Comme un parent qui retrouve son
enfant après une longue séparation, le gouvernement n'a pas su s'y
prendre. C'est que la diaspora, autant qu'elle est éloignée par la
distance de son pays, en est devenue très proche. Elle est aujourd'hui
un vrai enjeu d'avenir, convoitée autant par le régime en place que par
l'opposition. Les leaders politiques ne dédaignent plus son invitation,
le pouvoir ne rechigne plus à l'inviter. C'est aujourd'hui 4 millions de
Camerounais qui vivent hors de leur pays, et y transfèrent 7 milliards
de francs CFA chaque année. Soit seulement 0, 06% du Pib.
C’est à dessein que le gouvernement l'a voulue exclusivement
économique et commerciale. La grand-messe tenue à Yaoundé les 13 et 14
août 2010 sur le thème «La diaspora camerounaise: un véritable acteur du développement»,
visait seulement à explorer les voies susceptibles de doper la
participation des Camerounais de l'extérieur au développement du pays.
Une option pas forcément au goût de la diaspora. «Pour cette
première édition, c'est le gouvernement, en tant que hôte, qui a tout
prévu. II n'y avait pas lieu de rechigner, surtout que la tenue de ce
forum est déjà en elle-même une victoire, au regard des réticences
nourries par certains dirigeants qui n'ont pas hésité à dresser des
obstacles ici et là. Ils espéraient le moindre incident, comme par
exemple des interviews au vitriol dans la presse de la diaspora, pour
confondre les défenseurs du forum». Ce participant qui s'exprime
sous anonymat relève la décision de la diaspora de peser de tout son
poids au moment de l'élaboration de l'agenda des prochaines assises
prévues l'an prochain.
Tout en reconnaissant qu'il importe de canaliser l'apport de la
diaspora dans le développement socioéconomique afin de le rendre plus
efficace, notre source confie que les sujets qui tiennent à cœur la
diaspora, mais qui fâchent, ont été soigneusement éludés au cours de ces
assises inédites. Ainsi de la question du droit de vote ou de la double
nationalité. Le récent limogeage du chef de la division des Camerounais
à l'étranger du ministère des Relations extérieures (Minrex) qui s'est
risqué à quelque déclaration à propos trahit bien la délicatesse du
sujet.
Des questions qui pourraient justifier le changement fondamental au
cours des 30 dernières années de la liaison entre le pouvoir et la
diaspora, aujourd'hui caractérisée par son ambiguïté. Entre le président
de la République et sa diaspora, l'on ne sait si c'est l'amour ou la
haine qui gouverne. Les déclarations d'amour de M. Paul Biya pour ses compatriotes de l'extérieur se comptent à la pelle. Par exemple, dans l'actuel gouvernement, trônent bien MM. Essimi Menye, ministre des Finances et, surtout, Luc Magloire Mbarga Atangana,
ministre du Commerce, maître d'ouvrage du forum économique et
commercial, considéré par la diaspora comme son digne ambassadeur.
Tout en faisant confiance aux Camerounais de l'étranger, M. Biya
semble s'en méfier tout aussi. Issu lui-même de la diaspora, il n'a pas
perdu de vue que ses membres savent parfois être frondeurs, sont jaloux
de leur indépendance qui les met à l'abri du «chantage alimentaire»
auquel succombent généralement les autres, devenant de ce fait
incontrôlables. La gestion de l'Etat échoit aux diplômés formés au pays,
et principalement à l'Enam, au détriment d'une diaspora au centre de
toutes les polémiques et intrigues qui, quelquefois, considère le
pouvoir de Yaoundé comme incompétent. D'autant que, pense M. Laurent Mbassi, chercheur associé au département de politique internationale de l'Institut des relations internationales (Iric), «certains s'imaginent à tort détenir la science infuse par l'unique moyen de l'expatriation».
