait voir l'affaire du côté de Téhéran, Behring, Pyongyang, ou également du côté de la Hawane, d'Alger, de Moscou. C'est pour cela qu'il y a un pluriel, parce qu'on s'aperçoit que le droit constitutionnel, lorsqu'il est en confrontation avec les réalités, en confrontation avec les cultures, les religions, tant à s'éclater, à devenir quelque chose de dynamique, de pluriel. Parce qu'il devient quelque chose de pluriel, il demande à être analysé dans son caractère pluriel. C'est ce qui fait que l'ouvrage soit volumineux, qu'il prenne 740 pages, avec quelques illustrations.
En 1985 vous publiez un ouvrage sous le titre «Droit constitutionnel et régimes politiques africains». S'agissant de celui qui sera dédicacé ce jour, y a t il une logique de continuité, englobe-t-il les concepts déclinés dans le premier ou encore, quelles en sont les, similitudes ou des différences?
Je crois qu'il y a des similitudes certes, mais il y a également dépassement. Le contenu de l'ouvrage actuel est celui qui est digne de la mondialisation. Je pourrai dire de la globalisation. Je vous ai dis que quand vous regardez par exemple l'origine de l'Etat, vous regardez ce qu'on dit en Occident, vous voyez comment on conçoit l'Etat tout à fait ailleurs, il y à l'initiation au droit constitutionnel occidental, avec l'étude classique de la Grande Bretagne, des Etats-Unis, de la France, de la Suisse... Il y a également l'Inde qui est un monde à part. Il y a quelque chose de nouveau, l'étude des régimes postsoviétique, les années de l'effondrement de l'Urss, ceux du Vietnam, de la Corée du Nord, du Cuba, de la Chine... Il y à des études dans cet ouvrage que vous ne trouver pas généralement dans les cours de droit constitutionnel qui sont faits en Occident; c'est le cas des études des régimes filmiques qui sont importants, qui sont à la tête d'une vaste communauté et de plusieurs milliards d'individus. Il y a dans l'ouvrage, ce qui est tout à fait nouveau et plus intéressant encore, l'étude des régimes présidentialistes en Amérique latine Vous avez les vieux présidentialismes Latino américains: Brésil; Argentine, Mexique... Vous avez aussi les nouveaux présidentialismes étincelants: le Venezuela, le Pérou, la Bolivie et qui ouvrent effectivement des champs nouveaux de droits constitutionnels. Et enfin, on regarde l'Afrique, un continent qui n'est pas tout à fait à la traîne. L'Afrique présente également un visage pluriel de droits constitutionnels. Vous avez les régimes militaires, les régimes parlementaires, les régimes présidentialistes, des régimes présidentiels authentiques comme le Ghana, le Nigeria et d'une certaine façon, l'Afrique du Sud. Ce qui fait la nouveauté de l'ouvrage, ce qui fait son volume, ce sont aussi ces dynamiques nouvelles, ces confrontations nouvelles avec l'idéologie et l'analyse de départ qui est essentiellement occidentale. Voir cela avec un œil de quelqu'un du tiers monde, quelqu'un qui a un œil beaucoup plus indépendant, on peut dire que cela valait bien la peine.
Marquons un arrêt sur l'Université. On se souvient que vous avez été chancelier de la grande Université mère de Yaoundé. Pendant deux décennies, vous avez quitté les amphithéâtres pour vous atteler à des devoirs plus importants. Et puis il y a eu ce que d'aucuns ont appelé le come-back. Quelle est l'Université que vous retrouvez 17 ans après la réforme universitaire en 1993?
Vous me posez là des questions politiques. Je suis d'abord enseignant, universitaire. Enseigner est mon métier. Pour l'amour de communiquer, pour l'amour de la jeunesse d'aujourd'hui, d'hier et demain, et l'amour de l'agitation des idées. Mais tout cela n'est pas contraire à l'amour de la participation aux affaires publiques. S'agissant de la réforme de 1993, j'en suis un peu au niveau de l'Université, l'un des initiateurs, avec les professeurs Mélone de regrettée mémoire et bien d'autres... Je pense que cette réforme était nécessaire ; il fallait faire éclater l'Université camerounaise qui ne tenait plus dans le cadre de Yaoundé. Elle a été éclatée, certaines avancées ont été faites dans le sens de la décentralisation. Il faudrait à mon avis préciser les textes au niveau des évaluations et lés textes sur la solidarité nationale qui puissent permettre à toutes les régions de participer également à l'essor de l'Université. Personnellement je ne regrette pas que cette réforme ait été faite. L'Université doit de plus en plus authentifier ses enseignements, et avoir une sortie sur la production, une sortie sur le monde (réalités. Déjà même à l'époque, cet effort avait été fait. On avait fait de grau séminaires sur l'adéquation emploi et formation.
