Le
câble rendu public par Wikileaks et dont le contenu semble
partiellement assumé par le vice-Premier ministre camerounais de la
Justice, garde des sceaux vient en rajouter à la perception de la
tension véhiculée par les tenants du pouvoir depuis quelques temps.
Le ministre de la Justice peut-il convaincre ?
Près d’une semaine après les révélations de Wikileaks sur ses
affirmations à l’ancienne ambassadrice des Etats-Unis au Cameroun, Janet
E. Garvey, Amadou Ali a choisi l’hebdomadaire panafricain «Jeune
Afrique» pour dire… sa part de vérité. A en croire le site de
l’hebdomadaire Jeune Afrique, «Amadou Ali a confié à l’un de ses proches
qu’il avait effectivement eu des entretiens avec la diplomate en
question. Mais sans tenir de propos injurieux envers les communautés
concernées». En outre, dit la même source, le concerné précise : «Je
m’exprimais en français tandis que la diplomate américaine parlait
l’anglais.» Une ligne de défense qui peine à convaincre.
A titre de rappel, le vice-Premier ministre laisse entendre en substance dans l’échange avec la diplomate américaine que «les trois régions du Nord qui sont ethniquement et culturellement différentes du reste du Cameroun vont continuer à apporter leur soutien à Biya aussi longtemps qu’il souhaitera demeurer président, mais le prochain président du Cameroun ne viendra pas de l’ethnie Béti/Bulu de Biya. Les Béti sont trop peu nombreux pour s’opposer aux nordistes, encore moins au reste du Cameroun.» A en croire le câble rendu public par Wikileaks, le ministre de la Justice affirme par ailleurs que, «des Bamiléké ont fait des ouvertures à des élites du Nord pour forger une alliance entre leurs régions respectives, mais les nordistes étaient si méfiants sur les intentions des Bamiléké qu’ils ne concluraient jamais une alliance pour soutenir un pouvoir politique bamiléké».
«Le septentrion soutiendra Biya aussi longtemps qu’il souhaitera être président.», affirme-t-il en excluant les membres des régions à forte concentration anglo-bami. Comme le suggèrent certains observateurs, les propos du ministre de la Justice garde des sceaux pourraient être placés dans le registre d’une sortie personnelle. Toutefois, au regard de la carrure régionale et de la fonction officielle de l’homme, ces propos sonnent comme un complot ourdi dans les sphères les plus hautes du pouvoir contre le peuple camerounais tout entier.
Cette perception est renforcée par la posture des hiérarques du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) qui, pour la plupart, y voient des manœuvres visant à déstabiliser le parti des flammes à la veille de la prochaine élection présidentielle. Autant que les hiérarques du parti au pouvoir relativisent la crédibilité des câbles à l’origine du malaise que connaît le pays depuis la sortie des déclarations de cette haute personnalité administrative et politique.
Comme nous l’évoquions dans notre édition n° 3421 du 5 septembre dernier, «dans un contexte où la pauvreté est le lot des populations quelle que soit leur appartenance politique, ethnique ou tribale, quel sens donner aux questions anglophone et bamiléké ?» Outre la question de l’armée nationale qui, de l’avis du ministre de la Justice ne jouit pas d’un crédit particulier, que dire d’un axe Nord-Sud qui prendrait en compte une sorte de modus vivendi sur le partage du pouvoir entre ces deux régions et excluant de facto toutes les autres composantes ethno-tribales du pays. L’opération épervier et les attentes qu’elle charrie au sein de l’opinion camerounaise sont relativisées par cette sortie d’Amadou Ali. Lui l’exécuteur et responsable de la réussite de cette opération reconnaît son inefficacité sans détour.
Venant d’un homme réputé très introduit dans les arcanes du système et dont la réputation d’inconditionnel de Paul Biya ne souffre d’aucune contestation, cet aveu d’incompétence ne contribue assurément pas à rassurer le commun des citoyens camerounais.