Paul et Chantal Biya ont finalement regagné Yaoundé hier en fin d’après-midi, après 33 jours passés à l’extérieur du Cameroun, pour la premier cité. 12 jours de plus et son empêchement aurait été, en principe, constaté. S’il n’est pas à son premier coup, les longs-courts séjours privés du président de la République, qui se fait généralement accompagner par son épouse et sa progéniture, amènent de plus en plus les Camerounais, surtout le landernau politique national, à s’interroger sur les éventualités en cas de vacance au sommet de l’Etat.
Car si cette vacance venait à se confirmer conformément aux dispositions de la Constitution, notamment l'article 6 alinéa 4 (nouveau) «pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil Constitutionnel», le flou juridique tel qu’entretenu laisse planer le risque d’une transition houleuse au Cameroun. A ceci s’ajoute les intérêts de groupes et lobbies qui ne cachent plus leur volonté de contrôler le pouvoir. Les exemples qui nous viennent du Togo, de la Guinée Conakry et du Gabon n’incitent guère à la sérénité.
En 2005, deux heures seulement après l'annonce du décès de Gnassingbé Eyadéma, l'armée tordant le cou à la loi constitutionnelle, désigne Faure Gnassingbé en remplacement de son père au sommet de l'Etat. La Constitution togolaise prévoit, en cas de vacance du pouvoir, que l'intérim doit être assuré par le président de l'Assemblée nationale pour une période transitoire de 60 jours et la tenue anticipée d’élections.
A l'annonce donc de la mort du Général Eyadéma, le président du parlement togolais, Fambaré Ouattara Natchaba, est en mission en Europe. Il a aussitôt tenté de rejoindre son pays avant de voir son avion (une ligne commerciale) dérouté vers Cotonou, la capitale du Bénin voisin ; ceci en raison de la fermeture de toutes les frontières du pays ordonnée par l’armée.
Faure Eyadema, un civil de 39 ans, précédemment ministre des Mines et de l'Equipement du et non moins fils de l’ancien président togolais, est catapulté à la tête de l’Assemblée nationale. Il assure l’intérim pendant quelques mois. La même année, à la suite d’une élection contestée, il est élu président de la République avec 60,6% des voix.
En Guinée Conakry, autre Etat du giron francophone, la mort de Lansana Conté le 22 décembre 2008 plonge le pays dans une zone d’incertitudes de près de deux ans jusqu’à l’élection en 2011 du président Alpha Condé.
Omar Bongo
Quelques heures après l'annonce de la mort du deuxième président de ce pays, après Sekou Touré, le capitaine Moussa Dadis Camara, jusqu'alors inconnu du grand public, apparaît à la radiotélévision guinéenne pour annoncer la suspension de la Constitution et de toutes les institutions républicaines ainsi que la dissolution du gouvernement. Il prononce un discours à forte tonalité sociale, dénonçant le désespoir profond du peuple de Guinée, la complicité des dignitaires du pouvoir dans le pillage des ressources du pays et leur incapacité à fournir à la population les services de base.
Le 23 décembre 2008, il est porté à la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement (Cndd). Le lendemain, les forces armées le désignent président de la République de Guinée, le capitaine Camara promet alors des élections «libres, crédibles et transparentes» en décembre 2010. Mais moins d’un an plus tard, il sera débarqué du pouvoir et remplacé par Sekouba Konaté le n°2 du Cndd. C’est ce dernier qui organisera les élections qui porteront Alpha Condé au pouvoir en 2011.
Mais, il y a aussi des pays où la transition suite à la vacance du pouvoir s’est déroulée dans le respect des lois constitutionnelles : le cas du Ghana où le président John Atta-Mills, mort subitement, mardi 24 juillet, à l’'âge de 68 ans. La procédure de succession s’'est mise en place sans difficultés. La procédure de transition constitutionnelle a été suivie à la lettre.
Le vice-président, John Dramani Mahama, a prêté serment devant une session extraordinaire du Parlement, quelques heures après la mort du chef de l'État. « Je veux assurer les Ghanéens que tout est en ordre. Nous allons maintenir la paix, l'unité et la stabilité qui font la réputation du Ghana », a-t-il dit aussitôt après son investiture. Il doit assurer l'intérim jusqu’'à la présidentielle prévue en décembre.
