Présidentielle 2012 - Alternance politique: La leçon qui vient du Sénégal

DOUALA - 27 Mars 2012
© Alain NJIPOU | Le Messager

En attendant les résultats officiels prévus ce jour ou demain mercredi 28 mars 2012, Macky Sall est le quatrième président d'un pays où l'alternance est ancrée dans les mœurs et la démocratie plus que vivante. Evocation.

Le deuxième tour de la présidentielle sénégalaise qui s'est déroulé dimanche, 25 mars 2012 aura été sans pitié pour le président sortant Me Abdoulaye Wade. D'après les premières tendances, Macky Sall, son challenger direct du second round, a remporté le scrutin de la manière la plus démocratique qui soit. D'ailleurs, Abdoulaye Wade, 85 ans sonnés, n'a pas fait perdurer le suspense. Encore moins, il n’a pas attendu la publication des résultats officiels pour reconnaître sa cinglante défaite. En même temps, les chaînes de télévision, les radios ont rendu public, minute by minute, les résultats issus des bureaux de vote. Toutes choses pas possibles au pays de Paul Biya.

Wade a achevé sa leçon de fair-play politique administrée à la face du monde, notamment au Cameroun, où au lendemain d'un scrutin présidentiel, des leaders montent généralement au créneau pour décrier la fraude électorale et contester ainsi les résultats publiés des semaines entières après. On espère que les organisations chargées de piloter l'élection présidentielle, à savoir Elecam, chargé de l'organisation matérielle et la Cour suprême en lieu et place du Conseil constitutionnel, qui publie les résultats définitifs, ont compris qu'il est possible de fixer le peuple sur son suffrage et de dégager le vainqueur d'une course à la magistrature suprême, sans attendre les décomptes manuels des voix fastidieux et porteurs d'incorrections.

Noyé par ce qui se dessine comme un véritable raz de marée électoral, le président sortant et candidat controversé à sa propre succession Abdoulaye Wade a finalement été beau joueur. Face à son ancien Premier ministre Macky Sall, 50 ans, Wade peut ainsi espérer sortir la tête haute après avoir entretenu une certaine tension en maintenant sa candidature à un troisième mandat, malgré son âge, malgré des vagues de protestations, malgré une campagne électorale meurtrière avec six morts dans les rangs des manifestants tombés sous les coups, les roues ou les balles des forces de l'ordre. Au demeurant, il faut saluer la maturité politique du peuple sénégalais moteur d'une alternance politique pacifique depuis plusieurs décennies.

Pour la petite histoire, Abdoulaye Wade qui remplace par les urnes Abdou Diouf héritier de Léopold Sendar Senghor, en 2000, va devoir passer le témoin à Macky Sall, même si pour beaucoup, le changement d'homme à la tête du pays ne signifie pas changement de système.

Rapport de forces

Il faut rappeler que Macky Sall est le fils spirituel de Wade qui a fait de lui son Premier ministre durant plusieurs années avant le clash qui a séparé les deux hommes d'Etat.

Depuis 1982, le Cameroun n'a connu qu'un seul président, en l'occurrence Paul Biya pendant que le Sénégal en est à son troisième chef d'Etat, démocratiquement élu. Il faut donc saluer la vitalité de la démocratie sénégalaise en tournant les yeux vers le Mali voisin, plongé dans l'incertitude et la confusion après le coup d'Etat militaire du 22 mars 2012. Toujours à l'actif du peuple sénégalais, en juin 2011, l'opposition politique, la société civile, la presse, les étudiants et les rappeurs s'étaient levés pour bloquer une loi qui aurait permis au président sortant de se faire réélire avec seulement 25% des voix et d'ouvrir la voie à une transmission héréditaire de la présidence à son fils Karim.

