Paul Biya-Titus Edzoa: Dans les petits secrets d'une intimité
Yaoundé, 03 Mars 2014
© René Atangana | La Météo
Suite au décret n°2014/058 du 18 février 2014 portant commutation et remise de peines au profit de certains détenus, le Pr Titus Edzoa a été libéré le 24 suivant en fin de soirée. L'ancien secrétaire général de la présidence de la République (juillet 1993-septembre 1996) et Ministre de la Santé (jusqu'au 22 avril 1997) a rejoint son domicile sis au quartier Simbock aux environs de 22h30, escorté d'une forte escouade de forces de sécurité.
L'homme recouvrait ainsi la liberté, après 17 années passées dans une cellule de 7 mètres carrés dans un sous-sol au secrétariat d'Etat à la Défense. Arrêté le 3 juillet 1997, il est mis sous mandat de dépôt pour tentative de détournement de la Taxe spéciale sur les produits pétrolier (Tspp), tentative de détournement de 53 milliards de FCFA destinés aux préparatifs du sommet de l'Organisation de l'unité africaine (Oua) de Yaoundé, trafic d'influence lors de la passation du marché d'extension de la Société nationale de raffinage (Sonara).
Le chirurgien-dentiste est condamné à 15 ans de prison le 3 octobre 1997 aux environs de 4h du matin pour détournement de 350 millions de FCFA, destinés à l'Office national de commercialisation des produits de base (Oncpb). Le 4 octobre 2012, après avoir purgé sa peine, Titus Edzoa écope à nouveau de 15 ans de prison pour les faits pour lesquels il a été mis sous Mandat de dépôt.
Durant son séjour en milieu carcéral, l'homme est resté très amer vis-à-vis des autorités de Yaoundé, qualifiant son procès de règlement de comptes. Après avoir été un très proche collaborateur de Paul Biya et l'une des éminences grises du régime, le dimanche 20 avril 1997, de retour d'un voyage à la Baule, en France, il démissionne avec fracas du gouvernement et annonce sa candidature à l'élection présidentielle, prévue en octobre de la même année. Depuis sa sortie de prison, l'ancien médecin d'Ayos a gardé toute son éloquence et son élégance. Mais il semble avoir perdu un peu de sa verve inquisitrice. Alors que l'opinion nationale s'attend à des déclarations tonitruantes, l'homme prône la paix, la réconciliation, le pardon... Une attitude qui laisse penser qu'il y aurait eu de petits «arrangements». La Météo, dans cette édition, revient sur les récentes sorties du professeur agrégé de chirurgie dentaire et lève un pan de voile sur ses relations (anciennes et présentes) avec le régime en place.
Pour sa première sortie médiatique, le professeur agrégé de chirurgie dentaire, après 17 ans d'incarcération, a choisi de s'exprimer sur les antennes de Radio France internationale (Rfi) le 26 février dernier, soit deux jours après sa libération. Ceux qui l'ont connu dans les années 80 et 90 redécouvrent alors le brillant orateur qu'il fut. Un enseignant d'une pertinence fort appréciée, dont la prise de parole vous oblige à l'écouter de bout en bout. Ceux qui le suivent pour la première fois tombent sous le charme de son éloquence.
Titus Edzoa, tel un esthète de la prose, éblouit par la candeur de son verbe. Surtout, le message qu'il véhicule est un message de paix. « (...) Je suis heureux et je peux dire que, avec les 17 années que j'ai passées, on prend du recul. Et donc aie sortie, ce n'est pas pour faire la guerre, c'est pour partager ce que j'ai pu acquérir lors de ce séjour c'est-à-dire l'amour, le respect, la dignité et toutes ces valeurs qui animent l'être humain», confie-t-il à Christophe Boisbouvier de Rfi. A la question de savoir s'il ne nourrit pas un esprit de revanche, il répond: «Absolument pas. On ne fait pas 17 années de cellule pour faire la guerre». S'agissant des souffrances endurées pendant sa détention, il indique stoïquement: «Cette souffrance m'a beaucoup enrichi, et c'est cet enrichissement là que je voudrais partager avec les autres, même avec ceux qui m'ont fait souffrir... J'ai choisi de devenir un homme politique et quand on est homme politique, il y a des risques. Je les ai pris, je les ai assumés. Et je les assume».
La même placidité a été observée lors de la conférence de presse qu'il a tenue samedi dernier en sa résidence, baptisée «Château de Graal» au quartier Simbock. Tel un messie, l'ancien très proche collaborateur du Chef de l'Etat a fait voler une colombe blanche: pour partager la paix. Une symbolique à ne pas surtout décrypter au premier degré. Pendant cet échange avec la presse, dont nous Vous proposons la synthèse en pages 6 et 7, Titus Edzoa qui avoue, contre toute attente, être toujours militant du Rdpc, n'a cessé de véhiculer le message d'amour, le pardon, la paix, la réconciliation.
