Pourquoi Otélé Essomba charge Yves Michel Fotso, Marafa et Mebè Ngo’o
Mardi, 14 Février 2012 09:57
Eitel Elessa Mbassi
Opération épervier. L'ex ministre d'État et
l'ancien Adg de la Camair sont accusés d’être au cœur d'une vaste «
cavalerie financière » qui a permis de détourner l'argent de l'avion
présidentiel.
Hubert Patrick Marie Otélé Essomba, en détention préventive depuis le 6
août 2008 à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, crie au
complot. Accusé de tentative de détournement de l'argent destiné à
l'achat de l'avion présidentiel, ce diplômé en finances, des universités
londoniennes n'a jamais cessé de marteler, depuis le début de la
procédure : « Je ne suis en rien concerné dans cette affaire. Ce sont
des accusations surréalistes ».
Âgé de 43 ans, le directeur général adjoint d'Aircraft Portfolio
Management (entreprise londonienne spécialisée dans l'audit et la
négociation de contrats de location d'avions des compagnies de transport
aérien) affirme être victime d'une « histoire montée de toutes pièces »
par Edgar Alain Mebe Ngo'o, Yves Michel Fotso et Marafa Hamidou Yaya.
Ces deux derniers ont publiquement été accusés par Otélé Essomba, le 31
janvier dernier, lors de la dernière audience de l'affaire Atangana
Mebara contre Etat du Cameroun, au Tribunal de Grande instance du
Mfoundi, d'avoir détourné 27 millions de dollars (22 milliards FCfa),
une partie de l'argent destiné à l'achat de l’avion présidentiel.
Le 31 janvier, l'expert financier déposait pourtant sur l'accusation
relative au détournement en coaction de 1,5 milliard FCfa destiné à
Ansett (loueur d'avion de la Camair) au titre des arriérés de location
d'avions dus par la Camair. Il a fallu une question pour que Otélé
Essomba rouvre le dossier de l'argent du Boeing Business Jet-2 du chef
de l'État, détourné. « Dans une correspondance, Ansett affirme bel et
bien avoir reçu 1,5 milliard de Apm pour le compte de la Camair, mais
qu'est-ce qui explique cet acharnement qui persiste à dire que Apm n'a
pas versé l'argent à Ansett? », interroge son avocat, Me Ngwe Bell. « Je
vais donc vous dire le nœud gordien de cette affaire : c'est Marafa
Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso qui ont détourné les 27 milliards de
l'avion présidentiel », affirme Otélé Essomba.
Michel Meva'a Meboutou
En effet, en 2001, l'État du Cameroun décide d'acquérir un avion pour
les déplacements du chef de l'État. C'est Marafa Hamidou Yaya, alors
secrétaire général de la présidence de la République, qui pilote le
projet d'achat de l'avion auprès de la compagnie Boeing. Les
institutions de Bretton Woods (Fmi, Banque mondiale) s'étant opposées à
cette décision du gouvernement d'acquérir un avion présidentiel,
l'avion devait être acquis au nom de la Camair. Otélé Essomba fait
remarquer que c'est le Sg/Pr, Marafa Hamidou Yaya, qui a accepté que
l’administrateur directeur général de la Camair, Yves Michel Fotso,
obtienne cet avion par leasing au travers d'un intermédiaire dénommé Gia
International. Pourtant, « le ministre des Finances de l'époque, Michel
Meva'a Meboutou, s'est fermement opposé à cette formule d'achat par
leasing, expliquant qu'il ne concevait pas qu'un avion du chef de l'État
soit soumis au hasard des aléas de ce genre de contrat », affirme Otélé
Essomba.
Sociétés écrans
Le coaccusé de Jean-Marie Atangana Mebara évoque alors les 9 sociétés
écrans, parmi lesquelles Gia, créées, d’après lui, par Yves Michel Fotso
et à travers lesquelles les 27 millions de dollars ont transité. Ainsi,
Otélé a montré que la Commercial Bank of Cameroon, qui avait pour
président du conseil d'administration, Yves Michel Fotso, était au
centre de toutes les transactions bancaires faites au nom de la Camair.
