Portraits - Opération Epervier: Les enjeux politiques de l'incarcération d'Inoni et Marafa

DOUALA - 20 Avril 2012
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus

Le soutien massif de certains originaires du Grand Nord et des Sawa fera défaut Rdpc lors des prochaines législatives et municipales. Ce qui va profiter à certaines formations politiques de l'opposition comme l'Undp et le Sdf.

I.- Marafa Hamidou Yaya: Un homme qui a des couilles bien en place

L'ancien secrétaire général de la Présidence de la République n'a pas flanché ni paniqué un seul instant quand on l'a conduit à la prison centrale de Kondengui. Il est stoïque, de marbre même s'il laissait percevoir une certaine inquiétude à travers son regard. Marafa est un Peulh et ce qui caractérise les Peulh, c'est qu'ils n'aiment pas extérioriser leurs sentiments, ce qui est au plus profond d'eux-mêmes, surtout devant des étrangers, des gens qu'ils ne connaissent pas. Car cela peut paraître comme un aveu de faiblesse. C'est ce qu'a fait Marafa au tribunal. L'ancien ministre d'Etat en charge de l'administration territoriale et de la décentralisation est un yérima (prince) de l'aristocratie Peulh du Nord et pour être précis de l'arrondissement de Bibemi.

Le Peulh n'aime pas qu'on le prenne en pitié et cela se ressent dans l'attitude de Marafa qui est un homme peu expansif très secret mais surtout très rancunier. Paul Biya doit rester sur ses gardes, pas tellement pour sa sécurité mais pour l'avenir du Rdpc dans le grand Nord. L'ancien Minatd a les bras longs, beaucoup d'argent, beaucoup d'amis puissants tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Il peut être tenté d'utiliser cette puissance pour déstabiliser le parti au pouvoir dans le grand Nord.



II.- Ephraïm Inoni: un chef émotif

Qu'est-ce qui a donc pris ce Chief Inoni de Bakingili pour écraser une larme quand on lui a signifié son départ du tribunal pour la prison centrale de Kondengui. C'est sans doute l'émotion, la peine que cela lui fait de ne pas voir son peuple, ses sujets Bakweris, on ne sait pour combien de temps. Comment un grand maître, un initié de très haut niveau dans les cercles ésotériques traditionnels et occidentaux, a-t-il pu se laisser abattre aussi facilement? Certes, le chef Inoni est un bantou qui n'a pas la même culture que le Peulh Marafa qui est capable d'étouffer ce qui le ronge à l'intérieur et faire bonne mine à l'extérieur.

On peut remettre cela à sa nature profonde alors que quand on regarde l'ancien premier ministre, il donne l'impression d'être bâti sur du roc. Ce n'était donc qu'une impression.


Incarcération – Inoni et Marafa

III.- Ce que Paul Biya va perdre et gagner

Le soutien massif de certains originaires du Grand Nord et des Sawa fera défaut Rdpc lors des prochaines législatives et municipales. Ce qui va profiter à certaines formations politiques de l'opposition comme l'Undp et le Sdf.

Depuis la formation du gouvernement déséquilibré du 9 décembre 2011, Paul Biya a augmenté le nombre de ses opposants de l'intérieur (dans le Rdpc) dans huit des dix régions que compte le Cameroun. Dans ce remaniement ministériel, seules les régions du Centre et du Sud respectivement avec 19 et 6 ministres avaient trouvé leur compte, tiré leur épingle du jeu au détriment des autres régions du pays. Peu après ce fut la valse des nominations à la tête de certaines sociétés d'Etat et autres structures comme l'Ecole nationale d'administration et de magistrature ou encore une fois de plus, le Centre et le Sud se taillèrent la part du lion. Cette façon de faire a encore augmenté le nombre de ses adversaires non seulement à l'intérieur du Rdpc mais au sein de la population, toutes sensibilités confondues. Avec l‘arrestation de l'ancien premier ministre Ephraïm Thomas Inoni et Marafa Hamidou Yaya, ancien Minatd et ex-secrétaire général à la Présidence de la République, le climat social pourrait se dégrader les jours à venir dans le pays. Certes, un certain peuple soutient le chef de l'Etat dans sa lutte contre les détourneurs des deniers publics, mais est-ce le peuple tout entier? Ce n'est pas si sûr que cela.


