POINT DE VUE:CONTRE LE RETOUR DE LA DÉPOUILLE D’AHMADOU AHIDJO AU CAMEROUN :: CAMEROON

 

Ahmadou Ahidjo:Camer.beDepuis quelques mois, une intense campagne de lobbying milite pour le retour de la dépouille d’Ahmadou Ahidjo, premier président de la république au Cameroun. Ses restes, aujourd’hui en terre sénégalaise devraient être rapatriés par l’Etat et au passage, il faudrait lui rendre des hommages à la hauteur des services que ce « grand commis » aurait rendus à sa patrie. Ahidjo est à ce point regretté qu’un colloque a été organisé dans la ville de Garoua afin de souligner les immenses contributions du grand homme. Le colloque, finalement interdit par les autorités, était organisé par Aboubakar Ousmane Mey, fils d’Ousmane Mey, ancien gouverneur ayant exterminé sous les ordres d’Ahidjo le village de Dollé. C’est un peu le fils de Goebbels organisant en Allemagne une manifestation visant à souligner les apports d’Hitler à la construction allemande.

Victor Hugo, dans les châtiments rappelle opportunément au tyran Napoléon III que si ce dernier à le Louvre pour résidence, sa place est dans un cabanon, s’il est appelé grand, il passera à la postérité comme étant Napoléon le petit.

Sans avoir ni la verve, ni le talent du grand poète, je vais tenter de restituer à Ahidjo, la place qui est la sienne dans l’histoire du Cameroun. Pour ce faire, je rappellerai les hauts faits d’un collabo qui à l’instar du maréchal Pétain a pactisé avec l’ennemi afin de combattre les nationalistes. Quelques exactions-crimes contre son peuple, exécutions sommaires, enrichissement illicite- jusqu’aujourd’hui non punies poursuivront un propos dont la conclusion est sans appel. Le retour du Pétain camerounais est un non évènement. Il est moins urgent que la réhabilitation solennelle de tous les nationalistes qu’il a combattus. Nationalistes attendant encore la reconnaissance du caractère légitime des combats.

1-Ahmadou Ahidjo, le Pétain camerounais

Ahmadou Ahidjo, c’est d’abord le maréchal Pétain camerounais, c’est-à-dire un homme qui a accepté de collaborer avec l’ennemi pour combattre ses compatriotes épris de liberté. Alors que L’UPC des Um Nyobe et Félix Moumié se bat afin que le France lâche un pays qu’elle traite comme une colonie, Ahidjo, se fait le bras armé de la France qui trouve inacceptable que le Cameroun se retrouve indépendant et sans tutelle. De Gaulle veut bien des pays

africains indépendants, mais pas trop. Il faut que ces pays acceptent de céder les ressources à la colonie qui continuera à les exploiter malgré l’accession à l’indépendance.

Face à la radicalisation de la position française, les nationalistes n’auront d’autre choix que de prendre les armes en espérant ainsi arracher ce que la France ne veut guère leur concéder.

Dans ce combat entre la métropole et les nationalistes, Ahidjo sera le jouet au travers duquel l’armée française, avec la complicité d’officiers camerounais pacifieront le pays. Les massacres perpétrés dans le pays Bassa et en pays Bamiléké sont aujourd’hui occultés de notre histoire.

Ahidjo a été le cheval de Troie de ces massacres. Il a par ailleurs signé les accords de défense et de sécurité qui hypothéquaient le sol et le sous-sol camerounais à la France au détriment de ses propriétaires légitimes à savoir le peuple camerounais.

2-Crimes contre l’humanité et le peuple camerounais

Le règne d’Ahidjo a été émaillé de massacres et de crimes multiformes.

Pour mémoire, en 1979, les habitants de Dollé, petit bourg de la région du Nord sont massacrés par les sbires du régime. Quel était donc le tort de ces habitants ?

