Présidentielle 2011: Comment les états-majors préparent l’échéance électorale
YAOUNDE - 31 JAN. 2011
© Pierre Célestin Atangana | Mutations
Pendant que la majorité au pouvoir peaufine ses stratégies pour la victoire, l’opposition baigne dans l’incertitude; Elecam toujours à la recherche de sa crédibilité. La route vers le rendez-vous d’octobre prochain n’est pas un long fleuve tranquille.
Présidentielle 2011: Comme un fleuve agité
La route vers le rendez-vous d’octobre prochain n’est pas un long fleuve tranquille.
Le 10 janvier dernier, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, annonce, au cours d’un point de presse, des mesures de facilitation prescrites à titre exceptionnel par le chef de l’Etat, pour l’établissement et la délivrance de la carte nationale d’identité (Cni) aux citoyens en âge de voter. Applicables du 3 janvier au 30 avril 2011, ces mesures épargnent, à ceux qui sollicitent ce document, les frais de timbre et les droits de greffe. La mise en place d’équipes mobiles d’identification, le renforcement des équipes dans les centres spécialisés ainsi que la mobilisation des ressources additionnelles, faciliteront la bonne marche de l’opération. Sur le plan financier, la mesure, d’après Issa Tchiroma, entraîne la réduction de 50% des frais d’établissement de la Cni qui passe ainsi de 6500 à 2800 Fcfa. Pour les observateurs, il n’est pas difficile de déduire que le temps imparti à l’opération (4 mois) vise à intensifier les inscriptions sur les listes électorales.
Pour bon nombre d’opérateurs politiques, c’est l’aboutissement d’un processus qui a vu sa mécanique organisée, structurée, montée et planifiée au lendemain de la présidentielle de 2004, et dont l’unique dessein consiste au renforcement de la «majorité confortable» que le candidat naturel du Rdpc, Paul Biya, sollicita à l’aube des législatives et municipales d’avril 2007 dans une adresse à ses militants. 7 ans plus tôt, les cadres du parti au pouvoir émettaient déjà l’idée d’une révision de la Constitution pour permettre à Paul Biya de se représenter au scrutin d’octobre prochain. C’est ainsi que ce qui n’était encore qu’une rumeur constante éclata à Monatélé, le 6 novembre 2007, lors de la célébration du 25ème anniversaire de l’accession à la magistrature suprême de Paul Biya. L’histoire retiendra que c’est dans cette ville que le problème de la modification de la Loi fondamentale fut posé, au cours d’un meeting.
Quelques jours avant, Benoît Ndong Soumhet, directeur général de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) et cadre du Rdpc, démontait l’acte qui consacre la limitation des mandats présidentiels au Cameroun sur les ondes de la Crtv, au cours de l’émission «Dimanche midi». Face à François Marc Modzom, il indiqua que «la limitation des mandats est anti-démocratique.» Aussi, d’après lui, faire sauter le verrou de la limitation des mandats est un projet qui consacre l’expression de la volonté du peuple. L’euphorie ayant accompagné ces deux faits amena tous les cadres du Rdpc, chacun y allant de sa démarche, à justifier l’opportunité de cette modification qu’ils appelaient de tous leurs vœux. L’essai fut transformé par le chef de l’Etat le 31 décembre 2007, lors de son adresse de nouvel an à la nation.
Comme dans un film où le scénario est connu d’avance par les acteurs et les spectateurs, M. Biya fit d’abord diversion en indiquant que «les élections présidentielles camerounaises en 2011 sont certaines» : «Mais je les considère comme lointaines. J'ai un mandat de 7 ans et j'ai fait la moitié de ce mandat. A l'heure actuelle, nous avons d'autres priorités et la Constitution, telle qu'elle est aujourd'hui, ne me permet pas de briguer un troisième mandat. Cela étant, nous avons d'autres urgences.»
