Pius Njawé : 1957-2010 (suite)
L’histoire secrète
Elvis Tangwa Sa’a, Alias Samako Minmenkem : «Je peux dire que je suis de ceux qui ont contribué à fabriquer Pius Njawé »
L’ancien directeur de la communication du Cameroun, a assisté de près au départ et avec un air critique par la suite, à la création et à l’évolution des œuvres de Pius Njawé.
Quel est l’état d’esprit qui vous anime au moment où vous
apprenez le décès de Pius Njawé ?
C’est un sentiment de profonde tristesse parce que Pius Njawé était mon
fils au plan spirituel. Deuxièmement, nous avions épousé pratiquement
des cousines. Son épouse Jane qui est morte également à la suite d’un
accident et pour laquelle il a créé l’association de lutte contre les
accidents de la circulation était du même village que mon épouse à moi.
Nous avions eu des relations personnelles très très profondes. Je suis
réellement et véritablement triste. Je ne sais quoi dire.
Dans quelles conditions assistez-vous à la naissance du
Messager et à l’engagement de Pius Njawé ?
J’arrive à Bafoussam en décembre 1979 pour lancer les programmes
spéciaux de ce qui à l’époque s’appelait Radio Bafoussam, qui est devenu
la station régionale de l’Ouest, à la veille du démarrage du congrès de
l’Unc que Ahidjo avait baptisé le congrès de la maturité. A mon arrivée
je vais rendre visite à mon frère et ami d’enfance Kamgang Jacques qui
était chef du centre de presse. Il me présente Pius Njawé, très jeune et
tout enthousiaste, en me disant que c’est un jeune homme qui a en
projet de créer un Journal, et je dis à Jacques : «Nous on a été à
l’école pour apprendre la connaissance, pourquoi on ne pourrait pas la
partager ? Je connais donc Njawé physiquement depuis 1979. Son projet
m’enthousiasme, et je l’ai soutenu dès le tout début. L’esprit pour
lequel je l’ai soutenu était pluriel. Je lui ai d’abord dit : ‘’Mon
fils, l’histoire des journalistes qui écrivent des papiers s’en vont
montrer aux gens pour dire voici ce que j’ai écrit sur toi. Si tu
achètes je changes l’orientation, est une catastrophe. Si tu veux aller
loin dans la presse, il faut éviter de faire ce journalisme de
mercenariat. Je lui ai dit ensuite, qu’un journal n’est pas fait pour
gagner de l’argent. Un journal est fait pour configurer les esprits,
pour vendre un rêve. L’argent vient lorsque des annonceurs notamment
sont intéressés par le rêve et te financent l’impression. C’est derrière
le projet de société qu’il y a l’argent. Je lui dis par ailleurs, que
dans le monde médiatique camerounais actuel, il n’y a pas de véritable
discours alternatif. Les sociétés humaines avancent par contradictions
acceptées et surmontées. La parole unique n’a jamais fécondé
l’imagination et la créativité. Il faut être capable de tenir un
discours alternatif pour améliorer la qualité de la gestion sociale. Si
c’est pour dire que le chef de l’État a fait ceci ou cela, tu n’aides
même pas ce chef d’État. En cheminant avec lui, j’ai constaté et
apprécié le fait que Njawé était un homme qui apprenait en pratiquant.
Nous avons fabriqué Pius comme on le fait dans notre tradition Bamiléké.
Lorsque nous fabriquons un chef traditionnel, notre prière est de
fabriquer un Grand Fuo (Roi), pour que si l’histoire daigne se souvenir
de nous, qu’elle retienne que nous avons sculpté un bel ouvrage. Je peux
donc dire que j’ai contribué à fabriquer Njawé. Mon frère le prince Sob
Molapi et moi sommes allés à Babouantou chez le grand-père maternel de
Njawé pour l’élever à la dignité de Sob Wetathi. Sob (Sob, ou Souop)
signifie celui qui poignarde le gibier ou l’ennemi à la guerre. Quand tu
tues une panthère, tu la déposes aux pieds de Fuo (ou Fo, c’est-à-dire
le Roi) et ce dernier t’élève à la dignité de Sobgwi. Le titre de Sob
est réservé aux princes et à tous ceux qui tue la panthère. Si en tant
que notable, je contribue à fabriquer des rois, pourquoi ne
contribuerai-je pas à fabriquer un ROI DE LA PRESSE ? La seule condition
est de lui foutre la paix une fois qu’on l’a adoubé. Fabriquer un tel
roi, c’est donc lui donner les éléments de devenir ce qu’il est et
d’être un jour le témoignage de ceux qui dans l’ombre et la discrétion,
ont contribué à prendre la décision. Bien qu’en cette année 79-80 je
n’étais pas encore le successeur de mon père, il n’en demeure moins pas
vrai que dans ma famille, on a le culte de ces valeurs de service
public, d’utilité publique, de ne pas poser des actes en contradiction
avec les bonnes valeurs constructives.
C’est peut être pour cela que le combattant, l’acteur engagé
qui a été mis en avant sur sa qualité et son travail de journaliste ?
