Présidentielles au Sénégal : Autopsie d'une alternance
Une page vient de se tourner à Dakar. En félicitant son adversaire au
terme d’une campagne électorale marquée de violences, le Président Wade
vient de se racheter une respectabilité a minima. Macky Sall, candidat
soutenu par la coalition des partis d’opposition Benno Bokk Yakaar (Unis
pour le même espoir !), l’emporte à plus de 65% contre 35% au Président
sortant Abdoulaye Wade du PDS (Parti Démocratique Sénégal) et ses
alliés politiques.
Une vraie déculottée pour l’un des vieux baroudeurs de la scène politique sénégalaise.
Quels sont les enseignements à tirer de l’élection du nouveau président Macky Sall ?
Personnellement, nous en voyons quatre : la détestable
personnalité du président sortant, le rôle de la société civile, la
défection des alliés occidentaux de Wade et enfin, le tassement du
clientélisme confessionnel des puissantes confréries islamiques.
1- Wade : « l’Etat c’est moi ! »
On
pourrait résumer les douze années du Président Wade à la tête du
Sénégal par un seul mot : démesure. Sur le plan intérieur, elle est
partout cette ivresse du pouvoir qui a singularisé la gouvernance de
Maitre « Ablaye » Wade.
D’abord un mépris réel pour la démocratie et les équilibres institutionnels. Sous sa présidence, la Constitution sénégalaise fut modifiée plus d’une dizaine de fois souvent pour des motifs aussi farfelus que saugrenus. A titre illustratif, il a fallu amender la constitution pour ramener le mandat de Macky Sall, alors Président de l’Assemblée Nationale de 5ans à 1 an ! Son tort ? avoir commis une enquête parlementaire sur la gestion scabreuse des fonds alloués à l’agence chargée de l’organisation de la Conférence Islamique (Anoci) dirigée par le fils du Président de la République, Karim Wade.
Ensuite, sur le plan infrastructurel, la démesure prend tout son sens et laisse songeur. Le projet des « 7 merveilles de Dakar » s’est révélé une pure chimère, faute de réalisme dans le montage financier des dossiers. Sans parler de la construction du « Tramway de Dakar »
lui aussi resté au stade de vœu pieux. Pendant qu’à Dakar, on manque de
médicaments de base et d’ouvrages didactiques dans les écoles, le
président se fait construire un Monument de la Renaissance Africaine
évalué à plus d’une vingtaine de milliards de FCFA et dont
l’architecture financière reste jusqu’à présent pour le moins opaque.
Le
Sopi (changement en wolof), c’est aussi les malversations financières
et les scandales à répétition qui selon le journaliste sénégalais Abdou
Latif Coulibaly (cfr. La République Abimée, 2011) sont la marque de
fabrique du PDS et ses alliés au pouvoir.
Citons pêle-mêle les scandales liés à l’achat de l’avion
présidentiel, les Chantiers de l’Anoci, le Plan Takkal (lutte contre les
délestages), les Chantiers de Thiès, la Construction de routes bitumées
entre Dakar et Kaolack, la Goana (Grande offensive agricole pour la
nourriture et l’abondance), l’affaire Ségura (tentative de corruption
d’un représentant local du FMI par le président Wade en octobre 2009),
le Fesman (Festival mondial des arts nègres)...
Le présidentialisme tropical, c’est aussi imposer son fils contre vents et marées.
Malgré sa cuisante défaite aux municipales à Dakar en 2009, le prince Karim sera « promu »
à la tête d’un super-ministère chargé de l’Energie, de la Coopération
Internationale, de l’Aménagement Territorial, du Transport Aérien et des
Infrastructures. Les sénégalais ont tôt fait de le surnommer
ironiquement « Ministre du Ciel et de la Terre! » du fait de
l’étendue de ses attributions ministérielles. Dans un pays aussi pauvre
que le Sénégal, il est inadmissible qu’un ministre fût-il fils du
Président de la République, se déplace dans le cadre de ses missions à
l’étranger en jet privé affrété à prix d’or ! Qu’à cela ne tienne, au
Sénégal, la démesure était sans limite...
Sur le front social,
les principales villes du pays sont confrontées à un chômage endémique
où plus de 30% de la population active est sans emploi, désœuvrée et
livrée à elle-même.
Les délestages d’eau et d’électricité sont monnaie courante dans les centres urbains et périphériques. Les prix des denrées de premières nécessités (riz, huile, lait, pain, sucre...), ont explosé tandis que le pouvoir d’achat des sénégalais continue de s’amenuiser.