Otélé Essomba évoque l'ordonnance de disjonction de la procédure signée
par le juge d'instruction de cette affaire et le rapport d'expertise de
l'expert Okalla Ahanda. Il relate alors que la Société nationale des
hydrocarbures a versé une somme de 2 millions de dollars (1,5 milliard
FCfa, exigés par Boeing pour la commande de l'avion) à la Cbc. Car, la
banque était supposée avoir viré cet argent pour le compte de la Camair à
Boeing. Mais, dans leur rapport, souligne Otélé Essomba, parlant des
experts Okalla et Tonye, la Cbc n'a jamais transféré l'argent à Boeing.
L'argent reçu de la Snh par la Cbc est resté dans les comptes de cette
banque, accuse-t-il.
Quant aux 29 millions de dollars, la Snh les a transférés à Gia pour
les reverser à Boeing (loueur d'avion de la Camair). Boeing n'a reçu que
deux millions de dollars, Gia ayant transféré le reste à la Cbc,
soutient Otélé. Beith Limited, une autre société écran créée par Yves
Michel Fotso, accuse Otélé Essomba, a reçu 16 millions de dollars. Otélé
Essomba affirme que Marafa Hamidou Yaya a reçu 1,5 milliard FCfa de
Avipro Finance (cité comme une autre société écran de Fotso), où les 16
millions de dollars que Beith a reçus étaient domiciliés dans un compte
bancaire. « Une vaste cavalerie financière », dénonce Otélé Essomba.
Otélé Essomba évoque également le nom d’Edgar Alain Mebe Ngo'o parmi
ceux qui l'ont « jeté en prison ». Il affirme que Yves Michel Fotso lui a
révélé en prison, qu'une réunion secrète s'est tenue au domicile de
Marafa, en présence de Mebe Ngo'o et de Yves Michel Fotso, pour
déterminer une position commune afin de détourner l'enquête du ministre
de la Justice. Autrement dit, trouver le moyen d’incriminer Otélé
Essomba et Apm.
Après cinq jours passés à la police judiciaire, le 6 août 2008, Otele
Essomba a été entendu sur le « prétendu détournement de la somme de 1,5
milliard FCfa ». Il dit avoir donné tous les éléments sur cette
accusation pendant son audition. Mais ceux-ci n'ont jamais été pris en
compte dans le procès verbal d'enquête, laisse-t-il entendre. Le
commissaire divisionnaire Benjamin Ntonga lui aurait alors dit,
affirme-t-il : « C'est dommage, ça ne dépend pas de nous. Nous ne
pouvons plus vous relaxer ». Otele Essomba dit être victime de son refus
de « livrer Atangana Mebara », tel que cela lui a été demandé lorsque
qu'il est arrivé à la police judiciaire. « Je ne peux pas livrer
quelqu'un que je ne connais pas », avait répondu Otélé Essomba. Ça fait
1283 jours qu’il est en prison. La prochaine audience de cette affaire a
lieu le 16 février prochain.
Eitel Elessa Mbassi
Le cas des sociétés écrans
Affaire du Boeing Business Jet II. H. Otélé Essomba soutient qu’elles ont été utilisées dans le détournement de 24 milliards FCfa environ.
-Rothwell Management n’existe plus nulle part aujourd’hui.
3,1 milliards Fcfa ont atterri dans les comptes de la société Beith Ltd
pour l’achat du Boeing 767-200 alors que la Camair avait également
signé le 12 juillet 2001 un contrat de location-vente avec Gia pour le
même avion.
-P.C.M. Corp n’existe plus nulle part aujourd’hui.
Opérations frauduleuses qui débouchent sur « achat » du même avion par
Gia dès le mois d’octobre 2001 après encaissement de 16 000 000 de
dollars par Beith Ltd.
-Gia n’existe plus depuis 2003, officiellement liquidée en 2004.
4 millions de dollars ont été payés à Boeing et le reste utilisé selon
les instructions de YMF (Ndlr Yves Michel Fotso). Détournement de 20,9
milliards FCfa
-Beith Limited n’a d’existence que dans les livres de la Cbc.