Je suis un fils d’upéciste, et en réalité le plus grand projet de
l’Upc, a été de montrer aux colons, aux maîtres, que l’esclave que tu
vois là, il est capable de raison, il est capable de penser, de
réfléchir comme d’autres personnes. Si on a combattu l’Upc avec autant
de cruauté et d’acharnement, c’est parce que ses armes étaient des armes
intellectuelles, des armes pour un réveil intellectuel, pour dire aux
gens : Vous pouvez penser par vous-même, vous pouvez dire non par vos
propres mots, et je pense que c’est cet esprit qui doit demeurer, parce
que tous ceux qui dirigent, ont besoin que dans la société, il y ait
quelqu’un qui attire leur attention, qui tire la sonnette d’alarme.
Heureusement pour nous dans la tradition, la fonction de contradicteur
est une fonction respectée. On sait qui a le droit de dire non à une
décision du Fuo (chef) qui pourrait nuire au peuple, et c’est d’ailleurs
parce qu’il le sait que le Fuo bien initié ne prendra jamais de
décision sans s’entourer de toutes les précisions nécessaires, sans
procéder à toutes les consultations appropriées. Donc l’idée absolument
bâtarde et mentalement attardée de considérer que ne pas être d’accord
avec quelqu’un c’est être voué au poteau, ça c’est une approche
moyenâgeuse. Elle ne correspond pas à la tradition africaine qui est une
tradition de liberté, de contrepouvoir, de démocratie, et qui fait que
nos royautés étaient des royautés démocratiques. C’est d’ailleurs un peu
ce que nous essayons de défendre, et que Pius a bien défendu toute sa
vie. Il était un journaliste et un homme aussi.
Un avis, un conseil, un message à transmettre à ceux qui vont
hériter des œuvres entamées par Pius Njawé.
Lorsqu’on a mené un combat comme celui de Njawé qui a abouti à cette
institution qui est aujourd’hui Le Messager, la disparition de Pius,
constitue un drame. Il me semble que pour aller au bout de ce drame, il
faut manifestement changer un tout petit peu l’exercice du pouvoir.
Autant en tant que père fondateur Pius avait un pouvoir de type
charismatique, autant ceux qui se chargeront de maintenir la flamme
gagneraient à se donner un mode de fonctionnement technocratique basé
sur des procédures, des outils, des normes, des données universellement
connues, pour fructifier le capital qui existe et qui ne demande qu’a
être fructifié. L’homme avait ses qualités et ses défauts, mais le seul
capital charismatique de Njawé n’existe plus. Pour l’exemple moderne, je
prends le cas de Bill Gates qui a pris du recul et sollicité une autre
personne qu’il a placée à la direction de Microsoft; Bill Gates a dit
certes j’ai lancé cette énorme machine, mais je ne peux pas le gérer.
C’est un autre combat qu’il faut mener pour la survie de cette œuvre.
Il est important que dans la vie quelque soit les critères, qu’il y ait
des porteurs de contradiction. Il est dommage qu’en Afrique, la
contradiction soit considérée comme un crime. Souvenons-nous que lorsque
Jean-Paul Sartre est descendu dans les rues en mai 1968 avec les
enfants, le général De Gaulle a pris sa plume pour écrire à Sartre, et
son premier mot était : «Mon cher Maître», parce que Sartre, c’était un
maître. Ne considérons pas la parole alternative comme un crime. La
parole alternative est indispensable pour enrichir la société. Et il est
indispensable de faciliter cet exercice.
Propos recueillis par
Honoré Feukouo
Célestin Lingo, alias Daniel Rim : « Njawé est parti à un très mauvais moment »
Le journaliste et ancien secrétaire général de l‘Union des journalistes du Cameroun retrace la mémoire de son ami et s’interroge sur l’avenir.
Pius Njawé, je l’ai toujours considéré comme un petit frère même comme il était mon patron. J’ai voulu l’aider à réussir ce qu’il avait si bien commencé. J’admire deux choses en lui. D’abord son courage et sa ténacité. Il est le premier fondateur d’un journal privé laïc. Avant lui, il n’y avait que des journaux confessionnels catholiques et protestants. Il a été le premier laïc à se dresser face à tous les problèmes de la presse qui étaient nombreux à cette époque là. Il y avait la censure, la précarité matérielle etc.
Il a affronté tous cela avec beaucoup d’abnégation et de courage. Avec la montée de la liberté de la presse dans les années 90, Le Messager ne s’occupait plus seulement des faits divers. Pius Njawé commence à subir la censure. C’est à cette période là que je commence à collaborer avec Le Messager et je peux vous dire que pour paraître, il fallait faire du maquis. Quand on suspendait Le Messager, nous sortions La Messagère et ainsi de suite. Nous imprimions le journal dans des lieux difficile d’accès à la police. Il fallait beaucoup de courage pour le faire et Njawé l’a eu. Il a fait de la prison pour des raisons que je vais dire idiotes, pour avoir dit au conditionnel que le président de la République aurait eu un malaise. Comme si le malaise devait avoir peur d’un président de la République. Njawé a été en exil pendant une année au Bénin. Sa famille et lui ont souffert d’intimidation. Pendant qu’il est en prison, son épouse qui est enceinte perd l’enfant à force de stress et de nombreuses démarches.
