La mauvaise qualité de sa distribution est le principal problème de la presse écrite camerounaise. Vous pouvez bien concevoir les meilleurs journaux du monde, s’ils ne sont pas disponibles et si, lorsqu’ils le sont, leurs charges logistiques sont telles qu’ils sont hors de prix, vous êtes mal. Mais nos journaux étant déjà loin, d’être les meilleurs du monde, on imagine l’impact d’un système de diffusion aussi archaïque et inefficace que celui qui distribue notre presse. En effet, l’état camerounais a abandonné ce secteur à une filiale du groupe Français Prestalis, sorte de monstre organisationnel co-géré par Hachette et le syndicat du Livre français.
Dans l’arrière pays, les journaux quotidiens arrivent en kiosque avec plus de cinq jours de retard. Parfois, certains chefs lieux de régions n’ont même pas de kiosque à journaux. Si l’on veut acheter un journal à Mokolo ou à Maroua, on trouvera celui de la semaine d’avant, ce qui n’incite pas à l’acheter alors que la radio, la télévision ou Internet ont donné les dernières informations. Les quotidiens paraissant à Yaoundé arrivent sur le marché de Douala dans l’après midi vis versa.
La distribution des journaux peut être considérée comme un service d’intérêt général. Les opérateurs qui en sont chargés sont donc supposés être efficaces et leurs prestations doivent être raisonnables en termes tarifaires tout en restant rentables. Au Cameroun, Messapresse jouit d’un monopole quasi-intégral, mais se révèle souvent incapables de livrer les points de vente en temps et en heure et coûte près de 40% de la valeur faciale d’un journal. Désormais, la question est donc, littéralement, de savoir s’il appartient à une entreprise étrangère d’apporter des solutions aux problèmes de notre presse en lieu et place des pouvoirs publics.
Comme Messapresse prend toute la distribution en charge, les titres n’ont pas développé de force commerciale, de force de vente qui leur permettraient tout à la fois de mieux vendre leur journal et de mieux connaître les attentes des lecteurs. Il faut remédier à cette situation en relançant les campagnes d’abonnement, les contrôles systématiques dans les imprimeries afin de limiter les fuites qui alimentent le réseau parallèle. Les études de marché doivent être effectuées pour connaître les attentes des lecteurs.
Les ventes de la presse au Cameroun ont diminuées
de plus de 70% en 20 ans. Si la concurrence de la radio, la télévision
et Internet peut expliquer cela en partie, il n’en demeure pas moins
vrai que les journaux n’ont pas développé une politique visant à toucher
tous les lecteurs potentiels. La baisse des ventes ne peut se justifier
par l’argument du prix non plus, parce que l’expérience montre que
lorsqu’un journal touche l’intérêt du lecteur, il l’achète. Il en est
des hors séries de nos journaux qui se vendent au prix de 700 francs au
moins, mais dont le taux d’invendus est des plus bas au cameroun. Il est
important de noter qu’en l’absence d’un renouvellement idéologique, la
presse d’opinion a du mal à trouver un lectorat qui se fatigue au fil
des années des mêmes dénonciations avec le même style et les mêmes mots
pour dénoncer les mêmes maux. Lorsqu’on regarde ce qui se passe
ailleurs, on constate de plus en plus une tendance à la « thématisation »
des contenus des journaux. Les questions d’emploi, de santé publique,
d’éducation sur l’histoire du monde y sont abordées.
Dans ces conditions, le lecteur choisit le titre, non pour des raisons
de sensibilité idéologique, mais pour des raisons d’utilité publique. La
presse camerounaise doit donc s’entourer des spécialistes pour aborder
les thèmes en rapport avec les besoins du lectorat.
Lorsque tout le monde est d'accord pour dire qu'un système ne fonctionne
pas bien, il faut le réformer. C’est ce qui doit être fait avec notre
système de distribution dans le cadre d’un plan de modernisation portant
sur les points suivants :
- Messapresse doit s’engager à faire ouvrir de nouveaux points de vente,
l’objectif minimal doit etre à court terme que chaque chef lieu de
département au moins puisse disposer d’un kiosque à journaux et à moyen
terme chaque chef lieu d’arrondissement.
- Messapresse doit s’engager à optimiser l’offre presse dans les
magasins. Afin de désengorger les linéaires, une démarche innovante
testée en France en 2010. En prenant en compte le maximum de la vente
constatée titre par titre pour chaque diffuseur, les rayons sont allégés
sans impacter sur le niveau des ventes. Cette action vise à alléger la
trésorerie des diffuseurs pour limiter les suspensions qui privent
certains kiosques et certaines régions du pays de la presse pendant
plusieurs semaines.
- Messapresse doit proposer un plan de revalorisation de la
rémunération des diffuseurs de presse. En contrepartie, les diffuseurs
s’engageront à améliorer les services qu’ils offrent au public. A ce
titre, la première mesure pourrait concerner la mise en valeur de la
presse ainsi que l’amplitude d’ouverture -y compris les jours fériés.
- Messapresse doit s’engager à développer des services aux lecteurs.
Pour favoriser les achats d’impulsion et faire redécouvrir aux lecteurs
le chemin des commerces de presse, la politique d’animation des points
de vente doit se doter de nouveaux outils marketing.
- Responsabiliser les acteurs- Rendre le métier de diffuseur plus
attractif- Prendre davantage en compte les réalités économiques.
- L’état doit Simplifier les règles d’autorisation et d’implantation
des kiosques à journaux afin d’en augmenter le nombre. Les kiosques à
journaux sont soumis à des procédures d’autorisation et d’implantation
qui peuvent retarder leur installation. Il est proposé de les
simplifier. Simplification aussi des contraintes administratives afin
d’encourager la création des kiosques à journaux dans les villes.
- Participation de l’Etat aussi pour prendre en charge une partie du
coût de la distribution de la presse et éventuellement l’Exonération de
toute taxe professionnelle pour les dépositaires indépendants. Le
montant de ces aides doit être chiffré.
- Assurer la pérennité financière du système. Obtenir des gains de
productivité permettant de financer une augmentation de la rémunération
des points de vente. Prendre davantage en compte les coûts réels de la
distribution
- A court terme, c’est ce qui doit être fait.
A moyen terme, - Mettre en œuvre les nécessaires réformes et disposer
d’une instance garante du bon fonctionnement du système. Plus
concrètement, il faut envisager de faire voter une loi pour organiser le
secteur de la distribution des journaux au Cameroun. La loi sur la
distribution des journaux se présente comme le socle du dispositif
organisant la distribution de la presse au Cameroun.
- Elle règle la question relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques et organise le système de distribution de la presse autour de trois principes fondamentaux et d’une instance de contrôle.
• La liberté de choix de l’éditeur :
le premier point proclame le principe de la liberté de distribution de la presse et confie à toute entreprise de presse le droit " d’assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu’elle jugera les plus convenables à cet effet ".
Le choix d’une distribution autonome a ainsi été testé par certains journaux, pour des raisons évidentes de proximité qui rend inutile le principe même de groupage. C’est le cas des publications régionales.
En contrepoint, le deuxième point fera obligation aux entreprises de presse qui souhaitent regrouper leur distribution d’avoir accès à des sociétés coopératives de messageries de presse, dont cette loi réglementera la constitution et le fonctionnement.
L’élément essentiel du dispositif résidera donc dans le pouvoir de contrôle des éditeurs sur leur système de distribution, y compris lorsque, pour des raisons pratiques (d’ordre logistique et financier), les coopératives décident de ne pas assurer directement les opérations matérielles de distribution, elles peuvent en confier l’exécution à des entreprises commerciales, à la condition expresse que les coopératives "s’assurent une participation majoritaire dans la direction de ces entreprises".
C’est notamment le cas du système actuel, dont les éditeurs pourraient s’arroger les 51% du capital.
• L’égalité des éditeurs face au système de distribution
Cette égalité se traduit d’abord par la liberté d’accès des éditeurs à la coopérative de leur choix, l’admission s’imposant aux coopératives, à la condition que la société éditrice remplisse les conditions objectives prévues par la loi et par les statuts et qu’elle accepte les barèmes votés en Assemblée générale. On retrouve donc là, appliqué à la distribution de la presse, le principe coopératif dit de la "porte ouverte".
Une fois admis au sein d’une coopérative, l’éditeur se voit également garanti l’égalité de traitement avec les autres associés, que ce soit tant en terme de coûts de distribution (les barèmes étant votés par la collectivité) que d’impartialité de traitement (aucun titre n’étant favorisé par rapport aux autres).
• La solidarité entre éditeurs-coopérateurs
Cette solidarité s’exprime par le fait même du groupage et de la mise en commun des moyens nécessaires à la distribution des titres adhérents.
Elle trouve aussi une traduction économique dans le principe de barèmes adoptés par la collectivité des coopérateurs et s’imposant à chacun d’entre eux, et dont une part essentielle met en œuvre une péréquation des coûts et des tarifs.
• Sous le contrôle du Conseil National des Messageries de Presse
Le Conseil National des Messageries de Presse dont
la composition sera fixée par la loi, pour remplir en fait le rôle d’un
organe de régulation sur l’ensemble des sujets se rattachant à la
distribution de la presse. Néanmoins, ce conseil devra être composé de :
. Un représentant du Ministre des Finances.
. Un représentant du Ministre des Relations extérieures
. Un représentant du Ministre de l’Economie.
. Un représentant du Ministre des Transports.
. Un représentant du Ministre des Postes et Télécommunication.
. Un représentant du Ministre de la Communication.
. Trois représentants des sociétés coopératives de messageries de presse
désignés par les organisations professionnelles les plus
représentatives ou, à défaut, par une assemblée générale des sociétés
coopératives de messageries de presse.
. Trois représentants des organisations professionnelles de presse les plus représentatives.
. Deux représentants des dépositaires et diffuseurs de journaux et
publications périodiques désignés par les organisations professionnelles
les plus représentatives ou, à défaut, par une assemblée générale des
dépositaires et diffuseurs de journaux.
. Un représentant des entreprises commerciales concourant à la distribution de la presse.
. Un représentant du personnel occupé dans des entreprises de
messageries de presse désignés par les organisations syndicales les plus
représentatives.
. Le Directeur Général de CAMRAIL.
. Le Directeur Général de CAMAIR.CO
. Le Président de l’organisation professionnelle la plus représentative des transporteurs par route.
C’est ainsi que les principaux accords interprofessionnels
(qualification du produit presse, mesures techniques et financières
afférentes aux conditions de travail des dépositaires et des diffuseurs)
sont avalisés par le Conseil National.
Telles sont à notre avis, les questions qui doivent être abordées aux
états généraux de la communication pour sauver la presse papier.
Malheureusement, nous n’y avons pas été invités. Que ceux qui y sont
n’oublient pas que le rôle de réliance social que joue la presse est
conditionné par la disponibilité des journaux dans les quatre coins du
Cameroun. Et que cette responsabilité incombe à l’état.
Carlos NGOUALEM
Président de L’Association des dépositaires et marchands de journaux(ADMJ)
Tel : 99 82 20 94 / 70 79 59 09
e-mail : ngoualem1@yahoo.fr