L'objectif «Anti-Wade» d'abattre un président vieillissant et qui donnait les signes de vouloir s'accrocher à un pouvoir qu'il détient depuis 2000 est atteint. Reste à s'interroger si Macky Sall aura les coudées franches pour diriger un pays où un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté. Nul doute, qu'il devra composer avec tous ceux qui lui ont permis de gagner, notamment les libéraux, comme lui, mais aussi les socialistes, les verts, la société civile... Il lui faudra donc concilier les vues parfois divergentes de tous ses alliés de circonstance. En attendant, les législatives du mois de juin prochain, vont à coup sûr, établir le rapport de forces entre chacune des formations politiques, et plus précisément le poids réel de l'Alliance pour la République (Apr) de Macky Sall, créée en 2008. Le peuple sénégalais et la démocratie remportent finalement l'élection présidentielle de fort belle manière. Du coup, le Sénégal parle au Cameroun…


Portrait: Macky Sall, l'élève qui a battu le maître

Elu à la tête du Sénégal, il a dépassé son «maître» Abdoulaye Wade. Il est surnommé «Niangal Sall» en wolof, «sévère Sall».

L'ex-Premier ministre d'Abdoulaye Wade est connu pour être introverti, certain estimant qu'il manque de charisme. Il a pourtant été élu dimanche à la tête du Sénégal. Longtemps considéré comme «l'apprenti» du vieux lion, cet ingénieur et géophysicien de formation, incarne ainsi le changement après 12 ans de règne sans partage du clan Wade. «Je serai le président de tous les Sénégalais», a promis Macky Sall dimanche soir. «Ce soir une ère nouvelle commence pour le Sénégal », s'est félicité le vainqueur du scrutin, qui lui aussi a salué la maturité des électeurs et de la démocratie sénégalaise. «L'ampleur de cette victoire aux allures de plébiscite exprime l'immensité des attentes de la population, j'en prends toute la mesure. Ensemble, nous allons nous atteler au travail», a-t-il conclu.

Quinquagénaire issu d'une famille très modeste de quatre enfants, il est tombé très tôt dans le chaudron de la politique. Forgé par le mouvement marxiste de Landing Savane, And jef, il finit par rapidement tourner le dos à la gauche. Le pragmatique Macky Sall rejoint alors le camp libéral. en 1983, il «débute son compagnonnage avec Wade», raconte Slate Afrique.

Une ascension fulgurante

Pour le jeune Macky Sall, Abdoulaye Wade est le seul à pouvoir mettre un terme au régime d'Abou Diouf. En une petite décennie, Macky Sall s'impose comme l'une des figures incontournables du Parti démocratique sénégalais. La raison? Il ne fait d'ombre à personne et reste dans le sillage des ténors du parti.

En mai 2001, il entre pour la première fois dans un gouvernement. Et pas des moindres, celui de son mentor. Alors directeur général de la Société des pétroles du Sénégal, Abdoulaye Wade lui confie le portefeuille des Mines, de l'Energie et de l'Hydraulique. Son ascension est fulgurante. Macky Sall enchaîne les maroquins dont celui de l'Intérieur en 2003. En avril 2004, c'est l'heure de la consécration. Son pygmalion le nomme alors Premier ministre, un poste qu'il quittera en juin 2007 pour devenir président de l'Assemblée nationale.

Le temps de la disgrâce

C'est alors que les ennuis commencent. En 2008, le président de l'Assemblée nationale convoque devant les députés le fils du président, Karim Wade alors à la tête d'une agence chargée des travaux pour un sommet islamique de mars 2007 à Dakar. Perçue comme un «piège», cette convocation dont le chef de l'Etat n'a pas été informé, entraîne rapidement sa chute. Grâce au vote d'une nouvelle loi, les partisans de Wade font passer son mandat de cinq à un an.

Acculé, il finit par démissionner de son perchoir et de toutes ses fonctions étatique et élective. «J'ai voulu donner un exemple de résistance républicaine», disait Macky Sall le soir de sa démission, devant plusieurs centaines de partisans. Commence alors une longue traversée du désert dont l'unique but est la reconquête du pouvoir. Il crée l'Alliance pour la République (Apr), un parti libéral, sous la bannière duquel il redevient en 2009 maire de Fatick, une commune du centre du Sénégal où il est né. De plus en plus ancré dans l'opposition, Macky Sall refuse depuis lors tout compromis avec Wade, qu'il dit n'avoir pas rencontré depuis son départ du pouvoir.

