L’ancien sélectionneur des Lions indomptables reparle de son passage dans le pays de Roger Milla, ses relations avec les dirigeants du football et analyse l’évolution actuelle du football africain.
Monsieur Pierre Lechantre, vous faites
aujourd’hui partie des coaches qui connaissaient le mieux l’Afrique.
Pouvons-nous refaire un tour de votre parcours ?
J’ai intéressé à plusieurs reprises les pays du golfe, les grands clubs
du Maghreb ainsi que la sélection du Mali. Cela m'a permis de parfaire
ma connaissance du foot africain en jouant de nombreuses rencontres de
champion's ligue et des CAF.
Vous avez connu pas mal d’équipes
africaines mais aussi dans le monde. Avez-vous conservé de souvenirs
particulièrement marquants ?
Chaque passage dans un club ou une sélection est un moment
d’apprentissage. J’ai connu de moments énormes avec plusieurs clubs et
également l’équipe nationale du Qatar. Mais s’agissant de souvenirs
marquants, une bonne partie de mon cour est restée à Yaoundé (Cameroun) à
tout jamais.
Il y a quelques mois, sur une liste de
plus de 74 candidats et après plusieurs mois de décryptage de
candidatures, Vous avez été nommé à la tête de la sélection sénégalaise
de football. Moins de 10 jours après, vous avez claquez la porte ? Que
s’estil passé ?
Il ne manquait que ma signature au bas du contrat pour devenir
sélectionneur du Sénégal en mai 2012. Le président appréciait mes
propositions de politique technique du football Sénégalais (formation
des jeunes, des éducateurs etc) sur le moyen terme, en plus de mon job
de sélectionneur. Le ministre des Sports fixait à l'opposé des objectifs
rapides et obligatoires. Il m’était non seulement contraint dans le
contrat de remporter la CAN 2013 alors que nous n’étions même pas encore
qualifiés et de faire une bonne prestation à la coupe du monde 2014 sur
quelques mois sous réserve de rupture de contrat unilatérale du
contrat. J'ai préféré m'abstenir.
Quelle vision avez-vous de l’évolution du
football africain ? Depuis six CAN, les nations qui gagnent sont en
majorité composées de joueurs locaux. Vous même en 2000 puis la Tunisie
en 2004, l’Egypte (2006-2008- 2010) la Zambie en 2012. Comment expliquer
ce phénomène de l’hégémonie des joueurs évoluant sur le continent ?
Le football africain a beaucoup évolué depuis 10 ans. Des gens pensent à
structurer leur petit pays, le Niger par exemple, m'avait appelé pour
mettre en place il y a 2 ans leur football sur le long terme .Les
ougandais, capverdiens ou Ethiopiens sont maintenant capables de
rivaliser sur un match face de grandes nations de football africain.
Pourquoi ? parce que ces grandes équipes pour la plupart n'ont plus
d’âmes, elles ne sont qu'une liste de noms, connus en Europe ou ailleurs
dans le monde , choisis sans tenir compte de l'équilibre du groupe ,de
son envie de privilégier le collectif et de respecter le système de jeu
établi
Vous avez laissé une image de luxe dans
l‘opinion public camerounaise depuis votre passage à la tête des Lions
indomptables. 10 ans après votre départ, la sélection nationale
camerounaise a du mal à retrouver son lustre d’antan, quel regard
portez-vous sur la situation actuelle du football camerounais ?
En 2002, le ministre des Sports en place m'avait proposé le poste de DTN
en remplacement de mon poste de sélectionneur. Ce que j'avais pris pour
une promotion n'était qu'une mise au placard, sans effet, sachant que
les deux postes étaient cumulables au Cameroun. Mes grandes propositions
sur la formation, la pré-formation des jeunes dans chaque région en
travaillant sur des jeunes déjà très doués, la formation d'éducateurs en
relation avec la FFF, ces grands projets restèrent dans les cartons. Ce
poste de DTN est pourtant très important dans l'organisation d'une
nation de football; Gérard Houiller na' t-il pas eu les destinées du
foot français durant une décennie. Bien entendu le football de
hautniveau doit être la priorité car il reste la vitrine d'un pays mais
dans de nombreux pays d'Afrique il occupe 99% de la vitrine. On laisse
souvent la responsabilité de la formation des jeunes à des centres
improvisés motivés par la rentabilité immédiate. Certains espoirs
envoyés trop tôt à l'étranger passent dans ces conditions à côté d'une
carrière prometteuse.
Il n'empêche que malgré le gâchis actuel au niveau de l'équipe nationale, tout est encore jouable en ce qui concerne la qualification pour la Coupe du monde, mais la sélection est malade. La qualité du groupe est toujours exceptionnelle mais le degré d'investissement et l'ambiance semblent s'être dégradés, situation inimaginable dans les années 2000.
Avez-vous gardé des liens avec certains joueurs camerounais et les dirigeants du football camerounais ?
J'ai gardé de bons contacts au pays, Z.Noha, Roger Youmbi,
maire d'un arrondissement de Yaoundé, Xavier Menier restent des amis
fidèles que je salue amicalement.
Vous venez de quitter Al-Arabi Doha. Quels sont vos projets pour le futur ?
Je suis rentré du Qatar depuis deux mois, suite à des divergences avec
mon président après seulement trois rencontres de championnat. Mon
caractère n'a pas changé, je ne supporte toujours pas les intrusions
extérieures qui nuisent à mon travail et mes rapports avec les joueurs.
C'est ce qui a généré ma légère brouille avec Roger Milla il y 10 ans.
Milla est pourtant incontournable au pays, connu et respecté
mondialement pour sa carrière exceptionnelle, avec un peu de bonne
volonté de chaque côté le dialogue aurait pu être très constructif comme
avec d'autres grands joueurs encore au pays. Je reviens d’Al-Arabi où
mon expertise était demandée en sapeur-pompier pour éviter la relégation
d’un club mythique : Al Arabi Doha. Mission que j’ai pu gérer avec
succès. Je pense, à 62 ans, être toujours aussi passionné et me donne
encore quelques années sur un banc. Ma forme est intacte et il m'arrive
encore de centrer du pied gauche avec autant de précision.