C'est oublier un peu qu'au début du règne du Renouveau, les deux
partenaires ont filé le parfait amour. C'est l'époque des discours
enflammes qui annoncent que désormais nul n'a besoin de prendre le
maquis pour exprimer son opinion. Au cours de cette ère de normalisation
de la relation, les Camerounais résidant à l'étranger pour des raisons
politiques sont invités à retourner sans peur au bercail participer à
l'édification du pays. Lors de ses séjours à l'étranger, les rencontres
avec sa diaspora tiennent une place de choix dans l'agenda du chef de
l'Etat.
Mais l'idylle sera de courte durée. L'avènement du multipartisme,
des libertés et de la crise économique est venu rompre certaines
amarres. C'est que, dans le couple pouvoir-diaspora, vieux de plus de 50
ans, la cohabitation varie au gré du contexte et des enjeux politiques
du moment. La première vague diaspor?e, celle des Paul Biya, Hogbe Nlend, Augustin Frédéric Kodock, etc., après les études, est revenue au Cameroun, à l'exception des Mongo Beti, Abel Eyinga
et autres restés opposants jusqu'au bout. Elle prend la relève des tout
premiers dirigeants moins instruits qui ont remplacé les colons.
Cette ambivalence des relations entre les différents régimes
camerounais et la diaspora se justifie peut-être par l'informalité qui
les caractérise. Pour M. Laurent Mbassi, «la nécessité de
l'institutionnalisation du rapport à la diaspora se fait jour (par la
mise) en place des mécanismes et interlocuteurs officiels regroupés au
plan administratif d'un office voire au plan politique au sein d'un
secrétariat d'État ou d'un ministère des Camerounais de l'étranger».
Revendications La double-nationalité, le vote et un ministère
C’est dans le sillage de la tenue du forum économique et commercial
avec la diaspora que les mélomanes ont écouté pour la première fois «Soutien à son excellence Paul Biya pour 2011», le premier single de Mme Clarice Alima.
Rien de plus normal pour celle qui est présidente de la sous-section
Rdpc du Loiret en France. Tout en invitant le chef de l'Etat en fonction
depuis 28 ans à briguer encore la magistrature suprême lors de la
présidentielle prévue l'année prochaine, cet album porte également les
revendications de la diaspora dans toute sa diversité, qui ne veut plus
se contenter d'une division des Camerounais à l'étranger, mais exige
désormais tout un ministère. Autant qu'elle revendique le droit au vote
et la double nationalité, etc.
Cette sortie administre la preuve que ces revendications sont
portées par toute la diaspora, indépendamment de la coloration et des
convictions politiques. «Qu'il vente ou qu'il neige, en tant que
militants du Rdpc notre soutien au Renouveau est inconditionnel. Ce qui
ne signifie pas renoncement à nos droits. Simplement, nous ne voulons
plus seulement être ces militants ayant pour principale mission et
unique utilité de faire foule lors des visites du président national
dans nos différents pays de résidence sans possibilité d'exprimer notre
devoir civique à travers la participation aux échéances electorales», explique un militant du Rdpc.
Son camarade de la zone du Benelux est très remonté contre les
dirigeants du pays, qui appartiennent de surcroit au Rdpc, son parti,
qui prennent tout leur temps pour trancher la question de la
double-nationalité, reconnue pourtant à certains comme les sportifs, les
artistes, etc. Faux débat, rétorque une source à l'ambassade de France à
Yaoundé, qui se rappelle le nombre important de hauts responsables
camerounais détenteurs de plus d'un passeport, synonyme de double
nationalité.
