Paul Biya: Un dictateur qui règle ses problèmes personnels en jouant des institutions
BRUXELLES - 20 AVRIL 2013
© Moïse ESSOH | Correspondance
Les «sénatoriales» auxquelles nous venons d’assister au Kamerun sont une gigantesque farce qui illustre la dictature sans complexe que subit le pays et la dictatoriale manie de Paul Biya de régler ses problèmes personnels en abusant sans vergogne des institutions.
Pour
résoudre le problème de son avenir personnel, où il ne se voit que
comme président à vie, Paul Barthélemy Biya a tripatouillé toute une
constitution.
Début des années 90, le dictateur et son régime avaient sensiblement reculé face aux contestations populaires. A cette époque, les bouleversements semblaient possibles en Afrique : Moussa Traoré en 1991, Sassou Nguesso en 1992, Didier Ratsiraka en 1993, Mobutu en fin 1996. C’est dans ce contexte très incertain – trois ans à peine après sa défaite électorale historique – que Paul Biya commença à jouer avec les institutions pour se maintenir au pouvoir. Après un faux « large débat », il promulgua en janvier 1996 une « nouvelle constitution » dont le but était d’éteindre la flamme encore incandescente de l’aspiration du peuple au changement.
Aux « opposants » opportunistes qui n’avaient plus que les municipales de 1996 à se mettre sous la dent, cette « nouvelle constitution » promettait qu’il y aurait plus de gâteau : « avec les assemblées régionales, il y aura pour tout le monde ».
Aux puristes de la démocratie, elle promettait une « large décentralisation », avec des Conseil Constitutionnel, Haute Cour de Justice, etc.
Enfin, au peuple lassé du dictateur, elle promettait le meilleur : promis-juré, le président ne va pas rester éternellement au pouvoir ! Le nombre de mandats sera limité et la durée allongée de 2 ans. Après 1997, Biya n’en aurait plus eu que pour 14 ans maximum. « Patientons, 2011 finira bien par arriver », se disaient alors les Kamerunais. On l’a vu en 2008, c’était une promesse pour « Gaou ». Le dictateur savait que la patience, qui est certes une vertu plus qu’un défaut, ramollit cependant la vigilance. L’attente devient accoutumance, l’accoutumance tolérance et la tolérance résignation. Les Kamerunais, en attendant 2011, se sont accoutumés au dictateur puis se sont résignés. Lorsqu’en 2008, ce dernier a supprimé de la limitation des mandats, la jeunesse surtout, a tenté de crier « Ah non, ce n’est pas ce qu’on avait convenu ! ». Le dictateur les a frappés sans retenue, constatant qu’une autre partie du peuple s’était ramollie. Non par paresse, mais parce que victimes de la paupérisation organisée par le régime. Les difficultés matérielles toujours grandissantes et une lassitude née de l’éternel combat pour la survie ont eu raison de ces vingtenaires de 1990, qui en 2008, étaient aux portes de la quarantaine.
Il est clair qu’en 1996, en promulguant cette constitution, Biya envisageait d’avance de supprimer la limitation des mandats. D’autant plus que l’article 6 de cette « nouvelle constitution » est le seul article qui fut appliqué dès la mascarade présidentielle de 1997, et le seul aussi qui ait jamais été modifié. Tous les autres articles importants (articles 46, 53, 55, 66, etc.) n’ont jamais été implémentés en 17 ans !!!
Quel « Nyata » pourrait encore croire aujourd’hui que M. Biya ait eu en 1996 une réelle volonté de « moderniser les institutions », comme le répètent les perroquets du RDPC et leurs alliés ?
J’affirme donc que Paul Barthélemy Biya a fait adopter toute une « constitution », avec plein d’articles et d’organes nouveaux, dans le seul but de résoudre son problème personnel : se maintenir au pouvoir. Il a endormi la ferveur d’un peuple encore grondant, en lui faisant miroiter qu’il partirait « un jour », alors qu’il n’en a jamais eu l’intention. Une véritable feymania politique.
