Point de vue - Dérives du parquet au Cameroun: De la requête de M. Marafa Yaya à l’acquittement de J-M Atangana Mebara: faut-il déconstruire le système Magnaguemabé ?
NAMUR (Belgique) - 08 MAI 2012
© Léon Koungou | Correspondance
L’acquittement de l’ex-sgprc, Jean-Marie Atangana Mebara, et son élargissement futur, remettent à l’ordre du jour les éternels questionnements sur le montage des dossiers judiciaires dans le cadre de l’Épervier.
L’acquittement de l’ex-sgprc, Jean-Marie Atangana Mebara, et son élargissement futur, remettent à l’ordre du jour les éternels questionnements sur le montage des dossiers judiciaires dans le cadre de l’Épervier. De toute évidence, les moyens dérisoires dont dispose la police judiciaire (ressources humaines et expertise inadéquates), les pressions émanant du pouvoir exécutif, etc. ne permettent pas de conduire les enquêtes préliminaires avec clarté et objectivité. Dans cette phase initiale, les enquêtes ont une dimension téléologique. Le but étant essentiellement de donner raison à l’autorité ayant ordonné l’interpellation sur la base des rumeurs et/ou de soupçons. Ainsi, la police judiciaire exécute des ordres. Elle imagine des chefs d’accusation. Elle cherche à rendre complexe l’instruction judiciaire dévolue au parquet. Les fonctionnaires de police chargés des enquêtes préliminaires veulent surtout plaire. Ils veulent donner satisfaction à leur commanditaire, en espérant en retour un coup de pouce dans la carrière.
Et que dire du parquet ? Le parquet dans la recherche de la vérité, n’est pas lié par les conclusions de police. Pour la manifestation de la vérité, l’État met à la disposition de l’autorité judiciaire des moyens conséquents. Le déploiement à grande échelle du parquet (commissions rogatoires, auditions, perquisitions, etc.) vise, entre autres, à mieux saisir les faits et à rendre une justice impartiale. Le parquet est-il toujours à la hauteur des enjeux ?
Lorsqu’on observe le fonctionnement de la justice au quotidien, le parquet se délecte de son irresponsabilité. On relève des différences dans son mode d’expression – c’est-à-dire la façon de juger. Dans certains cas, les jugements sont rendus selon les opinions personnelles des magistrats, dans d’autres selon le fait que les droits naturels d’une personne ont été ou non violés. Somme toute, les travers de la justice au Cameroun traduisent par ailleurs la difficulté sur les modalités de gestion de l’État. Qui gouverne et comment s’ordonne l’action étatique ? Des juges se défilent de leur responsabilité. La criminalisation de l’État est institutionnalisée. Et la justice sereine, voulue de tous, ploie sous des vulnérabilités.
La récusation de M. Magnaguemabe par le ministre Marafa Yaya, l’accusation de corruption du même magistrat au mois de janvier 2012 par M. Oum - en détention à Kondengui -, voire l’acquittement de M. J-M Atangana Mebara – mais toujours en détention – n’induisent-ils pas des questionnements sur les pratiques maffieuses de certains personnels bien connus du corps judiciaire ? Au moment où l’on parle de l’assainissement des mœurs, le juge camerounais est-il au-dessus de tout soupçon ?
I. Des pratiques maffieuses…
Selon M. Marafa Yaya, le juge d’instruction a voulu que «nous nous arrangions». Il faut entendre par là que M. Pascal Magnaguemabe, puisqu’il s’agit de lui, a essayé d’obtenir des faveurs de M. Marafa, encore ministre de la République, et souvent cité dans l’affaire dite de l’avion présidentielle. D’aucuns relèveront que le juge d’instruction n’a pas vocation à se prononcer sur la culpabilité. Faux, car c’est bien ce dernier qui rédige les ordonnances de renvoi devant le tribunal. Et même, dans certains cas, à défaut d’abandonner les poursuites, il peut tout au moins alléger le poids des charges notamment par une requalification des faits ou une mutation des chefs d’accusation.
