Il est mort sur le coup
Son véhicule qui était garé sur l’autoroute a été heurté de plein fouet par un camion, lundi soir aux Etats-Unis.
Puis Njawé est mort aux Etats-Unis le 12 juillet 2010. Des circonstances de son décès, toutes sortes de supputations et de commentaires circulent.
Cependant, The Virginian-Pilot, quotidien régional paraissant à Norfolk dans l’Etat de Virginie aux Etats-Unis, a publié, lundi soir, un article relatant un grave accident de la circulation survenu le même jour sur l’autoroute conduisant de Ruismond à Cheasapeake. L’article qui est écrit sur la base du rapport de la police de Cheasapeake ne révèle pas le nom de la victime. Il mentionne juste que c’est un homme qui n’est pas citoyen américain. Hier mardi, le journal est revenu sur cette affaire avec plus de détails, en confirmant notamment que la victime de cet accident se nomme Pius Njawé et est le fondateur du journal Le Messager au Cameroun.
Un article publié sur le site Internet du Messager hier raconte qu’aux environs de 14h55 heure locale, 23h, heure du Cameroun, le véhicule qui le conduisait s’est garé sur le côté, au bord de l’autoroute. Et alors que le chauffeur s’affairait à remonter la roue crevée plus tôt, un camion roulant à vive allure a violemment percuté le véhicule.
L’article signé de Kristin Davis et paru dans The Virginian-Pilot explique que le véhicule, une Lexus Sedan, a traîné sur plusieurs centaines de mètres. Le passager installé à l’avant du véhicule, Pius Njawé, est décédé sur le coup. Le conducteur de la Lexus a, quant à lui, été conduit à l’hôpital général Sentara Norfolk dans un état critique. Le conducteur du camion y a aussi été admis, mais ses jours ne sont pas en danger. Le rapport de police indique que le camion appartient à JW Canaday Trucking Inc of Providence Forge, une compagnie de location de camions.
Parti du Cameroun, Pius Njawé, après un bref séjour en France, s’est rendu aux Etats-Unis. Samedi dernier, il a pris part à un forum organisé par la Cameroon diaspora for change (Camdiac) à Washington Dc. Au moment de sa mort, il allait en Virginie pour rendre visite à sa fille.
Stéphanie Dongmo
L’édito : Il était une Foi, Pius Njawe
Lorsque le destin, de son lourd et cruel marteau frappe de manière
aussi dure, il vaut mieux garder le silence. Pour affronter la douleur
qui dévaste et la colère qui sourd. Mais parler, dire, écrire c’était la
vie de Pius Njawe. Au jour de sa mort, le mutisme lui serait la pire
des offenses.
On peut aujourd’hui au Cameroun, dans u n journal, écrire en toute
liberté et en son âme et conscience, ce que l’on veut. Il y a des
hommes, qui au prix de leur liberté, tant de fois, ou de leur intégrité
physique, souvent, ont fait reculer les lignes. Pius Njawe était de ces
combattants-là.
Le courage rare de ce personnage s’est construit avec le ciment de sa
foi en un métier, le journalisme et le fer de son credo en un faisceau
de valeurs : la liberté, la démocratie et le progrès.
On a fait des gorges chaudes il y a quelques mois, lorsque le fondateur
du Messager tenait à donner un cachet faste au trentième anniversaire
du journal qu’il fonda avec trois sous et sa seule bonne volonté à
Bafoussam… C’est qu’à la vérité, Le Messager a enfoncé les portes par
lesquelles s’est engouffrée ce qui est aujourd’hui la presse
camerounaise dite « privée ». Mieux qu’une opposition bien faible,
qu’une société civile inaudible, il y a cette presse-là qui, malgré ses
fragilités, dit. Elle permet aux Camerounais de s’exprimer et de savoir.
Ils accèdent par elle aux vérités non officielles. Le jour où ils
prendront leur destin en mains, ce sera aussi parce que cette presse-là
aura éclairé.
Peu d’hommes de foi et combats -sauf Nelson Mandela, l’idole de Pius
Njawe dont une photo géante orne le bureau au Messager- voient de leur
vivant, l’aboutissement des combats de leur vie. La plupart du temps,
leur étendard reste planté là où ils sont tombés afin que suive la
relève.
Ironique et cruel destin : après la mort de Jane, la femme de sa vie,
suite à un accident de la route, Pius Njawe s’était engagé dans un autre
combat, celui de la lutte contre l’insécurité sur les routes du
Cameroun. Il a été victime de l’insécurité sur une autoroute…
américaine.