Vous êtes un brillant enseignant, si nous en croyons ce qu'en disent nombre de vos anciens étudiants. Et nous supposons que votre flirt avec les responsabilités politiques, notamment comme membre de gouvernement, vous ont permis de comprendre comme nous que la culture politique et citoyenne n'est pas encore la chose la mieux partagée chez nous. Aussi pouvons-nous solliciter qu'à l'occasion de cet événement que vous allez créer, nos lecteurs bénéficient aussi de vos lumières en un certain nombre de concepts. Par exemple, pouvez-vous leur livrer une définition simplifiée des notions: de nation, peuple, Etat, gouvernement, Constitution(bonne), République...
Vous êtes là à des notions de base, je dirais mêmes les plus simples : la Constitution est un ensemble de règles qui régissent, qui façonnent la gouvernance, qui façonnent le régime de l'Etat, le statut des gouvernants, des gouvernés, les citoyens et des communautés. Elle peut être entièrement écrite ou coutumière. Quant à la notion de bonne constitution, je pense qu'à première vue, on ne peut pas dire qu'une constitution est bonne ; elle est bonne parce qu’on l'applique avec les règles qu'elle contient. Je peux vous dire qu'il y aurait une recherche à faire sur la naissance d'un «jus cogens» c'est-à-dire des règles fondamentales sans lesquelles une constitution n'entrerait plus dans les normes. La constitution qui est bonne pour l'Iran ne l'est pas pour les Etat Unis; celle qui est bonne pour la Chine n'est pas bonne pour la France. Nous avons l'impression que les gens aiment consommer le «Coca-Cola constitutionnel» c'est-à-dire des choses importées. Je pense qu'il faut faire une recherche à plus d'adaptation. Si vous prenez le terme «gouvernement», il peut renvoyer au pouvoir exécutif, ou ceux qui gouvernent, prennent des décisions dans l'Etat. La nation est une communauté sous un seul gouvernement, un seul territoire. Le peuple est le collectif des citoyens qui ont le droit de participer, le droit de vouloir, le droit de parole, le droit de voter. L'Etat, on pourrait le dire très simplement que c'est une Institution douée de souveraineté, douée des prérogatives, mais de puissance publique par l'intérêt général. La République, «Republica» intérêt de la collectivité, primauté du droit, primauté de la légalité. Je crois que ces choses sont connues, ces biens sont inaliénables. Vous ne pouvez pas les céder.
Lorsque vous avez dit tout ça, on devrait logiquement parler de la Constitution du Cameroun. On se souvient que dans la Constitution de 1996, on a mis en évidence des notions de minorité, autochtone, allogène... Est ce que tout cela ne pose pas problème aujourd'hui quand on sait que rien n'a été fait pour montrer la prise en compte réelle de ces concepts.
Quel problème vous avez avec ces notions? Si vous étiez Duala, un Sawa à Douala, vous aurez ces problèmes. Si vous êtes un Batanga à Kribi; vous aurez ces problèmes. Je pense, qu'une bonne Constitution a été faite, il fallait peut-être l'appliquer jusqu'au bout. Encore que les Camerounais ne regardent pas ce qui se passe ailleurs. Aux Nations Unies, vous avez une commission pour les peuples indigènes, les peuples premiers. Qu'est-ce que vous voulez faire de ces gens là. Il faut qu'ils aient des droits; il ne faut pas qu'ils disparaissent de leur territoire d'origine. Une Constitution est comme un costume. Si vous voulez deux boutons, on les met, si vous en voulez trois ou quatre on vous en met. Regardez ce qui se passe dans les régimes constitutionnels latino américains au Pérou, Venezuela... Il y a le cas de la Bolivie où on a mis pratiquement deux siècles avant qu'un autochtone, n'accède à la magistrature suprême; je parle bien du président actuel de ce pays. Il faut regarder les choses avec beaucoup de pertinence. Si vous regarder le Vietnam, vous verrez dans la Constitution de ce pays, une commission des minorités; dans la constitution chinoise, vous y trouvez la commission des minorités et celle des chinois de l'Etranger. Vous voulez un Etat jacobin; c'est un modèle uniquement français. Je ne pense pas que cela soit très bien pour le Cameroun.