Dans les parquets du Cameroun, on peut donc « bien parler devant le juge d’instruction ». Ce qui permettrait au justiciable d’arriver devant le tribunal dans une posture assez favorable. Par contre, si vous ne « parlez pas bien » malgré les multiples appels du pied du juge d’instruction, l’acharnement judiciaire apparaîtrait possible. Dès lors, les justiciables sont fondés à récuser un Juge ou au moins à demander son dessaisissement, à partir du moment qu’il est animé d’une hostilité ou d’une haine qui ne permettent pas d’envisager une instruction équitable (article 591 du code de procédure pénale).
En fait, ceux qui estiment que si M. Marafa est innocent, « la justice désavouera le juge d’instruction en prononçant une relaxe ou un acquittement » acceptent implicitement qu’une détention préventive interminable serait normale. Dans la conception de la république, la liberté devrait pourtant être le principe, et la détention une exception. Les procès élastiques sous le prisme de l’accordéon sont une atteinte à l’État droit.
L’institution judiciaire est malade des pratiques de certains de ses hommes. Affairisme et chantage ont cours à Yaoundé, à Douala, etc. d’où des procès interminables. À vrai dire, les grosses prises de l’Epervier qui croient en la justice républicaine (c’est-à-dire qui ne veulent pas « bien parler »), suscitent l’animosité de certains juges d’instruction bien connus. Pour ces magistrats véreux, l’Opération Epervier est une occasion de racket des personnes sur lesquelles portent des soupçons, une opportunité de négocier des postes de responsabilités auprès de celles qui sont encore aux affaires (Cf. Lettre de M. Marafa du 12 avril 2012 au Président de la CA). Et même, une occasion d’être multipropriétaires foncier dans les banlieues de Yaoundé et de Douala.
D’emblée, nous relevons que M. Marafa, par exemple, ne saurait se soustraire à la justice de la République. D’ailleurs, ce serait une injustice si ce dernier était encore en liberté. À défaut de ne point élucider son rôle dans l’achat manqué de l’avion présidentiel, il devrait au moins éclairer l’opinion sur cette réunion tenue à son domicile de Yaoundé en présence de MM. Yves Michel Fotso et Edgard Mebe N’go. D’après les déclarations de M. Otélé Essomba, aujourd’hui élargi devant le TGI du Mfoundi ; de cette réunion, décision a été prise de détourner l’enquête judiciaire initiale. L’arroseur apparaît arrosé.
Toutefois, nous relevons également que l’autorité étatique ne saurait éternellement être indifférente aux dénonciations et autres déclarations à l’endroit de M. Pascal Magnaguemabé ? Faut-il vainement attendre les preuves de la corruption comme l’a longtemps fait le président Biya ? Ce magistrat est-il au dessus de tout soupçon ? Sa crédibilité et/ou sa légitimité n’est-elle pas entamée dans le cadre de certains dossier ? Ces questions apparaissent plus que jamais opportunes avec la procédure de récusation initiée pa M. Marafa.
Faut-il le préciser, avant les révélations de M. Marafa Yaya, on se souvient qu’à travers une lettre du 15 janvier 2012 adressée au ministre de la Justice, M. Jean Pierre Oum Oth, qui séjourne à la prison centrale de Yaoundé depuis le 25 août 2008, « accusait » certains magistrats du parquet du Mfoundi de «corruption, extorsion de fonds, des biens, arnaque, abus de pouvoir, détention illégale, obstruction à la bonne administration de la Justice...». M. Jean Pierre Oum Oth affirmait : «ces magistrats m’ont extorqué pas moins de 6,5 millions de FCFA en me promettant qu’ils allaient agir pour que je sorte rapidement de prison». À propos de Pascal Magnaguémabé, M. Oum affirmait qu’il «a décidé d’abuser de mon épouse en lui promettant de tout faire auprès de ses collègues en charge de mon dossier, dans un cadre confraternel d’échanges de bons services entre magistrats pour ma libération avant fin août 2009 si elle lui cédait mon véhicule Toyota 4x4 Runner en simulant une vente» (Journal Repère du18 avril 2012).