La violence de la réalité de ce jour ne jette qu’à nouveau, une lumière
encore plus crue sur l’évidence des combats que menait Pius Njawe : un
Cameroun plus juste et vraiment démocratique, une presse mieux organisée
et plus solide, un citoyen à l’abri des insécurités.
Haman Mana
Portrait : Journaliste par lui-même
Après avoir appris son métier sur le tas, Pius Njawe est devenu un professionnel à l’expérience établie.
Le débat se poursuit encore. Est-on journaliste pour avoir appris dans une école ou pour avoir appris sur le tas ? Pius Njawé, lui, n’avait été ni à l’Esijy, ni à Lille, ni nulle part. Ah si quand même ! Dans les rues de Bafoussam au début des années 70. Alors apprenti mécanicien et tout juste orphelin, Pius Njawé rencontre un certain Timothée Nzaagap. Ce libraire a surpris le jeune homme en train de lire un livre sous cape entre deux rayons. Il le jette dehors avant de se raviser. Si le bonhomme aime lire, se dit-il, on peut sans doute en faire quelque chose. Pius Njawé devient vendeur à la criée et propose alors «Echos des Sports », dont monsieur Nzaagap, poète à ses heures, est le directeur de la publication. Une relation de père à fils naît, qui, bientôt, met le vendeur à la criée sur les traces de René Philombe, ami du père Timothée.
A Yaoundé où Pius rencontre Philombe en 1972, il découvre que l’érudit ne se targue d’aucun parchemin. C’est pourtant un grand homme de lettres qui lance d’ailleurs « Semences africaines », un journal plutôt marxisant. Jusque là garçon de courses, Pius écrit son premier article de manière fortuite. Il a dû remplacer un reporter empêché. C’est de là que date le véritable apprentissage. Et encore, Njawé n’apprend pas qu’à écrire. Il lit beaucoup et se familiarise avec chacun des maillons de la chaîne presse. Malheureusement, « Semences africaines » ne moissonne pas. Très vite interdit. C’est que Ahmadou Ahidjo est président. Et la subversion, il la voit partout.
Abodel Karimou et La Gazette
Monsieur Njawe rentre à Douala où il avait déjà vécu et où il intègre
la naissante rédaction de « La Gazette » du célèbre Abodel Karimou.
Fait-diversier, le reporter Njawe traque tous les chiens écrasés à
travers la capitale économique. En effet, « La Gazette était là » et le
journaliste commence à gagner en notoriété. Collaborateur, au Cameroun,
du groupe français Michel de Breteuil, il améliore ses revenus, somme
toute modestes. Naturellement, l’idée de créer son journal à lui
commence à poindre. « Le Messager » naît en 1979. Le journal à travers
lequel le self made man fait montre d’un incontestable
professionnalisme. Même parvenu à la notoriété, Pius Njawé comprend tout
de même la nécessité d’un certain académisme et prend des cours de
perfectionnement dans des universités américaines et canadiennes. Avant
de dispenser, à son tour, des enseignements ici ou là, ou de donner des
conférences plus loin. Plutôt acérée, sa plume, autant que « Le Messager
», font le choix de faire œuvre utile. Dans un contexte où la liberté
s’installe peu à peu au Cameroun. La même logique préside à la volonté
du patron de presse de créer une radio, pour laquelle il n’obtiendra
jamais l’autorisation des autorités en charge de la communication.
Telle est l’histoire d’un enfant né un 4 mars 1957 à Babouantou, dans le département du Haut-Nkam. Le père, auxiliaire retraité de l’administration coloniale, est polygame et père de dizaines d’enfants. L’instabilité politique de l’époque de l’indépendance oblige le môme Pius à se réfugier chez un oncle dans le Sud-Ouest anglophone. Il ne revient que quelque temps plus tard en zone francophone et change très souvent de ville et de foyer. Après son certificat d’études primaires et élémentaires (Cepe), Njawé doit se débrouiller tout seul. La mort de son père, en 1966, n’arrange rien. Des circonstances qui forgent la destinée de celui qui, des dizaines d’années après, devient la figure emblématique de la liberté de la presse au Cameroun et à travers le monde.
Stéphane Tchakam
Militant : L’histoire d’une légende
L’engagement pour la liberté de la presse et pour la démocratie au Cameroun a fait du patron du « Messager » une icône.
