Politique d'exclusion des Bamiléké: Un Camerounais écrit à Paul Biya

DOUALA - 10 JAN. 2012
© Léon Charles TIGOUFAK (corresp.) | La Nouvelle Expression

Veuillez répondre clairement à la question: "Etes-vous à la tête d’un Régime ségrégationniste ayant programmé l’exclusion des Bamiléké du leadership politique ?"

A

Son Excellence Monsieur Paul BIYA
Président de la République du Cameroun
Yaoundé



Objet: La Communauté des Grassfields s’interroge sur le ségrégationnisme de votre Régime.



Excellence,
Monsieur le Président de la République,


Il m’échoit de porter à votre connaissance des préoccupations d’une partie de nos concitoyens engagés dans la Dynamique Orange.

D’emblée, je dois préciser, à toutes fins utiles, que la Dynamique Orange est ce mouvement qui incarne aujourd’hui les espoirs de la nouvelle génération de citoyens déterminés à libérer ce pays du joug néocolonial. Son idéologie est consignée dans l’ouvrage intitulé: «Cameroun ; l’Offre Orange pour l’Alternance. Notre Légitime ambition Pour le pouvoir, la nouvelle génération s’engage» signé par le citoyen Hilaire KAMGA et préfacé par le Cardinal Christian TUMI. Elle regroupe en son sein des Camerounais de toutes origines
ethniques, qui ont en commun le besoin de justice sociale, de démocratie, de croissance partagée et surtout de libération totale du Cameroun des réseaux mafieux qui plombent son développement.

Deux des communautés ethniques engagées dans l’Offre Orange viennent de porter à l'attention de la cellule stratégique de la dynamique leurs préoccupations politiques, que je me dois de vous transmettre. Il s’agit d’une part de la Communauté des Grassfields et d’autre part de celle des ressortissants de la Région de l’Est.

J’ai donc obligation de vous soumettre dans cette première partie les préoccupations de la Communauté des Grassfields, et prochainement ce qui afflige l’autre Communauté.

Les préoccupations obsédantes de l’ensemble des ressortissants de la Région de l’Ouest se ramènent à deux questions:

« Monsieur Paul BIYA est-il à la tête d’un Régime ségrégationniste ayant planifié l’exclusion d’une communauté ciblée -les Bamiléké- au chapitre du leadership et du progrès social ? Y a-t-il au sein de votre pouvoir un mécanisme systémique assurant la mise à l’index des «composantes» Bamiléké ?»

En effet, il suffit de trois repères d’analyses pour illustrer la portée de ces angoissantes interrogations:

Repère N°1: En 2009, au cours d’une émission très suivie au Cameroun et dans le monde, M. Issa TCHIROMA déclara sur la chaîne de télévision Canal 2 International que l’instauration des «quotas ethniques» dans les concours d’entrée dans les Grandes Ecoles était une importante mesure prise par le Régime que vous pilotez pour limiter l’accès des jeunes Bamiléké à ces hauts lieux de formation. Il rappela à cette occasion que la mesure avait été déterminée par l’analyse, sur une certaine durée, des résultats de tous ces concours où les fils des régions Grassfields raflaient toutes les premières places. Il fallait donc, du point de vue de votre Système, mettre un terme à cette hégémonie intellectuelle des Bamiléké. Et depuis plusieurs années, la ruse commande de ne plus publier les résultats définitifs des concours officiels par ordre de mérite. Malgré ces déclarations gravissimes de M. Issa TCHIROMA, vous l’avez promu au poste de Ministre de la Communication et, en prime, porte-parole du Gouvernement. Fort de ses attributs, il rappellera d’ailleurs à l’opinion, sur le plateau simultané de plusieurs télévisions que, plus que le porte-parole du Gouvernement, il était le porte-parole du Président Paul BIYA, votre porte-parole, Excellence. Si je vous comprends bien, M. Issa TCHIROMA a si bien expliqué et défendu «le complot» contre les redoutables compétiteurs Bamiléké que vous avez fait de lui « le porte-voix du Prince ».


Repère N°2: Depuis plusieurs mois, des révélations du site internet Wikileaks, attribuent à votre compagnon des trente dernières années de règne, ou mieux à l’un de vos stratèges du pouvoir, M. Amadou Ali, des propos d’une gravité indicible. Nous nous attendions à un démenti formel de la part de ce ministre. Mais il n’en a rien été. M. Ali assumerait-il donc les propos qui suivent et selon lesquels:

« Ali affirme que la fondation de la stabilité au Cameroun c’est l’entente entre les Béti/Bulu, la tribu d’origine de Biya qui est prédominante dans le Sud du Cameroun, et les populations des trois régions du Nord, comme étant le Septentrion, et qui sont différentes du reste du pays en termes ethnique et culturel. Le septentrion soutiendra Biya aussi longtemps qu’il souhaitera être président, assure Ali, mais n’acceptera jamais un successeur qui soit lui aussi Béti/Bulu, ni un membre de l’ethnie Bamiléké qui est économiquement puissante. Ali reconnait que les autres groupes ethniques du Cameroun ont une méfiance pathologique à l’égard des Bamilékés (qui sont parfois présentés comme des co-conspirateurs des anglophones qu’on qualifie Anglo-Bami) à cause du caractère agressif de l’expansion de leur domination économique au Cameroun. Selon Ali, les Bamilékés avaient pris possession de Douala et conspirent pour étendre leurs communautés à travers le Cameroun, y compris en envoyant leurs femmes faire des enfants dans des régions éloignées du pays. Il soutient que ce n’était pas une coïncidence que les émeutes de février 2008 étaient plus dures dans les régions qui avaient des communautés bamilékés les plus importantes (….) (….). Il soutient que des Bamilékés avaient fait des ouvertures à des élites du Nord pour forger une alliance entre leurs régions respectives, mais que les Nordistes (ainsi que d’autres groupes) étaient si méfiants sur les intentions des Bamilékés et avaient trop peur de leur pouvoir économique, qu’ils ne concluraient jamais une alliance pour soutenir un pouvoir politique Bamiléké. »

A ce jour, ces propos xénophobes n’ont pas été clairement démentis par les mis en causes.


Repère N°3: Au cours du mois de février 2008, lors des émeutes liées aux revendications légitimes des jeunes Camerounais qui avaient faim et qui continuent de crier famine, des dignitaires de votre Régime, sous la houlette du Trésorier National du Rdpc, M. Gilbert NTSIMI EVOUNA (désormais promu au Bureau Politique de votre parti), n’ont pas hésité à demander aux Bamilékés d’aller «chez eux » avant de semer le désordre. Vous ne vous êtes aucunement offusqué de cette déclaration qui piétine la Constitution de la République du Cameroun.


Mis ensemble, ces trois faits provenant des personnages clés de votre Régime, pourraient impliquer, sauf meilleur avis de votre part, que votre Régime et vous avez planifié une politique ségrégationniste visant les peuples Grassfields et particulièrement les Bamiléké. Il est à craindre que votre système et votre règne n’ait voulu perpétuer la thèse mensongère du colonialisme français d’après laquelle les Bamiléké sont une minorité ethnique gênante, pour ne plus dire métaphoriquement, un caillou dans la chaussure de la Patrie camerounaise.

Monsieur le Président de la République du Cameroun, les révélations ci-dessus résumées m’ont incité à faire une rétrospective de votre logique de Gouvernance pendant les 30 dernières années, rien que pour me faire une idée objective de la place que vous accordez à cette Communauté dans le leadership national. Je n’ai pas trouvé meilleur référentiel que le recoupement des personnages que vous avez choisis pour vous accompagner dans votre mission de gestion de l’Etat du Cameroun depuis votre ascension à la magistrature suprême. Chacun peut constater, au terme de cette analyse, qu’aucun fils Bamiléké n’a jamais été promu à une fonction de véritable souveraineté comme celle de Premier Ministre, ou de Président de l’Assemblée Nationale, ou de Président de la Cour Suprême, ou de Ministre de la Justice, ou de Ministre des Finances, ou de Ministre de la Défense, ou de Ministre de l’Administration Territoriale, ou même de Patron de la Police… Les cinq postes ministériels ou quasi-ministériels confiés aux «éléments» Bamiléké dans le Gouvernement pléthorique formé le 09 décembre 2011 ne démentent pas mes conclusions. Encore moins la nomination de M. Jean KUETE au poste de Secrétaire Général du Rdpc, au sein duquel la sphère de décision n’est pas celle que le profane croit.

L’Offre Orange, qui est fondée sur la Réconciliation Nationale, avait naturellement pensé que vous aurez un rôle à jouer, dans le Haut Conseil de Transition prévu parmi les futures institutions transitoires. Mais vous avez décidé de briguer encore un mandat, en comptant sur l’expression optimale des fraudeurs électoraux.

Maintenant que vous avez été déclaré vainqueur et que vous avez déjà prêté serment (on n’en débattra pas, n’est-ce-pas ?), veuillez répondre clairement à la question:

«Etes-vous à la tête d’un Régime ségrégationniste ayant programmé l’exclusion des Bamiléké du leadership politique ?»

Au moment où les actes et prises de position de vos collaborateurs imposent que l’on marque un arrêt pour comprendre les motivations sous-jacentes de cette orientation politicienne dont tout politique avisé peut en déduire les risques de déviance à court ou à moyen terme, il me revient à l’esprit un fait historique grave dont ni votre prédécesseur, ni vous-même n'avez jugé opportun d’adresser ne serait-ce que pour un besoin de mémoire.

En effet, durant les années de lutte pour la reconquête de notre espace vital d'entre les griffes du colon, la communauté bamiléké a bel et bien été victime d’un GENOCIDE qui lui a ôté la vie à plus de 500 000 fils et filles suite aux revendications des combattants nationalistes camerounais. Tandis que sous d'autres cieux, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre font l'objet de débat politique, de revendication patriotique pour des besoins de réparation, même symbolique, par respect pour l'humanité, et par devoir de justice, j'ose croire qu'il est temps que vous nous disiez si vous avez l'intention de passer le témoin à votre tour, à la suite de votre prédécesseur, sans réhabiliter tous nos héros ni même demander réparation à la France, comme si le Bamiléké n’était plus une ethnie à part entière de la mosaïque Nationale.