II. A la volonté délibérée de nuire
Dans la dimension maffieuse de son office, le juge camerounais développe plus d’une stratégie. À travers l’opération Epervier, la stratégie dite de l’accordéon devient banale. Il s’agit d’une trouvaille de M. Pascal Magnaguemabe. L’instruction est interminable. Le juge décide de « tuer » l’« accusé » à dose homéostasique. Concrètement, dans les multiples affaires à sa charge, le bout du tunnel est invisible. Chaque lueur d’espoir pour l’inculpé devant le tribunal est aussitôt obscurcie par une nouvelle mise en examen.
Me Claude Assira, l’un des avocats de M. J-M Atangana Mebara, vraisemblablement inquiet de ne pas voir son client recouvrer la liberté malgré l’acquittement du tribunal suivi d’une demande de levée d’écrou, déclarait : «Il n’est pas à exclure que le parquet traîne volontairement pour laisser le temps au juge d’instruction de prendre une ordonnance de renvoi, qui maintiendrait Atangana Mebara en prison» (Messager, 7 mai, 2012).
On rappellera qu’au moment où intervient la décision du tribunal, M. J-M Atangana Mebara était sous le coup de deux autres chefs d’inculpation, mais dont le mandat de détention était valable jusqu’au 18 juin 2011. Ainsi, la décision du TGI devait d’abord être appliquée; d’ailleurs, après les vérifications d’usage, notamment qu’il n'y avait pas de mandat de détention valide, les membres de la Collégialité dirigée par Gilbert Schlick ont tous signé l’ordre de libération. La décision de justice étant intervenue le jeudi 3 mai à 22 heures, le procureur qui devait ordonner la levée d’écrou est resté introuvable toute la journée du vendredi 4 mai. Le moins que l’on puisse dire est que Me Claude Assira ne s’était guère trompé sur les manœuvres maffieuses qui ont cours au parquet du Mfoundi.
Le lundi matin, 7 mai 2012, le juge d’instruction, Pascal Magnaguemabe, a servi une nouvelle inculpation à MM. Inoni et Atangana Mebara, avec un nouveau mandat de détention de six mois. Laquelle inculpation est relative à un prétendu détournement de 3,3 milliards de FCFA, somme d’argent payée au loueur d’avion ANSETT, par la Standard Chartered Bank, à la demande du Ministre des Finances, et vraisemblablement sur instruction de M. INONI. L’inculpation intervient néanmoins malgré que M. INONI, ait versé au dossier, un reçu de ANSETT, selon lequel les 3,3 milliards ont bel et bien été reçus par le loueur d’avions. La logique des choses nous interpelle à des questionnements sur le fondement de l’infraction? Mais, ainsi fonctionne le système Magnaguemabe. On se rappelle qu’il a fallu déjà trois années pour que la justice acquitte M. Atangana Mebara de l’accusation de détournement de 1,5 milliard, suite au virement de cette somme par la SNH à Ansett. Le reçu de Ansett présenté par l’accusé au juge d’instruction n’avait suffi à lever l’accusation. En outre, on ne saurait manquer de s’interroger sur l’opportunité d’une nouvelle inculpation, alors que les deux anciennes n’ont fait l’objet d’aucun acte depuis plus de deux ans. On n’est donc en présence d’une mascarade d’instruction judiciaire. À la vérité, on pourrait dire que la nouvelle inculpation n’a pour but que d’empêcher M. Atangana Mebara de sortir de prison, parce que le dernier mandat de détention était valable jusqu’au 18 juin 2011.