Outre ces revendications que d'aucuns qualifient de correctes parce
que citoyennes, une certaine diaspora a choisi de ne s'exprimer que sur
le champ politique. Et encore, le changement de régime à Yaoundé
apparait comme son unique revendication. Au-delà des doléances, se pose
le problème des méthodes utilisées pour se faire entendre. Pour obtenir
asile, d'aucuns n'hésitent pas à ternir l'image du Cameroun en le
présentant comme un Etat de non droit, où le pouvoir ne tolère pas la
moindre contradiction. De sorte que le Cameroun est le deuxième pays,
derrière la Chine qui compte près de 1,3 milliards d'habitants, à avoir
le plus d'exilés politiques aux Etats-Unis d'Amérique.
La diaspora en mouvements
Les acteurs Militants
CAMDIAC
Le mouvement piloté par M. Célestin Bedzigui voit le jour en janvier 2010. L'initiative portée par MM. Howard Njeck, Pierre Ade, Jean-Bosco Tagne
et Célestin Bedzigui a pour objectif principal de faire partir le
président Paul Biya du pouvoir. Ses promoteurs affirment que leur action
est bâtie autour d'une vision dénommée «coalition en arc-en-ciel». Elle implique un regroupement de toutes les forces de la société pour imaginer le Cameroun après le président Paul Biya.
C'est dans cet esprit que s'inscrit le forum de Washington du 10
juillet 2010. Invités pour cette réflexion, des personnalités publiques
camerounaises comme MM. Adamou Ndam Njoya, Mboua Massock, le feu Pius Njawe,
etc. En février, cette association s'est aussi illustrée par un
courrier déposé au secrétariat général des Nations-unies pour solliciter
de cette instance «l'institution d'une commission d'enquête
internationale, chargée d'établir les faits et circonstances des
massacres des populations civiles survenues du 25 au 28 février 2008 au
Cameroun».
CODE
Depuis le 10 décembre 2003, date de sa création, le Collectif des
organisations démocratiques et patriotiques des Camerounais de la
diaspora (Code) s'inscrit également dans la logique des mouvements qui
militent pour un changement de régime au Cameroun. Dirigé par M. Brice Nitcheu
depuis 2007, d'ailleurs réélu en 2009, le Code s'illustre davantage par
ses manifestations dans les rues des capitales européennes. En 2006, ce
mouvement a «pendu» une effigie du chef de l'Etat dans les rues de
Londres. En 2008, le Code a saisi l'occasion des émeutes qu'a connues le
Cameroun pour exprimer leur colère à l'endroit du régime. Même si les
manifestations du Code sont souvent annoncées à grand renfort de
publicité, leurs suites ne reçoivent pas le même écho. Dans la foulée,
on note aussi l'organisation d'un forum de la diaspora en 2005 en
Allemagne, une pétition contre les crimes attribués au régime de Yaoundé
et pour la libération des prisonniers politiques en juin 2009, etc.
LE CONSEIL DES CAMEROUNAIS DE LA DIASPORA (CCD)
Cette organisation créée en 2005 et basée à Paris était présidée par M. Robert Waffo Wanto. Son dernier fait d'armes remonte au 2 février 2010. Le Ccd a déposé une plainte au parquet de Paris contre le président Paul Biya pour «recel de détournement de fonds publics».
L'argument de l'association se basait sur le rapport du Comité
catholique contre la faim et pour le développement (Ccfd) qui faisait
état des «biens mal acquis» par le président camerounais. Un mois plus
tard, la plainte sera classée sans suite. Parmi les pères fondateurs de
ce mouvement, on cite des représentants du Mouvement progressiste, M. Silo Ekwé Edimo, de l'Union des populations du Cameroun (Upc), M. Jean-Pierre Djemba, le Front panafricain (FP), M. Fréderic Fenkam. Et d'autres encore comme MM. Célestin Djamen de l'Union pour la démocratie active, Jacques Memgam de l'association des réfugiés africains de la France, et M. Karl Ekindi du Comité international des élections africaines.