Son courage face à cette adversité m’a toujours marqué. La seconde chose que j’admire en Pius Njawé c’est sa volonté de s’améliorer en tant que journaliste. Il n’avait rien du journaliste au départ. Il était un simple vendeur de journaux et puis il a décidé de franchir un pas dans ce métier en créant un journal. Pius Njawé n’a pas fait le secondaire, quand je suis arrivé au Messager, c’est moi qui réécrivais ses éditoriaux et ses projets d’éditoriaux. Mais quelques années plus tard, il s’était amélioré et j’étais heureux de lire ses articles sans qu’ils ne passent plus par moi. Pius Njawé est un self made man. Il a constamment fait l’effort d’apprendre à écrire de manière journalistique, de s’améliorer professionnellement, de se cultiver.
Si nous perdions seulement les deux qualités de Njawé que je lui reconnais ce serait déjà beaucoup, mais perdre l’homme lui-même c’est un grand vide pour le paysage médiatique camerounais. C’était un journaliste engagé, il n’était pas partisan. Il a été taxé d’opposant parce qu’il avait une vision contestataire. Il a échappé plusieurs fois à la mort qu’on voulait lui donner. C’est douloureux pour moi parce que je suis le grand frère qui pleure son cadet, parti de manière brutale et à un très mauvais moment. Je pense aux grandes échéances qui arrivent au Cameroun. Il fallait qu’il soit là pour continuer le combat du changement, l’institutionnalisation de notre démocratie qui tend plutôt à être personnalisé. J’ai de la douleur parce qu’un homme comme lui quitte un métier qui est mon oxygène. Je ne suis que journaliste, c’est ma respiration, c’est tout moi. Mais je suis chrétien et je pense que la mort de Njawé n’est pas n’est pas arrivé pour rien. Je me dis que Dieu ne ferme pas une porte sans ouvrir une fenêtre.
Muriel Edjo
Jacques Kamgang alias Kamoja le prince : «Nous avons pris fait et cause pour Paul Biya contre Ahmadou Ahidjo»
L’ancien directeur de la communication publique au Mincom et ancien collaborateur au Messager, il revient sur le parcours du journal de Pius Njawe.
C’est hier matin en suivant Canal 2 international que j’ai appris la nouvelle du décès de Pius Njawe aux Etats-unis. ça été pour moi un véritable choc. Personne n’aurait imaginé, malgré toutes les épreuves qu’il avait traversées, que la mort puisse le surprendre de si tôt.
En 1978, quand je suis nommé à Douala comme chef de centre de presse pour le Littoral du ministère de l’information, Pius Njawe est pigiste au journal La gazette d’Abodel Karimou. Pius Njawe passe de temps en temps discuter avec moi du métier. Quand il conçoit son projet de création d’un journal à Bafoussam, il vient m’en parler et je l’encourage. Aidé par Edouard Kingué et Lucien Kameni, il lance Le Messager, le 17 novembre 1979. L’expérience de Bafoussam s’arrête pour deux raisons. Il s’agit d’un reportage sur un match de foot-ball à Foumbot, où il décriait l’arbitrage. Il a ensuite fait un reportage sur la prostitution dans le Noun, et à cette époque, la responsable de la Condition féminine dans le Noun était l’épouse du préfet du même département. Celui-ci a porté plainte contre Pius Njawe et a mis des gendarmes aux trousses de ce dernier. Face à la pression des gendarmes, il décide de retourner à Douala. Le messager cesse de paraitre. Entre temps, Edouard Kingué lance le journal La vision et Lucien Kameni crée L’opinion.
Quelque temps après, le président Ahmadou Ahidjo démissionne du pouvoir. Le conflit entre lui et son successeur Paul Biya éclate au grand jour. Un concours de circonstances fait que Elvis Tangwa Sa’a, cadre du ministère de l’Information, vient d’être nommé chef de station de radio Littoral à Douala. Lui et moi, nous sommes très proches depuis l’Esijy. Il se trouve confronté à un problème dans ses services et je lui propose de loger chez moi. C’est ainsi que chaque soir après le travail, nous discutons de la situation politique du Cameroun. Nous prenons faits et cause pour Paul Biya dans le conflit qui l’oppose à Ahmadou Ahidjo. Mais comme nous ne pouvons pas nous afficher parce que nous travaillons pour l’Etat, je lui suggère de voir Pius Njawe, qui a un titre et revient de Bafoussam où son journal paraissait. Je rencontre également le grand frère Jean Baptiste Sipa, qui travaillait au Combattant, et il accepte de participer à notre projet. Pius Njawe ne trouve aucun inconvénient à ce que nous reprenions son titre. C’est à ce moment que nous lançons Le messager politique qui a pour principal objectif de mener un combat idéologique. Je prends le pseudo de Kamoja le prince et Elvis Tangwa Sa’a prend celui de Sa’a Makeu Minmenken. Nous nous mettons d’accord pour lancer Le messager politique pour soutenir Paul Biya contre Ahidjo. Nous serons rejoints dans notre combat quelques années plus tard par Célestin Lingo, qui revient de Côte d’Ivoire et travaille à Cameroon tribune. Il se fera appeler Daniel Rim. On travaillait dans un réduit qui était le siège d’un graveur de cachet au lieu dit Douala bar à Akwa. C’est après notre travail que nous nous retrouvions pour rédiger Le messager et on le faisait à quatre : moi, Pius Njawe, Célestin Lingo et Elvis Tangwa Sa’a, mais les gens pensaient que nous étions plus nombreux.