De toute évidence, Le magistrat ne doit nullement s’accaparer de la justice. Parce que M. Magnaguemabe est assez isolé dans son office, il y a des craintes évidentes d’une paranoïa. Or, les souvenirs d’Outreau restent vivaces dans les esprits. Le juge d’instruction ne doit pas être un homme seul, il a besoin d’un encadrement conséquent. La justice devrait être une entreprise sereine. Dès lors, on ne peut denier à M. Marafa le droit d’opposer les dispositions de l’article 591 du Code de Procédure pénale. Il reviendra au Parquet du Mfoundi de se prononcer.
De toute évidence, la procédure de récusation du Juge Magnaguemabe, initiée par M. Marafa, est le début d’une longue série. Le parquet de Yaoundé est malade de certains de ses hommes : affairistes et sans scrupule. Haineux lorsque le justiciable n’accède pas à certaines demandes.
La tournure prise par l’opération Epervier implique plus ou moins que personne n’est au dessus de la loi. Mais de quelle loi ? Et ceux qui appliquent ladite loi, sont-ils de fait exemptés de son observation ? Au-delà des passions, la vigilance s’impose. Laquelle vigilance induit des questionnements étayés par les faits. Si nous devons bâtir une société harmonisée, c’est en partie par la consolidation de l’Etat de droit. Ce qui suppose un discours réfléchi et la réfutation de toute gesticulation. On peut avoir la ferme conviction que des personnes interpellées à ce jour ont spolié le Cameroun et hypothéqué son développement, que certains ont même trahi Dieu le père – leur création. Mais la présomption d’innocence n’est-elle pas un obstacle à l’expression publique de nos fantasmes ? Ce dont certains ont du mal à appréhender : « Les gens ont voulu éliminer le chef de l’Etat sans façon, mais le président Paul Biya les élimine avec le cerveau en tant que garant du destin des Camerounais. La génération des Marafa, Inoni et autres a trahi » relève le personnage fort agité qu’est Charles Ateba Eyene (La Nouvelle, 7 mai, 2012). Quel drame !
Léon Koungou,
Chaire Tocqueville en politiques de sécurité (FUNDP/Namur - Belgique).
© Léon Koungou | Correspondance
L’acquittement de l’ex-sgprc, Jean-Marie Atangana Mebara, et son élargissement futur, remettent à l’ordre du jour les éternels questionnements sur le montage des dossiers judiciaires dans le cadre de l’Épervier.
L’acquittement de l’ex-sgprc, Jean-Marie Atangana Mebara, et son élargissement futur, remettent à l’ordre du jour les éternels questionnements sur le montage des dossiers judiciaires dans le cadre de l’Épervier. De toute évidence, les moyens dérisoires dont dispose la police judiciaire (ressources humaines et expertise inadéquates), les pressions émanant du pouvoir exécutif, etc. ne permettent pas de conduire les enquêtes préliminaires avec clarté et objectivité. Dans cette phase initiale, les enquêtes ont une dimension téléologique. Le but étant essentiellement de donner raison à l’autorité ayant ordonné l’interpellation sur la base des rumeurs et/ou de soupçons. Ainsi, la police judiciaire exécute des ordres. Elle imagine des chefs d’accusation. Elle cherche à rendre complexe l’instruction judiciaire dévolue au parquet. Les fonctionnaires de police chargés des enquêtes préliminaires veulent surtout plaire. Ils veulent donner satisfaction à leur commanditaire, en espérant en retour un coup de pouce dans la carrière.
Et que dire du parquet ? Le parquet dans la recherche de la vérité, n’est pas lié par les conclusions de police. Pour la manifestation de la vérité, l’État met à la disposition de l’autorité judiciaire des moyens conséquents. Le déploiement à grande échelle du parquet (commissions rogatoires, auditions, perquisitions, etc.) vise, entre autres, à mieux saisir les faits et à rendre une justice impartiale. Le parquet est-il toujours à la hauteur des enjeux ?