Les étudiants et les enseignants paupérisés, sont à deux doigts d’une année blanche par la faute d’un pouvoir complètement ivre et sourd aux revendications sociales.
Lors de la passation des charges à son successeur, Wade affirmera, hagard devant les journalistes « Peut-être n’ai-je pas suffisamment cerné la demande sociale... »
Ultime aveu d’échec d’un pouvoir hors-sol devenu autiste et sénile.
Last
not the least, la présidence Wade, c’est aussi la mise à mort
systématique de tous les dauphins ou leaders gênants du PDS au profit de
son fils Karim Wade. Ses ex-premiers ministres Idrissa Seck et Macky
Sall sont tour à tour, humiliés publiquement, déchus politiquement avant
d’être persécutés judiciairement. Cheikh Tidiane Gadio, ex-patron de la
diplomatie sénégalaise, Aminata Tall, ancienne ministre, Modou Diagne
Fada, ancien dirigeant des Jeunesses Libérales, ont subi également les
foudres du Président Wade avant de rallier l’opposition de guerre lasse.
Notons enfin, au registre de politique intérieure, l’échec du président
sénégalais sur le conflit casamançais qu’il avait promis de régler en
cent jours dès sa prise de fonction en mars 2000.
Sur
la scène internationale, que retenir du leadership du Président
sénégalais au service de l’Afrique ? Rien de bien significatif. Sinon
qu’il fut le premier Chef d’Etat africain à aller légitimer à Benghazi
en juin 2011, l’agression militaire de l’OTAN contre Mouammar Kadhafi
son ancien bienfaiteur. Il sera par la même occasion le premier
dirigeant africain à accréditer à Dakar, une représentation diplomatique
des rebelles du Conseil National de Transition (CNT), appendice par excellence de l’impérialisme occidental en Libye.
Au mépris du plan de l’Union Africaine qui prévoyait un dialogue politique inclusif entre les parties en conflit.
En
Côte d’Ivoire, avant et pendant la crise post-électorale, ses prises de
position en faveur d’Allassane Ouattara auront achevé de le discréditer
au sein de l’opinion publique africaine.
Comment cautionner l’une des pires supercheries politiques dont se sont rendus coupables les puissances occidentales et leurs valets africains en agressant un pays qui aspirait à préserver sa souveraineté ? En effet, le président sénégalais fut un des fervents défenseurs de l’option militaire contre Gbagbo là où la plupart de ses pairs africains préféraient une solution politique négociée.
Il se fendra même d’une interview dans la presse française où il exalta son rôle dans le coup d’Etat contre Laurent Gbagbo, le président légitimement élu par les ivoiriens : « Il nous fallait aller vite. Si on ne l’avait pas fait, il y aurait eu beaucoup plus de dégâts et de morts », (Le Figaro du 13-04-2011). Quelle irresponsabilité !
Enfin, à titre anecdotique, Abdoulaye Wade fut le parrain des
principaux rebelles ivoiriens avec qui il signera un accord de cessez-le
feu le 17 Octobre 2002 à Dakar sous l’égide de la Cedeao dont il
assurait la présidence tournante. Guillaume Soro dont la cruauté est
notoire, se targuait même de l’appeler affectueusement « papa ».
2-La société civile comme gardienne du temple...
Le Mouvement du 23 juin 2011 (M23), né des cendres encore fumantes du projet de loi sur le « ticket présidentiel »
-qui aurait permis au président et son vice-président d’être élus avec
un minimum de 25% des voix !-, s’est forgé une vraie légitimité au sein
de l’opinion publique et des acteurs politiques de l’opposition. Ce
mouvement comprend des associations citoyennes comme les jeunes rappeurs
de « Yen a marre », des partis d’opposition de la coalition
Bénoo Siggil Sénégaal (Unis pour le Sénégal), la société civile comme la
Raddho (Rencontre africaine des droits de l’homme) d’Alioune Tine et
d’autres mouvements associatifs.
Ces différentes associations
aussi larges qu’hétéroclites avaient un but commun : empêcher Wade de
rempiler pour une troisième fois et veiller au strict respect de la loi
fondamentale. Signalons aussi par ailleurs, le rôle capital de Moustapha
Niasse de l’AFP (Alliance des Forces du Progrès) et d’Ousmane Tanor
Dieng du Parti socialiste au niveau de l’unification de cette
plate-forme politique et citoyenne contre le président sortant.
