Paul Biya:«Des rumeurs sur ma succession paralysent le gouvernement»
Selon le prince, ces rumeurs feraient aussi le lit des militaires
En réponse à un article publié dans l’hebdomadaire panafricain, la communication de Paul Biya vient de publier un message « justificatif » dans le même support. Paul Biya impute l’échec de la relance économique aux techniciens et économistes. Le chef de l’Etat proclamé réélu pense que des rumeurs sur sa succession «paralysent le gouvernement et risquent de faire le lit des militaires»
Une insertion publicitaire pour répondre à un article paru dans l’hebdomadaire Jeune Afrique. Ainsi pourrait-on déduire des quatre pages de messages commandés par la communication du président de la République proclamé réélu par la Cour suprême du Cameroun le 21 octobre 2011. C’est que, après le titre «Présidentielle camerounaise : Paul Biya, jusqu'à quand ?» à la une de l’édition de l’hebdomadaire de la rue d’Auteuil à Paris dont l’intitulé à l’intérieur précise «Présidentielle camerounaise : Paul Biya le président inoxydable», les communicants de Paul Biya publient un message intitulé «La méthode Biya passée au scanner» paru dans l’édition de Jeune Afrique n°2653 allant du 13 au 19 novembre 2011. Un message qui tient d’une préoccupation de relativiser les assertions de l’article publié par l’hebdomadaire le 8 octobre 2011. Un jour avant le dernier scrutin présidentiel camerounais.
A priori, le message présente Paul Biya comme un chef d’Etat «plein d’humilité». Un leader qui, lors de sa prestation de serment, a tenu «non seulement à présenter ses sincères remerciements au peuple camerounais», mais aussi souligne le souci de Paul Biya de renouveler sa confiance à celui-ci «mais aussi créer un mouvement fédérateur des énergies sociales et politiques pour la réalisation du grand dessein qu’il nourrit pour le Cameroun.» Des assertions contrariées par l’article de Jeune Afrique.
«Besoin d’être rassuré»
L’hebdomadaire panafricain explique pour sa part que : «Le problème, en définitive, est que tout cet entrelacs de prudences, de précautions, d’attentisme tissé autour de lui-même par un homme dont on sent en permanence le besoin d’être rassuré est devenu pour les Camerounais un puissant facteur anxiogène. Plus le chef tente d’évacuer ses propres angoisses de l’avenir en additionnant les mandats électifs, plus la population se demande de quoi demain sera fait – demain pouvant très bien être, au regard de l’âge du capitaine, le jour d’après» Idem de la lutte contre la corruption ?
Le «farouche défenseur de la lutte contre la corruption», comme le présente le message publié dans les colonnes de Jeune Afrique précise qu’il souhaite «qu’on se souvienne de lui comme du président qui aura apporté la démocratie et la prospérité.» Mais l’hebdomadaire de Béchir Ben Yamed ne partage pas cet avis. Sur la plume de François Soudan, qui justifie de quelques entrées au palais d’Etoudi, l’on apprend que «Il faut être honnête. Une fois, une seule, le Cameroun a connu une présidentielle vraiment concurrentielle. C’était en octobre 1992, dans la foulée d’un printemps démocratique et contestataire comme le pays n’en avait jamais connu. Elle se déroula sur fond de violence frôlant la guerre civile et dans un climat d’exaltation des identités communautaires qui faillirent bien renverser un Biya temporairement affaibli. À l’issue de ce 11 octobre, plus de 60 % des Camerounais avaient voté contre lui, et il ne dut son salut qu’au sésame de l’élection à tour unique.» C’est pour cela explique le directeur de la rédaction de Jeune Afrique, «traumatisé par cette expérience presque autant que par le coup d’État manqué d’avril 1984, Paul Biya referma brusquement le couvercle et se coucha dessus, tel les lions endormis, mais vigilants, du parc de Waza.»
Acteur principal de la lutte contre la corruption et chantre de la paix, Paul Biya, justifie son action par la mise en place du cadre réglementaire et institutionnel dans la perspective de la lutte contre la corruption. Par ailleurs, le président de la République réélu lance un «appel inlassable à l’unité nationale». Question, soutient cette communication, de favoriser la transformation des «Grandes réalisations» en réussite. Un contraste avec les affirmations faites par l’homme qui vient de briguer son cinquième mandat à la tête du Cameroun à l’ambassadrice des Etats-Unis, Janet Garvey, en 2008.