Lorsqu’on observe le fonctionnement de la justice au quotidien, le parquet se délecte de son irresponsabilité. On relève des différences dans son mode d’expression – c’est-à-dire la façon de juger. Dans certains cas, les jugements sont rendus selon les opinions personnelles des magistrats, dans d’autres selon le fait que les droits naturels d’une personne ont été ou non violés. Somme toute, les travers de la justice au Cameroun traduisent par ailleurs la difficulté sur les modalités de gestion de l’État. Qui gouverne et comment s’ordonne l’action étatique ? Des juges se défilent de leur responsabilité. La criminalisation de l’État est institutionnalisée. Et la justice sereine, voulue de tous, ploie sous des vulnérabilités.
La récusation de M. Magnaguemabe par le ministre Marafa Yaya, l’accusation de corruption du même magistrat au mois de janvier 2012 par M. Oum - en détention à Kondengui -, voire l’acquittement de M. J-M Atangana Mebara – mais toujours en détention – n’induisent-ils pas des questionnements sur les pratiques maffieuses de certains personnels bien connus du corps judiciaire ? Au moment où l’on parle de l’assainissement des mœurs, le juge camerounais est-il au-dessus de tout soupçon ?
I. Des pratiques maffieuses…
Selon M. Marafa Yaya, le juge d’instruction a voulu que «nous nous arrangions». Il faut entendre par là que M. Pascal Magnaguemabe, puisqu’il s’agit de lui, a essayé d’obtenir des faveurs de M. Marafa, encore ministre de la République, et souvent cité dans l’affaire dite de l’avion présidentielle. D’aucuns relèveront que le juge d’instruction n’a pas vocation à se prononcer sur la culpabilité. Faux, car c’est bien ce dernier qui rédige les ordonnances de renvoi devant le tribunal. Et même, dans certains cas, à défaut d’abandonner les poursuites, il peut tout au moins alléger le poids des charges notamment par une requalification des faits ou une mutation des chefs d’accusation.
Dans les parquets du Cameroun, on peut donc « bien parler devant le juge d’instruction ». Ce qui permettrait au justiciable d’arriver devant le tribunal dans une posture assez favorable. Par contre, si vous ne « parlez pas bien » malgré les multiples appels du pied du juge d’instruction, l’acharnement judiciaire apparaîtrait possible. Dès lors, les justiciables sont fondés à récuser un Juge ou au moins à demander son dessaisissement, à partir du moment qu’il est animé d’une hostilité ou d’une haine qui ne permettent pas d’envisager une instruction équitable (article 591 du code de procédure pénale).
En fait, ceux qui estiment que si M. Marafa est innocent, « la justice désavouera le juge d’instruction en prononçant une relaxe ou un acquittement » acceptent implicitement qu’une détention préventive interminable serait normale. Dans la conception de la république, la liberté devrait pourtant être le principe, et la détention une exception. Les procès élastiques sous le prisme de l’accordéon sont une atteinte à l’État droit.
L’institution judiciaire est malade des pratiques de certains de ses hommes. Affairisme et chantage ont cours à Yaoundé, à Douala, etc. d’où des procès interminables. À vrai dire, les grosses prises de l’Epervier qui croient en la justice républicaine (c’est-à-dire qui ne veulent pas « bien parler »), suscitent l’animosité de certains juges d’instruction bien connus. Pour ces magistrats véreux, l’Opération Epervier est une occasion de racket des personnes sur lesquelles portent des soupçons, une opportunité de négocier des postes de responsabilités auprès de celles qui sont encore aux affaires (Cf. Lettre de M. Marafa du 12 avril 2012 au Président de la CA). Et même, une occasion d’être multipropriétaires foncier dans les banlieues de Yaoundé et de Douala.