Sur mesure
Plus loin, il revint à la charge avec des arguments militant en faveur de la modification : «(…) De nombreux appels favorables à une révision me parviennent. Je n'y suis évidemment pas insensible. De fait, les arguments ne manquent pas qui militent en faveur d'une révision, notamment de l'article 6. Celui-ci apporte en effet une limitation à la volonté populaire, limitation qui s'accorde mal avec l'idée même de choix démocratique. J'ajoute qu'en soi, une révision constitutionnelle n'a rien d'anormal.» Après avoir tourné autour du pot, il annonce : «Nous allons donc (…) réexaminer les dispositions de notre Constitution qui mériteraient d'être harmonisées avec les avancées récentes de notre système démocratique afin de répondre aux attentes de la grande majorité de notre population.»
Le 14 avril 2008, dans la foulée des émeutes de la faim de février, la révision constitutionnelle est consacrée par un vote au Parlement, soit un an après avoir obtenu «la majorité confortable» dans ladite Chambre. 8 mois plus tard, le 30 décembre 2008, il désigne les membres d’Elections Cameroon (Elecam), tous issus du parti au pouvoir. Un acte qui survenait après que cet organe a essuyé des tirs groupés de la classe politique, qui trouvait sa structure taillée aux mensurations du Rdpc.
Le concert de protestations véhémentes qui s’ensuit ne fléchit pas la position du pouvoir qui, au cours de la session parlementaire de mars 2010, dépose un projet de loi qui cannibalise les pouvoirs de l’organe au profit des institutions publiques, qui reprennent ainsi en main le contrôle du processus électoral.
Pourtant, lors de son adresse à la nation le 31 décembre 2009, le chef de l’Etat annonçait des modifications dans la structure de cet organe vomi par des chefs de missions diplomatiques de l’Union européenne, et qui n’a pas arrêté d’essuyer des procès de tous ordres pour manque de crédibilité. C’est sur ces entrefaites que la Société de presse et d’édition du Cameroun (Sopecam) lance le premier tome de «l’Appel du peuple», un recueil de motions de soutien rédigées par des élites du Rdpc et de la classe dirigeante, invitant le président de la République à se représenter à l’élection présidentielle de 2011.
Aussi, après la période de balbutiements, la détente entre Paul Biya et le chef du Sdf, John Fru Ndi, dont les contestations vis-à-vis d’Elecam sont de plus en plus virulentes, fait croire à un rapprochement stratégique. Il est vrai que ce parti d’opposition a porté plainte devant la Cour suprême contre Elecam, pour revendiquer la révision du fichier en lieu et place de l’opération d’inscriptions sur les listes électorales, que l’institution a engagée et qui semble s’être amplifiée avec la baisse des frais d’établissement de la Cni. Dans la fièvre des préparatifs du scrutin d’octobre prochain, des offres de candidature sont présentées au public par des membres d’une opposition effritée et fragilisée, du fait de défections enregistrées ça et là. Mais le paysage s’enrichit de nouvelles figures et de nouveaux concepts.
Repères
12 octobre 2004 : élection présidentielle. Au sortir de celle-ci, des élites agitent le spectre de a modification de la constitution pour permettre au président de la république de briguer un énième mandat à la tête du pays.
6 juillet 2007 : Paul Biya ouvre la campagne des législatives et municipales. Marquée par la demande insistante des élites de modifier la constitution, le président demande aux militants du Rdpc de lui donner une majorité confortable au parlement. Ce qui lui permettra quelques mois plus tard de modifier la constitution.
22 juillet 2007 : élections législatives et municipales. Le Rdpc obtient 153 députés sur 180. Ce qui permet de faire sauter le verrou de la limitation des mandats qui empêchait de Paul Biya de se représenter en 2011.
31 décembre 2007 : Paul Biya annonce la modification de la constitution
14 avril 2008 : modification de la constitution. Commence le combat de la réforme de Elecam
25 mars 2010 : modification de la loi créant Elecam. Le Minadt et la Justice font un retour en force dans le processus électoral jusque-là entièrement confié à Elecam.