Les pertes

IV.- Alors que va perdre Paul Biya et le Rdpc dans les jours, semaines et mois à venir?


Le soutien aveugle du grand Nord

Paul Biya est entrain de creuser avec ses propres mains la fosse dans laquelle il va tomber lui-même dans le grand-Nord. Depuis le remaniement gouvernemental du 9 décembre 2011, il commet beaucoup d'erreurs vis-à-vis du grand Nord. Lors de ce mouvement, il a enlevé Amadou Ali du ministère de la justice pour le mettre aux relations avec les assemblées. C'est un camouflet, une humiliation sans pareille pour ce haut commis de l'Etat au port altier même s'il conserve le prestigieux rang de vice-premier ministre. Le Bornouan ou Kamembou qu'est Amadou Ali parle peu en public et même s'il paraît ne pas avoir été affecté par cette rétrogradation, il a très mal pris la chose. Ce n'est pas seulement Amadou Ali qui est concerné par cette maladresse de Paul Biya mais toute une région. Son Extrême-Nord natal qui n'a pas compris qu'après avoir donné tant de voix à Paul Biya pendant la présidentielle que celui-ci l'ait traitée d'une manière aussi cavalière. Amadou Ali et ses soutiens ont plié le petit doigt en se disant que le chef s'est égaré ou était sous le coup de la fatigue quand il a pris la décision de mettre Amadou Ali là où il est actuellement.



V.- Le limogeage de Marafa Hamidou Yaya du gouvernement

Là encore ça se passe aux yeux de certains sympathisants de l'ancien Minatd. Mais son arrestation et son transfert à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé laisse un goût amer à une bonne frange des populations du Nord en particulier et du grand Nord en général. Beaucoup de gens ont cru que sa qualité de membre du bureau politique du Rdpc aurait pu éviter l'arrestation de Marafa. Que nenni! Car c'est oublier qu'il y a un précédent en la personne de Pierre Désiré Engo, ancien directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), qui était membre du bureau politique du Rdpc au moment de son arrestation il y a quelques années.


Le putsch manqué du 6 avril 1984

Le grand Nord n'a pas oublié ses enfants qui sont morts en détention ou fusillés du côté de Mbalmayo. Et dans cette malheureuse affaire, l'Extrême-nord a payé un lourd tribut avec les capitaines Abali Ibrahim, Abalele Abaya et autres qui avaient été passés par les armes le 1er mai 1984 à Mbalmayo après le refus des Mbamois qu'ils soient fusillés dans leur département. Les veuves encore vivantes et les enfants de ceux qui sont morts gardent une vive rancune même s'ils disent avoir pardonné. Ceci nous rappelle la déclaration de Dakolé Daïssala, ancien ministre de Paul Biya, originaire du département du Mayo Kani, région de l'Extrême-nord lorsqu'il fut interviewé à sa sortie de prison: «...j'ai pardonné mais je n'ai pas oublié...». Le grand Nord réclame donc la restitution des dépouilles par l'Etat du Cameroun de même que l'établissement de certains documents devant permettre aux familles des défunts de liquider leurs droits de succession et autres


L'entrée dans certaines grandes écoles

Des voix se sont élevées au grand Nord, des voix provenant du Rdpc même, dénonçant le fait que les enfants de cette partie du pays n'ont pas été nombreux à avoir accès à certaines grandes écoles d'Etat comme l'école nationale supérieure de police de Yaoundé, l'école militaire interarmées, l'école nationale d'administration et de magistrature. Le grand Nord a été habitué à avoir 30% de places dans ces grandes écoles, une règle tacite que Paul Biya a remise en cause depuis deux ans. Le quota du grand Nord peine à atteindre 20% dans ces grandes écoles à l'heure actuelle. Pendant ce temps, les Fang Béti y font entrer leurs enfants massivement.