D’emblée, nous relevons que M. Marafa, par exemple, ne saurait se soustraire à la justice de la République. D’ailleurs, ce serait une injustice si ce dernier était encore en liberté. À défaut de ne point élucider son rôle dans l’achat manqué de l’avion présidentiel, il devrait au moins éclairer l’opinion sur cette réunion tenue à son domicile de Yaoundé en présence de MM. Yves Michel Fotso et Edgard Mebe N’go. D’après les déclarations de M. Otélé Essomba, aujourd’hui élargi devant le TGI du Mfoundi ; de cette réunion, décision a été prise de détourner l’enquête judiciaire initiale. L’arroseur apparaît arrosé.
Toutefois, nous relevons également que l’autorité étatique ne saurait éternellement être indifférente aux dénonciations et autres déclarations à l’endroit de M. Pascal Magnaguemabé ? Faut-il vainement attendre les preuves de la corruption comme l’a longtemps fait le président Biya ? Ce magistrat est-il au dessus de tout soupçon ? Sa crédibilité et/ou sa légitimité n’est-elle pas entamée dans le cadre de certains dossier ? Ces questions apparaissent plus que jamais opportunes avec la procédure de récusation initiée pa M. Marafa.
Faut-il le préciser, avant les révélations de M. Marafa Yaya, on se souvient qu’à travers une lettre du 15 janvier 2012 adressée au ministre de la Justice, M. Jean Pierre Oum Oth, qui séjourne à la prison centrale de Yaoundé depuis le 25 août 2008, « accusait » certains magistrats du parquet du Mfoundi de «corruption, extorsion de fonds, des biens, arnaque, abus de pouvoir, détention illégale, obstruction à la bonne administration de la Justice...». M. Jean Pierre Oum Oth affirmait : «ces magistrats m’ont extorqué pas moins de 6,5 millions de FCFA en me promettant qu’ils allaient agir pour que je sorte rapidement de prison». À propos de Pascal Magnaguémabé, M. Oum affirmait qu’il «a décidé d’abuser de mon épouse en lui promettant de tout faire auprès de ses collègues en charge de mon dossier, dans un cadre confraternel d’échanges de bons services entre magistrats pour ma libération avant fin août 2009 si elle lui cédait mon véhicule Toyota 4x4 Runner en simulant une vente» (Journal Repère du18 avril 2012).
II. A la volonté délibérée de nuire
Dans la dimension maffieuse de son office, le juge camerounais développe plus d’une stratégie. À travers l’opération Epervier, la stratégie dite de l’accordéon devient banale. Il s’agit d’une trouvaille de M. Pascal Magnaguemabe. L’instruction est interminable. Le juge décide de « tuer » l’« accusé » à dose homéostasique. Concrètement, dans les multiples affaires à sa charge, le bout du tunnel est invisible. Chaque lueur d’espoir pour l’inculpé devant le tribunal est aussitôt obscurcie par une nouvelle mise en examen.
Me Claude Assira, l’un des avocats de M. J-M Atangana Mebara, vraisemblablement inquiet de ne pas voir son client recouvrer la liberté malgré l’acquittement du tribunal suivi d’une demande de levée d’écrou, déclarait : «Il n’est pas à exclure que le parquet traîne volontairement pour laisser le temps au juge d’instruction de prendre une ordonnance de renvoi, qui maintiendrait Atangana Mebara en prison» (Messager, 7 mai, 2012).
On rappellera qu’au moment où intervient la décision du tribunal, M. J-M Atangana Mebara était sous le coup de deux autres chefs d’inculpation, mais dont le mandat de détention était valable jusqu’au 18 juin 2011. Ainsi, la décision du TGI devait d’abord être appliquée; d’ailleurs, après les vérifications d’usage, notamment qu’il n'y avait pas de mandat de détention valide, les membres de la Collégialité dirigée par Gilbert Schlick ont tous signé l’ordre de libération. La décision de justice étant intervenue le jeudi 3 mai à 22 heures, le procureur qui devait ordonner la levée d’écrou est resté introuvable toute la journée du vendredi 4 mai. Le moins que l’on puisse dire est que Me Claude Assira ne s’était guère trompé sur les manœuvres maffieuses qui ont cours au parquet du Mfoundi.
