Politique: Les dessous du ralliement de la fille d'Ahidjo à Biya

Yaoundé, 26 Août 2013
© GUIBAI GATAMA | L'Oeil du Sahel

 

Aminatou Ahidjo sert désormais les idéaux du Président Paul Biya.

 

 

Aminatou Ahidjo, benjamine de l'ex-Président Ahmadou Ahidjo, est décidément résolue à jouer sa carte politique au Cameroun: En solo. Femme majeure d'une quarantaine d'années qui s'assume désormais, elle a coupé le cordon ombilical avec sa famille, et notamment sa mère Germaine Ahidjo, dont la position affichée depuis la mort de son époux en novembre 1989 l'a enfermé dans une posture que beaucoup considèrent aujourd'hui comme intenable. A savoir: pas de retour au Cameroun sans la dépouille de mon feu Président, pas de retour au Cameroun sans obsèques d'Etat pour le père de l'indépendance nationale, pas de retour au Cameroun avec un passeport sénégalais, pas de... 

A près de 83 ans aujourd'hui, rongée par la maladie, l'ex-Première Dame, entourée de ses deux autres filles, Babette et Aissatou, observe le pays depuis son refuge dakarois. Avec un brin de nostalgie. Des nouvelles douloureuses, comme le décès de sa maman, lui parviennent sans qu'elle puisse faire le moindre déplacement. 

Certains saluent cette posture qu'ils qualifient de courageuse, d'autres critiquent un enfermement aveugle dans une maison close où les portes s'ouvriront aussitôt qu'elle ne sera plus de ce monde. 

L'abandonnant à ses exigences, le fils aîné de l'ex Président, Mohamadou Ahidjo, s'est pour sa part, rapproché officiellement du pouvoir en acceptant le poste d'Ambassadeur itinérant en décembre 2011. 

Est-ce tout cela qui a décidé Aminatou Ahidjo à franchir elle aussi le pas? 

En tout cas, en faisant sauter le verrou psychologique de collaboration avec le successeur de leur père, Mohamadou Ahidjo a ouvert grandes les vannes. Aminatou Ahidjo, elle, n'a pas hésité à y entrer tambour battant. Elle n'a pas choisi seulement la collaboration comme son frère aîné. Elle a choisi de défendre les idéaux du Président Biya, de militer au sein du parti au pouvoir, le Rdpc, pour qui elle devrait ardemment battre campagne lors des élections municipales et législatives du 30 septembre prochain. «Elle est majeure et prend toute seule ses décisions. Elle veut participer à la construction du pays sans se mêler de ce qui ne la regarde pas, sans être conditionnée par le différend qui a opposé son feu père au Président Biya, sans être liée par le discours de sa mère. Tout cela n'est pas son problème, elle aspire à tourner la page et à s'insérer dans le jeu politique national. Elle a quarante ans, toute sa vie, elle a vécu dans le passé et à ce rythme elle aurait pu mourir dans le passé. Pourquoi poursuivre pareille vie alors que son frère aîné lui, vit tranquillement aux crochets du pouvoir, dans l'opulence? Pourquoi devrait-elle payer plus que lui le salaire d'une posture imposée par sa mère? Elle a choisi la rupture», explique un de ses proches, homme d'affaires prospère originaire de Garoua et membre du comité central du Rdpc. 


SOUTIEN À BIYA 

La vie politique? Elle va s'y insérer. La Présidence de la République qui contrôle comme le lait au feu son agenda, a déjà tout prévu. Interview dans les médias, interventions dans des meetings politiques.., d'autant plus aisément qu'Aminatou Ahidjo est une excellente oratrice, spécialiste en communication politique et surtout disciple de Philippe Gaillard qui son père l'avait confié après son départ du pouvoir. 