Aujourd’hui, parce que justement tous ces conseillers régionaux ne servaient qu’à remplir une « constitution » factice, M. Biya n’a pas jugé nécessaire de les mettre en place avant de résoudre son autre problème personnel, qui lui a été fermement rappelé par le nouveau régime français : organiser sa succession.
En effet, comme s’interroge si bien son propre « camarade » Charles Ateba Eyene, cette « succession », puisqu’il ne leur vient pas à l’idée qu’elle peut être organisée par le peuple lui-même, ne peut être clairement tranchée dans la situation actuelle de double constitution au Kamerun. En absence de sénat, l’interprétation des deux constitutions en vigueur – situation dont la honte n’affecte plus le régime – penchait pour un intérim du président de l’Assemblée nationale (art. 67). Cependant, le manque total de charisme de ce dernier et l’existence légale d’un autre « intérimaire possible », en l’occurrence un président de sénat, ouvrent la voie à une déstabilisante contestation de Cavaye Yéguié au sein même du RDPC. En Côte d’Ivoire, la Françafrique n’avait pas anticipé que l’absence de testament politique clair d’Houphouët aurait pu créer un conflit interne (entre Bédié et Ouattara) tellement déstabilisateur qu’un indésirable (par la France) larron – Laurent Gbagbo – accéderait au pouvoir. Par précaution, le régime français, pour préserver ses propres intérêts contraire d’ailleurs aux nôtres, a donc sommé fin janvier le dictateur Biya de résoudre la question de sa succession.
Bafouant l’esprit de sa propre « constitution » (art. 20, alinéa 1), Biya s’est lancé dans une mascarade de « sénatoriales » dont les conseillers régionaux, pourtant partie du corps électoral prévu par sa propre loi, n’existent pas encore. Pourquoi donc avoir prévu l’obligation pour ces conseillers de faire partie du corps électoral sénatorial, si finalement le sénat peut se passer des régions ? Une loi dans un état digne de ce nom prescrit-elle des dispositions facultatives concernant une institution comme le sénat ? Quelle dictature nue !
En réalité, comme pour l’adoption même de cette « nouvelle constitution » âgée de 17 ans, ici aussi, il s’est agit pour Paul Biya de tripatouiller le sénat afin de résoudre un problème purement personnel voire familial : il est en effet fort possible que parmi les 30 sénateurs à nommer, se trouve un fils qui sera alors sans aucun doute désigné président du Sénat « à l’unanimité » des sénateurs RDPC, et donc « successeur constitutionnel ». La dictature sans complexe de M. Biya n’est pas incapable d’une telle forfaiture.
Le plus désolant dans tout ce processus de confiscation de tout un pays par un homme du passé qui plombe chaque jour davantage l’avenir des Kamerunais, c’est qu’il s’accompagne de péones, amuseurs publics et pions des corrida. Une armada « d’intellectuels », de « journalistes » et de politiciens corrompus au service d’un régime dictatorial et sanguinaire, qui tente de faire de cette vaste feymania politique, une « avancée nationale pour le peuple camerounais ».
Quant à certains « opposants » mal éclairés, ils foncent tête baissée comme des taureaux blessés vers le chiffon rouge des « élections-truquées-couleur-ELECAM », allant jusqu’à présenter des listes aux « sénatoriales » alors qu’ils ne disposent même pas de conseillers municipaux susceptibles de leur attribuer un seul siège de sénateur. « Ollé ! » leur a répondu le régime qui s’en est bien amusé, pendant qu’ils fonçaient dans le vide.
Il est donc résolument temps pour les véritables démocrates de cesser de s’intéresser au chiffon rouge des « élections-truquées-couleur-ELECAM », et de cibler directement le matador lui-même. Afin que, sous la menace effective de leur charge, il cesse enfin d’agiter ce ridicule chiffon rouge et mette en place un véritable système électoral démocratique qui lui permettra de sortir de l’arène autrement que sur une civière, déchiqueté par les cornes acérées de la révolte populaire. Il est temps de se mettre puissamment en mouvement pour une véritable démocratie, espérant pour le matador qu’il l’aura compris à temps.