Reste que le nouveau locataire du palais présidentiel divise. Si l'opposition le perçoit comme «un complice du système Wade», de nombreux Sénégalais voient en lui «l'homme qui a tenté de freiner la dévolution monarchique du pouvoir», conclut Slate Afrique.



Election-Sénégal: Les Sénégalais du Cameroun votent Macky Sall

Les ressortissants du pays de la Terranga vivant au Cameroun ont plébiscité le challenger d'Abdoulaye Wade au cours du scrutin du 25 mars 2012.

Le personnel de la chancellerie du Sénégal à Yaoundé située au quartier Bastos joue peut-être les prolongations. Du moins, un vigile en faction à l'entrée du bâtiment fermé à double tour révèle au reporter du Messager venu collecter les chiffres issus des différents centres de vote ouverts à l'occasion de la présidentielle sénégalaise qu'aucun personnel n'est en poste. Et pour cause: «tout le monde se repose après la veillée électorale de la nuit de dimanche à lundi», confie-t-il. Le préposé à la sécurité suggère alors à son interlocuteur d'aller voir du côté de l'école publique d'Ekoudou (Briqueterie) qui a hébergé les 6 bureaux de vote de la ville de Yaoundé. Là encore, l'information n'est pas disponible. Le décor de la veille ayant déjà changé.

La seule piste restante est celle des regroupements de Sénégalais de Yaoundé. Celle du Conseil supérieur des Sénégalais de l'étranger, antenne de Yaoundé basée au carrefour Intendance et celle de la fédération du Cameroun du Parti démocratique sénégalais (Pds) donnent les mêmes tendances. Macky Sall a laminé Abdoulaye Wade (le président sortant) au terme du deuxième tour de la présidentielle de 2012.

D’après des sources, sur environ 650 Sénégalais repartis dans les 6 bureaux de vote de l’école publique d'Ekoudou, à peu près 550 ont effectivement pris part au vote. Parmi eux, 180 seulement ont accordé leurs suffrages à Abdoulaye Wade. Le reste a choisi Macky Sall. Pour Gora Tall, premier responsable du Conseil des Sénégalais de l'étranger rencontré au siège de Yaoundé, c'est à peu près les mêmes tendances qui émanent des urnes dans les 3 bureaux de vote ouverts à Douala. Dans l'ensemble, le conseiller estime qu'il se dégage plus 65% des suffrages valablement exprimés pour Macky Sall sur l'ensemble du territoire camerounais. Un peu à l'image des résultats généraux en attendant bien sûr la publication des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel.

Pour le secrétaire général de la fédération camerounaise du Pds le parti d'Abdoulaye Wade - qui confirme les tendances communiquées par le Conseil supérieur des Sénégalais de l'étranger, branche du Cameroun, ces résultats sont le fruit de la volonté du peuple sénégalais souverain qui a choisi un des «fils politiques de Wade». Aboubakrine Dieng estime qu'au-delà du coup de force que certains opposants opportunistes ont voulu perpétrer en essayant de faire invalider la candidature du «père du Sopi [changement en wolof, ndlr]», il est heureux que les Sénégalais aient confiés le Sénégal à un leader d'idéologie libérale après les douze années de règne d'un précepteur du Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique). Wadiste comme il se revendique, Aboubakrine Dieng estime que le gagnant devrait composer avec toutes les composantes sociales puisqu'il lui professe des débuts difficiles, du point de vue économique, pour Macky Sall. De même, il invite Karim Wade, le fils de l'autre, à rentrer dans l'opposition... à battre le pavé pour reconquérir le pouvoir. Quelle élégance tout de même!

Rodrigue N. TONGUE


27/03/2012
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