Jusqu’au bout donc. Pius Njawé est mort aux Etats-Unis. Il s’y était rendu pour assister, le week-end dernier, à un forum de la diaspora camerounaise. Plusieurs noms de l’opposition en particulier se sont retrouvés à Washington pour réfléchir à la question de l’alternance politique dans notre pays en 2011. Voilà en effet des années que Pius Njawé avait pris le parti de se battre pour l’instauration au Cameroun de la démocratie et le respect des libertés individuelles. Tolérés par le pouvoir tant qu’ils ne parlent pas de politique sous le régime Ahidjo, Pius Njawé et « Le Messager » lèvent la tête dès 1982 avec l’avènement de Paul Biya. D’ailleurs, explique Njawé dans les colonnes du numéro 10 du magazine « Ici les Gens du Cameroun », « le discours change et correspond aux aspirations des Camerounais. Le projet de société est bon avec la rigueur, la moralisation, la libéralisation. Nous décidons donc au Messager de nous ériger, de manière unilatérale, en une sorte de gendarme de ce nouveau projet. Nous nous assignons comme mission de l’expliquer aux Camerounais et surtout de convaincre son propre initiateur qu’il est bon. En fait, nous apportions au Renouveau un soutien critique ».
Selon Pius Njawé lui-même, le président Paul Biya pose un regard bienveillant sur cette feuille de chou. Lui qui, dès les premiers mois de sa présidence, donne le sentiment à la société camerounaise qu’elle va pouvoir souffler. Lorsqu’en 1983, « Le Messager », dans une édition, dénonce le bicéphalisme qui règne à la tête de l’Etat et se range derrière l’homme du 6 novembre, Yaoundé ne trouve rien à redire. Même si un ministre propose au chef de l’Etat d’interdire l’impertinent journal. C’est encore « Le Messager » qui apporte son soutien au régime lorsqu’il échappe à une tentative de coup d’Etat le 6 avril 1984. Cette sorte de partenariat objectif commence à se gâter en décembre 1990 à la faveur de l’historique session des libertés à l’Assemblée nationale. « On a, soutient Njawé, floué le peuple avec des lois en réalité liberticides. Les dispositions de la fameuse ordonnance de 1962, que l’on disait abrogées, se retrouvent distillées dans le code pénal. Cela nous convainc qu’il n’y a rien à attendre et nous en appelons au Renouveau originel. »
Porte-flambeau
Comme par hasard, le pays entre dans ce qu’on appelle les années de
braise et « Le Messager » est carrément le porte-flambeau d’une presse
déchaînée qui se le dispute à une opposition virulente. Passablement
agacé, le pouvoir n’y va pas de main morte. Et voilà « Le Messager » qui
collectionne les saisies, aligne les procès et subit Dame Anastasie. La
censure fait la loi. C’est plus sûrement de cette période que la
légende Njawé naît. En 1991, l’affaire Njawé-Monga-Le Messager éclate.
L’Etat porte plainte après la publication d’une lettre ouverte de
l’irrévérencieux et trublion Célestin Monga au président de la
République.
Des années plus tard, en 1997, Pius Njawé goûte la paille humide des cachots à la suite d’une autre affaire, autrement plus retentissante. Dans son compte rendu de la finale de la Coupe du Cameroun de football, un reporter du « Messager », sous un pseudonyme, fait état de ce que le président Biya aurait été « victime d’un malaise cardiaque » au cours de la rencontre sportive. Tollé ! Le directeur de la publication est condamné à deux ans de prison ferme et se retrouve à la cellule 15 de la prison de New Bell à Douala. Moins d’un an après son incarcération, Paul Biya le gracie. Il n’empêche. Même si le pouvoir Rdpc est resté debout, Pius Njawé, lui, s’est forgé une image de combattant et de chantre de la démocratie. D’opposant, pour reprendre un raccourci camerouno-camerounais. Sa réputation a traversé les frontières du Cameroun et les distinctions çà et là, à travers la planète, ont suivi. Tenez, depuis 2000, il est le parrain d’un prix décerné par une université texane, le Pius Njawé Press Freedom Awards.
Stéphane Tchakam
Douala : Jour de deuil, jour de boulot
Hier, le travail continue, au milieu d’une foule de sympathisants et de confrères attristés.
L’immeuble siège du quotidien Le Messager est devenu un petit lieu de pèlerinage. Les journalistes et d’autres membres du personnel ont cédé leurs postes de travail aux visiteurs attristés. Tous portent le deuil du patron de Free Media Group. «De toutes les façons, le journal va paraître demain mercredi», lance Jacques Doo Bell, secrétaire général. Il essuie une larme, dans les bras d’un homme de grande taille, lui aussi effondré. Ici et là, de jeunes filles se donnent en spectacle. Ce sont les enfants Njawé, Mandela et Claudia. Jules Njawé, plus fin, dissimule ses larmes, qu’il essuie de gestes rapides de la main, et accueille les visiteurs. Aux environs de 9h, l’émotion a créé une sorte de confusion dans la salle de rédaction.