Moïse ESSOH,
Secrétaire exécutif du CODE – Militant de l’UPC dite «des Fidèles».
© Moïse ESSOH | Correspondance
Les «sénatoriales» auxquelles nous venons d’assister au Kamerun sont une gigantesque farce qui illustre la dictature sans complexe que subit le pays et la dictatoriale manie de Paul Biya de régler ses problèmes personnels en abusant sans vergogne des institutions.
Début des années 90, le dictateur et son régime avaient sensiblement reculé face aux contestations populaires. A cette époque, les bouleversements semblaient possibles en Afrique : Moussa Traoré en 1991, Sassou Nguesso en 1992, Didier Ratsiraka en 1993, Mobutu en fin 1996. C’est dans ce contexte très incertain – trois ans à peine après sa défaite électorale historique – que Paul Biya commença à jouer avec les institutions pour se maintenir au pouvoir. Après un faux « large débat », il promulgua en janvier 1996 une « nouvelle constitution » dont le but était d’éteindre la flamme encore incandescente de l’aspiration du peuple au changement.
Aux « opposants » opportunistes qui n’avaient plus que les municipales de 1996 à se mettre sous la dent, cette « nouvelle constitution » promettait qu’il y aurait plus de gâteau : « avec les assemblées régionales, il y aura pour tout le monde ».
Aux puristes de la démocratie, elle promettait une « large décentralisation », avec des Conseil Constitutionnel, Haute Cour de Justice, etc.
Enfin, au peuple lassé du dictateur, elle promettait le meilleur : promis-juré, le président ne va pas rester éternellement au pouvoir ! Le nombre de mandats sera limité et la durée allongée de 2 ans. Après 1997, Biya n’en aurait plus eu que pour 14 ans maximum. « Patientons, 2011 finira bien par arriver », se disaient alors les Kamerunais. On l’a vu en 2008, c’était une promesse pour « Gaou ». Le dictateur savait que la patience, qui est certes une vertu plus qu’un défaut, ramollit cependant la vigilance. L’attente devient accoutumance, l’accoutumance tolérance et la tolérance résignation. Les Kamerunais, en attendant 2011, se sont accoutumés au dictateur puis se sont résignés. Lorsqu’en 2008, ce dernier a supprimé de la limitation des mandats, la jeunesse surtout, a tenté de crier « Ah non, ce n’est pas ce qu’on avait convenu ! ». Le dictateur les a frappés sans retenue, constatant qu’une autre partie du peuple s’était ramollie. Non par paresse, mais parce que victimes de la paupérisation organisée par le régime. Les difficultés matérielles toujours grandissantes et une lassitude née de l’éternel combat pour la survie ont eu raison de ces vingtenaires de 1990, qui en 2008, étaient aux portes de la quarantaine.
Il est clair qu’en 1996, en promulguant cette constitution, Biya envisageait d’avance de supprimer la limitation des mandats. D’autant plus que l’article 6 de cette « nouvelle constitution » est le seul article qui fut appliqué dès la mascarade présidentielle de 1997, et le seul aussi qui ait jamais été modifié. Tous les autres articles importants (articles 46, 53, 55, 66, etc.) n’ont jamais été implémentés en 17 ans !!!
Quel « Nyata » pourrait encore croire aujourd’hui que M. Biya ait eu en 1996 une réelle volonté de « moderniser les institutions », comme le répètent les perroquets du RDPC et leurs alliés ?
J’affirme donc que Paul Barthélemy Biya a fait adopter toute une « constitution », avec plein d’articles et d’organes nouveaux, dans le seul but de résoudre son problème personnel : se maintenir au pouvoir. Il a endormi la ferveur d’un peuple encore grondant, en lui faisant miroiter qu’il partirait « un jour », alors qu’il n’en a jamais eu l’intention. Une véritable feymania politique.
Aujourd’hui, parce que justement tous ces conseillers régionaux ne servaient qu’à remplir une « constitution » factice, M. Biya n’a pas jugé nécessaire de les mettre en place avant de résoudre son autre problème personnel, qui lui a été fermement rappelé par le nouveau régime français : organiser sa succession.