Nous travaillons sans problème, jusqu’à ce que je sois affecté à Bafoussam. Je garde néanmoins mes relations avec le journal où je continue à collaborer. C’est à cette période que le régime Biya observe ses premières dérives. Je suis ensuite affecté à Ngaoundéré. Nous sommes au début des années de braise. Pius Njawe fait déja face à une pression énorme du régime en place et décide s’exiler au Togo. Il me confie le journal. Je partais tous les vendredis de Ngaoundéré pour boucler le journal et je retournais le dimanche soir. Quand le journal était bouclé, j’envoyais les morasses à Njawe, avec la somme de 175 000 Fcfa. Il produisait également depuis le Togo le Messager africain, l’édition internationale du Messager. La police va ensuite s’en mêler. Henri Bandolo, alors ministre de l’Information et de la Culture, reçoit des commissaires de police qui lui font savoir que ce sont des fonctionnaires qui animent Le Messager. Nous sommes informés de la situation et surtout du fait que la police est à nos trousses. Un jour, alors que je suis à Douala, le vigile du Messager de cette époque est arrêté et séquestré, ainsi qu’un vendeur de journaux en face du siège de la Sonel. La pression de la police était vraiment forte. Nous délocalisons le bouclage du journal dans un domicile particulier. Le lendemain, je quitte Douala avec un poste fax. Depuis Ngaoundéré, je dirige désormais le journal à partir de ce poste où je recevais des articles par fax. Entre temps, les enquêtes de la police aboutissent. Elvis Tangwa Sa’a, Célestin Lingo et moi sommes limogés des nos fonctions et services respectifs.
Quand on nous relève de nos fonctions, je décide de m’installer à
Yaoundé pour travailler au Messager. Pius Njawe est déjà rentré et a
repris la direction du journal. Je partais de Yaoundé toutes les
semaines pour mes contributions dans le journal. Mais je suis déçu quand
Pius Njawe commence à me faire savoir que mes déplacements coûtent cher
au journal. Moi qui pensais me mettre définitivement au service de ce
journal, j’ai compris que je ne pouvais pas être recruté au Messager. Je
me décide alors de me consacrer à la fin de ma carrière de
fonctionnaire.
Aujourd’hui, je peux dire que j’ai contribué d’une manière ou d’une
autre à faire de Pius Njawe ce qu’il est. Mais je crois qu’il faut lui
reconnaitre le mérite d’avoir surtout été un garçon formidable,
courageux et doué. Il a su exploiter de manière positive, les idées
reçues de ses aînés comme Sipa, Tangwa Sa’a et moi, pour devenir l’icône
qu’on lui reconnait aujourd’hui. Son décès me cause beaucoup de peine.
Propos recueillis par
Innocent B. Ngoumgang
Bafoussam : Naissance dans le « maquis de l’Ouest »
Dès le début, Le Messager a eu à jongler avec le pouvoir.
Même ceux qui se présentent à Bafoussam comme les inconditionnels du Messager depuis sa création, peinent à dire avec exactitude le lieu où se trouvait le siège du journal au départ. Pour certains, le journal a vu naissance au marché B, au lieu appelé actuellement café Magellan. Une information que clarifie avec amusement l’épouse du défunt propriétaire du café, sa gestionnaire actuelle. «Du vivant de mon mari, le café était juste un lieu de rassemblement que Njawé utilisait comme une boite à lettres. Il venait y passer ses heures de détente à recevoir, à collecter ses informations, puis, il disparaissait. Même en sa présence, il se mettait dans une position où l’étranger devinait difficilement qu’il était dans la salle. C’est parce que l’autorité venait ici saisir le stock des journaux qu’il y gardait, que certains ont vite conclu que c’était ici le site du journal.» Elle pointe du doigt l’ancien cinéma quatre étoiles, comme le potentiel site du journal. Faux, rétorque Philippe Tankou, le propriétaire de cet immeuble. Pour ce dernier, l’immeuble était au départ une imprimerie, et c’est dans son imprimerie que Njawé a édité les tous premiers numéros du journal.
L’homme d’affaires se souvient de ce jeune Njawé qui débarque un jour dans son bureau, venant de nulle part, et qui, avec franchise, lui fait comprendre qu’il a un capital d’environ 400.000frs, pour créer un journal. «J’éditais gratuitement parce qu’il était bon parleur et qu’il savait convaincre. Mais, il était aussi sérieux, parce qu’il payait toujours ses dettes à temps.» l’imprimerie de Philippe Tankou selon son promoteur, sera par la suite délocalisée à cause des fortes pressions de l’autorité qui avait appris que c’est en ces lieux qu’était édité le journal de Pius Njawé. Même Elvis Tangwa Sa’a, l’une des personnes qui a été aux côtés du directeur de la publication du Messager à ses débuts, n’a qu’une vague idée du premier site du journal. « Je sais que c’était à Tamdja, juste à côté de l’église catholique », dit-il. Hilaire Sikounmou, professeur de français retraité, se rappelle avoir rédigé une lettre d’encouragement qu’il a expédiée à Pius Njawé en 1979, juste après la création du journal.