Lors de la proclamation des résultats le 9 mars 2012 du concours spécial et direct pour le recrutement des commissaires de police, tout le grand Nord n'a obtenu que 6 places sur 50 alors que par le passé, il aurait dû en obtenir au moins 15. De même pour le concours direct pour le recrutement de 120 officiers de police, le grand Nord n'a eu droit qu'à 7 places, dérisoire tout simplement. Ces résultats ne donnent pas satisfaction à l'élite et aux populations du grand Nord qui y voient des mesures discriminatoires à leur endroit. Tous ces résultats ont dû probablement causé des insomnies à l'ancien ministre de la Fonction publique et de la réforme administrative, Sali Daïrou, originaire du département du Diamaré, région de l'Extrême-nord et membre du bureau politique du Rdpc qui y veille particulièrement. Comme délégués régionaux de la délégation générale à la sûreté nationale, le grand Nord n'a que deux représentants: Grégoire Simbéré à l'Est et Emile Gousmo au Nord-Ouest.


Conséquence: la résurrection de l'Undp

Toutes ces frustrations vont provoquer le retournement d'une bonne partie des électeurs du grand Nord contre Paul Biya et le Rdpc lors des prochaines législatives et municipales. Et s'il y a quelqu'un qui jubile en ce moment depuis l'incarcération de Marafa Hamidou Yaya, c'est bien le président national de l'Undp et ministre d'Etat en charge du tourisme et des loisirs, Maïgari Bello Bouba dont le parti n'est plus que l'ombre de lui-même. Le ministre d'Etat ne jubile pas parce qu'on a arrêté Marafa mais parce que beaucoup de militants du Rdpc originaires du département de la Bénoué en particulier de la région du Nord vont migrer vers l'Undp pour lequel ils vont voter lors des prochaines échéances électorales.

La pseudo alliance entre le Rdpc et l'Undp a fini par tuer ce parti de l'opposition au point où on se demande si le parti de Maïgari Bello Bouba fait encore partie de l'opposition. Cette affaire, c'est vraiment du pain béni pour l'Undp qui va tout faire pour récupérer cet électorat du Rdpc. Et cela va permettre à ce parti de ressusciter. Actuellement l'Undp a un député contre trois pour le Rdpc dans la Bénoué, deux contre deux pour le Rdpc dans le Mayo Louti. Ce qui fait un total de trois députés pour l'Undp contre neuf pour le Rdpc dans les quatre départements de la région du Nord. S'il y a des législatives en ce moment précis, l'Undp peut emporter les quatre sièges de députés de la Bénoué, tant le mécontentement contre Paul Biya est fort dans ce département.

Même dans la région de l'Extrême-nord s'il y a des élections législatives et municipales maintenant, elles seront favorables à l'Undp à coup sûr. Par contre le Front national pour le salut du Cameroun du ministre de la communication Issa Tchiroma Bakary ne pourra pas en tirer profit puisqu'il roule (?) pour Paul Biya qui est considéré comme le diable en personne dans certaines chaumières et villas cossues du grand Nord. Connaissant un peu comment fonctionnent nos col-patriotes du grand Nord qui savent comment respecter les mots d'ordre dans le sens de ne pas voter pour le Rdpc lors des prochaines consultations électorales, que cela soit respecté.

Si dans les jours à venir, lya Mohammed le puissant président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot) est arrêté et emprisonné à Kondengui dans le cadre de l'opération épervier, la côte d'impopularité de Paul Biya va augmenter de manière sensible dans le grand Nord. lya Mohammed qui est également directeur général de la société de développement du coton (Sodecoton) depuis 1984 risque de subir le sort de son ami personnel Hamidou Marafa Yaya, même comme les liens se sont distendus ces derniers temps, rivalité politique oblige. Dans les années 90 c'est lya Mohammed qui suivait personnellement les travaux de construction de la résidence de Marafa en y mettant de l'argent que remboursait l'ancien ministre d'Etat en charge de l'administration territoriale et de la décentralisation quand il se rendait en week-end à Garoua.

Si lya Mohammed est pris et jeté en taule le 25 avril prochain, le grand Nord va croire à un vaste complot car il sera la 3eme personnalité de cette partie du pays à s'y retrouver dans le cadre de l'opération épervier après madame Haman Adama née Mahondé, ancienne ministre de l'éducation de base (et originaire du département de la Bénoué comme Marafa).

Il est tout à fait normal que le grand Nord pousse des cris d'orfraie avec ce qui est en train de se passer, il ne doit pas oublier que des régions comme le Centre, le Sud, l'ouest et le Littoral ont payé un lourd tribut à l'opération épervier. Avec pour le Centre Urbain Olanguena Awona, ancien ministre de la santé publique, Atangana Mebara pour ne citer que ceux-là; Polycarpe Abah Abah et Pierre Désiré Engo pour le Sud; Alphonse Siyam Siwé et Mounchipou Seidou pour l'Ouest, etc. Le grand Nord doit accepter que s'il y a des délinquants parmi ses enfants, ils doivent payer au même titre que ceux des autres régions.