Vous venez de reconnaître que la Constitution doit être dynamique ; que les règles et les dispositions soient respectées, actées. Or le problème de la Constitution du Cameroun est qu'elle fait la part belle à la théorie et moins d'importance à la pratique. 15 ans après celle de 1996, on a le sentiment que rien ne bouge, les dispositions sont au ralenti : le Sénat, la Cour constitutionnelle, les pygmées qui sont des peuples autochtones... Toutes ces choses prévues dans la constitution de 1996 restent une vue de l'esprit. La Constitution du Cameroun a-t-elle un problème de cadence, de vitesse ou de rythme?
Je ne me mets pas dans la cadence ni dans la vitesse. Je dis qu'une Constitution doit tenir compte de toutes les réalités, elle doit tenir compte de la culture, de la religion. Il ne faut pas que ce soit une constitution rectiligne; celle qui ne regarde que les gens qui sont dans la capitale; il ne faut pas qu'il y ait des laissés-pour-compte. Mais vous n'avez pris que cet aspect de la Constitution. Pourtant cet aspect pour moi, ne me pose aucun problème. Je suis bien plus proche des pygmées que vous ne le pensez; ils sont à trois km de mon village. Donc je les vois et connais leurs problèmes d'aujourd'hui et ceux de demain. Je pense et continue à croire que ces dispositions ont leurs raisons d'être.
Pensez-vous que le système éducatif camerounais actuel dont vous êtes l'un des grands acteurs est approprié et favorable à la compréhension des concepts sus évoqués ou à leur intégration en les adaptant à notre contexte culturel traditionnel?
Pourquoi le système ne le serait pas? On a introduit dans le système scolaire, l'éducation à la citoyenneté qui permet au garçon, à la petite fille de connaître ce que c'est que le drapeau, la région, le gouvernement, les droits de l'Homme, la Constitution, la Cour suprême... Je pense-que c'est une très bonne chose. Evidemment, il faut vulgariser tout ça. Au-delà de cette vulgarisation, il faut également que les institutions s'indigénismes d'une certaine manière pour que le gouvernement ne soit pas seulement quelque chose qui est à Yaoundé. Que le petit citoyen le sache dès son enfance.
Pour revenir à la Constitution, professeur, pour avoir été parmi les rédacteurs de la version 1996 de la nôtre, qui limitait à deux, le nombre de mandats consécutifs du président de la République. M. Biya a fait sauter ce verrou qui faisait de lui le seul citoyen interdit de candidature en 2011, ce qui fait de lui à contrario et désormais le premier candidat naturel à l'échéance attendue d'octobre prochain. Ceci semble montrer l'importance d'une Constitution dans la gouvernance d'un pays. Pourtant, un pays comme l'Angleterre, à ce que nous sachions, n'a pas de Constitution écrite et reste le meilleur exemple d'un système qu'on pourrait appeler. «monarchico-républicain». Est-ce que le problème de bonne gouvernance, de l'alternance au pouvoir, et de la stabilité institutionnelle d'un pays comme le nôtre est celui du respect ou non de la Constitution, ou bien celui de la culture démocratique de l'élite politique et des dirigeants?
Il s'agit là d'une question très complexe. Vous faites de la discrimination contre M. Paul Biya en clamant qu'il soit le seul à ne plus être candida. Il faut regarder le problème en profondeur. Vous avez deux types de Constitution ; deux types de thèse en face. Vous avez la thèse de la prévisibilité des constitutions qui suggère que à tout moment, on peut réviser, il faut simplement respecter la forme. C'est le modèle Suisse par exemple. La Constitution suisse peut être révisée à tout moment. Il y a également le modèle de la Constitution du Cuba qui peut être révisée à tout moment, à condition qu'on respecte les formes. La Constitution chinoise également peut être révisée à tout moment. Il y a à côté d'autres modèles défendus par les gens qui disent qu'on ne peut pas réviser la Constitution. Même les Constitutions les plus vieilles ont dû être modifiées. Dans celle des Etats-Unis, il y a au moins 25 amendements qui ont été introduits. Ils avaient même oublié les déclarations de droits. On a dû les ajoutera Vous avez donc les deux modèles là. Ce qui est important, c'est le respect des formes et des procédures. Dans les révisions également, vous pouvez si vous êtes assez malins limiter ce qu'on peut réviser et ce qu'on ne peut pas réviser. Dans la Constitution russe de 1992, il y a des pans entiers qui sont protégés contre la révision. C'est-à-dire le pluralisme politique. On dit, on ne veut plus avoir une idéologie officielle, d'état... Donc il y a des niveaux de blocage. Vous avez des constitutions islamiques, où vous ne pouvez pas réviser le fait qu'Allah soit unique, le maître, le juge suprême, le seul grand gouvernant; que le Coran, la Charia, la Souna soient la source de la législation. Vous avez des choses qui ne peuvent pas être révisées dans les Constitutions da ces Etats islamiques. Et on le dit clairement. On dit que tout ce qui est contre l'islam