«J’ai su que ma lettre était arrivée, le jour où j’ai vu un numéro du journal affiché sur le pare-brise de mon véhicule. Lorsque j’étais censeur au lycée de Mora, j’ai souscrit un abonnement au Messager. Dès que mon nom a «été publié avec mon autorisation, le préfet a perquisitionné mon domicile et 9 mois après, j’ai été relevé de mes fonctions. Entre-temps, j’étais sans cesse filé.» Par cette explication, cet ami de première heure du Messager, explique pourquoi le fondateur de ce journal devait sans cesse être prudent. Zacharie Fosso Tagne qui débute la distribution publique du Messager en octobre 1981 avec la création de sa librairie, se souvient d’un Pius Njawé, qui parcourait les grandes villes de l’Ouest ainsi que les villes de Yaoundé et surtout Douala, pour vendre lui-même à la criée ses journaux, avant de se remettre à la préparation du prochain numéro, sans se donner quelque temps de répit.
« C’est parce qu’il distribuait lui-même ses journaux, qu’il échappait à la censure. Il savait comment faire parvenir le journal aux lecteurs, mieux que les autres distributeurs qui se sont lancés dans la profession par la suite», se remémore Moïse Kouokam, qui se présente comme l’un des premiers vendeurs à la criée de la ville de Bafoussam. Il évoque avec amusement, les ruses qu’utilisait Pius Njawé en cachant ses journaux dans les vieux véhicules et dans les coins inimaginables, afin de les soustraire aux censeurs, qui s’empressaient de détruire tous les journaux qu’ils trouvaient. Tous s’accordent sur le fait que le Messager, prend de l’envergure en 1983, avec les ventes qui sont sans cesse en hausse.
C’est à cette date, et en 1990 avec le boom des ventes, que le fondateur du Journal officialise le premier site du journal, qui se trouve au quartier Tamdja, juste en dessous de la délégation de l’éducation de base, et actuellement dénommé Barcelone Bar.
Honoré Feukouo
Un journal à l’écoute du peuple
Avant de s’émanciper et de connaître son âge d’or, le journal était un bimensuel à vocation régionale.
C’est avec de la peine que les journalistes considéraient la situation du « Messager » ces temps-ci. Soit parce qu’ils compatissaient littéralement au sort réservé aux confrères dont le premier journal de la rue des écoles, à Douala, venait de se séparer. Soit alors parce que les difficultés du journal de «Pa Njawé» leur faisaient prendre conscience de la fragilité de la presse dite libre au Cameroun. Comment, après plus de trente ans, ce titre pionnier d’une certaine presse, pouvait-il se retrouver à patauger dans une conjoncture aussi délicate ? Et rien n’indique aujourd’hui que le journal en soit sorti. Rien alors.
Là-dessus, Pius Njawé avait sa version. Evidemment divergente de celle de la cuvée des journalistes qui ont quitté la barque après débrayage et grève. Même à l’extérieur, certains se sont interrogés sur la gestion du boss, sur ses choix stratégiques ou managériaux. Et la commémoration du trentième anniversaire du journal, avec quelque faste, l’an dernier, pouvait choquer çà et là : « Il célèbre alors qu’il ne paye pas ses gars ? », entendait-on. Chez les confrères, le sujet est presque tabou. Sans doute pour ce que Pius Njawé représente. Envers et contre tout. Mais il est loin le temps où, au début des années 90, « Le Messager » faisait gémir la presse et tirait à 100 000 exemplaires. Du jamais vu sous nos latitudes.
L’aventure avait commencé un jour de novembre 1979. Le 17 précisément.
50 francs Cfa le numéro. L’accouchement de ce bimensuel est plutôt
douloureux. Pius Njawé, qui n’a même pas de compte en banque, a eu du
mal à boucler le budget pour lancer le projet. Il fallait 400 000 francs
Cfa pour démarrer. Les hommes d’affaires de sa communauté et de sa
région, qu’il a démarchés, même enthousiastes, ne bougent pas. Voilà un
petit gars doublé d’un aventurier, se disent-ils, qui vient leur
demander de mettre des fonds dans un journal. « Ye malé ! » « A ha kab’a
? » Ça donne l’argent ?
Le temps de la précarité
Pius Njawé qui vient de quitter « La Gazette » ne s’en laisse pas
conter et fonce. Il se remet même à faire de la criée. Le bonhomme a
quand même investi tout son petit pécule dans le premier numéro du «
Messager » et n’a pas de quoi faire le deuxième. La publication devient
mensuelle et paraît même quand elle peut. C’est l’époque de la
précarité. « Le Messager » se cherche et n’est alors qu’un journal à
vocation régionale. Son lectorat se trouve surtout à l’Ouest du pays,
région dont le journal relate l’actualité sociale, économique,
culturelle et sportive. Les rencontres épiques et passionnées entre les
clubs de football défraient très souvent la chronique et valent déjà des
ennuis musclés au reporter Njawé.
« Le Messager » s’en tient alors à une recommandation claire du gouvernement. Il ne cause pas politique. Ahmadou Ahidjo n’aime pas ça. « Le Messager » franchit la ligne rouge en 1981 lorsque, à la suite d’un match de football entre le Cameroun et le Gabon, des incidents débouchent sur l’expulsion de nombreux Camerounais vivant au pays d’Omar Bongo. L’année suivante, le changement intervenu à la tête de l’Etat finit d’émanciper le canard, un brin enchaîné jusque-là. A la satisfaction de son initiateur qui déclarait, il y a quelques années, dans « Ici les Gens du Cameroun », que « Le Messager » « aura contribué à l’éveil d’une conscience politique chez les Camerounais et à les intéresser à la gestion de la cité. Aujourd’hui, ce n’est pas qu’une feuille, mais un projet de société ». Dont on se demande à présent, et à juste titre, s’il se réalisera ou survivra à celui qui l’avait pensé. « Le Monde » a bien survécu à Hubert Beuve-Méry.