LE RDPC
Le pouvoir en place peut, face aux multiples attaques de certains
Camerounais à l'étranger, compter sur les militants du Rassemblement
démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Les sections étrangères, très
visibles à l'accueil pendant les séjours officiels du chef de l'Etat
hors du pays, ont également pris l'habitude de répondre aux provocations
d'en face. Le président national du Rdpc a trouvé la nécessité de mieux
structurer ce premier barrage en créant, outre en France et en
Angleterre, des sections du Rdpc en Allemagne, au Canada, aux
Etats-Unis, en Belgique, etc. Le 06 et 07 février 2010, au terme d'un
colloque sur l'avenir du Cameroun, les sections Rdpc de la diaspora
profitant de l'actualité meublée de campagnes de dénigrement et de
désinformation contre le Président de la République ont réagi. Parmi
leurs engagements, le renforcement de la promotion et la défense de
l'image du Cameroun. En juillet 2010, deux autres sections ont été
créées en Suisse et en Espagne, et cinq en Afrique.
Rodrigue N. Nganzi
TRANSACTIONS: LA DIASPORA «WESTERN UNION»
Sept milliards de FCFA par an, c'est le montant estimé des fonds
transférés par les Camerounais de l'extérieur pour le soutien de leur
famille restée au pays.
Les transferts d'argent sont le domaine où l'importance de la
diaspora camerounaise se fait le plus ressentir. Sept milliards de
francs tous les ans. Ce montant rendu public par les autorités
camerounaises compétentes est en deçà. En Allemagne par exemple, le
montant total des transferts de fonds effectués par les migrants
camerounais est difficile à déterminer avec précision, faute de données
suffisamment fiables. Les statistiques de la Banque centrale fédérale
(Bundesbank) ne contiennent que des flux monétaires officiels provenant
des ressortissants camerounais non naturalisés vivant en Allemagne. Les
transferts de fonds à l'étranger dans ce pays n'étant soumis à une
déclaration obligatoire qu'à partir d'un montant de 12500 euros (8 187
500 FCFA), les estimations ne sont basées que sur des données
disponibles à l'Agence fédérale de l'emploi et ne concernent que les
Camerounais salariés et assujettis à la sécurité sociale. Le montant
d'un million d'euros (655 millions de francs CFA) estimé par la
Bundesbank n'est donc qu'une fraction des transferts de fonds effectués
de l'Allemagne vers le Cameroun. D'après une étude de la Gtz, agence de
la coopération technique allemande, les étudiants à eux seuls envoient
entre 500 (327 500 FCFA) et 1000 euros (655 000 FCFA) chacun par an,
pendant que les travailleurs le font à hauteur de 1500 euros (982 500
FCFA) à 5000 euros (3 275 000 FCFA) par an.
D'après les chiffres du ministère du Commerce, les Camerounais chefs
d'entreprises installés légalement à l'étranger dégagent à eux seuls un
chiffre d'affaire de l'ordre de 550 millions de dollars par an. Des
sommes susceptibles d'être investies dans leur pays.
Mais pour le moment, ces transferts de fonds sont faits au bénéfice
des membres de la famille et des amis très proches. L'argent sert
essentiellement aux dépenses d'éducation, de santé, de consommation
courante et parfois à des fins d'investissements privés de diverses
natures, par exemple dans les entreprises de transport, des affaires
commerciales et des placements immobiliers. La diaspora joue par
conséquent un rôle essentiel dans la réduction de la pauvreté et
représentent un enjeu majeur de financement de développement aux cotés
de l'aide public au développement.
D'après la Banque mondiale, les transferts de fonds des populations
migrantes travaillant dans les pays du nord vers leurs pays d'origine
sont estimés à 50 milliards de dollars, dont 8 milliards sont transférés
depuis la France. Ces flux financiers représentent 11% du Produit
intérieur brut (Pib) au Mali, 19% au Sénégal et 24% aux Comores, selon
une étude de la Banque Africaine de Développement (Bad). Les Camerounais
ont donc encore de la marge, avec seulement 0,06 % du Pib de flux
financier.
Blaise Nnang
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