En organisant des séminaires sur la légalité d’une énième candidature
d’Abdoulaye Wade, le M23 a su fédérer également les anciens déchus du
parti au pouvoir dont entre autres, les ex-premiers ministres Idrissa
seck, Macky Sall, Cheikh Tidiane Gadio, ex- ministre des Affaires
étrangères de Wade, Aminata Tall, ancienne ministre et d’autres moins
connus.
Des figures populaires comme l’artiste-musicien Youssou Ndour, « le roi du mbalax »,
dont la candidature avait été rejetée pour des arguties juridiques ont
également contribué à isoler Abdoulaye Wade au sein des couches
populaires.
Le président sortant pariait sur l’essoufflement du mouvement
contestataire et quelques défections de taille. Fort heureusement, les
principaux leaders du M23 surent prioriser l’essentiel et taire leurs
divergences afin de mettre hors jeu la coalition FAL (Forces alliées
pour la victoire) au pouvoir. Grâce à une large mobilisation populaire
du M23 et du front d’opposition Benno Bokk Yakaar, le second tour du
scrutin s’est transformé en un véritable référendum anti-Wade. Une vraie
leçon de réalisme politique.
3- L’échec de l’instrumentalisation des confréries comme « bétail électoral »
Cette
fois-ci les khalifes des confréries islamiques se sont montrés
circonspectes et ont décidé de faire profil bas au second tour de la
présidentielle. Malgré les pressions financières du pouvoir en place.
Aucun « ndiggël » - consigne de vote - n’a été donné par les
chefs des confréries islamiques exception faite de quelques seconds
couteaux comme le marabout Béthio Thioune (Photo) qui a appelé à voter
pour Wade. La pression populaire aidant, une consigne de vote en faveur
de Wade aurait achevé de les discréditer totalement au sein de l’opinion
publique mais aussi auprès des fidèles. En sus, une consigne de vote
pour Wade était assez hypothétique en termes de votes effectifs dans les
urnes.
Depuis son accession au pouvoir, Wade n’a eu de cesse d’instrumentaliser son appartenance au mouridisme, l’une des puissantes confréries islamiques, à des fins électoralistes. Ses largesses financières à tel ou tel khalife général, ou à la faveur d’une cérémonie cultuelle à Touba, ville sainte des mourides, ont suscité inquiétude et réprobation à la fois chez les partis politiques mais aussi les chefs religieux.
En 2000 déjà au second tour, la plupart des confréries avaient appelé à voter Abdou Diouf sans succès. Cette fois-ci, malgré les appels pressants du pouvoir en faveur d’un « ndiggël », les khalifes ont tôt compris la nécessité de ne pas prendre position en faveur du président Wade dont le rejet au sein de l’opinion était claire car cela pourrait se révéler contre-productif comme naguère en 2000 avec Abdou Diouf.
De son coté, Macky Sall a préféré prendre ses distances vis-à-vis de
ces autorités religieuses dont il reprouve le mélange des genres.
Préférant les cantonner dans leur fonction sociale et cultuelle loin de
toute forme d’instrumentalisation politique.
4- Un président lâché par ses parrains occidentaux...
« This is a man ! », « Voilà un homme ! »
Ainsi s’exclamait George W. Bush à l’endroit de son homologue
sénégalais en le présentant à Condoleeza Rice à Dakar le 08 juillet
2003. Il faut dire que depuis son arrivée au pouvoir en 2000, le
président sénégalais n’a d’yeux que pour Washington. Exit donc Paris
jugée trop archaïque. Plusieurs faits attestent de ce rapprochement
vis-à-vis de Washington.
D’abord la nomination du très « américanophile » Cheikh Tidiane Gadio pour piloter sa diplomatie. Puis la signature d’importants contrats de lobbying politique gérés notamment par le cabinet JC Watts (Jeune Afrique, 13-12-2004) dans le but de non seulement de crédibiliser son image auprès de l’administration américaine mais aussi de générer des flux financiers conséquents pour le Sénégal.
Wade a bénéficié durant ses mandats d’un « partenariat stratégique » avec les Etats-Unis lequel comprenait la lutte contre le terrorisme, l’aide à la modernisation des infrastructures sénégalaises comme le Port Autonome de Dakar, grâce au Millenium Challenge Account (MCA), un programme destiné à renforcer l’investissement privé en vue d’accélérer la croissance économique en Afrique. Le Sénégal fera aussi l’objet d’une augmentation significative de l’aide publique au développement de la part des Etats-Unis dans le cadre de ce « partenariat stratégique ».