Stéphane Tchakam
Issa Tchiroma Bakary, ministre de la Communication : «Je suis
bouleversé par la nouvelle de son décès»
J’ai été consterné hier matin très tôt quand j’ai appris la nouvelle
qui annonçait la mort tragique de notre compatriote Pius Njawe qui se
trouvait aux Etats-Unis. Je suis très touché. J’avais des relations
assez particulières avec le directeur de publication du Messager. Je
l’ai tout d’abord côtoyé au début des années de braises quand nous
menions notre combat pour l’amélioration des conditions des vies des
camerounais. Ensuite j’ai eu le plaisir de la recevoir plusieurs fois
quand j’ai été nommé ministre de la Communication. La dernière fois que
nous nous sommes rencontré, il était venu me voir pour l’ouverture de sa
radio. J’avais d’ailleurs reçu des instructions du Premier ministre, en
dépit de l’illégalité de son dossier, pour que des mesures soient
prises pour l’ouverture de sa radio. Quant-il m’a rencontré, le principe
était donc acquis et il m’a indiqué qu’il souhaitait également une
autorisation pour l’ouverture d’une télévision. Sous la forme d’une
boutade, je lui indiqué que la radio c’est 50 millions et la télé c’est
100 millions de Fcfa. Nous avions pris un rendez-vous pour finaliser le
dossier pour la réouverture de sa radio. Je suis extrêmement bouleversé
par la nouvelle de son décès.
John Fru Ndi, président national du Sdf : «La presse vient de
perdre un de ses grands vétérans»
C’est une mort tragique pour le Cameroun. C’était un grand homme pour
notre société et pour la presse camerounaise. Le journalisme au Cameroun
vient de perdre un de ses grands vétérans. Je profite de votre tribune
pour transmettre mes condoléances les plus attristés à sa famille et à
la grande famille de la presse camerounaise. Je l’ai véritablement
côtoyé au début des années de braises quand nous avons commencé le
combat pour la libération du Cameroun. Je prendrais le temps rencontré
les membres de la famille du Messager pour leur transmettre mes
condoléances.
Abanda Kpama, président du Manidem : « Salut le patriote ! »
J’adresse à la famille de Pius Njawé et à ses collaborateurs du journal
Le Messager mes sincères condoléances. Je considère le défunt comme un
pionnier de la presse indépendante. Je salue son courage, car, c’est
sous la dictature du président Ahidjo qu’il crée son journal. Depuis
cette époque jusqu’à sa mort, M. Njawé est resté ferme dans son combat
pour une presse libre et indépendante. Je note que son journal s’est
ouvert à tous les courants d’opinion. J’y ai souvent publié de
nombreuses tribunes. Il reste à espérer que le combat se poursuivra et
que le journal Le Messager survivra à son fondateur. Il était sensible à
toute forme de combat pour l’émancipation. Il est en effet parti du
Cameroun pour assister à un forum organisé par la diaspora camerounaise.
Pius Njawé avait le cœur à l’ouvrage. Salut le patriote. Même si je
sais que le régime en place considère que des personnes comme Pius Njawé
sont des ennemis. Cela est vrai pour lui, pour les partis politiques
d’opposition et pour les journalistes qui font véritablement leur
travail. J’attends de me prononcer sur les circonstances de la mort de
Puis Njawe.
Pauline Poinsier-Manyinga, éditorialiste au Jour : « Pius
Njawe , chronique d’une mort scélérate »
On l’a vu sortir tout un N. spécial du Messager, pour insulter les
évêques de l’église catholique, qui lui a pourtant loué ses locaux
pendant près de 30 ans, pour moins de 50.000 F le mois ! C’était à la
veille de la visite du pape Benoît XVI à Yaoundé. On l’a vu, toujours au
Cameroun, prêchant aux côtés du général Yakubu Gowon, ex chef d’état du
Nigéria, pour une église « réveillée », secte pour d’aucuns.
L’engagement de Pius frisait parfois l’intolérance, l’ingratitude. Ses
enjeux politiques étaient un peu flous, mais toujours à l’image des
libertés. Il pouvait se montrer déconcertant. Mais Pius savait aussi se
montrer généreux. En 1991, pendant les villes mortes, j’étais à
Yaoundé. James Onobiono m’a invitée à diner avec Raphaël Badinga, un
confrère gabonais d’Africa N.1. Dans sa superbe Daimler, et durant tout
le repas, le souriant milliardaire à l’éternel gros cigare nous fera
savoir qu’il n’est pas d’accord avec notre traitement de l’information :
nos lignes éditoriales encenseraient l’opposition, et diaboliseraient
le pouvoir d’Etoudi. Je suis restée irréductible. Pauvre Raphaël ! Il
sera viré de son poste peu après. Bongo-Onobiono à l’époque, çà faisait
la paire… Le lendemain de ce diner, vers 10 H, la police est venue nous a
arrêter à notre hôte. Dès 13H, les radios occidentales parlaient de
nous. A 16H, Pius Njawe venait nous faire libérer. Il m’a payé le billet
d’avion pour le retour sur Douala, ne voulant pas courir le risque de
me laisser voyager sans lui. Ce jour-là, nous sommes devenus amis.