Monsieur le Président de la République du Cameroun,

la Nouvelle Génération, sous la bannière de l’Offre Orange, se prépare légitimement à gouverner notre pays après votre règne, dans une dynamique de réconciliation plurielle basée sur l’acceptation par « les bourreaux d’hier » de leurs crimes, laquelle seule déterminera le pardon du peuple enfin libéré. Nous autres les Orangistes, nous savions jusqu’alors que votre Système entretient une guerre des classes entre les pauvres et certains fonctionnaires véreux qui se sont enrichis avec leurs complices bien adossés sur la « République des marchés publics », en spoliant le pays de ses richesses et en maintenant ipso facto plus de 80% de la population dans une pauvreté et une indigence criardes. Mais nous venons de découvrir qu’il y avait quelque chose de plus grave. Nous découvrons qu’une politique ségrégationniste de type ethnique a peut-être été mise en place pour maintenir les fils Grassfields en dehors des sphères du vrai pouvoir, le pouvoir politique, le pouvoir de Décision.


Monsieur le Président de la République du Cameroun,

les Orangistes ont toujours eu une haute idée de l’Etat et de la coexistence enrichissante des Communautés ethniques. Attachés que nous sommes à la République et conscients des désastres que ce type de machiavélisme politique a engendrés en Afrique et dans le monde au cours de l’Histoire, la main sur le cœur, nous mesurons, en nous adressant à votre Excellence par le biais de la présente lettre ouverte, le caractère sacré de l’Etat, macrostructure forte et transcendante qui s’abreuve à la mamelle nourricière de la Nation camerounaise par ailleurs riche de ses diversités qui consacrent justement son originalité et son inépuisable potentiel. Equité, Ethique, Méritocratie, Justice sociale, Respect des droits de l’homme et des libertés, Droit d’aller et venir, Droit à l’éligibilité,... tels sont les piliers sans lesquels le Cameroun ne s’affirmera jamais pleinement. C’est aussi cela la vision de la Dynamique Orange.

Orangistes, Nous restons convaincus que le Cameroun est la chose de tous ses citoyens, sans aucune discrimination et surtout pas d’origine ethnique. Oui, chaque concitoyen doit se sentir copropriétaire de ce territoire et de toutes les richesses y contenues. Parce qu’elle regroupe en son sein des Bamiléké, des Bulu/Béti, des Sawa, des Bassa, des Haoussa, des Kirdi, bref des Camerounais de toutes les régions, l’Offre Orange s’insurge contre toute logique ségrégationniste, qu’elle frustre la Communauté Bamiléké ou une autre entité ethnique du Cameroun. Orangistes, nous restons fondamentalement convaincus qu’un Etat qui marginalise la méritocratie au profit du principe de discrimination et d’exclusion ne peut pas prospérer dans un monde guidé de plus en plus par les vertus de la Mondialisation, un monde où chaque Nation ne peut se mouvoir que grâce à ses meilleures compétences. C’est pourquoi le mérite et l’égalité de chances doivent rester les piliers fondamentaux de l’ascension sociale dans notre pays. Il est par conséquent intolérable que plus de 50 ans après l’indépendance du Cameroun, des candidats ayant obtenu chacun une moyenne supérieure à 14/20 soient refusés à un concours officiel donné, pendant que leurs concurrents sont définitivement admis malgré leurs sous-moyennes de 09/20 au plus. En effet, c’est de l’escroquerie politique que d’amadouer les ressortissants de certaines régions notamment dans la médiocrité en les faisant avoir des concours avec 6/20 alors que justice voudrait qu’ils aient eux aussi de meilleurs écoles primaires, secondaires à la base pour être autant compétitifs que les autres jeunes.

Sous la Dynamique Orange, l’ambition du Cameroun est de devenir le moteur de la Renaissance d’une Nouvelle Afrique dépouillée de toutes les tares héritées du système néocolonial, une Afrique dirigée par une nouvelle génération de leaders engagés fièrement sur la voie de la vraie Union des Etats Africains. Une telle ambition n’est compatible avec aucune forme de discrimination entre les citoyens et les peuples. Ne serait-ce que pour cela, une gouvernance d’après une logique ségrégationniste contre un éventuel leadership Bamiléké, en l’occurrence, n’a pas droit d’exister. Et si jamais il est l’heure pour un fils des Grassfields d’accéder à la Magistrature Suprême, personne, nous disons bien personne, ne pourra s’y opposer.

De grâce, Monsieur le Président de la République du Cameroun, répondez aux peuples des Grassfields: «Etes-vous à la tête d’un Régime ségrégationniste ayant planifié l’exclusion des fils Bamiléké du leadership politique ?»

Yaounde, le 06 Janvier 2012.

Très respectueusement,
Pour la Commission Stratégique de l’Offre Orange,
Léon Charles TIGOUFAK.
Professeur à la Retraite
Co-auteur de l’Offre Orange



10/01/2012
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