7 décembre 2010 : fête des Armées à Bamenda. Paul Biya inaugure les annonces de campagne
31 décembre 2010 : discours à la nation ; Paul Biya annonce la tenue d’élections en 2011
3 janvier 2011 : Paul Biya fixe l’établissement de la Cni à 2800Fcfa
17 janvier 2011 : Comice d’Ebolowa : les annonces électorales se poursuivent
© Pierre Célestin Atangana | Mutations
Pendant que la majorité au pouvoir peaufine ses stratégies pour la victoire, l’opposition baigne dans l’incertitude; Elecam toujours à la recherche de sa crédibilité. La route vers le rendez-vous d’octobre prochain n’est pas un long fleuve tranquille.
Présidentielle 2011: Comme un fleuve agité
La route vers le rendez-vous d’octobre prochain n’est pas un long fleuve tranquille.
Le 10 janvier dernier, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, annonce, au cours d’un point de presse, des mesures de facilitation prescrites à titre exceptionnel par le chef de l’Etat, pour l’établissement et la délivrance de la carte nationale d’identité (Cni) aux citoyens en âge de voter. Applicables du 3 janvier au 30 avril 2011, ces mesures épargnent, à ceux qui sollicitent ce document, les frais de timbre et les droits de greffe. La mise en place d’équipes mobiles d’identification, le renforcement des équipes dans les centres spécialisés ainsi que la mobilisation des ressources additionnelles, faciliteront la bonne marche de l’opération. Sur le plan financier, la mesure, d’après Issa Tchiroma, entraîne la réduction de 50% des frais d’établissement de la Cni qui passe ainsi de 6500 à 2800 Fcfa. Pour les observateurs, il n’est pas difficile de déduire que le temps imparti à l’opération (4 mois) vise à intensifier les inscriptions sur les listes électorales.
Pour bon nombre d’opérateurs politiques, c’est l’aboutissement d’un processus qui a vu sa mécanique organisée, structurée, montée et planifiée au lendemain de la présidentielle de 2004, et dont l’unique dessein consiste au renforcement de la «majorité confortable» que le candidat naturel du Rdpc, Paul Biya, sollicita à l’aube des législatives et municipales d’avril 2007 dans une adresse à ses militants. 7 ans plus tôt, les cadres du parti au pouvoir émettaient déjà l’idée d’une révision de la Constitution pour permettre à Paul Biya de se représenter au scrutin d’octobre prochain. C’est ainsi que ce qui n’était encore qu’une rumeur constante éclata à Monatélé, le 6 novembre 2007, lors de la célébration du 25ème anniversaire de l’accession à la magistrature suprême de Paul Biya. L’histoire retiendra que c’est dans cette ville que le problème de la modification de la Loi fondamentale fut posé, au cours d’un meeting.
Quelques jours avant, Benoît Ndong Soumhet, directeur général de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) et cadre du Rdpc, démontait l’acte qui consacre la limitation des mandats présidentiels au Cameroun sur les ondes de la Crtv, au cours de l’émission «Dimanche midi». Face à François Marc Modzom, il indiqua que «la limitation des mandats est anti-démocratique.» Aussi, d’après lui, faire sauter le verrou de la limitation des mandats est un projet qui consacre l’expression de la volonté du peuple. L’euphorie ayant accompagné ces deux faits amena tous les cadres du Rdpc, chacun y allant de sa démarche, à justifier l’opportunité de cette modification qu’ils appelaient de tous leurs vœux. L’essai fut transformé par le chef de l’Etat le 31 décembre 2007, lors de son adresse de nouvel an à la nation.
Comme dans un film où le scénario est connu d’avance par les acteurs et les spectateurs, M. Biya fit d’abord diversion en indiquant que «les élections présidentielles camerounaises en 2011 sont certaines» : «Mais je les considère comme lointaines. J'ai un mandat de 7 ans et j'ai fait la moitié de ce mandat. A l'heure actuelle, nous avons d'autres priorités et la Constitution, telle qu'elle est aujourd'hui, ne me permet pas de briguer un troisième mandat. Cela étant, nous avons d'autres urgences.»