Amertumes. Une attitude qui, contraste avec le visage qu'il a toujours présenté, depuis sa sortie du gouvernement en 1997, c'est-à-dire un homme plein de rancœur, de haine et d'animosité vis-à-vis du régime. Notamment à travers une intense activité épistolaire depuis le fond de son cachot. En avril 2012, il publiait aux éditions Karthala «Méditations de prison», un ouvrage à charge dans lequel l'ancien Ministre de l'Enseignement supérieur dévoile les pratiques mystiques récurrentes dans le sérail. L'opuscule, préfacé par Odile Tobner, veuve du vénérable écrivain Mongo Béti, indique comment l'argent avilit certains hauts commis du régime au point de les déshumaniser, ou encore comment certains, pour accéder au pouvoir, vont jusqu'à boire du sang humain (lire les Bonnes feuilles) et se livrent à des sacrifices d'une horreur sans nom. Dans le viseur de cette publication: le Président Paul Biya et tous ceux qu'il estimait l'avoir conduit en prison.
En avril 2009, il écrit au peuple camerounais: «Ils [ceux qui ont conspiré pour le jeter en prison: Ndlr] ont voulu faire de moi Tantale, m'enterrant vivant dans un ergastule sous-terrain infect... Ils m'ont plutôt gavé d'amertume et de harcèlement, en attendant de me faire ingurgiter la ciguë pour l'anéantissement final...». Dans la même lancée, il tance ainsi le Chef de l'Etat: «En tant que Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, est-il réellement informé de cette infamante et macabre kermesse? Certains séides autoproclamés de son entourage l'incrimineraient, avec lâcheté, d'être lui-même l'artisan, la main invisible, dont ils ne seraient que de simples exécutants pour le moins rigoureux...».
Deal. Lorsqu'il démissionne du gouvernement, en 1997, Titus Edzoa dresse un bilan «dramatiquement désolant» du système Biya et dit avoir cédé devant les intrigues de palais. Dans un entretien accordé au quotidien Mutations, en 1997, il confiait: «J'ai toujours été positif. Mais ce n'est pas à un Ministre de dire que tout est immobile. Vous le voyez vous-même, rien ne marche. On lui dit: "Bougez! Bougez!", il ne bouge pas. Il ne travaille pas. Vous ne pouvez pas vous imaginer les efforts qu'on fait de l'intérieur pour que les choses évoluent. Pour faire aboutir la nouvelle Constitution janvier 1996: Ndlr ce fut très rude. Il ne voulait même pas qu'on limite les mandats. Et lorsque vous expliquez qu'on doit limiter les mandats pour obliger les hommes d'Etat à se donner un programme d'action établi dans le temps, on vous taxe de rebelle...».
Puis, le prof s'insurge: «Voyez-vous, vous êtes deux amis. Vous êtes ambitieux. Il appelle l'un de vous et lui dit: "Je vais te nommer à tel poste", puis il le fait. Vous vous mettez à travailler. Ensuite, il appelle votre ami et lui dit du mal de vous et de votre manière de travailler. Et promet votre poste à votre ami. Puis il vous dit que votre ami fait des mains et des pieds pour prendre votre poste. Quelques temps après, il le nomme à votre place. Comment ce dernier peut-il démontrer qu'il n'est pas à l'origine de votre chute? Vous êtes obligés de vous brouiller. Et cela installe un climat malsain, un climat de méfiance et d'animosité». Curieusement, depuis sa sortie de prison, le 26 février dernier, plus de dénonciations, plus de critiques vis-à-vis des autorités de Yaoundé. Titus Edzoa semble avoir passé l'éponge. C'est la paix des braves. La presse, venue nombreuse à la recherche du scoop, est rentrée l'escarcelle vide. Certains laudateurs de la jacquerie pensent qu'il faut revenir sur les raisons de la brouille entre lui et l'homme du 6 novembre pour comprendre ce jeu de clair-obscur. Qu'est-ce qui a bien pu bibuiller Paul Biya et l'homme qui semblait détenir le «disque dur» de son régime? «Eux seuls connaissent la vérité», confie un proche parent d'Edzoa.
Les analystes estiment que les raisons profondes resteront enfouies, tant que Paul Biya ne parlera pas. Le Pr Titus Edzoa a déjà dit sa vérité: «Circulez, y a rien à voir» Et il précise: «Permettez-moi d'avoir quelques secrets». Il épargne même Paul Biya, le protège au besoin: «Ne mêlez pas le Président de la République aux autres. Ça ne vous concerne pas! Ce n'est pas devant vous que je vais le dire. Et quant aux autres, qu'ils sachent que je leur ai pardonné. Je crois que je suis clair. Ils sont nombreux, je les connais nommément».