Il y avait du beau monde pour maintenir l’âme de Pius Njawé en vie au siège du journal dont l’image se confondait à celle d’un self-made man, pionnier d’une presse d’opinion, courageux à la limite de la provocation. Parmi les reporters d’un jour, il y avait un melting-pot d’hommes et de femmes éplorés : une importante équipe du quotidien Le Jour, des équipes déployées par toutes les radios et télévisions émettant de Douala, les responsables des syndicats et associations de journalistes, des vendeurs de journaux, des lecteurs du Messager, des habitants anonymes de la rue des Ecoles. Sur les murs de l’édifice, des images vivantes de Pius Njawé donnaient l’impression que le directeur de la publication du Messager n’était pas mort. Jusqu’à ce qu’un avis de décès, en noir soit affiché par les bons soins du personnel. Puis, un petit autel habillé aux couleurs du journal a été dressé, pour abriter le livre des condoléances.
Tour à tour, des plumes se sont exprimées : «Adieu Pius, que la vie est
terrible, mais Le Messager doit vivre », Anicet Ekanè ; «Un grand homme
ne meurt jamais», Eric Yomi ; «C’est avec une grande consternation que
j’ai appris la nouvelle de la disparition de celui qui fut et qui
demeurera l’icône de la presse camerounaise», Professeur James Mounguè
Kobila ; «Père, tu as combattu le bon combat», Vanessa Nana.
En fin de soirée, des journalistes de tous bords étaient rassemblés au
pied de l’immeuble. Dans la salle de rédaction, la pression du bouclage
était forte.
Denis Nkwebo
Yaoundé : Le Messager ne mourra pas
Même marqué par le décès de son directeur de la publication, le personnel de l’agence régionale a travaillé hier à faire paraître le journal.
Marie Noëlle Guichi, rédactrice en chef déléguée au Messager, est abattue. Assise sur une chaise, elle répond machinalement aux questions d’Albert Patrick Eya’a, journaliste à Canal2, l’air de ne pas y comprendre grand-chose. Comment, en effet, expliquer ce qu’elle ne comprend pas elle-même et parler au passé d’une personne dont elle ne se résout pas à croire qu’elle a disparu? Posé sur une table, son téléphone portable ne cesse de sonner. Amis, confrères et connaissances viennent aux nouvelles : « Oui, malheureusement, c’est vrai », leur répond-elle d’une voix lasse. Le téléphone à peine raccroché, elle doit accueillir des visiteurs compatissants et leur indiquer le livre de condoléances posé sur une table à l’entrée.
Dans la salle de rédaction, Sandeau Nlomtiti, promoteur du journal La Gazette Olympique, saisit un texte sur un ordinateur. Un coup d’œil permet de voir qu’il est intitulé « Témoignage». «J’ai travaillé au Messager de 1995 à 2007. Mon témoignage c’est ma reconnaissance pour un aîné qui m’a permis de faire mes armes dans la presse ». Non loin de lui, Christian Tchapmi, de retour d’un reportage, feuillette le Messager. A la une de cette édition n°3140, un seul titre : « Nécrologie : Pius Njawé n’est plus !» En page 2, on peut lire : « Au moment où nous allions sous presses aux premières heures de ce mardi 13 juillet 2010, des sources dignes de foi faisaient état du décès de Pius N. Njawé, président de Free Media Group, entreprise éditrice du Messager, dont il était par ailleurs le directeur de publication ».
Sur un mur de la salle de rédaction, une réflexion pleine de philosophie attire l’attention: «Qui perd l’argent perd beaucoup ; qui perd un ami perd encore plus ; qui perd la foi perd tout ». Fort de cette pensée, Roger Dongmo, le directeur général de Free Media Group, a dirigé une réunion avec le personnel en début de matinée, avec pour objectif de booster le moral des troupes, bien décidées d’ailleurs à poursuivre l’aventure Le Messager. « Il (Pius Njawé, ndlr) nous disait : « Vous êtes capables d’assurer la relève ». Et c’est ce qu’on a envie de faire, car il n’est pas question qu’on soit absent des kiosques », assure Marie Noëlle Guichi. « Ce serait une grosse injure à sa mémoire de ne pas faire paraître Le Messager », ajoute, les yeux rougis, Jean François Channon, le coordonnateur de la rédaction à Yaoundé. «On travaille plus soudés qu’avant », pense d’ailleurs Jean-André Momo, chef d’agence adjoint.
L’édition n°3141 du Messager qui paraît ce jour est spéciale et consacrée en grande partie à Pius Njawé : son décès, son parcours, son œuvre, le tout accompagné des témoignages des personnes qui l’ont connu.
Stéphanie Dongmo