Jean-Jules Fomchigbou Mbanchout. Enseignant de droit à l'université de Douala, le criminologue porte un regard sur le principe du remboursement.
Quelle appréciation faites-vous de la
possibilité donnée à un accusé de rembourser le corps du délit et de
bénéficier de l'arrêt de poursuites ?
Cet article 18 pourrait poser le problème de l'indisponibilité
de l'action publique. L'arrêt des poursuites dont il est question dans
la présente loi doit être rapproché de la transaction pénale. On dirait
que l'on accorde en quelque sorte une prime à la délinquance en faveur
de ceux qui expriment un repentir actif (un remord tardif, c'est-à-dire
ceux qui avouent leur forfait et s'engagent à se repentir ou à corriger
l'indélicatesse). En effet, une fois les poursuites engagées, le
ministère public ne dispose pas du droit de les arrêter, ni d'y
renoncer. Au - delà de son pouvoir d'opportunité des poursuites en vertu
duquel il peut classer sans suite toute procédure pénale avant le
déclenchement de l'action publique, le ministère public ne peut, tout au
plus, après sa mise en mouvement, que prendre des réquisitions.
L'action publique, contrairement à l'action civile, est d'ordre public, de sorte que le ministère public n'en a que l'exercice et non la disposition. Etant donné qu'il exerce cette action au nom de la société, il ne peut ni transiger, ni se désister ou acquiescer. Autrement dit, ni la volonté du ministère public, ni celle de la victime, encore moins celle du délinquant ne peuvent éteindre l'action publique. Cependant, il faut admettre que la politique criminelle dans une société en pleine mutation doit évoluer en fonction des préoccupations sociales ; et de plus en plus, la transaction doit être envisagée, car on assiste à un déclin de la théorie criminaliste du crime qui prônait une sévérité, voire un « énervement » de la répression pour freiner, et même éradiquer la montée de la criminalité en col blanc. Il faudrait mettre sur pied des mesures efficaces alternatives à la répression qui puisse profiter concrètement à la société , et priver ainsi les délinquants des produits de leur crime ( tel est le souci de l'opinion publique pour qui le remboursement de l'argent détourné importe plus que la prison).
L'article 64 du code de procédure pénale prévoyait déjà une possibilité de remboursement…
L'article 64 du code de procédure pénale ne prévoit pas une
possibilité de remboursement à l'instar de l'article 18 de la loi sur le
Tcs. Il prévoit plutôt une possibilité d'arrêt des poursuites,
lorsqu'elles sont de nature à compromettre l'intérêt social ou la paix
publique. En réalité, ces deux textes n'ont pas le même fondement
L'arrêt des poursuites de l'article 18 de la loi sur le Tcs se justifie
par ?' la restitution du corps du délit''. De ce fait, l'arrêt des
poursuites dont il est question dans la présente loi doit être rapproché
de la transaction pénale.
On peut parler de deux poids deux mesures à plusieurs niveaux, et je ne citerai qu'un seul cas de figure : il s'agit de ce que l'agent qui détourne moins de 50 000 000 FCfa et qui répond plutôt à la ?'clientèle'' du Tribunal de grande instance ne bénéficie pas des mêmes possibilités et avantages accordés par le Tribunal criminel spécial à ses justiciables qui sont des détourneurs des sommes égales ou supérieures à 50 000 000 FCfa. On dirait qu'il vaut mieux détourner plus de 50 000 000 FCfa que de détourner moins.
L'intervention du ministre de la Justice pour un éventuel arrêt des poursuites ne revêt-elle pas un caractère discrétionnaire?
L'intervention du ministre de la Justice est une " possibilité "
et non une " obligation ". D'où son caractère discrétionnaire. Dans la
loi sur le Tcs, les obligations de la personne poursuivie étant connues
(reconnaissance des faits et restitution du montant détourné), on
devrait s'attendre à ce que celles du ministre de la Justice à travers
le procureur général soient précises et inconditionnelles. Or, tel n'est
pas le cas dans la loi en question, dans la mesure où la contrepartie
des obligations du présumé délinquant est incertaine, conditionnée,
hypothétique. L'article 18 dispose clairement qu'en cas de restitution
du corps du délit, le procureur général ?'peut …''. Donc l'arrêt des
poursuites n'est pas obligatoire, ni automatique, mais facultatif: on
dirait un ?'piége'', une ?'stratégie'', un ?'artifice'' pour amener les
présumés détourneurs à avouer leurs forfaits et à restituer l'argent
pour rien par la suite. Ce qui est de nature à décourager les personnes
poursuivies à reconnaître les faits à eux reprochés et à accepter la
restitution des fonds.
L'absence d'un texte réglementaire fixant
les modalités de restitution peut-il empêcher le Garde des Sceaux
d'ordonner l'arrêt des poursuites ?
Amon avis, aucun texte juridique camerounais n'interdit l'application
d'une loi pour absence d'un texte d'application. Ce genre de texte est
nécessaire lorsque la loi en question est vague, obscure, susceptible
d'interprétations divergentes, ou lorsque la loi est telle que son
application exige un texte plus pratique devant faciliter celle - ci.
Dans le cas d'espèce, nous pouvons dire que le Garde des Sceaux estime
disposer des moyens nécessaires en termes de modalités pratiques de
restitution du corps du délit.