est anticonstitutionnel. Les deux possibilités sont telles que : soit vous acceptez le mode des révisions et vous posez des conditions, mais il faut poser toutes les conditions, pas seulement les conditions de forme et de majorité. Il faut poser également les conditions des parties immuables de la constitution. Voilà la situation. Je crois que le problème qui se pose en Afrique, aux présidents des Etats africains est qu'ils ne sont pas aperçus qu'ils peuvent respecter les formes et faire autre chose. C'est-à-dire modifier l'aspect des limitations des mandats. On n'avait qu'à privilégier les limitations et les rendre intangibles; ce qui n'a pas été fait. Le problème de fond est celui de savoir si ce qui est bon pour les Etats- Unis est nécessairement bon pour le Cameroun. Si les Etats-Unis limitent les mandats, est-ce que c'est bon pour le Gabon, le Tchad, le Portugal ? Allons beaucoup plus loin et parlons de l'Angleterre. C'est un pays où il n'y a aucune limitation. La Reine est là à vie. Le Premier ministre, s'il gagne les élections générales, il reste en poste le plus longtemps possible. Vous avez le cas d'Israël, qui a passé une vingtaine d'années ; le cas de Mme Thatcher qui est restée 17 ans au poste. Il a fallu une révolte interne, au sein du parti des conservateurs pour la mettre dehors. Ce qui compte c'est qu'il faut avoir des règles qui sont des règles de fond dans une Constitution. Je réitère le vœu qu'il y ait une recherche à faire sur le «jus cogens»; de manière à savoir à partir de quel moment, par rapport à quelles règles, et comment le respect de ces règles doit être opéré.
Vous évacuez la question de façon subtile en répondant sur tout autre chose. Nous parlons du Cameroun, vous avez fait parti du comité de rédaction de la Constitution du Cameroun de 1996 qui a prévu la limitation des mandats présidentiels, elle même survenue à la suite d'un compromis historique entre le Rdpc, parti au pouvoir et les autres partis politiques.
Quelle logique appliquez-vous? Quels sont vos paramètres d'analyse. A partir du moment où on dit que pour réviser une Constitution, il faut respecter les formes et les procédures, à partir du moment où on dit dans une Constitution que: seules ne sont pas révisibles: la forme de l'Etat, la forme de la République, cela ne vaut pas pour les autres dispositions, on peut y revenir à chaque moment. La Constitution de 1996 n'est pas éternelle, ni même le compromis historique auquel vous faites allusion. Restons dans les réalités; regardez le Venezuela aujourd'hui, c'est une vieille République latino américaine avec la limitation des mandats. Savez-vous que le Venezuela fait tout pour s'en débarrasser pour une logique de messianisme politique. Regardez la Bolivie, le Pérou, ils s'en sont débarrassés. Mais je vous dis que ceux qui sont de l'autre côté, ont une autre thèse. Ils vous disent qu'il faut laisser le pays décider démocratiquement à tout moment.
Vous avez été un acteur majeur dans les actions politiques et administratives qui ont permis le retour dans notre pays des libertés publiques comme celle de l'information, et du pluralisme politique et partisan. Vingt ans après (c'était en décembre 1990), avez-vous l'impression que l'espace public de débats permet aux citoyen une culture politique massive intégrant la compréhension des concepts que vous venez de définir?
Ce n'est pas une course à pied ou une course à bicyclette, où il y a une arrivée et un départ. C'est une longue évolution. Si vous regardez un pays comme la France, il s'est construit en Etat libéral pendant très longtemps. De 1789 à 2010, c'est une très évolution. Rendue à ce jour, la France continue à améliorer sa constitution, à faire un certain nombre de choses sur : le statut du président de la République, le régime de l'Assemblée ; elle donne beaucoup plus de pouvoir à des groupes de citoyens ou à des groupes parlementaires. Le Cameroun a fait un pas vers le libéralisme ; c'est un pas qui est essentiel. Vous qui êtes journaliste, vous devez savoir que beaucoup de choses ont changé. Peut-être on peut, je crois même qu'on doit réfléchir sur un nouveau constitutionalisme camerounais qui viendrait compléter ce qu'il y a. Il serait fait de quoi ? On pourrait à mon avis multiplier (ou ouvrir) un peu plus les garanties du citoyen, les asseoir à la base fondamentale du recours pour excès de pouvoir ; on devrait ouvrir des recours en inconstitutionnalité, soit à des groupes à l'Assemblée nationale, soit à des groupes de citoyens, de manière qu'on puisse accepter des actions contre un certain nombre d'actions de l'exécutif ou du pouvoir législatif ou judiciaire. On pourrait également, sauf à être révisionniste, réfléchir sur l'indigénisation de la vie politique. C'est-à-dire qu'est ce qui doit être exactement fait à la base pour que le citoyen soit associé. Je pense qu'il y a des pans entiers qu'on peut toujours ouvrir. La Constitution est toujours à faire, et même pire... Elle est toujours à recommencer.
