Le chef de l’Etat s’emploie, avec une rare hypocrisie, à démanteler un système qu’il a construit et entretenu.
Un journaliste gabonais, de passage récemment au Cameroun, s’aventurait, à la rédaction de Mutations, à obtenir des informations sur ce que beaucoup, dans la sous-région Afrique centrale, considèrent comme l’énigme Biya. Notre confrère posait alors des questions, d’une étonnante naïveté et qui étaient du genre : «Vous arrive-t-il de voir le président Biya, de l’approcher, de lui parler ? Reçoit-il ses compatriotes en dehors des membres du gouvernement ?»
A force de répondre à ce flot d’interrogations par la négative, l’homme a fini par s’assoupir en se disant que tout cela correspond à ce que, eux, au Gabon, se disent du chef de l’Etat du Cameroun : un homme distant, froid, introverti, rancunier, cynique, narcissique. Nous, ses compatriotes, lui connaissons l’image d’un être pétri de culture latine dont il dévore, à n’en point douter, la prose des années Lumières : il se fait bercer ses instants de détente par des sonorités philarmoniques mozartiennes, fait orner des pans de ses murs de symbolismes puisés de Van Gogh ou de Michel-Ange. A suivre, même à distance, les attitudes, les agissements et les réactions du chef de l’Etat du Cameroun, on en est à se demander si Paul Biya ne serait pas venu au monde, sur le continent africain, par accident un accident géologique, tellement il est occidentalisé jusqu’au plus petit soupçon de maladresse.
Nulle part, le nom de Paul Biya n’apparait derrière les vagues des dignitaires de la République qui sont envoyés derrière les barreaux depuis une dizaine d’années, au nom de l’«Opération épervier» dont l’objectif avoué est d’assainir les comportements déviants qui amènent les gestionnaires des crédits à confondre l’argent public d’avec leur caisse personnelle.
Pourtant, même en pariant sur la totale indépendance de la justice camerounaise, tout le monde le sait pourtant : aucune arrestation ne s’opérerait sans le feu vert de celui qui s’est fait baptiser, le temps d’une campagne électorale présidentielle, «L’homme lion». C’est en suivant donc cette logique que, lundi dernier, on lui a encore attribué l’interpellation d’Ephraïm Inoni, ancien Premier ministre de la République et de Marafa Hamidou Yaya, qui a dirigé, jusqu’au 09 décembre dernier, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation.
Parce que ce fils de catéchiste catholique, né à Mvomeka’a il y a 79 ans dans le département du Dja et Lobo, arrondissement de Meyonmessala, entretient l’art du mystère et du silence. On ne saura jamais, dans la foultitude d’arrestations découlant de ces dernières années, où s’arrête l’épuration de ceux qui ont osé caresser quelques velléités politiques à dimension nationale, et où commencent les interpellations «propres» de ceux qui paient, réellement, pour leur cupidité vorace.
Sanctification
Les lieutenants de «L’homme lion» se débattent à tout moment comme des diables, pour récuser toute association d’idée rapprochant les arrestations des dignitaires du régime d’une épuration de potentiels prétendants au poste de président de la République. Pouvait-il en être autrement ? C’est à Paul Biya d’apporter la preuve du contraire, pas à ceux qui se permettent ces insinuations.
Dans ses rares sorties médiatiques, Paul Biya avait, sans la moindre retenue, demandé à ceux qui criaient à la corruption d’en apporter la preuve. En se permettant cette sortie lourde de conséquences historiques, le président de la République n’avait-il pas sanctifié le fléau, en invitant ainsi ses auteurs à être suffisamment fins ? Ne fusse pas une autre manière, aussi, de fragiliser les dirigeants en se donnant les moyens légaux de s’en débarrasser en s’appuyant sur des textes de loi ? Dans une hypothèse comme dans une autre, une chose est certaine : le natif de Mvomeka’a a assimilé et lit encore Nicolas de Machiavel