Outre 16 millions de dollars reçus dans son compte le 19 octobre 2001
suite au crédit documentaire frauduleux de Gia daté du 1er octobre 2001
(défalqués des 31 millions de dollars de l’avion présidentiel avec
lesquels le Boeing 747-300 a été acheté et loué ensuite à la Camair sous
couvert Gia, en produisant une fausse facture prétendument d’achat du
Boeing 767-200, Beith a encaissé frauduleusement de la Camair 5,1
milliards FCfa. Cette somme d’argent a été encaissée par Beith Ltd alors
que cette entreprise n’a aucun lien contractuel ni aucune relation
commerciale avec la Camair.
-Avipro Finance S.A.
Entreprise créée à Genève uniquement pour ponctionner frauduleusement
les loyers d’avions de la Camair. Les virements frauduleux de la Camair
sont d’environ 4,5 milliards FCfa
-SC Avipro Finance n’existe plus nulle part aujourd’hui.
Fausse entreprise installée aux Usa à Sussex ; elle est chargée de
traîner la Camair en justice en 2005 au tribunal de District-Sud de New
York où Ymf va s’inviter pour témoigner contre la Camair alors qu’il
n’est ni partie, ni cité dans l’affaire.
-Shanmuga Rethenam
Homme de main d’Ymf basé à Singapour avec lequel un faux contrat
(existence inconnue de la Camair) sera signé le 25 juin 2002 pour
emporter le Boeing 747-312 utilisé par la Camair, en le dé immatriculant
frauduleusement de l’Autorité aéronautique du Cameroun et en empochant 5
milliards FCfa payés par le ministère des Finances de l’époque. Cet
avion, acheté avec une partie de l’argent de l’avion présidentiel, vole
aujourd’hui sous d’autres cieux, il rapporte des revenus considérables à
tous ceux qui l’ont soustrait de la Camair.
Tll
Entreprise supposée irlandaise, mais dont l’adresse est à Genève. A
obtenu le 24 septembre 2002, par une cession jugée frauduleuse par le
tribunal de faillite de l’Oregon aux Usa (ledit acte de cession à 1
dollar !!!), tous les « biens » acquis par Gia avec l’argent de l’avion
présidentiel, sur instruction de Ymf. En prenant la position de Gia dans
le processus d’acquisition de l’avion présidentiel, juste après
l’arrivée d’un nouveau Sgpr en août 2002 qui risquait de découvrir la
supercherie criminelle, Tll, Gia et tous leurs protagonistes
brouillaient définitivement les pistes de traçabilité de l’argent
décaissé par la Snh à cet effet.
Source :
Annexe du mémoire de défense d’Hubert Otélé Essomba
“Le tribunal n'est pas lié“
Me Bernard Kewou. Avocat au barreau du Cameroun, il s'exprime sur le caractère juridique des accusations d’Otélé Essomba.
Quelle crédibilité peut-on accorder aux accusations d’Otélé Essomba ?
D'après le code de procédure pénale, les déclarations d'un accusé
portées contre un autre accusé n'ont pas de valeur. En plus, même si ce
n'est pas la même procédure, Otélé Essomba et Yves Michel Fotso peuvent
être considérés comme des coaccusés, car ils sont tous les deux
poursuivis, entre autres, pour le détournement de l'argent destiné à
l'achat de l'avion présidentiel. Ce qui réduit d'ailleurs davantage la
portée des propos d’Otélé Essomba. Concernant Marafa Hamidou Yaya, les
révélations d’Otélé Essomba peuvent apparaître comme des dénonciations.
Ce qui peut valoir l'ouverture d'une information judiciaire, parce qu’en
matière criminelle, l'information judiciaire est obligatoire.
Ces accusations peuvent-elles avoir une incidence sur la suite de la procédure ?