Fort de toutes ces sollicitudes, il sera même invité au sommet du G20 en mai 2011 à Deauville, aux cotés d’Obama, le président sénégalais crut que tout lui était permis.
Y compris grâce à une forfaiture juridique, se présenter à un troisième mandat alors que la Constitution sénégalais le lui interdit. En décembre 2011, il engage le prestigieux cabinet américain d’avocats Mc Kenna Long & Aldrige afin de faire gober aux officiels américains et à l’administration d’Obama, l’idée d’un troisième mandat présidentiel. Le contrat selon la presse sénégalaise, avoisinait 100.000 dollars !
Suite à la validation en février 2012 de sa candidature par le Conseil Constitutionnel sénégalais et la réprobation générale suscitée par cette candidature, les Etats-Unis se rangèrent du coté de la contestation populaire. Ils exhortèrent ouvertement le président sénégalais à passer la main et à œuvrer pour « un changement de génération ».
Johnnie Carson (Photo), sous secrétaire d’Etat américain aux Affaires Africaines, confiera avoir personnellement téléphoné au président sénégalais afin de l’exhorter à ne pas se présenter à un troisième mandat. Sans succès.
Du coté de l’Elysée, c’est d’abord l’attentisme et une certaine hypocrisie qui l’emportent.
On « comprend »
les manifestations civiles d’opposants à Wade mais on ménage un allié
en difficulté qui peut toujours servir. Dans un premier temps, via le
très imbuvable Alain Juppé, ministre des Affaires Etrangères, la France
en appellera à « un scrutin où serait représenté toutes les sensibilités ».
Sentant son isolement diplomatique face à la détermination des leaders du M23 et surtout la fermeté de Washington, Paris réclamait désormais « un changement de génération ». Finis donc la coterie et les faux-fuyants de la Françafrique, place au réalisme !
L’alignement de la France sur la position étasunienne achevait ainsi de sceller le sort d’Abdoulaye Wade sur l’autel de la realpolitik entre puissances impérialistes.
Wade dont on connait le goût pour la spéculation intellectuelle, aurait dû méditer cette sentence de Pierre Mendes France : « les hommes passent, les nécessités nationales demeurent ». Rideau !
En guise de conclusion, l’élection du Président Macky Sall marque la victoire du « menu peuple » et ses alliés contre le « gras peuple ». Cette victoire appelle par ailleurs, l’édification de trois priorités qui me paraissent essentielles :
Primo :
refonder un véritable pacte social autour d’un Etat démocratique où la
séparation des pouvoirs aurait un contenu concret et non proclamatoire.
Sortir de l’Etat-PDS fait de népotisme, d’injustices, d’arbitraires
pour édifier un Etat juste, équitable et gouverné démocratiquement. Le
président Macky Sall s’est engagé à mettre en œuvre les recommandations
issues des Assises Nationales tenues du 01 juin 2008 au 24 mai 2009 sous
l’égide de Amadou Mahtar M’Bow, ancien directeur général de l’UNESCO
dont la probité est reconnue de tous. De ces « Etats Généraux »
de la vie publique sénégalaise sont sorties des lignes directrices qui
jettent les bases d’une éthique nouvelle de la gouvernance politique au
Sénégal. Il faudra veiller scrupuleusement à leur mise en œuvre.
Secundo :
lutter contre la vie chère et le chômage endémique qui touche la
population active dans les grandes villes notamment. La question sociale
et économique était au cœur de la contestation du régime de Wade lors
de ces présidentielles. En 2008 déjà, Dakar était en proie aux émeutes
de la faim du fait de la hausse des prix des denrées de première
nécessité.
La poussée migratrice de la jeunesse sénégalaise vers l’Europe dans
les embarcations de fortune, s’explique largement par l’incapacité de
l’Etat à faire face aux préoccupations économiques et sociales de ses
citoyens. Il faudra s’y atteler rapidement et autrement.
Tertio: la
question de l’affirmation d’un véritable leadership sénégalais afin de
faire face aux grands enjeux qui minent l’Afrique et singulièrement sa
zone ouest en proie à des crises politiques aigües notamment au Mali, en
Côte d’Ivoire et au Nigéria. Le Sénégal doit cesser d’être l’idiot
utile de l’impérialisme occidental et s’ancrer résolument dans la
défense de la dignité de l’Afrique.
Olivier DOSSOU FADO
Mouvement pour la Renaissance Africaine (MORAF)
m.moraf@yahoo.fr