Le président Biya, lors de l’entretien qu’il a accordé à la presse officielle, quelques minutes avant son départ pour Washington a provoqué un tollé général dans la presse et l’opinion publique en commettant au moins trois erreurs majeures qui sous d’autres cieux se seraient apparentées à une tentative de suicide politique.
- Il a mis les nationalistes et les terroristes du Boko Haram dans la même catégorie.
- Il a assimilé les légitimes revendications du peuple pendant les années 1990, à de la gesticulation politique.
- Il a provoqué le Nigeria en faisant allusion à la victoire du Cameroun à Bakassi, alors que l’une des priorités de notre politique internationale devrait être d’établir un partenariat en béton avec notre puissant voisin. D’ailleurs, les accords militaires ou les accords de défense feraient beaucoup plus de sens si nous les signions avec des pays comme l’Angola, le Zimbabwe, le Nigeria bien sûr et bien d’autres pays africains.
Au lendemain de cette maladresse en communication, sont montées aux créneaux comme il fallait s’y attendre et pour au moins une fois à juste titre, la presse et de nombreuses personnalités du paysage politico-médiatique du pays. Un certain nombre de critiques ont même remis en cause la sincérité du président de la république, lorsqu’il a fait passer une loi qualifiant les nationalistes tombés pendant la guerre d’indépendance du Cameroun, de héros nationaux.
Lors de ce tourbillon, deux institutions importantes du jeu politique ont brillé par leur silence: La présidence de la république et la primature ; pas un seul communiqué, pas d’équipe de conseillers sur le terrain comme cela se fait ailleurs pour essayer de contrôler les dégâts, rien! Un tel comportement n’est déjà pas normal en temps de paix, et à plus forte raison en temps de guerre où il est crucial de maitriser la communication ; or nous sommes en guerre, nous sommes en guerre contre Boko-Haram et ses sponsors étrangers qui eux semblent maitriser le jeu de la communication et la guerre médiatique.
Il y a certainement plusieurs leçons à tirer de cet incident dont l’une des plus importantes dans l’ordre des priorités urgentes serait bien la création par le gouvernement ou la présidence d’une cellule de communication professionnelle, logée à la primature ou à la présidence de la République, donc au parfum des décisions importantes. Ceci n’est pas un désaveu voilé à Issa Tchiroma, l’actuel ministre de la communication qui fait office de porte-parole du gouvernement. Il fait bien son travail qu’il arrive à rendre intéressant et animé, notamment avec « le coup de gueule » qu’il a fait il y a deux semaines environ au président américain, Barack Obama auquel il reprochait de vouloir donner des leçons d’alternance politique au Cameroun. Mais Mr Tchiroma est membre du gouvernement et à ce titre à de nombreuses autres obligations qui pourraient l’empêcher d’effectuer ce travail qui requiert une équipe de professionnels en temps plein.
Lorsqu’on vit une période exceptionnelle de graves crises à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières, l’on doit pouvoir y apporter des réponses adaptées, car, aux situations exceptionnelles, il est essentiel de prendre des mesures exceptionnelles.
L’idée ici est celle d’une structure similaire à celle mise en place par Sadou Hayatou, du temps où il était premier ministre ; complétée également par toute une équipe de conseillers prêts à aller expliquer et si besoin est, défendre auprès de la presse, les prises de positions des décideurs de Yaoundé. A l’époque, la structure dirigée par Pierre Moukoko Mbondjo, l’actuel ministre des Relations Extérieures a aidé le gouvernement à se tirer de la situation extrêmement critique des villes mortes à cause de l’impact psychologique que les sorties du sieur Moukoko Mbondjo ont eu sur le peuple.
La situation difficile que le Cameroun traverse aujourd’hui comme à l’époque où Mr Moukoko officiait, nécessite un excellent système de communication, qui loin de la langue de bois habituelle serait capable d’intéresser les journalistes, de captiver l’attention de la presse internationale et de créer un système d’échange fluide entre les dirigeants et le peuple.
Communicant régulièrement, peut-être 3 fois par semaine ou plus, en fonction de l’intensité et de la fréquence des évènements, la cellule de communication aurait pour rôle de :
- Permettre au gouvernement d’occuper l’espace médiatique de façon cohérente, captivante et dynamique, taches que la presse officielle actuelle, de par sa nature passive ne peut pas remplir.
- Donner de façon régulière, la version, la position et les actions entreprises par le gouvernement sur les évènements, au lieu de laisser les journaux hebdomadaires et quotidiens glaner et nourrir le public d’informations parfois vagues et incorrectes.
- D’associer de façon indirecte les medias et le peuple aux difficultés que connait la nation ainsi que de les impliquer dans la recherche des solutions. Il va sans dire dans le conflit qui oppose le Cameroun à Boko Haram et à ses sponsors étrangers ne sera gagné qu’avec la participation de tout le peuple. Imaginez un instant l’effet positif qu’auraient les échanges productifs entre la porte-parole du gouvernement et les membres des medias et de la société civile dans une atmosphère où les questions sont librement posées et les idées largement débattues.
- Rassembler le peuple en travaillant avec d’autres ministères et en suggérant des actions à prendre par le gouvernement pour atteindre cet objectif. L’une des actions bienvenues en ce moment serait la visite du président de la République dans l’Extrême-Nord, au cours de laquelle il pourrait avoir des séances de travail et même un conseil de cabinet restreint. A l’inverse, cette cellule aurait déconseillé l’interdiction du meeting de l’UPC de la semaine passée car ce genre d’action contribue à exacerber la tension sociale et à entretenir les frustrations des leaders politiques de l’opposition.
- Jouer le rôle de boite à idées à laquelle des individus enverraient des idées pour le règlement de certaines situations ou des projets de développement au lieu de communiquer avec le gouvernement par l’intermédiaire des medias privés.
- Préparer le président de la république ou le premier ministre à une rencontre réelle avec la presse lorsque l’occasion se présente. Dans un moment aussi sérieux de notre histoire, le président devrait communiquer un peu plus avec la presse, même si celle-ci lui parait hostile. En fait un échange entre le président et les medias camerounais qui se sentiront ainsi respectés et considérés, auraient un effet formidable sur le sentiment négatif que certains journalistes ont vis-à-vis des actions gouvernementales. Le président les retournerait d’ailleurs en sa faveur et briserait l’influence des ONG et des ambassades étrangères qui les financent et par conséquent affectent leur ligne éditoriale. Ignorer la presse locale et les medias privés qui ont une grande influence sur la perception que le peuple à des évènements ou plutôt ne pas travailler avec eux fait perdre au gouvernement la guerre de l’information.
- Faire du « damage-control », c'est-à-dire corriger les erreurs de communication qui sont faites. C’est vrai que cette opération de relations publiques qui consiste, telle qu’elle est généralement pratiquée, à distraire l’opinion sur des propos inappropriés de personnalité est de la manipulation des masses. Ce genre de travail sous d’autres cieux est effectué par des cabinets privés de relations publiques, payés très cher pour la tâche. Ce n’est pas de cela qu’il est question ici. Nous faisons allusion à une activité qui consiste à clarifier, expliquer et même s’excuser pour des propos malvenus.
Franchement, le gouvernement au lieu de payer des dizaines de millions à des experts à la communication étrangers pour soigner son image auprès de l’opinion internationale, devrait investir à créer une meilleure image aux yeux du peuple. Celui-ci joue un rôle déterminant dans les événements qui se déroule dans le pays. Ignorer le peuple peut coûter cher.