Au Gabon voisin, après la mort d’Omar Bongo Ondimba, le 7 juin 2009, la transition a presque respecté la loi fondamentale. En effet, les textes prévoyaient que ce soit la présidente du Sénat accède au poste de président par intérim conformément à l'article 13 de la Constitution relatif à la vacance du pouvoir. Mais compte tenu du fait que le Senat n’était pas mis en place, c’est Rose Francine Etomba épouse Rogombé, présidente de l’Assemblée nationale qui a occupé ce poste jusqu’à l’organisation d’une élection qui porte Ali Bongo à la tête de l’Etat gabonais.
Décryptage
Législation
Dans le labyrinthe des «si»
Les dispositions actuelles de la Constitution font le lit d’interprétations contradictoires.
En première analyse, la vacance de la présidence de la République,
constatée par le Conseil constitutionnel (attendu) semble bien encadrée
dans la loi fondamentale au Cameroun. En effet, l’article 6 (4) dispose
qu’ «en cas de vacance de la présidence de la République pour cause de
décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil
constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau président de la
République doit impérativement avoir lieu vingt (20) jours au moins et
cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance ».
L’intérim du président de la République, précise le texte, est exercé de plein droit, jusqu’à l’élection du nouveau président de la République, par le président du Sénat. Et si ce dernier est, à son tour empêché, par son suppléant suivant l’ordre de préséance du Sénat. « Le président de la République par intérim-
le président du Sénat ou son suppléant ne peut modifier ni la Constitution, ni la composition du gouvernement. Il ne peut recourir au référendum. Il ne peut être candidat à l’élection organisée pour la présidence de la République. Toutefois, en cas de nécessité liée à l’organisation de l’élection présidentielle, le président de la République par intérim peut, après consultation du Conseil constitutionnel, modifier la composition du gouvernement », poursuit le législateur.
Problème : le Sénat, prévu depuis 1996 dans la Constitution, n’est toujours pas mis sur pied. A l’article 67, alinéa 6 (nouveau) de la Constitution, il est pourtant indiqué qu’«au cas où la mise en place du Sénat intervient avant celle des régions, le collège électoral pour l’élection des sénateurs est composé exclusivement des conseillers municipaux». Un allègement apporté en 2008, qui aurait pu pousser le pouvoir à se hâter. Attente déçue.
Autre obstacle, l’inexistence du Conseil
constitutionnel, chargé de constater la vacance du Prince. Même si
l’article 67 (4) dispose que «la Cour suprême exerce les attributions du
Conseil constitutionnel jusqu'à la mise en place de celui-ci ». A
l’alinéa 3 du même article, il est du reste précisé que «l’Assemblée
nationale exerce la plénitude du pouvoir législatif et jouit de
l’ensemble des prérogatives reconnues au Parlement jusqu'à la mise en
place du Sénat ».
Ce qui suppose donc que c’est le président de l’Assemblée nationale, en
l’état actuel de l’armature institutionnelle, qui assurera l’intérim en
cas de vacance au sommet de l’Etat.
En somme, la non-mise en place des institutions prévues par la Constitution de 1996 et l’interprétation potentiellement élastique qui peut en résulter, n’est pas de nature à rassurer. Sur cette lancée, l’Ong International Crisis Group indiquait dans un rapport sur le Cameroun rendu public en 2010 que « les institutions du Cameroun sont faibles ».
Avant de conclure, pessimiste, que « l’apparente stabilité du Cameroun est trompeuse : même s’il parvient à faire face aux défis qu’il doit relever à court terme, une détérioration de la situation sur le long terme pourrait provoquer des violences civiles».
Le cocktail est explosif
Le politologue Manassé Aboya Endong analyse les risques liés à une éventuelle vacance au sommet de l’Etat
.
Y a-t-il des dangers qui planent sur la stabilité
institutionnelle et sociale du Cameroun en cas de vacance à la
présidence de la République ?
