Paul Biya s'isole à Mvomeka'a

Le Messager.

Le président de la République a quitté Yaoundé samedi dernier pour un séjour à Mvomeka. Libye et Côte d’Ivoire : le chef de l’Etat va-t-il mettre à profit ce temps pour cogiter sur la position à adopter face aux sollicitations des Occidentaux ?

Comme ce fut le cas au début des années 70, avec le vol inaugural de l’ex-Camair qui vit la présence effective de l’ex-président feu Ahmadou Ahidjo, beaucoup ont bien cru au sein du  sérail politique que le président Paul Biya viendrait assister personnellement aux festivités des vol inaugural de la nouvelle compagnie nationale de transport aérien, Camair-Co. Le chef de l’Etat a préféré laisser au ministre d’Etat en charge des Transports, toute la plénitude de l’organisation et de la présidence de cette cérémonie très courue par les membres du gouvernement. Paul Biya se trouve en ce moment du côté de Mvomeka’a. Il a quitté la capitale au lendemain des audiences qu’il a respectivement accordées aux ambassadeurs de France et des Etats-Unis.

On se souvient que c’est Bruno Gain qui avait été le premier à se rendre au palais de l’Unité, avant que Robert P. Jackson ne se fasse lui aussi recevoir par le président de la République. De sources officielles, on apprendra que les deux diplomates ont parlé avec le président Biya chacun à son tour, entre autres, des crises en Libye et en Côte d’Ivoire. Bruno Gain et Robert P. Jackson sont les chefs des missions diplomatiques de deux pays chefs de guerre, pour ce qui est de la crise libyenne, et des animateurs farouches d’une coalition occidentale anti-Laurent Gbagbo, le président ivoirien déclaré vainqueur par la Cour constitutionnelle de côte d’ivoire. 

Depuis le début de la crise ivoirienne, et plus récemment aussi, depuis les bombardements des Occidentaux contre la Libye , Paul Biya n’a jamais fait de commentaire public sur ces deux évènements. Lors du dernier sommet de l’Union africaine qui s’est tenu à Addis-Abeba en janvier dernier, il se dit que certains chefs d’Etat africains auraient souhaité que le président camerounais (l’un des doyens des chefs d’Etat africains avec le guide de la Jamahiriya libyenne Kadhafi) joue  un rôle déterminant pour résoudre la crise ivoirienne.

Mais Paul Biya s’était inscrit aux abonnés-absents à cette rencontre des chefs d’Etat de cette organisation panafricaine. Entre temps, le panel des chefs d’Etat mis en place pour faire une proposition de sortie de crise en Côte d’Ivoire a déposé son rapport. Un rapport entièrement favorable à Alassane Dramane Ouattara, et qualifié d’inacceptable par le camp du président Laurent Gbagbo. On se retrouve donc dans une certaine impasse en Côte d’Ivoire, avec une situation de quasi guerre. En Libye, les Occidentaux, sous la houlette de la France de Nicolas Sarkozy mènent auprès des insurgés une offensive contre le régime du colonel Kadhafi alors que l’Union africaine s’est installée dans un silence étonnant.

La pression de Sarkozy et d’Obama

Face à cet état de chose, Paul Biya qu’on dit énormément respecté sur le continent continue de se taire. Est-ce pour cette raison que la France de Nicolas Sarkozy et les Etats-Unis de Barack Obama ont décidé ces derniers jours de mettre la pression sur lui afin qu’il choisisse rapidement son camp dans ces deux crises ? Rien n’est moins sûr.

En s’isolant à Mvomeka’a, loin des bruits de la capitale avec toutes les sollicitations stressantes liées à sa fonction, Paul Biya sait que de la position qu’il adoptera pourrait dépendre son avenir politique à la tête du Cameroun. Les élections présidentielles sont annoncées au Cameroun en principe pour le mois d’octobre prochain. Il s’agit d’une échéance que l’on peut qualifier de déterminante pour le régime du président Biya. Au plan intérieur, nonobstant une indifférence chronique, observée du côté des potentiels électeurs, qui ne se bousculent pas du tout vers les bureaux d’Elecam, Paul Biya et son parti, le Rdpc, savent que la victoire sera incontestablement à eux. Mais il se trouve que la France et les Etats-Unis qui savent manipuler l’Onu au gré de leurs intérêts, semblent avoir, selon bien d’indicateurs géopolitiques crédibles, décidés de mettre la pression sur les tenants du régime de Yaoundé. Notamment pour ce qui est du code électoral qu’ils souhaiteraient voir amener à deux tours, et plus cyniquement encore, les tractations sur la longévité de Paul Biya au pouvoir, et le manque de respect des droits de l’Homme au Cameroun, pour parler du cas précis des exigences des Etats-Unis.

Au final, si pour le cas de la Côte d’Ivoire Paul Biya continue de prôner la voix du dialogue et du compromis, comme il a l’a clairement laissé entendre dans son discours en début d’année face au corps diplomatique accrédité au Cameroun, le chef de l’Etat est pour ce qui est de la Libye face à un dilemme : faut-il condamner les bombardements de la coalition occidentale et risquer de voir Barack Obama et Nicolas Sarkozy ouvrir les yeux grands sur lui, ou alors se taire complètement en sacrifiant ainsi les bonnes relations récemment entreprises avec le guide de la Jamahiriya  ? Attendons de voir ce que fera l’homme du 6 novembre 1982 dès son retour dans la capitale.