Pius fondera alors Jane and Justice, qui milite pour la prévention routière. Là aussi, il s’engagera à fond. Pauvre Pius ! La semaine passée, j’ai persiflé un peu sur son 2è mariage, les millions de la noce, les villas de Nyalla, Bonabéri, l’église catholique etc. J’étais avec Antoine Lobè, un de ses amis. Comment pouvais-je imaginer un seul instant que je parlais de lui au présent pour la dernière fois, et que les 10.000 francs qu’il m’avait glissés récemment étaient les derniers ? Non, je n’oublierai pas de sitôt, ce coup de fil assassin qui m’a informée de sa mort hier, ce mardi, 13 juillet 2010. Mais c’était mon Rec, Xavier Deutchoua en personne, au téléphone : oui, Pius Njawe, le militant de la prévention routière, était bien mort lundi soir, de suites d’un accident de la route, comme sa femme. Curieux destin ! Mais, ainsi va la vie…
Abodel Karimou, fondateur de la Gazette : « Le héros qui crie fort ce que les autres ne peuvent dire »
Pius Njawé était pour moi plus qu’un confrère. Il était pratiquement comme mon fils. Puisque ses premières armes, si je peux appeler ça comme ça, c’est sous mes auspices, à La Gazette qu’il les a faites. Et quand j’apprends sa mort mardi matin, je reçois comme un choc, je suis abasourdi. C’était très tôt le matin parce qu’il y a un ami qui m’a appelé, un ami qui était aussi l’ami de Njawé. Il n’a pas eu le temps de me dire dans quelles circonstances il est mort. Moi, je n’ai même pas eu le courage de lui demander comment c’est arrivé. Je ne croyais pas. C’est après qu’un autre confrère m’a appelé de Yaoundé pour me dire : « M. Abodel, doyen, vous avez perdu votre fils ». C’est pour vous dire quelle douleur je ressens. Ça me fait mal. Pour la presse camerounaise, quel que soit le jugement qu’on peut porter sur ses autres actions, c’est une figure emblématique de la presse camerounaise. Il a beaucoup fait pour la liberté de la presse. Dans cette profession, nous avons perdu quelqu’un d’important. Cette mort-là nous a privés de celui qui était comme le héros de la profession, pas le héros qui meurt sur un champ de bataille, mais le héros qui crie fort ce que les autres ne peuvent pas dire, qui prend la défense de tout le monde. Ce héros-là, nous l’avons perdu et je pense que ça va être un grand vide.
Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du Rdpc : « La presse perd l’un de ses piliers »
C’est d’abord un sentiment de tristesse devant la mort d’un être que j’ai bien connu. Ma pensée va d’abord à sa famille, son épouse et ses enfants. Je voudrais profiter de cette tribune pour leur présenter mes sincères condoléances auxquelles j’associe l’expression de la compassion émue de mon épouse. Je voudrais, par la même occasion, présenter toute ma désolation à la grande famille de la presse camerounaise, qui perd ainsi l’un de ses piliers et précurseur. Je garde de lui le souvenir d’un journaliste engagé et d’un esprit libre, l’image d’un contradicteur engagé, parfois polémique, mais, toujours aussi déterminé, avec qui j’ai échangé avec plaisir quand on en avait l’occasion. Je crois que c’était toujours intéressant et instructif de discuter avec lui. C’est triste qu’il nous quitte, et, plus triste encore, dans des circonstances aussi tragiques que celles d’un accident de la circulation routière, lui qui était justement un militant acharné de la prévention routière et qui avait engagé des campagnes de prévention bénéfiques pour nos routes et notre pays. Quelle triste ironie du sort et c’est bien dommage !
Alex Gustave Azébazé, premier secrétaire du Snjc : « Pas sûr qu’il ne s’agisse que d’un accident »
J’ai eu la réaction d’un Camerounais qui apprenait une nouvelle incroyable et qui s’est avérée tragique par la suite. Mais en citoyen engagé, je me devais plutôt de voir dans quelle mesure mobiliser les confrères de la base naturelle de M. Njawé. Cela a permis aux uns et aux autres d’échanger des informations qui, ma foi, finissent beaucoup plus par contredire les certitudes que ce matin (mardi 14 juillet 2010) quelques-uns ont pu avoir sur la base de la version d’un banal accident de la route. Notre conviction de journaliste expérimenté est que dans la relation des faits à laquelle nous avons eu accès depuis cette nuit jusqu’au moment où je vous parle, il y a plus de questions que de réponses sur la mort de M. Njawé. Et c’est à ces réponses-là que nous, en tant qu’organisation professionnelle et le Syndicat national des journalistes du Cameroun en tête, nous apprêtons à demander aux autorités américaines -bien entendu nous souhaitons que le gouvernement camerounais nous suive dans cette démarche puisque c’est un citoyen camerounais et pas n’importe lequel- que des enquêtes sérieuses, professionnelles, crédibles et transparentes soient conduites pour déterminer les circonstances exactes de la mort de M. Njawé. Je ne dis pas de la « mort par accident » de M. Njawé. Je n’ai pas la conviction qu’il s’agit seulement d’un accident.