Ces accusations ne peuvent pas véritablement avoir une incidence. Car
le tribunal qui statue dans cette affaire n'est pas lié par les
déclarations d'Otélé Essomba. Le tribunal apprécie souverainement les
éléments de preuves et non les déclarations. Toutefois, il y a deux
possibilités. Soit c'est une dénonciation calomnieuse et on classe. Soit
ces déclarations sont fondées. Ce qui peut l'aider. Et dans ce cas, il
revient au parquet de saisir le juge d’instruction pour ouvrir une
information judiciaire. Sauf qu'en droit, il existe un principe qu'on
appelle le principe de l'opportunité des poursuites. Un principe qui
donne la possibilité au parquet de déclencher les poursuites quand il
veut et comme il veut, surtout quand il s'agit des accusations à
l’emporte pièce pour des affaires criminelles. Ce principe ne
s'appliquant pas pour les infractions où il faut une plainte au
préalable, de la personne offensée (ex : injures, adultère)
A travers ces accusations, Otélé Essomba ne fait-il pas le procès de la justice ?
La justice camerounaise n'est pas parfaite et c'est su de tous. Elle a
démontré ses faiblesses et on peut s'en rendre compte avec la manière
dont sont tenues les affaires de l'opération épervier. Cependant, on
peut également penser que Otélé cherche à se dédouaner. Ou à régler ses
comptes. Il faut donc bien garder à l'esprit que la décision de
culpabilité ou pas revient au juge du siège.
Propos recueillis
par E. E. M.
Votre avis : Que pensez-vous des révélations faites par Otélé Essomba
qui accuse Yves-Michel Fotso, Marafa Hamidou Yaya et Edgar Alain Mebe
Ngo’o dans le procès de l’avion présidentiel ?
« Pas inédites » : Christophe Bobiokono, journaliste
Les révélations de M. Otélé Essomba sont graves, mais pas inédites. Il
les avait déjà faites toujours publiquement il y a quelques mois... Et
auparavant, Francis Nana, l'expert comptable camerounais qui a travaillé
sur le dossier Camair, avait déjà révélé au moins 75% de ces
faits graves dans une interview très documentée et abondamment reprise
par la presse camerounaise. Je ne pense donc pas que la sortie de M.
Otélé Essomba va influencer d'une quelconque façon la suite de
l'affaire. N'oublions pas que le juge d'instruction chargé de cette
affaire avait indiqué depuis 2010 que des faits en sa possession
nécessitaient une inculpation de M. Marafa... Il ne l'a pas encore fait
manifestement parce qu'on ne lui en a pas encore donné la permission.
« Gravissimes » : Evariste Menounga, journaliste
Il s'agit en réalité, à travers cette déclaration de l'accusé Otele
Essomba, le 31 janvier 2012, de révélations gravissimes. De telles
accusations sont de nature à jeter un véritable pavé dans la mare d'un
procès normal, d'un procès équitable où les droits de la défense sont
respectés et où la recherche de la manifestation de la vérité est
l'aiguillon qui guide les actes posés par les juges. Malheureusement,
nous sommes en présence d'un procès à forte coloration politique dans
lequel les juges donnent l'impression, par leurs agissements, de
poursuivre l'exécution d'une sentence arrêtée à l'avance par des gens
qui tirent les ficelles dans l'ombre. En réalité, c'est la tête de
l'ex-Sgpr, Jean-Marie Atangana Mebara, qui est mise à prix dans cette
affaire, tout le reste n'est qu'habillage. La preuve, c’est que Hubert
Otele a révélé avoir été contacté par des personnalités lui demandant de
se désolidariser de Mebara s'il veut recouvrer sa liberté. Et parce que
ces révélations avaient déjà été faites le 19 septembre 2011 par le
même Otélé, sans que ce procès sorte de sa torpeur et face au refus du
tribunal de faire comparaître Marafa Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso
en qualité de témoin, comme Otélé Essomba et Atangana Mebara l'avaient
sollicité. Force est de conclure que le statu quo observé va se
poursuivre. Il en faudra plus pour faire venir devant la barre Marafa,
Mebe Ngo'o et Yves Michel Fotso pour une confrontation. A moins d'une
instruction venant du plus haut sommet de l’Etat, il est fort à parier
que les lignes ne bougeront pas.
Propos recueillis par P. N (Stg)