Focal: Ambiance au village

Après quelques jours passés au Palais présidentiel de Yaoundé, le président de la République est reparti à Mvomeka’a sa terre natale. Comment le président travaille-t-il lorsqu’il est au village ? Décryptages.

Pour certains, le président de la République s’est retiré dans son village natal d’où, il supervise par “ procuration ” certaines opérations, de même qu’il “ tient à l’œil ” certains de ses adversaires politiques et actionne des stratégies en vue de sa prochaine réélection à la présidentielle de 2011. Pour d’autres, le chef de l’Etat n’a pas été tout à fait d’accord de la dernière mission du Fmi au Cameroun qui veut lui faire croire que son envie de recruter d’un trait 25 000 jeunes diplômés à la Fonction publique est un effet d’annonce irréalisable, parce que, “ virussé ” par l’empreinte de l’élection à la présidentielle de 2011. Devant une telle actualité où rumeur, intox et information se disputent la scène, on assiste à une instabilité dans le sérail. Du coup, les barons du régime du Renouveau commencent à s’inquiéter sur ce que le chef de l’Etat, Paul Biya, est capable de faire quand il se retire à Meyomessala. Par habitude, le chef de l’Etat a le corps au village, mais la tête et le cœur à Yaoundé.

De sa retraite à Mvomeka’a, le chef de l’Etat, est plus que davantage préoccupé par son pouvoir à Yaoundé. Il suit de très près les cellules de crise créées à tout vent, de même qu’il multiplie des structures de renseignement, de veille et de vigilance, pour un meilleur accaparement des rênes du pouvoir. Des sources bien introduites au palais affirment que le chef de l’Etat, de sa retraite, tient à être informé minute by minute de ce qui se passe à Yaoundé.

Les moments de retraite du président de la République dans son village natal à Mvomeka’a, sont aussi une période de grande démobilisation des apparatchiks et des ferrailleurs du régime du Renouveau. Ils se distinguent par des “ va et vient ” incessants sur le tronçon routier entre Yaoundé et Mvomeka’a. Lorsqu’on ajoute à cela la grande instabilité actuelle, l’hypothèse d’un éventuel embrasement du pays, les mouvements de tension des épargnants de Cofinest, les contestations au sujet des avatars et les discriminations diverses d’Elecam, la boucle et bouclée et le trafic routier sur Mvomeka’a plus intense. Du coup, l’occasion devient un grand moment des affaires, mieux, la saison des arachides pour le complexe Rock Farm de Ndonkol.

Ambiance au complexe Rock Farm de Ndonkol

Espace paradisiaque et exotique par excellence, le complexe agro-touristique et industriel “ Rock Farm ” à Ndonkol, situé à dix minutes du palais de Paul Biya à Mvomeka’a, tire la plupart de ses revenus de la fortune publique. Son complexe hôtelier (trois étoiles, selon le ministère du Tourisme), tourne à mille à l’heure, surtout quand le chef de l’Etat est au village. L’espace est d’abord la seconde demeure pour le cabinet civil et le secrétariat général de la présidence de la République  ; de même que c’est le lieu le plus stratégique où descendent tous les barons du régime, convoqués ou sollicitant une audience auprès du chef de l’Etat. A voir le remue-ménage qui s’observe ici, la qualité des personnes qui y défilent, on a fini par qualifier l’hôtel de “salle d’attente ” du président Paul Biya.

“Lorsque c’est le chef de l’Etat qui vous appelle, c’est encore plus grave, car quand bien même, il vous dit que c’est urgent, il prend tout son temps. C’est lui seul et selon ses humeurs qui vous demande d’arriver ; en ce moment, votre temps est limité. Pour éviter toute surprise désagréable, pour ne pas courir le risque de faire attendre le président de la République , ministres, Dg et autres hauts cadres de l’administration centrale préfèrent descendre ici, prendre le temps qu’il faut. Il y en a qui attendent une semaine et parfois plus. Les plus malchanceux peuvent attendre, sans être reçus à la fin ”, explique un habitué des lieux et des désagréments présidentiels.

La torture ne s’arrête pas là pour les demandeurs d’audience ; ils sont pour ne pas être en flagrant délit d’abandon de poste, obligés de se faire transporter les parapheurs au lieu de leur second bureau... Tout cela, sur la bourse du contribuable. La situation est davantage compliquée au point où l’hôtel arrive à saturation lorsque les courtisans des barons du régime en attente d’être reçus par le chef de l’Etat et tous les autres demandeurs de service, les petites et les “ chasseurs ” de marchés publics font également le déplacement de Ndonkol. Au moment où le chef de l’Etat vient de regagner sa terre natale de Mvomeka’a, il est difficile de spéculer sur ce que va coûter cet “ exil ” volontaire du président de la République Paul Biya à la fortune publique.


29/03/2011
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