«C'est un engagement politique en faveur du Président Biya, de ses idéaux et donc de son parti le Rdpc. Elle n'est pas encore encartée, mais c'est une question de jours», poursuit l'homme d'affaires. En débauchant une militante aussi prestigieuse, dont le nom est chargé d'histoire, le Rdpc espère non seulement arborer avec un sourire large son manteau de parti de rassemblement, mais porter également un sérieux coup à l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) qui s'est depuis 1992, sans jamais s'être pourtant rendue à l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), érigée en unique parti «Ahidjoïste». En défenseur de sa mémoire bien que ses dirigeants, au quotidien, mettent un point d'honneur à saper son héritage. 

Cette confiscation exclusive du label «Ahidjo», long¬temps porte étendard du programme politique de l'Union nationale pour la démocratie et le progrès dans les régions mis en scène par Mohamadou Ahidjo ou encore son épouse, fille de l'ex cacique Moussa Yaya et actuel Maire de Garoua II, pourrait pâtir de l'intrusion d'Aminatou Ahidjo sur la scène politique. Car désormais, deux partis, chacun avec son égérie sortant de l'écurie Ahidjo, vont se disputer les partisans de l'ancien Président. 

Dans l’immédiat, Aminatou Ahidjo sera déjà utile à son parti dans la bataille du Nord où aussi bien à Garoua qu'à Guider, le Rdpc est en difficulté comme en témoigne son recours récent aux techniques de «démissions collectives». «Elle ne représente rien. Elle n'est pas connue», relativisent quelques cadres du parti de Bello Bouba. L'inquiétude est pourtant perceptible sur les visages. L'étonnement aussi. Bien sûr qu'Aminatou Ahidjo représente quelque chose puisqu'elle est la fille de l'ex-Président, qu'elle porte le label «Ahidjo». «En quoi Mohamadou Ahidjo qui collabore avec Paul Biya est plus représentatif de l'héritage d'Ahidjo qu'Aminatou qui se lance aux côtés du Rdpc? Qui a trahi en premier? Et d'ailleurs trahir quoi?», susurre une proche de la cadette Ahidjo. Bien sûr que le cabinet civil va déclencher une opération de communication d'envergure comme cela est déjà programmée, pour qu'elle ait une visibilité à la dimension de leur ambition. Pour qu'elle soit, in fine, la face visible, l'aile modérée de la famille de l'ex-Président. 

Comment est perçue au sein même de la famille, la décision de la benjamine de se jeter dans l'arène politique aux côtés du Président Biya? Du côté de Mme Germaine Ahidjo qui ne l'a plus aperçu depuis un temps, ses proches indiquent que son choix est strictement personnel et n'engage en rien la famille ni ne modifie, ses positions à l'égard du régime de Yaoundé. 

L'entourage de l'ex-Première Dame relève même que sa benjamine a toujours été indépendante, gardant par exemple à sa seule initiative le contact physique avec nombre de chefs d'Etat ou d'ex-chefs d'Etat amis de son père. L'Ambassadeur Mohamadou Ahidjo que nous avons rencontré est lui, peu disert sur le sujet, sa benjamine l'évitant subrepticement depuis qu'elle s'est installée à Yaoundé. 

Manifestement, elle a pris ses distances avec son frère aîné à qui elle reproche en privé quelques impairs. Déjà, lors d'un récent séjour d'une semaine à Yaoundé, en novembre 2012, au; cours duquel elle avait été reçue à la présidence de la République pour ficeler «son transfert au Rdpc», elle ne lui avait donné aucun signe de vie. L'embarras de l'Ambassadeur itinérant est donc plus que compréhensible d'autant que sa marge de manœuvre est nulle. Il ne peut publiquement accuser sa cadette de salir la mémoire de son père, lui-même étant le porte-flambeau de la compromission avec le régime. L'embarras pourrait même bientôt laisser place à la confrontation quand sa sœur cadette dont la verve est connue, occupera l'espace pour mieux le reléguer aux calendes grecques. 

Le pouvoir, lui, se la coule douce. Il vient assurément de réussir un coup de maître et couve sa «recrue» de ses bienfaits. Outre son passeport camerounais qui lui a été délivré, la Présidence prend en charge ses frais de séjour. Et comme elle est partie pour s'installer définitivement, autant dire qu'elle est désormais aux frais de la Princesse.


27/08/2013
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