A partir de 1976, ces habitants réclament la construction d’une école dans leur village. Malgré leurs relances, l’administration fait la sourde oreille. De guère lasse, ils entreprennent de construire en matériau provisoire quelques salles de classe. Ce travail achevé, ils tentent en vain d’obtenir l’affectation d’un instituteur. En 1979, ils entrent en sédition, blessant premièrement plusieurs gendarmes. Ceux qui sont envoyés en renforts sont massacrés par des populations en furie. Le gouverneur d’Alors, Ousmane Mey, père de l’actuel ministre des finances, sur ordre d’Ahidjo fait descendre une escouade de l’armée avec pour ordre de tuer toute personne ayant plus de cinq ans. Les sources non officielles font état de 350 morts.

Quelques années plus tard, un ministre-Vroumsia Tchinaye- a le malheur de critiquer le passe droit qui permet aux ressortissants du Nord Cameroun de rentrer à l’ENAM avec le BEPC tandis que l’on exige le BAC aux autres camerounais.

Vroumsia Tchinaye, docteur es sciences sera torturé à mort et enterré dans la précipitation. Un communiqué laconique annonçant son décès.

Ces deux cas sont des illustrations des crimes de sang, nombreux dont Ahidjo s’est rendu coupable. De nombreuses familles camerounaises ont ainsi perdu des proches sans que jamais justice leur soit rendue.

Sur le plan économique, on a généralement présenté le règne d’Ahidjo comme le règne d’un homme intègre épris simplement de justice et de la prospérité de son peuple. Ce qu’on omet par contre de souligner, c’est qu’il s’est bien gavé au passage. Sinon, comment expliquer tous les biens qu’il a confiés à des prête-noms lors de sa fuite ? Il est possible de citer ici, l’Hôtel Akwa palace, l’Hôtel le Méridien, le Complexe Chimique Camerounais.

3-La nation ne doit rien aux traitres, mais tout aux héros

Pour ma part, et au regard de ces éléments qui ne sont qu’une fenêtre sur le règne Ahidjo, l’urgence consiste à réhabiliter nos héros, les nationalistes, ceux qui ont œuvré pour une indépendance totale et réelle du Cameroun. Ces personnes ; Um Nyobe, Félix Moumié, Ossende Afana, Ernest Ouandie etc., ont trop attendu. Attendront-ils encore que leur bourreau ait droit à des honneurs indus alors que personne ne s’est recueilli sur leurs tombes ? Faut-il que même mort, Ahidjo leur fasse un ultime affront ?

Les traitres, les félons ont leur part avec les chiens errants. Leur dépouille est privée de sépulture comme le disent les écritures. Nos enfants, doivent savoir que nous ne devons rien à Ahidjo. De ce fait, un rapatriement autre qu’anonyme de sa dépouille serait une forme de reconnaissance tacite des services rendus. Personne en France n’imagine une panthéonisation du maréchal Pétain. Si une nation doit rendre des honneurs à Ahidjo, il s’agit de la France, car tout son règne était consacré à servir ses ancêtres les gaulois.

Pendant qu’on pérore sur le rapatriement de la dépouille de Ahidjo, sait-on simplement où se trouve les caveaux de Moumié, Afana, Um Nyobe etc.? L’Etat a-t-il entrepris de les sortir de l’anonymat dans lequel il les délaisse ostensiblement ?

Pour ma part, il est urgent de regarder sans tentation uchronique et sans complaisance notre histoire récente.

Cela passe par la construction d’un monument au sein duquel les dépouilles de nos héros seraient rassemblées.

 

Cela passe également par une place plus grande dans les manuels d’histoire

Cela passe par le bannissement de cette terminologie coloniale de « maquisards » tendant à étiqueter péjorativement les héros nationalistes.

Bref, l’imaginaire colonial qui embrume notre histoire doit prendre le maquis.

 

© Correspondance : Patrick Rifoé


04/03/2014
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