Ferdinand Chindji Kouleu, ami : « Qu’on ne laisse pas tomber Le Messager »
En général, quand quelqu’un meurt, on dit du bien de lui. Mais je raconte simplement Pius Njawé tel que je l’ai connu. Pius Njawé a créé Le Messager à Bafoussam quand il était très jeune, 22 ans. Il est alors venu me consulter en ma qualité d’enseignant de journalisme. Son succès est pour moi la preuve que l’homme est ce qu’il se fait. Il a beaucoup travaillé, il s’est beaucoup cultivé. Cela m’a touché. Il était un véritable messager. Il aimait son pays et travaillait pour les autres, au point de s’oublier lui-même. Il a plusieurs fois fait la prison et n’a pas baissé les bras. Il se donnait de façon désintéressée pour le pays. C’était quelqu’un de courageux, de téméraire, une très forte personnalité qui était convaincue de son combat. Maintenant qu’il est mort, je souhaite qu’on ne laisse pas tomber Le Messager, mais qu’on le fasse grandir encore plus.
Melvin Akam, ancien rédacteur en chef du Messager : « Pius Njawé, un patriote camerounais »
Il m’a fallu une journée entière pour me rendre à l’évidence de la disparition de Pius Njawé. J’ai eu un entretien avec Pius, tout récemment. Il me parlait de la période difficile que traverse Le Messager, et de ses espoirs de redressement, malgré l’adversité économique. Connaissant l’homme et sa détermination, je ne doute pas qu’il y serait parvenu. N’était-il pas déjà venu à bout de bien d’épreuves plus difficiles encore ? Mais, là, le sort a voulu qu’il en soit autrement et que Pius aille trouver la mort dans sa deuxième patrie, cette terre de liberté qu’il chérissait tant.
J’ai été l’un des plus proches collaborateurs de Pius Njawé pendant une décennie. De mai 1995 à décembre 2004, j’ai partagé avec lui les vicissitudes d’un journal indépendant et engagé sous les tropiques. Mais, tout ami et proche que j’ai pu être, je ne suis jamais parvenu à le tutoyer ; car j’ai toujours été impressionné par son parcours exceptionnel et le poids historique de son œuvre.
Puis Njawé était un grand homme. A force de détermination, de courage, d’envie d’apprendre, le vendeur de journaux qu’il fut, est devenu l’un des journalistes les plus emblématiques d’Afrique. Il a créé Le Messager et lui a donné ce souffle qui a porté les rêves de liberté et de démocratie de millions de Camerounais. D’aucuns ont voulu faire de lui un rebelle, une sorte de diable avec des cornes sur la tête. Le Pius Njawé que j’ai connu était un homme brave, un journaliste courageux, un esprit ouvert et fondamentalement indépendant, un passionné de la liberté, un Camerounais de conviction, aimant profondément son pays.
Pour moi, la disparition de Pius Njawé est une perte énorme pour la presse africaine et pour la démocratie camerounaise. Pius a souvent dû payer de sa personne pour conquérir des espaces d’expression, afin que la liberté et la démocratie soient des réalités, chez nous aussi. Il n’y a qu’à se revoir l’impact que l’affaire Monga – Njawé a eu sur l’évolution de notre pays, pour s’en convaincre. Pius Njawé me présentait souvent comme étant son ‘’fils’’. Et je lui répondais que je suis trop vieux pour le pouvoir être. Le journaliste que je suis devenu est né entre les mains de Vianney Ombé Ndzana, Maurice Kamto et Mongo Beti, et a grandi aux côtés de Pius Njawé. En revanche, Pius Njawé a eu plusieurs enfants. Tous ces titres qui fleurissent dans les kiosques ainsi que ces nombreuses radios et télévisions nées après 1995, sont quelque part les fruits du combat de Pius Njawé pour la liberté d’expression ; un combat qui a obligé le gouvernement à concéder progressivement de vastes espaces de liberté au Cameroun. Ces journaux, ces radios et ces télévisions, ce sont ses enfants.
Pius Njawé s’en est allé. Et, il nous laisse sa plus belle œuvre : Le Messager, le plus vieux journal indépendant paraissant en Afrique noire francophone. Un véritable phare pour la liberté de la presse en Afrique. Je souhaite que Le Messager lui survive. Ses collaborateurs d’aujourd’hui et ceux d’hier, ainsi que les amis de Pius ne doivent pas accepter que le phare s’éteigne ; ils doivent reprendre le souffle. Ce serait la meilleure façon pour eux, de lui rendre hommage et de perpétuer sa mémoire. Pius le mérite amplement. A titre personnel, je dois beaucoup à Pius Njawé. Nous sommes au Cameroun, ne l’oublions pas. Je suis Boulou. Pius Njawé était Bamiléké. Et, il a fait de moi à 25 ans, le plus jeune rédacteur-en-chef de tous les temps, d’un journal majeur au Cameroun. De surcroit, il m’a honoré de sa confiance pendant une décennie - et quelle décennie ! – alors même qu’autour de lui, on s’en étonnait et on le lui déconseillait. Mais, tel était Puis Njawé, le Pius Njawé que j’ai connu : Un vrai patriote camerounais.
Séverin Tchounkeu, Dp de la Nouvelle Expression : « Je n’ai pas de mots »
A l’heure où je vous parle, je suis en train de retourner au pays… Je n’ai pas de mots ! …Mon émotion est… Je n’ai pas de mots. On en parlera plus tard, calmement. C’est encore frais pour… Il faudrait que je rentre au Cameroun