Sur mesure
Plus loin, il revint à la charge avec des arguments militant en faveur de la modification : «(…) De nombreux appels favorables à une révision me parviennent. Je n'y suis évidemment pas insensible. De fait, les arguments ne manquent pas qui militent en faveur d'une révision, notamment de l'article 6. Celui-ci apporte en effet une limitation à la volonté populaire, limitation qui s'accorde mal avec l'idée même de choix démocratique. J'ajoute qu'en soi, une révision constitutionnelle n'a rien d'anormal.» Après avoir tourné autour du pot, il annonce : «Nous allons donc (…) réexaminer les dispositions de notre Constitution qui mériteraient d'être harmonisées avec les avancées récentes de notre système démocratique afin de répondre aux attentes de la grande majorité de notre population.»
Le 14 avril 2008, dans la foulée des émeutes de la faim de février, la révision constitutionnelle est consacrée par un vote au Parlement, soit un an après avoir obtenu «la majorité confortable» dans ladite Chambre. 8 mois plus tard, le 30 décembre 2008, il désigne les membres d’Elections Cameroon (Elecam), tous issus du parti au pouvoir. Un acte qui survenait après que cet organe a essuyé des tirs groupés de la classe politique, qui trouvait sa structure taillée aux mensurations du Rdpc.
Le concert de protestations véhémentes qui s’ensuit ne fléchit pas la position du pouvoir qui, au cours de la session parlementaire de mars 2010, dépose un projet de loi qui cannibalise les pouvoirs de l’organe au profit des institutions publiques, qui reprennent ainsi en main le contrôle du processus électoral.
Pourtant, lors de son adresse à la nation le 31 décembre 2009, le chef de l’Etat annonçait des modifications dans la structure de cet organe vomi par des chefs de missions diplomatiques de l’Union européenne, et qui n’a pas arrêté d’essuyer des procès de tous ordres pour manque de crédibilité. C’est sur ces entrefaites que la Société de presse et d’édition du Cameroun (Sopecam) lance le premier tome de «l’Appel du peuple», un recueil de motions de soutien rédigées par des élites du Rdpc et de la classe dirigeante, invitant le président de la République à se représenter à l’élection présidentielle de 2011.
Aussi, après la période de balbutiements, la détente entre Paul Biya et le chef du Sdf, John Fru Ndi, dont les contestations vis-à-vis d’Elecam sont de plus en plus virulentes, fait croire à un rapprochement stratégique. Il est vrai que ce parti d’opposition a porté plainte devant la Cour suprême contre Elecam, pour revendiquer la révision du fichier en lieu et place de l’opération d’inscriptions sur les listes électorales, que l’institution a engagée et qui semble s’être amplifiée avec la baisse des frais d’établissement de la Cni. Dans la fièvre des préparatifs du scrutin d’octobre prochain, des offres de candidature sont présentées au public par des membres d’une opposition effritée et fragilisée, du fait de défections enregistrées ça et là. Mais le paysage s’enrichit de nouvelles figures et de nouveaux concepts.
Repères
12 octobre 2004 : élection présidentielle. Au sortir de celle-ci, des élites agitent le spectre de a modification de la constitution pour permettre au président de la république de briguer un énième mandat à la tête du pays.
6 juillet 2007 : Paul Biya ouvre la campagne des législatives et municipales. Marquée par la demande insistante des élites de modifier la constitution, le président demande aux militants du Rdpc de lui donner une majorité confortable au parlement. Ce qui lui permettra quelques mois plus tard de modifier la constitution.
22 juillet 2007 : élections législatives et municipales. Le Rdpc obtient 153 députés sur 180. Ce qui permet de faire sauter le verrou de la limitation des mandats qui empêchait de Paul Biya de se représenter en 2011.
31 décembre 2007 : Paul Biya annonce la modification de la constitution
14 avril 2008 : modification de la constitution. Commence le combat de la réforme de Elecam
25 mars 2010 : modification de la loi créant Elecam. Le Minadt et la Justice font un retour en force dans le processus électoral jusque-là entièrement confié à Elecam.
7 décembre 2010 : fête des Armées à Bamenda. Paul Biya inaugure les annonces de campagne
31 décembre 2010 : discours à la nation ; Paul Biya annonce la tenue d’élections en 2011
3 janvier 2011 : Paul Biya fixe l’établissement de la Cni à 2800Fcfa
17 janvier 2011 : Comice d’Ebolowa : les annonces électorales se poursuivent