Paul Biya, la corruption et la peur des bidasses
Pour expliquer la suppression constitutionnelle du nombre des mandats, le journal cite Paul Biya qui pense qu’il faut, «dit-il, mettre un terme aux épuisantes rumeurs sur sa succession, qui divisent le pays, paralysent le gouvernement et risquent de faire le lit des militaires. Pour lui, la classe politique camerounaise n’est pas encore mûre pour assumer une transition et se passer de sa personne ». « C’est à moi de le faire, confie Biya, car il sera impossible pour celui qui me succédera de commencer par cela. » En réalité, le président a pendant deux décennies considéré la corruption des élites comme une sorte de mal nécessaire parce que stabilisateur. « La gangrène étant devenue hors de contrôle, donc déstabilisatrice, l’amputation devenait indispensable…»
En outre, Paul Biya pense que l’échec des stratégies du gouvernement camerounais pour relancer l’économie et réduire le chômage «revient aux techniciens et autres économistes qui ont été incapables de proposer une stratégie camerounaise dans la mondialisation». Dans le même sillage, Paul Biya qui lance un nouvel appel à la diaspora fait la promesse de l’avènement de nouveaux hommes et de femmes de grande intégrité morale aux affaires. Des ressources qui, pense Paul Biya, seront dotées «de grande intégrité morale aptes à défendre l’intérêt général.» Une assertion qui inspire la question de l’après Biya à l’hebdomadaire Jeune Afrique.
En terme de conclusion, le journal affirme que «Le fait que la compétition pour la succession du prince se déroule non pas avec des partis d’opposition, que la « politique du njangui » (l’échange, le troc avec le régime) a décrédibilisés, mais à l’intérieur même du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) au pouvoir ajoute à cette opacité et à cette absence totale de repères. Trente années de biyaïsme n’ont pas donné aux Camerounais la confiance en leurs institutions indispensables pour envisager l’avenir avec sérénité. À cet égard, l’élection du 9 octobre apparaît comme un soin palliatif pour un malade relevant d’une thérapie de choc. Car les eaux sur lesquelles flotte, immobile, le navire Cameroun ne sont pas celles de la mer des Sargasses. Ce sont celles du lac Nyos ». Emportent-elles le Cameroun ?
Focal. Quand la contestation vient de Paris
L’histoire entre le chef de l’Etat camerounais, Paul Biya et la presse française n’est-elle pas, finalement, comparable à celle des roses qui éclosent, le temps d’un rayon de soleil, avant de s’étioler sous l’effet même de leur nature éphémère? Passé le temps où la presse hexagonale, sous le prétexte de l’une des nombreuses visites du chef de l’Etat ou encore de ses nombreux séjours français, l’adulait et expliquait avec forts arguments les faits et gestes d’un Paul Biya fortement tancé par ses concitoyens. Entre deux vents, le climat semble dégradé.
L’illustration en a été faite tout au long du processus lié à l’élection présidentielle du 9 octobre dernier. Le Monde, L’express, Le Canard enchaîné, L’humanité et l’hebdomadaire panafricain édité à Paris Jeune Afrique n’ont pas manqué de verbes pour dire leur désaveu au « régime totalitaire et monarchique » incarné par Paul Biya après 29 ans de pratique du pouvoir suprême au Cameroun. Un désaveu également exprimé par de nombreuses chaînes de radio et télévision qui, en leur temps, ne manquaient pas d’éloges pour le chef de l’Etat proclamé élu par la Cour suprême. Un retournement de situation si l’on n’était au fait du type de relation qu’entretiennent les deux parties.
D’une part, le régime Biya qui, de tout temps, privilégie les médias de la place parisienne et les communicants venus outre-Atlantique pour polir son image. La préoccupation étant de savoir quelle est la cible réelle. Le choix de la communication de Paul Biya d’insérer son message dans un journal parisien vient juste rappeler le mépris que l’homme du Renouveau porte à la presse camerounaise. Et, d’autre part, la peur qu’inspire la perception hexagonale des questions du pays qu’il dirige depuis 29 ans.
Heureusement, le chef de l’Etat peut se targuer, malgré les aboiements de l’opinion nationale, de compter quelques amis parmi les décideurs français. C’est avec un grand étonnement que de nombreux observateurs ont apprécié l’intervention du ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé. Répondant à une question de parlementaire à l’Assemblée nationale de son pays, celui, comme une injonction, appelle la presse camerounaise à se conformer à son bon vouloir. « Nous appelons donc la population, la presse camerounaise et tous les acteurs politiques à faire preuve jusqu’au 24 octobre, date de proclamation des résultats, et au-delà bien sûr, de modération et à éviter tout recours à la violence pour faire valoir leurs revendications». Juste pour dire ?
Joseph OLINGA via J.A.