A partir de vos impressions et conviction, comment voyez-vous le futur politique du Cameroun en cette année d'élection présidentielle où les gens ne s'inscrivent pas sur les listes électorales?
Vous m'étonnez beaucoup. S'ils ne s'inscrivent pas, ils font le jeu de qui. Le droit de vote est le droit de parole; c'est le pouvoir électoral, c'est le pouvoir de participation du citoyen. Si les gens veulent se faire entendre qu'ils s'inscrivent sur les listes électorales. Je pense que cela est un devoir citoyen ; au delà du devoir, c'est une obligation. Il faut le faire et exprimer son vote. Je n'ai aucune intention à jouer Mme soleil, pour penser ce que sera la prochaine élection présidentielle. Je pense qu'il faut que les Camerounais se prononcent avec lucidité qu'ils se prononcent en paix, que les élections ne soient pas matière à une compétition au couteau. Elecam est là pour inscrire tout le monde. Que l'on soit jeune ou vieux, il faut s'inscrire sur les listes électorales. Je crois qu'Elecam fait un certain nombre de tâches dans ce sens là, mais les choses ne pourront être bien faites que si tout le monde va voter.
Disons un mot sur ce qui se passe en Côte d'Ivoire, ce pays qui a aujourd'hui deux présidents. Un constitutionnellement proclamé élu et l'autre soutenu par la communauté internationale. Les deux ont chacun prêté serment. Comment appréciez-vous l'évolution de la situation et qu'est ce qui peut être fait pour arrêter le carnage?
S'il y a une seule chose qui peut être faite pour mettre un terme aux tueries inutiles: c'est le dialogue. La solution passe par là et il faudrait absolument en arriver là. Dans l'un ou l'autre cas, les situations sont complexes. On ne peut pas être sûr que les élections ont eu lieu suivant les règles de l'art dans un pays à moitié divisé, un Etat où le Nord du pays est occupé et pratiquement en sécession, tandis que l'autre partie est gouvernée par un autre camp. Il y a également la question de la Commission électorale indépendante qui montre à travers l'exemple de la Côté d'Ivoire que ce n'est pas une panacée. Il y a des commissions électorales très compétitives comme celles de l'Inde, du Brésil; vous avez cette combinaison conseil constitutionnel commission électorale qui est très risquée aussi. Parce que finalement, l'un recense les résultats, l'autre les arrête. Il y a véritablement des choses à revoir. En Côte d'Ivoire, il n'y a rien à faire d'autre que la négociation, le dialogue. Il faut que les gens se parlent, qu'ils pensent et se sentent disponibles à refonder l'Etat ivoirien. C'est également un problème de gestion d'Hommes. Quand vous avez un Etat, il faut qu'on sache qui est citoyen de cet Etat, et qui ne l'est pas. Si des gens qui ne sont pas en principe citoyens de cet Etat, sont là et deviennent forts, cela pose à la fin un problème. Il y a même un problème de fond que nous n'avons pas jusqu'ici évoqué. Quand on regarde les institutions africaines précoloniales, il faut dire que ces sociétés étaient gérées de façon très consensuelle. Elles se sont fondées sur le consensualisme. Aujourd'hui on arrive avec une méthode qui est telle que, d'un côté il y a les gens qui vont gérer le pays et de l'autre, ceux qu'on met à l'écart de la gestion des affaires publiques. Il se pose réellement des problèmes de fond. La situation actuelle en Côte d'Ivoire ne fait pas plaisir, il faut dialoguer. Ce n'est pas la communauté internationale qui va offrir à la Côte d'Ivoire un président, ni défaire un autre. Surtout ne l'oublions pas, quand deux éléphants font l'amour, c'est l'herbe qui en souffre. Cinquante morts c'est déjà beaucoup. C'est trop. .