En effet, comme s’interroge si bien son propre « camarade » Charles Ateba Eyene, cette « succession », puisqu’il ne leur vient pas à l’idée qu’elle peut être organisée par le peuple lui-même, ne peut être clairement tranchée dans la situation actuelle de double constitution au Kamerun. En absence de sénat, l’interprétation des deux constitutions en vigueur – situation dont la honte n’affecte plus le régime – penchait pour un intérim du président de l’Assemblée nationale (art. 67). Cependant, le manque total de charisme de ce dernier et l’existence légale d’un autre « intérimaire possible », en l’occurrence un président de sénat, ouvrent la voie à une déstabilisante contestation de Cavaye Yéguié au sein même du RDPC. En Côte d’Ivoire, la Françafrique n’avait pas anticipé que l’absence de testament politique clair d’Houphouët aurait pu créer un conflit interne (entre Bédié et Ouattara) tellement déstabilisateur qu’un indésirable (par la France) larron – Laurent Gbagbo – accéderait au pouvoir. Par précaution, le régime français, pour préserver ses propres intérêts contraire d’ailleurs aux nôtres, a donc sommé fin janvier le dictateur Biya de résoudre la question de sa succession.
Bafouant l’esprit de sa propre « constitution » (art. 20, alinéa 1), Biya s’est lancé dans une mascarade de « sénatoriales » dont les conseillers régionaux, pourtant partie du corps électoral prévu par sa propre loi, n’existent pas encore. Pourquoi donc avoir prévu l’obligation pour ces conseillers de faire partie du corps électoral sénatorial, si finalement le sénat peut se passer des régions ? Une loi dans un état digne de ce nom prescrit-elle des dispositions facultatives concernant une institution comme le sénat ? Quelle dictature nue !
En réalité, comme pour l’adoption même de cette « nouvelle constitution » âgée de 17 ans, ici aussi, il s’est agit pour Paul Biya de tripatouiller le sénat afin de résoudre un problème purement personnel voire familial : il est en effet fort possible que parmi les 30 sénateurs à nommer, se trouve un fils qui sera alors sans aucun doute désigné président du Sénat « à l’unanimité » des sénateurs RDPC, et donc « successeur constitutionnel ». La dictature sans complexe de M. Biya n’est pas incapable d’une telle forfaiture.
Le plus désolant dans tout ce processus de confiscation de tout un pays par un homme du passé qui plombe chaque jour davantage l’avenir des Kamerunais, c’est qu’il s’accompagne de péones, amuseurs publics et pions des corrida. Une armada « d’intellectuels », de « journalistes » et de politiciens corrompus au service d’un régime dictatorial et sanguinaire, qui tente de faire de cette vaste feymania politique, une « avancée nationale pour le peuple camerounais ».
Quant à certains « opposants » mal éclairés, ils foncent tête baissée comme des taureaux blessés vers le chiffon rouge des « élections-truquées-couleur-ELECAM », allant jusqu’à présenter des listes aux « sénatoriales » alors qu’ils ne disposent même pas de conseillers municipaux susceptibles de leur attribuer un seul siège de sénateur. « Ollé ! » leur a répondu le régime qui s’en est bien amusé, pendant qu’ils fonçaient dans le vide.
Il est donc résolument temps pour les véritables démocrates de cesser de s’intéresser au chiffon rouge des « élections-truquées-couleur-ELECAM », et de cibler directement le matador lui-même. Afin que, sous la menace effective de leur charge, il cesse enfin d’agiter ce ridicule chiffon rouge et mette en place un véritable système électoral démocratique qui lui permettra de sortir de l’arène autrement que sur une civière, déchiqueté par les cornes acérées de la révolte populaire. Il est temps de se mettre puissamment en mouvement pour une véritable démocratie, espérant pour le matador qu’il l’aura compris à temps.
Moïse ESSOH,
Secrétaire exécutif du CODE – Militant de l’UPC dite «des Fidèles».