A priori, on ne saurait convoquer sans l’aide d’indicateurs spécifiques les perspectives supposées dangereuses sur la stabilité institutionnelle et sociale du Cameroun sans évaluer l’armature juridique et constitutionnelle, voire institutionnelle destinée à encadrer la vacance à la présidence de la République, en l’occurrence l’article 6 de la Constitution et la loi modifiant et complétant les conditions d’élection et de suppléance à la présidence de la République.
Pris dans ce sens, et au regard de ces dispositions en vigueur, on ne peut que faire le constat d’un encadrement incomplet d’un scénario de la vacance du pouvoir au Cameroun, avec notamment l’existence d’une procédure constitutionnelle répondant à ce cas de figure, doublée malheureusement d’une mise en place inachevée des institutions concernées par la gestion de cette vacance, en l’occurrence le Sénat et le Conseil Constitutionnel.
Quand on ajoute à cette ambiguïté institutionnelle : un organe chargé de la gestion et de la supervision du processus électoral (ELECAM) querellé, un Code électoral boudé, un fichier électoral entre-parenthèses pour des raisons de biométrie, des forces sociales sur le pied de guerre, notamment embrigadées dans le double étau de la corruption et du tribalisme, etc., on ne peut qu’éprouver un sentiment de crainte par rapport à ce cocktail explosif qui plane sur la stabilité institutionnelle et sociale du Cameroun en cas de vacance à la présidence de la République .
En dehors des limites de l’armature institutionnelle, est ce que les réalités propres au Cameroun en termes de sociologie et de psychologie des acteurs politiques et institutionnels (l’armée, par exemple), ne sont pas de nature à vicier le passage de témoin ?
Les réalités que vous évoquez sont malheureusement favorisées par la faiblesse de l’armature institutionnelle, à la fois balbutiante et inconséquente. En effet, on ne saurait envisager ces cas de figure que vous évoquez fort à propos dans un environnement où l’Etat s’est affranchi de la bonne gouvernance, du tribalisme, des circuits parallèles, des velléités hégémoniques, etc., en cultivant quotidiennement le consensus et l’adhésion aux normes républicaines. C’est à l’Etat que revient le droit d’encadrer la société par la démocratie. Si le mouvement contraire prend forme, on peut effectivement être exposé à des scénarios inattendus, en marge du référentiel démocratique comme modèle constitutionnel d’accession au pouvoir.
Au Ghana, en Ethiopie ou encore au Gabon, la transition s’est relativement bien passée. Comment le Cameroun peut-il capitaliser ces exemples ?
Le Sénégal doit être ajouté à cette liste pour le moins restreinte. En effet, contrairement au Cameroun, ces différents pays ont travaillé à la mise en place des institutions solides encadrant la démocratie, mobilisant à la fois le consensus et l’adhésion de leurs peuples aux règles de fonctionnement. Le Cameroun ne peut pas valablement explorer cette perspective tant qu’on va continuer à considérer la démocratie comme une politique d’embuscade permanente visant l’opposition, au lieu de viabiliser de manière consensuelle un cadre propice à l’ancrage des institutions démocratiques.
Les longs (courts) séjours privés du chef de l’Etat à l’étranger et l’âge avancé du capitaine ne ravivent-ils pas les craintes d’un empêchement au sommet de l’Etat à un moment où on s’attendrait le moins…
A votre avis, est-ce que les puissances étrangères pourraient jouer un rôle dans l’encadrement de la transition au Cameroun ?
Les puissances étrangères sont manifestement
intéressées par la question de la transition politique, si tant est
qu’elles revendiquent à la fois une proximité avec certains acteurs
politiques qu’elles comptabilisent de nombreux investissements au
Cameroun. Il ne saurait cependant leur revenir le rôle d’encadrer le
déroulement de cette transition, le Cameroun étant un Etat souverain.
Toutefois, leur droit d’ingérence peut devenir incontrôlable si la
conduite du processus électoral venait à échapper au contrôle des
autorités en place, cédant éventuellement le pas à une guerre civile. Ce
qu’il ne faut aucunement souhaiter !!!