Port en eau profonde de Kribi : Le scandale des indemnisations
Écrit par Une enquête de David Nouwou à Lolabe, Eboundja, Nlende-Dibe… |
Mardi, 15 Mars 2011 10:00 |
L’enveloppe destinée aux indemnisations est passée de 22 milliards à 23,5 milliards sur le terrain.
Des propriétaires terriens fictifs devant encaisser des centaines de millions de Fcfa. floué, Paul Biya ordonne une nouvelle enquête. Panique dans le sérail. La liste des « propriétaires ».La présidence de la République a visé le 14 octobre 2010 le décret du premier ministre « portant indemnisation des personnes victimes d’expropriation et/ou des destructions des biens dans le cadre des travaux de construction du complexe industrialo- portuaire de Kribi dans le département de l’Océan ». Le décret a été signé par le premier ministre, Philémon Yang, le 30 novembre 2010. Le 13 décembre, le ministre de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire, Louis Paul Motaze, président du comité de pilotage, est descendu sur le terrain « pour informer les populations des modalités des opérations de recensement des personnes concernées et du processus de paiement … » des indemnisations. Le 24 décembre, le premier chèque au titre des indemnisations a été remis officiellement au colonel en retraite, Edongue, et chef du groupement Batanga Sud. Cette première phase des indemnisations concerne une centaine de personnes, pour une enveloppe de 4 milliards de Fcfa déjà positionnés dans les caisses de la Banque internationale du Cameroun pour l’Epargne et le Crédit (Bicec), selon le chef d’agence de Kribi, Marcellin Vincent Etogo. Tout semblait donc baigner dans de l’huile. Mais des problèmes vont commencer à se poser avec cette phase exécutoire des paiements.
Pour donner plus de transparence à l’opération, le directeur du projet qui gère la cellule opérationnelle sur le terrain, Nlend Banack, avait cru devoir rendre publique cette première liste des personnes à indemniser. C’est alors que nombre d’autochtones se sont étonnés des grosses sommes dont bénéficient certains « voisins » dont ils n’avaient jamais entendu parler.
Grogne
Au cours d’une réunion à Kribi relative à l’exécution du budget d’investissement public dans cette même période, le député de l’Océan, Martin Oyono, en sa qualité de député du peuple, aurait fait savoir qu’il a personnellement pesé de son poids afin que toute la transparence soit faite autour de ces indemnisations. La grogne à sa suite s’est amplifiée au sein des populations. Et des protestations sont parvenues à la présidence de la République, remettant en cause la liste des personnes à indemniser et le flou dans le recensement des bénéficiaires. Il est par exemple constaté qu’un bénéficiaire comme Bodima Ngo Jules est en même temps celui à qui le directeur du projet a confié l’identification des ayants droits sur le site principal (terrassements généraux). Les riverains l’accusent d’être juge et partie. Au soutien de leur argumentaire, ils font remarquer que ce modeste homme d’affaires qui tient une petite affaire à Kribi et qui n’est pas réputé être fils de leur village, doit empocher respectivement 219 millions, 165 millions et 149 millions de Fcfa à Lolabe « pour des parcelles encore en voie d’immatriculation ». La précision n’est pas fortuite ou gratuite. Des exemples de ce type qui intriguent les riverains sont nombreux et jettent un sérieux discrédit sur la procédure d’identification et de recensement des véritables victimes de l’expropriation dont les experts s’accordent à dire que c’est la plus onéreuse de tous les grands chantiers initiés au Cameroun. Surtout ceux dits structurants qui constituent un défi pour la politique des ambitions si chère aux président Biya en cette année électorale. De surcroît dans une zone rurale où l’on n’enregistre pas forcément de couteux investissements.
La question a été tellement prise au sérieux que la présidence de la République a fait interrompre le processus d’indemnisation. Selon des informations de La Nouvelle Expression, les comptes de particuliers qui ont été mobilisés dans le cadre des premiers paiements auraient été bloqués, et certains chèques déjà touchés ont été récupérés, en attendant que les choses soient à nouveau tirées au clair.
Enquêtes
Nous avons appris des sources introduites que sur instruction du président de la République, deux missions d’enquêteurs, l’une de la sous direction des enquêtes économiques à la Direction de la police judiciaire (Dpj) et l’autre de la Direction générale à la recherche extérieure (Dgre), se sont succédé sur le terrain. Tous les acteurs qui ont participé au processus d’identification, et de recensement des ayants droits, ainsi que les responsables de différentes administrations chargées de l’établissement des titres fonciers du site déclaré d’utilité public (Dup), ont été entendus.
Des indiscrétions de ces missions révèlent par exemple que plusieurs autochtones figurant sur la liste des indemnisations ne connaissent même pas où est situé leur terrain, encore moins leur prétendu village. Certaines parcelles décrites comme ayant été mises en valeur, question de renchérir le coût des indemnisations, n’ont jamais reçu la visite d’un homme. Sans compter que certains prétendus occupants sont introuvables. On estime à au moins 60% les cas suspects dans le processus d’indemnisation. Les enquêteurs auraient même découvert que certaines personnes ont effectué des virements sur le compte des membres des commissions. Des transactions jugées suspectes dans un tel contexte par les enquêteurs. Des sources citent notamment un ressortissant d’un pays du moyen Orient, propriétaire de quelques cabanes en planches dans la zone et bénéficiaire d’un montant de 300 millions de Fcfa qu’il a retiré d’un seul trait de sa banque, provocant l’indignation des banquiers. Les enquêtes révèlent par ailleurs que les montants les plus costauds dans la liste des indemnisations sont sujets à caution et doivent être passés au scanner. Les différentes missions d’enquêtes dépêchées sur le terrain ont déjà remis leurs copies. En attendant éventuellement d’autres recoupements pour complément d’informations. L’option étant de reprendre une nouvelle liste toilettés, et donc un nouveau décret à proposer au premier ministre et à faire viser par les services de la présidence de la République. La liste des complices d’une telle forfaiture s’annonce bien longue. Et les sanctions retentissantes, apprend-on des sources introduites.