Le lundi matin, 7 mai 2012, le juge d’instruction, Pascal Magnaguemabe, a servi une nouvelle inculpation à MM. Inoni et Atangana Mebara, avec un nouveau mandat de détention de six mois. Laquelle inculpation est relative à un prétendu détournement de 3,3 milliards de FCFA, somme d’argent payée au loueur d’avion ANSETT, par la Standard Chartered Bank, à la demande du Ministre des Finances, et vraisemblablement sur instruction de M. INONI. L’inculpation intervient néanmoins malgré que M. INONI, ait versé au dossier, un reçu de ANSETT, selon lequel les 3,3 milliards ont bel et bien été reçus par le loueur d’avions. La logique des choses nous interpelle à des questionnements sur le fondement de l’infraction? Mais, ainsi fonctionne le système Magnaguemabe. On se rappelle qu’il a fallu déjà trois années pour que la justice acquitte M. Atangana Mebara de l’accusation de détournement de 1,5 milliard, suite au virement de cette somme par la SNH à Ansett. Le reçu de Ansett présenté par l’accusé au juge d’instruction n’avait suffi à lever l’accusation. En outre, on ne saurait manquer de s’interroger sur l’opportunité d’une nouvelle inculpation, alors que les deux anciennes n’ont fait l’objet d’aucun acte depuis plus de deux ans. On n’est donc en présence d’une mascarade d’instruction judiciaire. À la vérité, on pourrait dire que la nouvelle inculpation n’a pour but que d’empêcher M. Atangana Mebara de sortir de prison, parce que le dernier mandat de détention était valable jusqu’au 18 juin 2011.
De toute évidence, Le magistrat ne doit nullement s’accaparer de la justice. Parce que M. Magnaguemabe est assez isolé dans son office, il y a des craintes évidentes d’une paranoïa. Or, les souvenirs d’Outreau restent vivaces dans les esprits. Le juge d’instruction ne doit pas être un homme seul, il a besoin d’un encadrement conséquent. La justice devrait être une entreprise sereine. Dès lors, on ne peut denier à M. Marafa le droit d’opposer les dispositions de l’article 591 du Code de Procédure pénale. Il reviendra au Parquet du Mfoundi de se prononcer.
De toute évidence, la procédure de récusation du Juge Magnaguemabe, initiée par M. Marafa, est le début d’une longue série. Le parquet de Yaoundé est malade de certains de ses hommes : affairistes et sans scrupule. Haineux lorsque le justiciable n’accède pas à certaines demandes.
La tournure prise par l’opération Epervier implique plus ou moins que personne n’est au dessus de la loi. Mais de quelle loi ? Et ceux qui appliquent ladite loi, sont-ils de fait exemptés de son observation ? Au-delà des passions, la vigilance s’impose. Laquelle vigilance induit des questionnements étayés par les faits. Si nous devons bâtir une société harmonisée, c’est en partie par la consolidation de l’Etat de droit. Ce qui suppose un discours réfléchi et la réfutation de toute gesticulation. On peut avoir la ferme conviction que des personnes interpellées à ce jour ont spolié le Cameroun et hypothéqué son développement, que certains ont même trahi Dieu le père – leur création. Mais la présomption d’innocence n’est-elle pas un obstacle à l’expression publique de nos fantasmes ? Ce dont certains ont du mal à appréhender : « Les gens ont voulu éliminer le chef de l’Etat sans façon, mais le président Paul Biya les élimine avec le cerveau en tant que garant du destin des Camerounais. La génération des Marafa, Inoni et autres a trahi » relève le personnage fort agité qu’est Charles Ateba Eyene (La Nouvelle, 7 mai, 2012). Quel drame !
Léon Koungou,
Chaire Tocqueville en politiques de sécurité (FUNDP/Namur - Belgique).