VI- Les Sawa: Paul Biya est un tribaliste

Aurore Plus vous rapporte une conversation authentique qu'elle a suivie l'autre semaine au quartier Akwa à Douala. Des propos très acides ont été tenus à l'endroit du président Paul .Biya dans un lieu où des cadres d'horizons divers ont l'habitude de se réunir pour manger un bout, boire une bière mais surtout passer en revue ce qui se passe dans notre pays sur tous les plans. Ce jour-là des Duala pure souche, tous ou presque membres actifs du Rdpc au pouvoir ont déclaré clairement, sans crainte devant les Camerounais d'autres régions ceci: «c'est fini! On ne va plus se tuer pour un tribaliste comme Paul Biya». Ce sont comme vous le constatez des propos très lourds de sens et de signification.

Les Duala en particulier et les Sawa (cet ensemble comprenant certaines populations du Littoral et du Sud-ouest) en général ne comprennent pas ce qui leur tombe sur la tête. Ils ont perdu deux directions générales d'importantes de sociétés d'Etat: le Port autonome de Douala (Pad) avec l'éviction de Dayas Mounoumé et celle du Crédit foncier du Cameroun (Cfc) avec le limogeage de Camille Ekindi, le petit-frère du député MP Jean-Jacques Ekindi. Le Littoral attendait le remplacement numérique de ses deux enfants mais au lieu de cela, Paul Biya a nommé un Ewondo du département du Nyong et So, région du Centre, au Port de Douala, poste qu'il avait déjà occupé avec pour adjoint un Duala, et au Crédit foncier du Cameroun, c'est un originaire du Mbam et Inoubou, un Banen du district de Nitoukou, Jean Paul Missi, géant de 2 mètres, ancien basketteur qui a pris la situation en main. Ce dernier vient du ministère du développement urbain et de l'habitat où il était secrétaire général.

Avec la nomination des gouverneurs de régions qui a eu lieu le mois dernier, le Littoral aurait bien voulu voir un de ses enfants à la tête d'une région mais Paul Biya ne l'a pas compris ainsi. C'est à la suite du non remplacement numérique des deux directeurs généraux Duala limogés et également de la non nomination d'un Duala comme gouverneur de la région que le cadre Duala s'était écrié que les gens de chez eux n'allaient plus se tuer à la tâche pour Paul Biya.

L'arrestation de l'ancien premier ministre Ephraïm Inoni qui est un pur Sawa vient jeter le trouble dans sa communauté. Comme pour le grand Nord, les Sawa anglophones comme francophones estiment que Paul Biya ne leur veut pas du bien. Ils perdent de grands postes directoriaux et voilà qu'on arrête un des leurs éminents membres, de surcroît chef traditionnel de Bakingili dans le département du Fako, région du Sud-ouest anglophone et ancien premier ministre de Paul Biya du 8 décembre 2004 au 30 juin 2009.

La frustration des Sawa ne sera plus grande. Ils ne vont plus soutenir Paul Biya comme par le passé lors des prochaines consultations électorales. On a tôt fait d'oublier que l'important département du Moungo n'a plus de ministre au gouvernement après l'éviction de David Siegfried Etame Massoma qui était à la tête du ministère délégué à la Présidence de la République chargé du contrôle supérieur de l'Etat jusqu'au remaniement du 9 décembre dernier.

Avec ce qui se déroule sous nos yeux, le Rdpc risque de perdre beaucoup de voix lors des prochaines consultations par la faute de Paul Biya. Le Sdf pourrait reprendre du poil de la bête à Douala où il n'est pas si mal loti que avec trois députés sur les neuf que compte le département du Wouri, les six autres revenant au Rdpc et une commune d'arrondissement, celle de Douala IV. Profitant du mécontentement qui règne dans le Moungo, le Sdf pourrait également faire main basse dans ce département agricole. Le parti de Ni John Fru Ndi pourrait également faire un tabac dans le Sud-ouest tout comme le député démissionnaire du Rdpc, Paul Ayah Abine.


21/04/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres