Pius NJAWE: La longue marche vers la liberté de la presse

YAOUNDE - 16 JUILLET 2010
© Edouard Kingue | Aurore Plus

De quoi sera fait demain ? Qui reprendra le flambeau et le passif ? Qui sera l'interlocuteur valable vers qui se porteront tous les espoirs de reprises ?

Un crochet du gauche contrecarré par un uppercut, voilà comment une amitié vieille d'une vingtaine d'années a failli mal tourner. Pius saisit son téléphone, appelle Jane, sa charmante moitié: "Edouard est venu m'agresser à mon bureau". J'appelle à mon tour Rosalie, mon épouse: "voici Pius qui est entrain de me donner des coups de poings". Quelques minutes plus tard, Jane et Rosalie, qui vaquaient certainement à leurs occupations religieuses accourent. Les pugilistes mentiront chacun comme il peut, pour expliquer aux deux amies que c'est l'autre qui a tiré le premier. Mais le malheur était en route...

En froid depuis un an, professionnellement séparés, nous nous sommes réconciliés un an plus tard à Babouantou sous l'oeil moqueur de Rosalie, sur la tombe de Jane arrachée à la vie le 16 septembre 2002, sur l'axe devenu lourd de tant de drames, entre Douala et Yaoundé. "Edking, tu avais osé porter la main sur moi"? "Njapinius, tu avais failli m'arracher l'oreille avec ton crochet!".

Edking ? Me reviennent en mémoire nos débuts dans la presse sous la houlette d'Ab?del Karimou et de Jean Baptiste Sipa. C'est ainsi que Njawe me 'baptisa' et je l'appelai Njapinius. C'était à la Gazette, l'unique hebdomadaire de Douala, au beau milieu des années 70. Njawe et moi nous nous sommes connus quelques années plutôt, au Centre Culturel Français. Il était passionné par la poésie de René Philombe et moi je buvais du Césaire. De la poésie au journalisme, il n'y avait qu'à traverser une rue semée d'embûches.

Puis nous décidâmes de voler de nos propres ailes, encouragées par le vieux Koloko Lévis, un parent de Njawe qui nous accorda une aide financière, quand nous lui fîmes part de notre intention d'aller créer un journal à l'ouest. Pius avait alors 22 ans et moi 23.

Pourquoi Bafoussam ? En 1980, l'UNC devait y organiser son congrès quinquennal et nous voulions être aux premières loges pour nous faire connaitre. A la parution du premier numéro, c'était la joie au petit matin. Njawe et moi nous partageâmes les 500 exemplaires que nous vendîmes à la criée.

1979-2009. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et le Messager vient de fêter son trentième anniversaire. L'aventure de Bafoussam ne dura qu'un an, agrémentée par un procès qui faillit jeter le Directeur de publication en prison. On décida de changer de siège en nous installant dans une contrée moins 'barbare' croyions nous. On posa donc nos valises à Douala, mais c'était pour faire face à d'autres tracasseries Intrépide, Njawe choisissait parfois de passer outre à la censure préalable, attirant sur lui les foudres du Préfet et de la police. Entre les suspensions et les séjours en cellule, Pius ne désarmait pas, nous encourageant à persévérer, proclamant que le Messager était un projet de société, qui passait par la liberté de presse.

Suis-je le dernier des Mohicans ? Et passent les vagues sur les tablettes oublieuses de l'histoire et de la mémoire des hommes. On en parle plus aujourd'hui, mais derrière l'enthousiasme de Njawé, il y avait plusieurs camarades tout aussi passionnés de journalisme qui jouèrent un rôle important: Emeran Bivega, l'infographiste, Lucien Claude Kamegni et Eyoum' a Ntoh restés assurer les arrières à Douala. L'un a disparu sans laisser d'adresse, le second est quatre pieds sous terre et le troisième est devenu hémiplégique. Tous avaient l'esprit Messager, porté de main de maître par Pius Njawe, combattant infatigable et intrépide de la liberté de la presse.

Beaucoup d'autres plumes nous ont rejoints plus tard. Certaines moins visibles travaillaient dans l'ombre, permettant à Njawé, entre deux séjours en exil, en cellule ou en prison, d'aller porter le message de son combat pour la liberté de presse sous d'autres cieux et d'autres tribunes. Entre manifs, pétitions, scoops ou tournées dans les représentations internationales accrédités au Cameroun, Il était toujours en avance d'une subversion.

Jane est morte des suites d'un accident de circulation au Cameroun, le 16 septembre 2002. Ironie du sort, huit ans plus tard Pius Njawé qui après ce douloureux événement et en mémoire de son épouse créa par la suite une association dénommée Jane & Justice pour la sécurité routière et la prévention des accidents au Cameroun, est décidé le 12 juillet 2010 dans un accident de la route aux Etats-Unis.

Il est mort au front, pourrait-on dire. Pius Njawé s'était rendu aux Etats-Unis polir participer à un forum organisé par des camerounais de la diaspora sur le thème de l'alternance politique au Cameroun en 2011.

Il aimait à le dire: "le linceul d'un journaliste honnête n'a pas de poches, car il n'a rien à emporter". Aujourd'hui Njawé n'est plus. Mais le Messager comme toute institution, est appelée à survivre à ses pères fondateurs. Njawé était leur porte flambeau, comme de tout temps. Plus qu'eux tous, il a su s'accrocher au bastingage les jours de gros tangage. Le poète d'hier, amoureux de René Philombe, le chanteur du dimanche, passionné de Eboa Lottin, l'évangéliste qu'il était devenu, féru de spiritualité restera dans toutes les mémoires comme le chantre de la liberté de la presse.



Le messager: Où sont les héritiers ?



François Bongou, rédacteur en chef; Honoré Foimoukom, coordonnateur de la rédaction; Jacques Dobell, secrétaire général. Tous basés à Douala le siège du journal, pour l'essentiel Jean François Channon et Souley Onohiolo a Yaoundé; voila de fait l'ossature ou alors ce qui reste du Messager trentenaire.

Bien maigre pour un canard qui a connu des belles heures. Les suscités sont en réalité des rescapés de la compression du personnel qui a vu partir Njog Nathanaël, Batana, Massoussi et bien d'autres, débarqués avec quelques mois de salaires impayés. Ceux qui restent ne sont pas logés à meilleure enseigne. On leur a promis que la situation devrait s'arranger, mais le destin a décidé autrement, avec la mort de Njawe qui trônait inconscient de la précarité humaine sur une entreprise unipersonnelle, fortement centralisée entre ses mains frêles de mortel.

Où sont les héritiers ? Où est le nerf de la guerre ? Qui prendra le relais de Pius, certes excellent journaliste, mais gérant égocentrique qui refusait toute proposition d'actionnariat, sous le prétexte fallacieux de garder son indépendance !

Cette aberration est d'autant plus manifeste que le directeur de publication qu'il était, directeur général, étai le seul coq dans ce poulailler, allant jusqu'à occulter les ouvriers de la première heure, pour régner sur des jeunots qui lui doivent tout et ne peuvent lui rappeler qu'il s'est fait avec des compagnons fidèles aujourd'hui écartés de l'affaire. Il y avait pour ne pas les nommer et pour ceux qui sont encore en vie, Edouard Kingue, Emeran Bivega et dans une moindre mesure, Eyoum a Ntoh. La deuxième vague sera composée une décennie plus tard de Jean Baptiste Sipa, Jacques Kamgang, Mbappe Joseph, Melvin Akam, Alex Gustave Azebaze, Valentin Zinga, Nyemb Popoli et bien d'autres. Ces collaborateurs ont sué sang et eau pour porter le tirage du Messager à ...120 000 exemplaires. Nous sommes loin des 2000 numéros quotidiens d'aujourd'hui.

Chacun est parti suivre un autre destin parce que personne n'a pu le retenir; ni le salaire de catéchiste, ni l'ambiance, encore moins la notoriété qui devait appartenir à Pius Njawe seul. N'est il pas symptomatique de constater que la célébration du 30eme anniversaire de ce qui est aujourd'hui devenu une institution s'est faite sans que le nom d'un ancien soit cité ? Même Jean Baptiste Sipa, le père spirituel et le créateur de Muyenga et Takala qui continue à hanter la rédaction à titre bénévole, n'a pas eu l'honneur d'être aux premières loges pour une évocation trentenaire. C'était ainsi Njawe, courageux, ambitieux, nombriliste, ombrageux et jaloux de son pouvoir. Malheureusement il laisse aujourd'hui orphelin, ce projet de société qu'il prônait tant.

Au siège du Messager, sur les visages se lisent des points d'interrogations longs comme des jours sans pain. De quoi sera fait demain ? Qui reprendra le flambeau et le passif ? Qui sera l'interlocuteur valable vers qui se porteront tous les espoirs de reprises ? Njawe aimait-il tellement son journal qu'il risque de l'emporter dans la tombe ? Que Dieu protège le messager qui ne méritait pas cela.


DALLE NGOK PIERRE


19/07/2010
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